Mamadou Alimou SOW

Cri de cœur d’une mère en détresse !

Batouly Sow – crédit photo: Alimou Sow

« Chers lectrices et lecteurs,

C’est assez surréaliste que je prenne la parole en public pour m’adresser à vous, car même dans mes rêves les plus improbables je n’aurais pu imaginer être sous le feu des projecteurs à mon corps défendant. Mais les voies du Seigneur sont insondables.

J’aurais aimé ne jamais vous parler ici, ne jamais m’afficher sur internet pour tendre la sébile. Si j’avais eu le choix, je serais restée la mère au foyer timide que je suis qui élève ses enfants dans la dignité et mène sa vie de paysanne anonyme. Hélas, j’ai rencontré mon destin. Je n’ai plus le choix. Dans ma vie, rien ne sera plus jamais comme avant.

Faisons connaissance si c’est la première fois que vous me voyez. Je m’appelle Fatoumata Batouly Sow, je suis Guinéenne, j’ai 34 ans, 5 enfants et un mari formidable: Ousmane Cissé à qui je suis mariée depuis 1998. J’ai surtout un cancer du sein qui me ronge depuis maintenant 12 mois !

Je viens de Boussoura, un petit village de  la commune rurale de Koba dans la préfecture de Boffa, en Basse Guinée.  Mon mari est cultivateur de riz comme la plupart des hommes de notre contrée. Nous sommes des Peuls dont les ancêtres sont originaires du Fouta-Djalon. Nous vivons en parfaite harmonie avec les populations autochtones de Koba à tel point que personnellement, je parle mieux le Soussou que le Poular ma langue maternelle.

Avant de tomber malade, je faisais un petit commerce d’huile, de riz, de piment et de colas que je transportais à Conakry pour revendre afin d’épauler mon mari à entretenir les enfants. Mais, ma vie a basculé le 3 novembre 2016. Ce jour-là, j’ai perdu une partie inestimable de mon corps. J’ai perdu ce qui symbolise le plus la féminité chez une femme : on m’a coupé un sein à sa racine ! Les spécialistes vous parleront de mastectomie totale.

Tout a commencé en mars 2016. Alors que mon dernier garçon avait deux ans, un bouton de la taille d’un grain de maïs est apparu sur mon sein droit. Rien d’inquiétant, me dis-je, tout le monde peut avoir un bouton qui apparait et disparait spontanément. Peu de temps après, j’ai commencé à ressentir de vives douleurs au dos. Le bouton est passé de la taille d’un grain de maïs à celle d’un petit citron. Il grandissait à vue d’œil. J’avais le sein lourd et une boule sous l’aisselle. Je commençai à m’inquiéter, tout comme mon mari.

Nous nous sommes tout naturellement tournés vers la médecine traditionnelle à la recherche d’un remède. Nous avons sillonné toutes les localités de Boffa, Boké et Dubréka… Nous avons consulté les guérisseurs les plus réputés,  enlevé des sacrifices de toutes sortes. En vain ! Cela n’a eu aucun effet positif sur mon état de santé qui se détériorait. Le sein continuait à gonfler m’infligeant une douleur insoutenable. Je n’ai jamais autant souffert de toute ma vie.

Ayant épuisé tous les recours traditionnels, nous avons fini par nous rendre à l’hôpital. Ce fut à Dubréka où un médecin m’a prescrit un traitement composé de trente piqûres que j’ai prises une à une. Ce traitement a légèrement diminué l’enflure du sein et a ralenti l’écoulement de la plaie qui s’était formée entre temps. Mais pas d’amélioration de mon état de façon générale. Au contraire.

En octobre 2016, le médecin de Dubréka ne pouvait plus rien. Il a jeté l’éponge et nous a conseillés, mon mari et moi, d’aller au plus vite à Conakry dans l’un des deux plus grands hôpitaux de la capitale: Ignace Deen ou Donka. Nous nous sommes rendus dans ce dernier où le médecin qui m’a reçue a immédiatement déclaré qu’il fallait couper le sein pour sauver ma vie! C’est là que j’ai entendu pour la première fois parler de cancer, un mot dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Coût de l’opération: cinq millions de francs guinéens payables avant l’intervention, alors que nous n’avions même pas plus de 100.000 francs par devers nous.

Je ne saurais expliquer les réelles motivations du médecin-chirurgien. Je ne voudrais lancer aucune accusation. C’est que je sais, c’est qu’il nous a mis une terrible pression en disant que s’il ne m’opérait pas le lendemain-même, il ne me recevrait plus, même si je revenais avec un montant supérieur. J’ignore comment mon mari a fait pour trouver l’argent.

Le jeudi, 3 novembre 2016, je fus donc opérée. Je me réveillai sans mon sein droit, emballé dans un sac plastique et remis à mon mari. Le choc psychologique était indescriptible. On m’a transférée du bloc opératoire à une salle de la maternité de Donka où je suis restée en tout trois jours avant que le médecin ne nous demande de rentrer à la maison sans autre forme d’accompagnement.

