10 km à pieds à 1500 m d’altitude pour….bipper!
Si en Guinée l’utilisation du téléphone portable est devenue banale dans les centres urbains, tel est loin d’être le cas en zone rurale. L’exemple le plus illustratif est celui de mon propre district: Kansagui.
Situé à 7 km de la sous-préfecture de Brouwal dont il relève, et à 35 km du chef-lieu de la préfecture de Télimélé, Kansagui est tout simplement un district enclavé. Pour y accéder en voiture à partir de Télimélé, il vous faut 3 à 4 heures de temps pour couvrir les 35 km de piste qui serpente la montagne! Cependant, depuis 2008, ne vous hasardez pas à dire aux habitants de Kansagui qu’ils vivent enclavés. C’est avec un grand air d’étonnement qu’ils vous dévisageraient!
En effet, avec l’installation en 2008 d’un pylône à Télimélé-ville par un opérateur de Téléphonie Mobile, un « réseau perdu » a été découvert dans un petit terrain vague à Kansagui. Une véritable révolution pour les agriculteurs et éleveurs qui peuplent ce coin frappé de plein fouet par l’exode rural. Depuis, l’endroit ne désemplit pas, nuit et jour. Telle une foire, quelques rares jeunes et surtout de nombreuses personnes âgées, s’y donnent rendez-vous. Les premiers sont les détenteurs des téléphones portables qui savent comment les utiliser, les seconds veulent rentrer en contact avec un fils lointain. S’en suit un marché des…dupes!
Avec des gestes nonchalants et imprécis, les vielles personnes sortent un bout de papier froissé sur lequel est inscrit le numéro de téléphone d’un fils ou d’une fille; les jeunes bippent (faire sonner le téléphone de quelqu’un sans le laisser décrocher) le numéro pour que l’autre rappelle. Cette simple opération est facturée à 2000 francs guinéens (200 FCFA)! Les plus indulgents prennent juste le temps de dire « rappelle ta mère sur ce numéro »! Si le réseau est stable, plus rarement, la conversation s’engage, sinon, ce qui est plus fréquent, on revient le lendemain. Toujours avec le même espoir, le même enthousiasme. Personne ne se plaint de la mauvaise qualité de ce « réseau perdu » qu’on considère comme un don de Dieu.
Parapluie et provision en main, les villageois quittent des kilomètres à la ronde pour rallier ce coin. Certains qui viennent du bas-fond, grimpent une montagne de 10 km à 1500 m d’altitude pour tout juste bipper! Avis de décès, de maladie, un complet pour la fête, une assistance financière pour la récolte du riz,…tout est traité ici, grâce à ce « réseau perdu ». On pourrait s’indigner de l’attitude des jeunes « bippeurs », mais l’obtention d’une carte de recharge relève parfois du parcours du combattant. De toute façon, ils « arrangent » parfois les vieux en réclamant le paiement de la prestation en nature. Riz, fonio, manioc, banane, etc. tout y passe. Et comme toujours, chacun repart satisfait en bénissant ce don de Dieu.
Alimou Sow
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