Comment le «Thiep» de Marième m’a tué !
Comme une mouche sur un cadavre de trois jours d’un buveur de Bil-Bil, ce breuvage alcoolisé avec lequel les Camerounais se gargarisent après chaque repas, je rentre d’un séjour de 10 jours au Sénégal repu de «Thiep». Vous savez ce plat mythique de la gastronomie du pays de la Teranga (Hospitalité) que les Guinéens désignent sous les noms ronflants de «riz au gras» ou «riz-gras». En pays peul, on rencontre même les acceptions « Li-gras » ou « Guiri-gara » ! C’est selon qu’on est lettré ou analphabète inspiré.
Dix jours durant lesquels j’ai pu apprécier toute la saveur exquise du Thiep sénégalais. L’original, l’authentique, le vrai Thiep. Celui de Marième, l’épouse de mon ami bienfaiteur.
Du Thiep version guinéenne, j’en avais mangé chez moi en Guinée à la maison, chez le voisin, au resto ou à l’occasion des cérémonies de baptême, de mariage, ou d’accueil de pèlerins qui rythment la vie de mes compatriotes. J’avais apprécié aussi le goût au citron du «Benna Tchin», version gambienne, à la faveur de mes multiples vacances au pays de Yayah Jammeh, The Big Man.
Mais, après mon expérience de l’authentique Thiep sénégalais fait par une experte, je me suis rendu compte que vraiment Thiep c’est pas Thiep. Qu’il y a Thiep dans Thiep. Que le riz-gras de chez nous est une pâle copie du vrai plat sénégalais.
Notre riz-gras national est un assortiment de riz aux grains gros comme des fusées, de morceaux de viande ou de poisson farcis de piment déculottant, des légumes «saignants» tant ils sont mal cuits, le tout baignant dans une mare d’huile gorgée de cholestérol. Vous mangez ça le matin vous boirez un mètre cube d’eau pendant la journée, sans étancher votre soif.
Encore que, quand c’est «fait maison» c’est acceptable.
Car à l’occasion d’interminables cérémonies de mariage et de baptême, l’on sert, dans des bassines remplies à ras-bord, un riz-gras plutôt carabiné. Préparé à base de riz «blanc» importé de Bangladesh, dont les détracteurs disent qu’il est destiné aux chevaux, ce riz au gras est aussi dur à avaler qu’une éponge de toilette d’un boutonneux. Vous refilez ça à un porc bissau-guinéen, vous l’entendrez maugréer «non, merci je préfère fouiller dans nos poubelles ». Et qui connait les poubelles de nos voisins de Bissau…
Un conseil : si c’est au village qu’on vous sert du «Li-gras» à l’occasion d’une quelconque cérémonie, mieux vaut s’en méfier, sinon vous regretterez votre pire gastro-entérite !
Non, sans déconner mes chères sœurs guinéennes, vous savez cuisinez (vos maris, pour certaines), mais laissez le Thiep aux Sénégalaises. Rendez à César ce qui est à César et à Mariam, la femme de mon ami, ce qui lui appartient, c’est-à-dire sa marmite.
Car, sans distinction de variété, le riz-gras de Mariam est doux, très doux. Comme le dirait mon ami Parigo, il est «bon», «très bon».
Du Thiep Bou Dienne (avec du poisson), Mariam a préparé, j’ai mangé, goulument. Thiep Bou Yap (viande), elle a fait, je me suis régalé. Thiep Kethia, ses doigts magiques ont façonné, je me suis délecté. Cette dernière spécialité est un condensé de riz fin, de légumes variés et un panaché de fruits de mer à vous mettre l’eau à la bouche à la moindre senteur. Un plat qui vous recharge de 1000 volts par cuillerée. Même les médecins lui tresseraient des lauriers pour sa richesse en vitamines et oligoéléments. Un régal.
Des lauriers que j’offrirais volontiers et par tonne à Marième, non seulement pour la qualité de son Thiep, mais aussi pour la façon dont elle le sert aux convives. A l’heure du repas, assis par terre en tailleur, nous formons un cercle autour du plat servi dans un récipient ovale inoxydable. A nous les hommes les gros morceaux de viande et de poisson qu’on nous glisse avec délicatesse, par pelletées entières. Avec sourire et empathie, on nous supplie de « bien manger », nous reproche de ne pas «manger assez».
Au début, j’étais gêné aux entournures par cette attention particulière à laquelle j’étais complètement étranger, avant qu’on ne me m’enseigne que cela fait partie de la Teranga dont la femme sénégalaise est la gardienne. On raconte que, sur un tout autre genre, elle sait faire goûter à son mari des délices célestes insoupçonnés, la nuit tombée. J’imagine l’insupportable solitude qu’endure l’époux sénégalais vivant loin de sa douce moitié, obligé de se taper des Kébabs turcs et des péripatéticiennes ghanéennes.
Pour ma part, en seulement 10 jours au Sénégal, j’ai failli laisser mon cœur à Dakar, accroché sur une arête de poisson tant j’ai été gâté côté bouffe.
Mes sœurs de Guinée, cette attention, cette qualité de service à manger est aussi une spécialité de vos voisines du Sénégal. Au contraire, certaines d’entre vous pourraient facilement se reconvertir au basketball à force de prendre la figure de leur mari pour un panier et le plat de riz pour une balle à la moindre dispute.
A cet instant, je sais que vous brulez d’envie de me saisir, m’étrangler et de jeter ma carcasse aux fauves. Avant de me donner le coup de grâce, permettez-moi d’écrire que vous n’avez, certes, pas la main pour le Thiep, mais, et cela est incontestable, vous êtes les femmes les plus belles de la sous-région, probablement de l’Afrique et pourquoi pas du monde entier.
Faites du Thiep et non un homicide. (Article d’humour).
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