Il a ensuite expliqué à mon mari qu’il fallait payer la somme de 12 millions de francs pour les soins, sinon, a-t-il ajouté, « ça n’aurait servi à rien d’opérer ta femme ». J’avais physiquement très mal ce jour, mais je n’oublierai jamais la douleur qui m’a frappée au cœur devant la détresse de mon mari démuni…

Bref, voilà résumé mon passé douloureux. Mais mon présent n’est guère reluisant. Des examens récents ont révélé qu’en dépit de l’ablation du sein, la maladie n’est pas éradiquée. Des cellules cancéreuses sont en train de se répandre menaçant le reste de mon corps. Tous les spécialistes préconisent mon évacuation rapide à l’extérieur  de la Guinée vers une structure de prise en charge spécialisée. Selon les estimations des hôpitaux, cela coutera plus de 200 millions de francs guinéens ! Que faire ? Où vais-je trouve ce montant ? Je souffre.

Nous souffrons moi, mon époux et nos enfants. A moi, certes la douleur physique, mais à eux la douleur psychologique de me voir souffrir, l’angoisse insoutenable et la crainte de perdre sa femme ou sa mère. Je suis croyante musulmane, je garde espoir qu’Allah, que je prie, va me sortir de cette mauvaise passe.

Dans le malheur qui nous frappe, je rends grâce à Dieu qui a mis des personnes formidables sur notre chemin. C’est le cas des femmes de l’Association des Professionnelles Africaines de la Communication (APAC) et particulièrement de sa présidente Mme Asmaou Barry. C’est grâce à elle que je suis sortie de l’anonymat en me donnant la chance de m’exprimer pour la première fois dans une vidéo sur Facebook. Jamais je ne saurais la remercier assez, ainsi que toutes ces bonnes volontés qui m’apportent leur soutien, y compris ceux qui nous hébergent gratuitement à Conakry.

Je sais que beaucoup ont été choqués de voir une femme au sein coupé s’exhiber sur internet. Mais ai-je le choix ?

J’ai appris qu’en début d’année plusieurs jeunes femmes ont lancé une campagne de sensibilisation sur la prévention du cancer du sein sur les réseaux sociaux. Elles postaient des photos d’elles correctement habillées bien sûr. C’est à mon tour de lancer ma campagne de sensibilisation, mais pour la phase curative. J’ai dépassé la prévention dans mon cas. Malheureusement je n’ai plus rien à cacher. Je n’ai plus de sein à dissimuler par pudeur. Pourtant moi aussi, je fus une jeune femme et comme toute jeune femme, j’ai eu des seins qui suscitaient le désir des hommes. J’aimerais tant revivre cette époque-là…

J’ai appris qu’aucune femme n’est à l’abri du cancer du sein. C’est un mal indicible. Aucune femme ne mérite cela. Je suis consciente que personne ne peut échapper à son destin mais j’aimerais continuer à vivre auprès de mes enfants aujourd’hui dispersés un peu partout chez des proches. J’aimerais les élever et les éduquer ensemble, les voir grandir ensemble, les chérir ensemble.

Chers internautes, aidez-moi à les réunir à nouveau. Aidez-moi à rentrer à la maison saine et sauve. »

Fatoumata Batouly SOW

Pour venir en aide à Mme Cissé, Batouly Sow voici comment faire :


Ce que la vie doit à l’amour !*

Cet article est une fiction portant sur le thème de la « Jeunesse guinéenne d’aujourd’hui ».

Comme convenu la veille, nous nous étions levés aux aurores pour nous retrouver.

  • Ça y est, je suis prêt dit-il !
  • On y va, répondis-je, la gorge serrée.
  • Allez, c’est parti !

Sac à dos en bandoulière, il se mit devant marchant d’un pas hâtif sur l’étroit sentier du village. Les pattes de son jean balayaient la rosée dans un frou-frou musical. J’avais relevé mon pagne jusqu’aux genoux pour éviter de le mouiller. Je suivais Sadio en silence. Personne ne parlait. Seuls nos cœurs, en proie à une tempête de mélancolie, communiquaient dans un silence pesant.

Nos silhouettes se détachaient dans le décor des feuillages, dessinés par le faisceau de nos lampes torches à l’aide desquelles on s’éclairait. A l’est, le ciel s’illuminait d’une couleur pourpre annonçant la naissance de l’aube. Progressivement, la nature s’éveillait.

  • On y est, tu dois te retourner ici, me lança-t-il lorsqu’on arriva à un croisement de chemins. Sadio s’efforçait à ne laisser transparaitre aucune émotion dans sa voix, mais il était évident qu’il avait, lui aussi, le cœur lourd.
  • Je voudrais te pousser encore un peu plus, fis-je.
  • Non, il ne fait pas encore jour, tu dois te limiter ici. Ça commence à faire du chemin pour ton retour au village. Tu es toute seule, il ne faut pas prendre des risques inutiles.
  • Mais il n’y a pas de risque, en plus j’ai pas peur voyons argumentai-je.
  • N’insiste pas Assiatou, s’il te plait limite-toi là et rentre à la maison.

