Ebola dans la cité : réalité, fantasmes et paranoïa

Article : Ebola dans la cité : réalité, fantasmes et paranoïa
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31 mars 2014

Ebola dans la cité : réalité, fantasmes et paranoïa

Virus Ebola
Virus Ebola

De leur abri haut perché sur les crêtes ferrugineuses des monts Nimba, les singes du sud de la Guinée boivent du petit-lait ! Depuis quelques semaines, les primates assistent, sans doute effarés, à un spectacle des plus absurdes. Leur redoutable prédateur, l’homo Guinéenus, se bat contre un ennemi invisible dans un combat déloyal, puisque à armes inégales : Ebola !

C’est à la radio, quelques rares fois, que j’entendais parler de cette saloperie incurable qui tue les gens atrocement loin là-bas dans l’ancien Zaïre, terre d’instabilité. Le virus Ebola sévissait en Afrique centrale, notamment en Centrafrique et en RDC où il a été découvert en 1976 près d’une rivière qui porte le nom d’Ebola. Comment cet inconnu a-t-il pu se taper un safari de milliers de kilomètres, traversant une dizaine de pays pour atterrir en Guinée pour faire coalition avec la malaria, le sida et le choléra contre une  population déjà éprouvée par un quotidien loin d’être tendre ?  En avait-il marre des fesses des rebelles maï-maï et autres fripouilles de la Seleka et anti-balaka ? Mystère.

Toujours est-il qu’Ebola est là, avec son cortège de malheurs et de désolation. Plus de 100 cas et des dizaines de morts tués par une fièvre foudroyante accompagnée de vomissements, de diarrhées et de saignements. Une contagion à travers les fluides biologiques. Aucun vaccin ni remède. Un cocktail qui fait que devant Ebola, le sida fait figure de rhume des foins.

Rumeurs. On dit. Puis panique générale qui n’a pas tardé à virer à la paranoïa depuis la découverte de quelques cas à Conakry la capitale. Les médias s’en sont mêlés, la rue et les réseaux sociaux ont récupéré la rumeur pour laquelle la Guinée est une véritable industrie.

Bonjour les anecdotes, les situations tragi-comiques et les dérives à la con.

Un petit importateur de produits cosmétiques doit une fière chandelle au filovirus Ebola. Il se demandait que faire d’une quantité importante de gel de mains qui arrivait à expiration quand l’annonce a été faite que le virus ne résiste pas au gel antibactériologique, au savon, au chlore et à l’eau de Javel. Sa marchandise est partie comme des petits pains.

Désormais à  Conakry, tous les jours c’est journée internationale de lavage des mains. A l’entrée de grands restaurants, de certaines écoles, ONG, institutions, banques et assurances, des vigiles armés de seaux d’eau javellisée appliquent les consignes à la lettre. Lavez-vous les mains avant de rentrer. Les épiceries sont déjà en rupture de stock de chlore et d’eau de Javel.

Ce dimanche j’ai été chatouillé par la vision d’un de ces paranos se promenant dans la rue sous 35°C, les mains rôtissant dans des gants de toubib. Il saluait à bonne distance, voyant Ebola en chaque individu croisé. Les Chinois, qui marchent en troupeau dans une Conakry chauffée à blanc, ont tous la bouche masquée par un cache-nez.  Donc votre Kung-fu peut être neutralisé par Ebola ?

Des années successives d’épidémie de choléra n’avaient pas pu rendre les Guinéens si prévoyants et hygiéniques. Mais aussi hystériques.

C’est dans les transports en commun que la situation devient ingérable. Faut voir les gars se faire encore plus petits pour ne pas se toucher dans un taxi où s’entassent jusqu’à sept gaillards. Chacun a la gueule tirée qui plonge dans le décor. On se veut moins tactiles, chaque cas de fébrilité étant suspicieux.

Ce week-end, un drame a été évité de justesse dans un bus de transport en commun sur l’autoroute Fidel Castro. Dans l’autocar plein comme un œuf, la chaleur était suffocante. C’est à ce moment-là que quelqu’un pris de nausée a vomi à l’intérieur! C’est le sauve qui peut. Le conducteur a détalé le premier abandonnant le bus surplace d’où s’échappaient les passages dans un chaos indescriptible. Plusieurs cas de blessés légers. Tant pis, mieux vaut un bras fracturé qu’Ebola dans le ventre.

