« Qui n’a pas une lampe électrique chinoise chez lui en ce moment, est avare pour lui-même »!
L’homme qui venait de monter à côté de moi semblait agité. D’habitude, quand à Conakry, après une heure sous le soleil, les doigts en l’air pour indiquer aux taximen quelle route on emprunte, l’on parvient, enfin, à monter dans un taxi, une espèce de bien-être vous envahit. Vous prenez au moins une minute de silence pour savourer votre « victoire ». Mais, non, cet homme était, lui, agité. Quelque chose le démangeait. Décidément, il voulait se confier.
Dans un premier temps, il a voulu engager la conversation avec moi. Ça, je l’ai su à travers le « Bonjour » plein d’amabilité qu’il m’a lancé et cette rengaine qu’il n’arrêtait pas de ressortir : « problèmes sur problèmes. Eh Allah… ». Calé à la banquette arrière du taxi près de la portière, je restais coi. Oui, dans les taxis, j’aime bien me mettre – quand je peux – à la portière, du côté de la voie qui circule. De ce fait, je suis moins importuné par les « montées-descentes » intempestives, le chauffeur exigeant que l’on descende ou monte par l’autre portière pour éviter les accidents. Cela lui évite aussi de mettre à chaque fois la tête dehors pour indiquer aux passagers si c’est bon ou pas de descendre, étant donné que son rétroviseur a foutu le camp depuis des lustres. Donc, pour mieux souligner que je ne voulais aucunement échanger avec l’homme agité, j’ai carrément mis les écouteurs de mon téléphone et feint d’écouter le journal à la radio. Toujours surfant sur son refrain « problèmes sur problèmes. Eh Allah… », son voisin et le conducteur ont alors daigné s’enquérir, presque en chœur : « Qu’est-ce qui se passe, Monsieur ? ».
Visiblement aux anges de trouver enfin un interlocuteur, que dis-je, des interlocuteurs, l’homme enchaine sans transition : « je vais comme ça à l’hôpital Ignace Deen pour refaire mes radiographies… ». Silence. Il ajoute : « l’idiot a brûlé tous nos bagages dans la chambre que nous partagions à quatre. Il ne me reste plus rien… ».
– « Qui ça l’idiot, comment cela est arrivé ? », interroge le chauffeur.
– « C’est un jeune qui a laissé une bougie allumée dans notre chambre pour aller faire ses ablutions. Il a continué à la mosquée et la chambre a pris feu. Tout a brûlé, tout! même mes radiographies que je vais refaire comme ça à l’hôpital. Problèmes sur problèmes. Eh Allah… ».
– « Encore un problème de bougie », renchérit le taximan.
– Le voisin de l’homme-agité, ajoute sentencieusement : « en plus d’être idiot, celui qui a commis cet acte est pingre. Aujourd’hui, tout le monde possède une lampe électrique chinoise. Qui n’a pas une lampe électrique chinoise chez lui en ce moment, est avare pour lui-même ! Ces lampes sont extraordinaires. On les trouve partout. Elles ne coûtent pas cher, en plus elles sont économes. Avec une ou deux piles, ça te donne de la lumière, sans aucun risque pendant plus d’un mois.
– « C’est bien vrai », approuve l’homme-agité-sinistré.
– «…puisqu’il semble que nous, notre génération je veux dire, nous n’aurons jamais de vrai courant électrique en Guinée », continue le voisin. « ….quand c’est le courant de EDG [NDLR : Electricité de Guinée, société qui gère le courant] il tue les gens et brûle leurs maisons à travers des courts-circuits, les bougies quant à elles causent des incendies, comme c’est le cas cette fois. Combien des familles ont été endeuillées par ces deux phénomènes à Conakry et à l’intérieur du pays ? Moi je crois que nous les guinéens sommes mauvais et donc maudits… »
J’écoutais attentivement. Mais, j’étais malheureusement arrivé à destination. La conversation, véritable procès d’EDG avec la bougie et les lampes chinoises comme pièces à conviction, continuait de plus belle et commençait à prendre une tournure philosophico-religieuse. Car au moment où je descendais, celui qui avait la parole disait :
– « …puisque Dieu a dit dans le Saint Coran… »
« Piiiiiiiiiiiiiiiii !!!! » Et j’ai perdu la fin de sa phrase, noyée par le klaxon d’un autre taxi qui protestait contre l’arrêt brusque du mien. C’était un peu de ma faute. Absorbé que j’étais par le débat auquel je regrettais presque de n’avoir pas participé, je n’ai pas prévenu le chauffeur à temps.
Je pensais intérieurement que si j’avais pris part au débat, j’allais, moi aussi, citer de nombreux exemples d’incendies, provoqués par le courant ou la bougie. Comme à Labé en 2009 où la chute d’un câble Moyenne Tension au marché central avait carbonisé une jeune fille et brûlé gravement une vingtaine d’autres personnes. Ou encore à Matoto, en 2001 où une bougie avait décimé tout une famille, etc. Des exemples pareils, j’en ai à gogo.
A quelques mètres de l’arrêt du taxi, j’aperçois un vendeur de lampes électriques chinoises. Et cette phrase m’est revenue : « Qui n’a pas une lampe électrique chinoise chez lui en ce moment, est avare pour lui-même ! »
Alimou Sow
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