 J’étais obligée d’accepter sa proposition d’autant plus que Sadio avait une trentaine de km à parcourir à pied pour arriver en ville d’où il devait s’embarquer pour Conakry. Je savais qu’il se faisait de la bile à l’idée de rater son taxi, sachant qu’il n’y avait qu’un seul taxi-brousse qui ralliait la capitale au rythme de deux fois par semaine. Louper celui-ci revenait à patienter quatre jours supplémentaires avec toutes les conséquences que cela impliquait pour dormir et manger en ville.

On s’arrêta sous un grand arbre feuillu pour nous dire au revoir. Instant déchirant. Il me tendit sa main gauche que je serrai avec ma main gauche également. Chez nous, sans que je ne sache trop pourquoi, la tradition voudrait qu’on se serre les mains gauches pour se dire adieu.

Jamais adieux ne furent aussi pénibles pour moi.

  • Assi,… m’appela-t-il !
  • Sadio,… répondis-je en le fixant dans les yeux.

La conversation s’arrêta-là. Nous étions incapables de continuer à parler tant l’émotion était forte. On se contentait de nous regarder, chacun devinant ce que l’autre ressentait, ce que l’autre voulait dire par-delà le poids du silence.

Il retira sa main doucement, s’avança, marcha quelques pas avant de s’arrêter et de revenir sur ses pas. Je n’avais pas bougé. Il me saisit par la taille et me serra très fort contre lui. Sur mon sein, je sentais son cœur battre la chamade. Je savais qu’il brûlait d’envie de m’embrasser – moi  aussi d’ailleurs – mais nous nous étions promis de ne rien faire avant le mariage comme le veulent notre tradition et notre religion.

Il était 18H. Cela faisait déjà 11H de temps depuis que Sadio était parti. Son image emplissait ma tête, je n’arrêtais pas de penser à lui, de repenser aux instants de notre séparation laborieuse de ce matin. J’avais comme une boule de feu coincée dans la gorge. Avait-t-il pu voyager ? Avait-t-il raté son taxi ? Avait-t-il trouvé à manger ? Je me posais un tas de questions.

Sans doute Nen Kadiatou aussi, la mère de Sadio. Fils unique depuis le décès tragique de ses frères jumeaux dans un accident, Sadio était la prunelle des yeux de sa maman. Elle me demandait de ses nouvelles sans arrêt. Malheureusement, je n’avais pas plus d’informations qu’elle. Notre village était totalement enclavé, aucun réseau téléphonique n’était disponible pour communiquer.

Je rassurais la vieille dame – et me rassurais moi-même –, en prédisant que la route de Sadio serait bonne puisque j’avais veillé personnellement à ce qu’il respectât scrupuleusement le rituel du voyageur. Ainsi, avant de sortir de la maison, il avait consulté la position de la poule couveuse et suivi la direction indiquée par celle-ci en sortant. Il avait également versé une calebasse d’eau au pied de l’oranger de la concession. De mon côté, j’avais écrasé trois œufs au carrefour et déposé autant de tas de cendre tel que recommandé par le marabout que j’avais consulté pour le voyage de Sadio.

Nous habitions un village de montagne aride d’où nous tirions l’essentiel de nos ressources alimentaires d’une agriculture itinérante sur brûlis. Or, le dérèglement climatique avait provoqué l’espacement des pluies. Les champs étaient devenus improductifs poussant presque tous les hommes à l’exode rural vers les centres urbains et notamment vers la capitale à la recherche d’une vie meilleure. Seules quelques vieilles personnes, des veuves et des enfants peuplaient les hameaux tristes.

En dépit de son jeune âge, à peine 22 ans, Sadio était devenu le principal soutien de ses parents frappés par la vieillesse. Son rêve le plus ardent était de leur construire une maison en dur et de les emmener à la Mecque effectuer le pèlerinage.

Intelligent et bon élève, il avait été malgré tout contraint d’abandonner l’école en classe de 6ème année pour s’occuper de ses parents après la mort de ses frères. Moi aussi, j’avais abandonné mes études au niveau primaire sur décision de ma mère qui avait estimé qu’en tant que benjamine de cinq frères, je devais l’aider dans ses tâches ménagères et laisser les garçons étudier. A l’époque, j’étais trop petite pour comprendre. Maintenant, je me serais sans doute opposée à cette décision…

Sadio est mon cousin. Son courage et sa sagesse avaient poussé son oncle – mon père – à me le promettre en mariage. J’avais tout de suite accepté, puisque au-delà de son courage, Sadio est un beau garçon, gentil et galant. J’avais appris à le connaitre et à l’aimer. J’avais hâte de me marier avec lui, même si, par pudeur comme il est de coutume chez nous, j’évitais soigneusement de le lui dire.

Sadio avait expliqué à ses parents qu’il partait à Conakry. Il leur avait dit qu’il voulait tenter sa chance dans le commerce en ouvrant une échoppe de quartier. Son père, convaincu de son projet, avait consenti de revendre deux de ses vaches et quatre chèvres pour constituer le capital d’investissement. Une petite fortune dans notre contrée.

Mais à moi, il avait dit la vérité et c’est cette vérité qui me chagrinait davantage. Sadio m’avait avoué qu’il se lançait dans une grande aventure : il voulait tenter sa chance pour rejoindre l’Europe par la route ! Comme le firent deux de ses amis, Younoussa et Djibril, qui avaient réussi à gagner l’Italie il y a un an.