Moins amusante est la bêtise de ce prof d’université qui relaie une connerie devant ses étudiants selon laquelle il serait déconseillé de s’assoir avec un Forestier au risque de contracter la maladie. Il a failli être lynché par ses propres étudiants, toutes ethnies confondues.

Par ailleurs, de petits malins – mais gros cons – s’amusent à faire de la publicité intrusive en diffusant des SMS selon lesquels un médecin chercheur guinéen vivant au Sénégal a trouvé un remède miracle et bon marché contre la fièvre Ebola : de l’oignon cru ! Des âneries.

Mais dans cette Ebolaphobie, la panique n’est pas uniquement au niveau individuel. Elle est aussi étatique. C’est toute l’Afrique de l’Ouest, en émoi, qui est tétanisée. Le Mali, l’autre poumon de la Guinée, annonce des mesures préventives, la Côte d’Ivoire a constitué une cellule de crise, le Liberia et la Sierra Leone sont déjà suspectés d’abriter la maladie, et le Sénégal vient de fermer sa frontière terrestre au nord-ouest de la Guinée bloquant des milliers de personnes dans les deux sens. Youssou N’Dour, qui devait se produire à Conakry le 29 mars, a été contraint d’annuler son concert in extremis.

Pourtant, le risque de transmission de l’Ebola est très faible comparé à certaines grippes comme celle aviaire ou le coronavirus qui a ravagé le Moyen- Orient l’année dernière. Mais si vous voulez avoir la tête carrée, allez répéter ça à un analphabète chômeur qui a la rumeur chevillée à l’âme…

Ebola est vraiment garçon hein. Il a déclenché un tsunami de paranoïa par-delà les frontières guinéennes, mais il a néanmoins le mérite d’avoir réussi à baisser la tension à Conakry sur le front social. On oublie les problèmes d’eau, d’électricité et d’insécurité pour faire face au redoutable ennemi commun qui ne fait pas de distinguo entre partisans et opposants. Il les mange tous à  la même sauce.

Justement en parlant de sauce, les rats, les écureuils, les macaques et les agoutis du pays pavoisent. Ils ont bénéficié d’un sursis inespéré et sans doute pour une longue période. Les défenseurs de l’environnement, en particulier de la faune, peuvent prendre leur congé sabbatique. Les braconniers et autres singivores sont tombés sur os. Ebola kö dougoulaa!*

*Ebola est néfaste
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Commentaires

francois pierre rougier
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il serait peut etre bon de rendre public le nom de ce prof....afin qu il quitte definitivement le pays !

JR (abcdetc)
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Eh le beau, hola… C'est tellement rythmé ce billet qu'on se mettrait presque à danser. Mais je me retiens, je voudrais pas qu'on me suspecte d'être atteint d'une fièvre… suspecte !
:-)

Oscar
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la spéculation c'est une autre compétence du guinéen! Ce prof...

Mabinto Indjai
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tres interessant...

Asma Dara Bah
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Eboula fait vraiment peur! que Dieu ns aide et ns préserve de cette maladie. Amen

Sow Samba
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Dans mon émission environnementale, on avait trop évoqué la protection des singes, mais bon, là, on fait attention. Notre malheur fait le bonheur des animaux.

Fotéporto
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Une fois de plus tout est brillamment dit ! Ce dramatique billet m'a beaucoup fait rire, j'ai du mal a me remettre de : "Donc votre Kung-fu peut être neutralisé par Ebola ?"
Ton analyse et une fois de plus excellente mon ami. Que cette tragédie prenne fin rapidement, car comme tu le dis si bien, le Guinéen n'avait pas besoins de ça : " éprouvée par un quotidien loin d’être tendre".

Ph
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Moi qui suis en Guinée Forestière j'ai lu deux bons articles sur Ebola.L'un dans le monde sur le coté anthropologique du traitement de la maladie, l'autre, toujours sur le coté anthropologique mais traité forme humour, c'est le votre Mr Sow. BRAVO

DIALLO
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Tu es très fort M. SOW bravo à toi. Ko hein Gootho.

Hadramet
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Exellent ! comme toujours.

Oury Pélissaré
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Cool M. Sow

kiko marchante
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Alimou Sow, très bon article, si clair et des expositions de dynamique appropriées à la plus stupide facilement compris. Il est facile à lire et à comprendre, à m'a trouvé intelligent comment il a présenté et même sympathique. Félicitations

Sylvain
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Alors mille morts plus tard - et c'est pas fini - on en est où les gros malins donneurs de leçons?

Saliou458
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Disons que ça va mieux maintenant n'arretons pas de prier.