A Conakry, le mépris de la vie !
La fraicheur de la brise matinale qui balaie ce quartier de la haute banlieue de Conakry est loin d’apaiser leurs cœurs meurtris. Assis en tailleur sur des nattes tressées, le visage grave, les amis d’enfance d’Alhassanne Bah lui rendent un dernier hommage. Un charognard attiré par le fumet du sang voltige dans le ciel gris de Conakry. Un taureau a mordu la poussière.
Alhassane Bah, alias Bôbo, est tombé sous les balles des tueurs il y a un peu plus d’un mois. Par une fin de soirée incandescente, au moment où l’obscurité jette son voile sur les quartiers de la capitale, ce jeune militaire de 22 ans rentrait chez lui après avoir perçu son solde. C’est presque au pas de sa porte qu’il tomba, foudroyé par une balle qui lui transperça les hanches. Une autre lui déchiqueta la cheville gauche. Il décéda sur-le-champ.
Plusieurs versions avaient circulé par la suite, attribuant sa mort tantôt à des bandits qui avaient attaqué une concession voisine de la sienne, tantôt à des gendarmes venus à la rescousse et qui l’auraient confondu à un des malfaiteurs… Saura-t-on jamais la vérité ?
Toujours est-il que Bôbo s’en est allé à jamais à la fleur de l’âge; privant ses parents et amis de sa gentillesse et de son sourire éclatant qu’il gratifiait tout le monde avec une infinie générosité. C’est en souvenir de tout cela que ses potes du «Carré» ont mis la main à la poche pour tuer un taureau, lire le Coran afin d’implorer le Tout Puissant Allah pour qu’Il accueille l’âme d’Alhassane Bah dans son paradis.
Un hommage loin d’être anecdotique à Conakry, une capitale devenue un Far West où la vie ne vaut rien. Des gangs lourdement armés, souvent en tenue militaire, terrorisent les habitants de la cité semant la mort à tour de bras : attaques à main armée, cambriolage, vol à l’arrachée, assassinat ciblé, règlement de comptes, etc. Il ne se passe pas une seule nuit sans qu’une personne ne périsse à Conakry par le fait d’une attaque à main armée.
Et maintenant personne n’y échappe, gouvernés comme gouvernants.
Vendredi 9 novembre dernier, c’est la Directrice nationale du Trésor public, Madame Aïssatou Boiro, 58 ans, qui a été froidement abattue à Kipé. Quelques jours plus tôt, c’est le vigile d’un important officier de police qui a été tué à quelques mètres d’un poste de gendarmerie. Pour les anonymes, comme ce jeune homme qui croupit dans une cabine crasseuse à l’hôpital de Donka après avoir reçu une balle dans le ventre alors qu’il dormait tranquillement chez lui, on ne compte plus.
Les domiciles privés transformés en forteresse (en vain) et les pharmacies étaient les cibles privilégiées des gangsters. A présent s’y ajoutent les voitures de luxe. Comme dans un film hollywoodien, on vous barre la route en pleine circulation, parfois en pleine journée, on vous met une arme sur la tempe et vous intime l’ordre de remettre les clés de votre véhicule. Ça, c’est quand vous avez de la chance, sinon l’opération se règle par une rafale de balles. Un jeune homme en a fait les frais il y a quelques semaines du côté de Nongo (Ratoma).
Gagnée par une vague de violences sans précédent, Conakry (la Guinée en général) fait les frais du phénomène de consumérisme à l’occidental abâtardi ici. Les nouveaux gadgets high tech, les voitures de luxe et les meubles hors de prix – de la chinoiserie – inondent la capitale, suscitant des appétits incompressibles. Ajoutez-y manque d’éducation, chômage et précarité pour comprendre pourquoi la kalachnikov est devenue une voie de garage pour accéder à ce «luxe» et au bien être.
Mais ce qui fait froid dans le dos, c’est surtout le niveau atteint dans la banalisation de la vie humaine en Guinée. Se faire tuer est aussi anodin qu’avaler un cachet de paracétamol! Pour une simple dispute au sujet d’une petite amie, on s’entretue sans autre forme de procès. Sans suite, sinon l’oubli. Aucune enquête ne sera ouverte.
Les bandits et les forces de l’ordre ont, semble-t-il, réussi à inculquer la culture de la violence à la société, avec la bénédiction d’une justice à deux vitesses ayant pour vertu l’impunité érigée en système de gouvernance. Les délinquants meurtriers peuvent s’échapper «miraculeusement» da la maison d’arrêt de Conakry, mais pas les militants politiques arrêtés au cours d’une marche pacifique de l’opposition.
Les philosophes définissent l’anomie comme étant l’état de désorganisation, de destruction d’une société, dû à la disparition partielle ou totale des normes et des valeurs communes à ses membres. Je crains que la société guinéenne ne soit en passe d’atteindre cet état ! Je touche du bois.
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