Les jours passaient et se ressemblaient. Sadio me hantait. Je me réveillais à l’aube, je faisais ma prière et profitais pour demander à Dieu de lui faciliter son voyage. Je n’avais toujours pas ses nouvelles cinq jours après son départ. J’ignorais s’il était arrivé à Conakry à bon port, ni ce qu’il était devenu. J’attaquais ensuite la journée qui commençait par la corvée d’eau. Je devais remplir plusieurs bassines en allant puiser à la source du marigot qui entourait notre village. J’avais mal aux reins à  force de descendre et de remonter le chemin qui serpentait la pente raide donnant accès au marigot. Mais c’est ainsi, comme toutes les femmes du village, je devais m’y faire.

J’avais enfin des nouvelles de  Sadio, une semaine après notre séparation. Mon frère Malik, qui l’avait accueilli à son arrivée à Conakry avait envoyé un message expliquant qu’il avait dormi chez lui deux jours avant de continuer son chemin. Son taxi était tombé en panne sur la route de Conakry obligeant tous les passagers à dormir en pleine brousse. Mais, par la grâce de Dieu, rien ne leur était arrivé. Une grande chance à cette période d’attaques à main armée perpétrées par des coupeurs de route qui régnaient en maitres sur les trajets interurbains.

Sadio n’avait pas dit grand-chose à mon frère Malik sur ses véritables intentions. Il lui avait vaguement expliqué qu’il partait à Bamako, au Mali, pour acheter des basins qu’il entendait revendre ensuite à Conakry. Malik avait essayé de le convaincre que ce projet était certes intéressant à long terme, mais un peu risqué étant donné que Sadio n’avait pas suffisamment de l’expérience dans le commerce. Il l’avait plutôt conseillé de rester à Conakry et d’essayer d’ouvrir une boutique de quartier avec quelques marchandises ordinaires. Malik était prêt à y contribuer si nécessaire et même de lui servir de guide se fondant sur son expérience propre en ce domaine. Sadio avait décliné poliment l’offre, arguant qu’il voulait tenter l’aventure des basins-Bamako pour voir ce que ça pourrait donner.

Il s’était donc embarqué pour Bamako en compagnie de Saliou, le fils de l’ancien maitre tailleur de Malik également originaire de notre village. Je connaissais Saliou qui avait récemment séjourné ici pour quelques jours. Un loup solitaire aux dents longues. Sadio et lui étaient devenus inséparables, entretenant une complicité que je peinais à percer. Ils menaient d’interminables entretiens jusque tard dans la nuit sous le Kouratier derrière notre concession. Je les surprenais évoquant des contrées lointaines dont je n’avais jamais entendues parler : Sahara, Lampedusa, Melilla, Méditerranée, etc…

Une fois, alors que je les épiais, je les avais entendus parler d’une grande clôture surmontée de barbelés qu’il fallait grimper pour accéder à un territoire appartenant lui-même à un pays étranger mais qui se trouverait dans un autre pays. Je n’y comprenais rien en dehors de la dangerosité d’affronter cette barrière qui serait haute de plusieurs mètres et surveillée 24H/ 24 par des agents de sécurité accompagnés de chiens méchants.

Sadio n’avait  jamais voulu qu’on en parle quand je lui avais demandé de m’expliquer ce qu’il fricotait avec Saliou et tous ces lieux dont ils parlaient. « Assi, écoute-moi ! D’abord ce n’est pas poli d’écouter des conversations privées » m’avait-il opposé. Ayant compris que j’en savais plus qu’il ne s’imaginait, il était contraint de me dire au moins qu’il voulait tenter l’aventure de l’Europe pour aider ses parents comme l’avait fait Younoussa qui avait réussi à envoyer les siens ainsi que ses beaux-parents à la Mecque. Je ne voyais aucune objection à ce qu’il parte, je craignais simplement pour sa vie et du sort de notre projet de mariage. D’ailleurs, je dois avouer que la perspective de voir ses parents et éventuellement les miens accomplir le rite du pèlerinage à la Mecque ne me déplaisait guère…

Ainsi, mon frère n’avait pas assez d’informations. Depuis qu’il était parti voilà plusieurs jours, Sadio n’avait pas donné de ses nouvelles. Mon frère ne s’en inquiétait pas outre mesure, puisque, à ses yeux, le trajet Conakry – Bamako était relativement sûr pour un voyage diurne. Ensuite, il était tout à fait normal que Sadio prenne plusieurs jours dans la capitale malienne pour acheter sa marchandise. Comme il le craignait, lui Malik, ce ne devait pas être du beurre à couper pour un novice.

Mon frère ignorait tout du projet aventureux de Sadio. J’ai fini par le lui dire à cause du manque d’informations et de mon inquiétude qui allait grandissante.

Un mois, puis deux, puis trois mois… Toujours aucune nouvelle de Sadio et de son compagnon de route, Saliou. Nen Kadiatou, sa mère, était au bord de la crise des nerfs. Elle pleurait sans cesse disant qu’elle avait perdu l’unique fils qui lui restait, comme elle a perdu ses deux jumeaux il y a quelques années. J’essayais de la réconforter et de la rassurer que Sadio allait bien et qu’il rentrerait sans doute un de ces quatre. Sans grand succès. Le visage de la vieille dame n’était plus qu’une indéfinissable expression de dépit et de désespoir. Elle avait les traits tirés, les yeux hagards, le regard perdu.

Mes nuits étaient sans fin. Sadio m’habitait. J’étais incapable d’arrêter de penser à lui. Je le voyais enfin. Il était vêtu d’un pantalon jean noir, assorti d’un polo couleur cendre et coiffé d’un large chapeau feutre. Il portait une vieille paire de baskets éculées aux lacets défaits. Il avait le visage noirci, les mains enveloppées dans des bandes de chiffon. C’était la nuit, il courait péniblement vers une clôture très haute, suivi de trois autres personnes. Tous avaient commencé à grimper le mur lorsque, soudain, derrière eux, surgirent d’énormes chiens bergers allemands, les yeux injectés de sang, qui aboyaient rageusement. L’un d’eux attrapa Sadio par la jambe et le fit tomber. Il se débattait, hurlait à l’aide, tandis que le gros chien bavait sur lui s’apprêtant à le mordre au cou.

Je me réveillai en sursaut, haletante, tout en sueur. Je ne refermai plus les yeux jusqu’au petit matin. Il en était ainsi depuis plusieurs jours. Mon sommeil était peuplé de cauchemars dans lesquels je voyais Sadio dans des situations désastreuses : tantôt il mourait de soif au milieu du désert, tantôt il se noyait dans un océan de sang.

J’étais repartie consulter le marabout pour enlever des sacrifices et demander à Dieu de veiller sur Sadio, de me donner de ses nouvelles et surtout de me le ramener sain et sauf.

Dix jours après le sacrifice, Malik me fit parvenir enfin une bonne nouvelle. Saliou avait pu joindre ses parents pour leur expliquer qu’ils allaient bien, lui et son ami Sadio. Ils avaient réussi à traverser le désert et à atteindre la Libye. Ils s’apprêtaient à traverser la mer pour se rendre en Italie. Il disait que le voyage était risqué mais qu’ils étaient en bonne santé et déterminés tous les deux. Sadio en avait profité pour me glisser un message personnel. Il disait qu’il m’aimait et qu’il n’arrêtait pas de penser à moi, ainsi qu’à sa mère. Il m’exhortait de continuer à prendre soin d’elle. Bientôt il serait en Europe, inch’Allah, ajoutait-il. Inch’Allah…

J’étais tellement heureuse d’apprendre cette bonne nouvelle que je me mis à chanter toute seule sur les chemins qui mènent aux champs et au marigot. Pour la première fois depuis de longs mois, depuis notre séparation inoubliable, je me sentais dans ma peau de jeune fille de 18 ans ! Je retrouvai l’appétit et un sommeil plutôt normal.

Trois semaines s’étaient écoulées après la bonne nouvelle. Depuis, plus rien. Silence radio. Dans mon fort intérieur, je savais que Sadio était maintenant en Italie, qu’il avait réussi la traversée sans péril et qu’il ne tardait plus à appeler Malik pour l’en informer.

J’étais assise à la véranda, pensive, contemplant le magnifique coucher de soleil qui jetait des flammes dorées sur le feuillage des arbres. Je voyais l’avenir en rose aux côtés de mon bienaimé Sadio… C’est à ce moment précis que j’aperçus un homme qui enjambait la clôture qui délimite le village. A mesure qu’il s’approchait, mes doutes se dissipaient. C’était bien lui ! Mon frère Malik portait en bandoulière un petit sac rouge couvert de poussière comme le reste de ses habits de voyageur. Je ne bougeai pas. Il marchait lentement, trainant les pas comme quelqu’un de très fatigué.

Au regard dévastateur que Malik posa sur moi, je compris tout, tout de suite. Je ne tenais plus sur mes jambes qui flageolaient. Il hâta le pas et me fit asseoir. « Courage …» me murmura-t-il me glissant un objet que je n’eus point de peine à reconnaitre. « Courage !» Son mot me transperça de part en part. Je ne dis rien. J’examinai l’objet : ma propre photo en noir et blanc que j’avais donnée à Sadio en guise de souvenir. « Mon Dieu ! », m’écriai-je.

« … leur bateau a chaviré. Saliou s’en est sorti, mais il n’a pu que sauver le balluchon de Sadio ; désolé Assi », ajouta Malik en sanglots.

Puis, mon regard se brouilla. Mes yeux s’embuèrent mouillant la photo que je contemplais. Tout était clair. C’en était terminé,  je ne reverrai plus jamais mon Sadio !


Jardin de la Camayenne, petit bout de paradis au cœur de Conakry

En Guinée, à Conakry, c’est à une balade de décrassage du corps et de l’âme que je vous invite à vivre à travers ce billet de blog. Pas besoin de chaussures de montagne ou de trekking pour visiter un jardin magnifique, la destination est facile d’accès et à portée de balade.

L’endroit est coincé entre le fameux cimetière de Kameroun et l’immense esplanade de la grande Mosquée Fayçal. C’est le jardin botanique de la Camayenne. Gazouillis d’oiseaux, air frais, senteurs sauvages, silence de… Cimetière … Ici, sous ces arbres centenaires dont le cime tutoie les cieux, on a du mal à croire d’être au cœur de Conakry, la capitale guinéenne. Le contraste est d’autant plus saisissant qu’à quelques centaines de mètres aux alentours, les caniveaux et les quartiers dégorgent de déchets faisant de notre ville l’une des plus sales et polluées d’Afrique.

Balade avec un spécialiste des plantes

Jardinier, spécialiste de plantes ornementales, Ousmane Bangoura, 60 ans, connait le Jardin botanique comme sa poche. Quand on demande à ce grand amoureux de la nature de parler de cet endroit, son visage osseux s’éclaire d’un large sourire aux traits débonnaires. Nous prenons place, lui et moi, sur un banc en ciment à l’ombre d’un grand acacia mangium.

J’apprends qu’en 2017 le Jardin botanique fête son 120ème anniversaire d’existence ! Créé en avril 1897 par le premier gouverneur de la Guinée française, le Docteur Noël Eugène Ballay, le « Jardin d’essai de la Camayenne », comme on l’appelait, servait à tester différentes espèces de plantes tropicales. A l’origine, il occupait un espace de 13 hectares entre le « Pont 8 novembre » et la route qui borde le CHU Donka. Aujourd’hui il n’en reste que 8 hectares, les 5 autres ayant servi à la construction de la mosquée et le cimetière de Kameroun.

Les premiers plants du Jardin furent le mangoustanier, l’eucalyptus et le caïlcédrat introduits en 1898. Très vite, les conditions édaphiques et climatiques se sont avérées favorables. Les arbres ont rapidement poussé sous la main experte et bienveillante de Louis Auguste Chevalier, premier directeur du Jardin. Le nom de ce botaniste est surtout connu à Dalaba où il a créé le jardin qui porte son nom, « jardin Chevalier », avec les fameux pins qui font encore aujourd’hui la célébrité et la fierté de cette cité aérienne.

Entre 1914 et 1945, le bananier a régné en maître dans le Jardin de la Camayenne. En cause : l’introduction de quelques rejets de bananiers en provenance de Paris s’est transformée en un succès retentissant.

L’expérience a été répliquée ailleurs, notamment à Madéguéma, une localité située au pied des montagnes entre Manéyah et Coyah donnant naissance à une importante bananeraie. Progressivement, il s’est créé ce qu’on a appelé le « triangle bananier » entre les villes de Forécariah  – Kindia – Dubréka, faisant de la Guinée durant cette période, premier pays exportateur de banane en Afrique. Un essor qui s’est poursuivi jusqu’à la rupture brutale entre la France et la Guinée lors du fameux « Non » de 1958.

A l’image du bananier, d’autres arbres fruitiers ont été testés avec succès tels que le noisetier de Cayenne (cacao sauvage), le cerisier, l’abricotier ou encore le sapotier dont les fruits sont réputés être d’un goût exquis qui ravit le palais. Une anecdote sortie du chapeau de «  l’ami des arbres », Ousmane Bangoura, raconte que les colons blancs avaient introduit six plants de sapotier au Jardin et trois devant chacune de trois églises de Conakry : Sainte-Marie de Kaloum (cathédrale), Sainte-Marie de Bellevue et Saint-Michel de Coléyah.

Le flamboyant, arbre ornemental par excellence, est également le fruit du Jardin botanique de la Camayenne. Il embellissait les principales artères de la capitale, notamment les corniches nord et sud, et est à l’origine du surnom de Conakry « Perle de l’Afrique occidentale ». Une image paradisiaque bien lointaine, face à l’état d’insalubrité désastreuse actuelle de la ville qui désole Ousmane, planteur des flamboyants aujourd’hui disparus, pour la plupart, le long des routes.

Flamboyant originaire de Madagascar, acacia mangium en provenance des forêts de l’Australie, ylang-ylang ou arbre à parfum des Iles Comores, hévéa du Brésil, tiama de l’Angola, cèdre, pimenta, terminalia catapa (fôté kansi), tek, cannelle, copalier … le jardin botanique compte actuellement plus d’une centaine d’espèces ornementales, fruitières et forestières. Au grand bonheur de petits animaux de type fourmis et oiseaux qui foisonnent.

Mais également des hommes. La Direction nationale des eaux et forêts (ministère de l’Environnement) s’est installée là, au milieu de ce formidable écosystème, havre de paix au cœur d’une ville de Conakry tumultueuse.

Le jardin botanique, principal fenêtre d’aération de Conakry

Ce jardin, en parfait état, apparaît ainsi comme la principale fenêtre d’aération de Conakry en servant de système de recyclage d’air pollué. Un rôle qu’il devait jouer de concert avec les forêts de Kakimbo, d’Enta et de Dabompa. Malheureusement, ces espaces verts ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes à cause de la pression démographique incontrôlée.

Sur les petits sentiers de terre qui courent dans le Jardin botanique, on croise quelques visiteurs charmés, mais surtout une petite armée d’une dizaine de jardiniers qui s’occupent de la reproduction des plantes. Au fond du bois, ils élèvent des pépinières dont certains plants servent à l’aménagement de jardins résidentiels.

Au bout d’une demie heure de causerie et de balade , Ousmane, l’ange-gardien du Jardin, se fait philosophe : « Dieu a créé les plantes pour accompagner l’homme sur Terre. Sans elles, l’homme n’est rien. Nous devons respecter les plantes ». C’est dit.

Ousmane Bangoura


Le « Musée du Fouta », mémoire vivante du patrimoine culturel peul

Musée du Fouta – crédit photo: Alimou Sow

Le massif montagneux du Fouta-Djalon, situé au nord-est de la Guinée, est à l’origine du surnom de notre pays de « Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest » à cause de sa pluviométrie abondante et du grand nombre de cours d’eau qui y prennent leur source formant parfois des bassins transfrontaliers avant de se jeter dans l’océan (fleuves Gambie et Sénégal) .

C’est également la région d’origine du peuple peul en Guinée dont l’histoire et la culture sont particulièrement riches. Une histoire, hélas, mal connue, puisque mal enseignée et souvent écrite par des étrangers. Beaucoup de jeunes guinéens – y compris ceux habitant ou originaires de la région – ignorent par exemple que ces hauts plateaux furent le théâtre d’une révolution musulmane au 18ème siècle qui a abouti à la création d’une théocratie ayant résisté, un temps, à la pénétration coloniale.

C’est pour garder vivante la mémoire du patrimoine culturel peul hérité de cette histoire faite de soubresauts qu’une femme a décidé d’agir. Mme Zenab Koumanthio Diallo est la fondatrice du Musée du Fouta sous la houlette de l’Association des femmes poètes et écrivains de Guinée.

« Karamoko »

Ouvert le 9 juin 2001 à Labé, capitale de la Moyenne Guinée, le Musée du Fouta est situé au quartier N’diôlou dans un petit bâtiment circulaire, inspiré d’une case ronde, comprenant une salle d’exposition, une salle de formation et quelques pièces dédiées à l’administration. Il est dirigé par un Comité scientifique et un Conservateur en la personne de Ousmane Tounkara, mon guide du jour.

L’homme est rôdé à la tâche. La voix tonique d’un rappeur, l’œil pétillant, Ousmane Tounkara connait le Musée du Fouta comme sa poche et presque chacune des 2.500 pièces de l’exposition « Karamoko Alpha Mo Labé » qui occupe la salle du rez-de-chaussée.

L’expo s’ouvre sur un vieil homme enturbanné, assis en tailleur sur une peau de mouton tannée. Les objets hétéroclites qui l’entourent (encriers, planchette d’écriture, un coran ouvert…) laissent peu de doute sur son statut : il s’agit d’un «karamoko », un éducateur dépositaire du savoir et de l’enseignement coranique et qui est chargé de les transmettre aux disciples (tâliba).

La femme, la vache et la foi

Avant d’aller plus loin, Ousmane Tounkara se veut pédagogue : « la société peule est bâtie autour d’un triptyque : la femme, la vache et la foi » résume-t-il. Explications.

  • La femme: Dans la tradition peule, la femme est un personnage incontournable. En tant qu’épouse, elle est la gardienne de la maison laquelle est une case ronde au toit de chaume. C’est à la fois la chambre à coucher, le salon, le garde-manger et la cuisine réunis. Un muret en terre latérite tient lieu d’étagère sur laquelle trônent les calebasses dans lesquelles fermente le lait de vache. D’autres sont suspendues, accrochées à une plateforme soutenue par quatre poutres où sont conservés les produits de récolte (riz, fonio, mil, maïs). Juste au-dessus du feu alimenté par des blocs de termitières mortes, pendouille de la viande boucanée, provision de l’époux pour ses longs déplacements.

Au registre mobilier de maison, le tabouret occupe une place de choix. Les femmes l’utilisent pour s’asseoir en faisant la cuisine et pour plusieurs autres tâches ménagères. Cet objet est souvent transmis de mère en fille parfois sur plusieurs générations. Dans sa collection, le Musée détient un spécimen vieux de quatre siècles et demi. L’importance du tabouret – hérité – lui vaut une fonction «  porte-bonheur » : on y fait asseoir la nouvelle mariée pour sa fertilité et celle en âge de se marier pour trouver un époux.

Bien que le sexe soit en général tabou dans la culture peule, la femme peule sait séduire. D’abord par sa parure (bagues, bracelets, chevillères, perles…) et surtout par sa célèbre coiffure traditionnelle en crête (dioubâdhé) dont la forme pouvait être un indicateur du rang social de celle qui la porte (droite = cheffe, inclinée = basse classe, etc.).

Séduction par la coiffure et les parures, mais également à travers les petits présents en nourriture. La femme offre à son prétendant une gourde contenant du beurre de vache appelée « tembêrè nebban ». Cadeau suprême à l’origine de la croyance répandue selon laquelle la femme peule est capable de contrôler un homme en lui faisant manger un aliment mystique appelé « gnâmi diôdô ».

L’homme à son tour, pour épouser sa prétendante, doit déposer un lot de cola nuptial dont le nombre varie entre 100 et 315 noix (suivant le nombre de prophètes). Ces colas sont artistiquement nouées à l’aide de cordes végétales (une quinzaine) dont le tout évoque un phallus en érection. Tout un symbole !

  • La vache : Il existe un lien quasi-ombilical entre le Peul et la vache. C’est d’ailleurs cette dernière qui a emmené les Peuls au Fouta ! Les récits historiques racontent que c’est à la recherche de pâturages abondants que les premières vagues de pasteurs peuls nomades envahirent les hauts plateaux du Fouta-Djalon, au 15ème siècle, alors habités par le peuple Djallonké. Les Peuls sont foncièrement pasteurs avant de devenir agro-pasteurs, puis commerçants notamment au contact des Mandings.

Il s’agit généralement d’un élevage domestique rudimentaire constitué d’un cheptel d’une dizaine de têtes tout au plus dans chaque concession. Traditionnellement, les vaches sont rassemblées dans un parc appelé « dinguirâ ». Elles portent des noms suivant leur couleur : wodhêwé (robe rouge), lahé (robe noire), willé (robe grise), witchpâgué (tachetée)…

Traire la vache est une activité réservée aux femmes. A l’origine, la traite est faite dans le « kounnawal », un récipient creusé dans le figuier (djibbé) qui, dans la tradition peule, est considéré comme l’arbre du paradis et symbole de la fécondité. On utilise également la calebasse comme « bhirdoughal » (récipient de traite), mais jamais un récipient en plastique.

L’élevage de bovins avait surtout une fonction sentimentale. Parfois, le sentiment est si fort que les Peuls ne mangent pas la viande de leurs propres vaches, surtout si celle-ci est fraiche (les vieux sages la préfèrent boucanée). Ils préfèrent le lait, le beurre et la bouse de vache, engrais naturel, qui sert également à badigeonner le plancher et les murs des cases.

Les Peuls restent des éleveurs dans l’âme, même si la grande majorité d’entre eux s’est désormais enrichie dans le commerce et s’est établie en ville au détriment de la campagne. Partout en Guinée, ils contrôlent la filière viande, soit en tant qu’agro-pasteurs, bouchers, convoyeurs ou vendeurs.

  • La foi : La révolution islamo-peule du 18ème siècle au Fouta-Djalon a été conduite par des vagues de Peuls musulmans venus du Macina et de la vallée du fleuve Sénégal. Une révolution multi-ethnique dirigée par douze marabouts peuls et dix marabouts mandings qui ont imposé l’islam comme religion au Fouta. La foi religieuse guide toutes les actions de l’homme.

L’enseignement du Coran est assuré par le vieillard à la fois éducateur, directeur, médiateur, détenteur du pouvoir politique et religieux. L’enseignement se fait au « doudhal » (école). Pour les jeunes disciples, les leçons sont écrites sur une ardoise en bois en forme de flèche appelée « allouwal » à l’aide de l’encre et des plumes d’origine végétale.

Pour faciliter l’expansion de l’islam et sa compréhension, les érudits, « thiernôdio ou thierno », ont entrepris la traduction du Coran en langue Poular. Progressivement, on a assisté à l’éclosion d’une véritable littérature religieuse et poétique au Fouta-Djalon. La plus ancienne pièce du Musée est en effet un parchemin vieux de 650 ans retrouvé à Koula Tossokèrè (Lélouma), l’un des foyers islamiques les plus réputés de la région à l’époque.

Thierno Samba Mombeyah, Thierno Sadou Mo Dalein, Thierno Aliou Badra Daroun… sont parmi les plus célèbres de ces érudits respectés et vénérés. Ce sont eux que chante la cantatrice Binta Laly Sow dans le morceau « Waliyâbhé Fouta » qui leur est consacré.

Cet islam-là relève du courant soufi, représenté par le « tidianisme », très tolérant. De nos jours, il est en perte de vitesse surtout dans les centres urbains, concurrencé par le courant « wahabbite » rampant. Mais ça, c’est une autre histoire…

Le reste de l’exposition montre la stratification de la société au Fouta-Djalon, multiculturelle, multi-ethnique avec les divers corps de métiers : chasseurs, forgerons, cordonniers, tisserands, apiculteurs, potiers, griots.

L’enrichissante visite se termine sur un espace politico-militaire montrant les figures de la révolution islamique de la théocratie et la résistance à la pénétration coloniale.

On sort toujours moins bête d’une visite au Musée du Fouta qui survit grâce à ses propres ressources (maigres) et à quelques appuis comme ceux de l’Ambassade de France en Guinée pour les locaux et l’Ecole du Patrimoine africain pour le renforcement de capacité du personnel. Mais les défis restent à la dimension des ambitions du Musée : élargir et moderniser les locaux, collecter plus de pièces et les conserver dans de meilleurs conditions. Chiche !

Intérieur Musée – crédit photo: Alimou Sow


Conakry – Labé – Conakry : retour sur un voyage éreintant !

Sur la route de Labé (crédit photo: Alimou Sow)

Du trajet Conakry-Labé-Conakry que je viens de boucler au bout d’un voyage de cinq jours, j’en connais un rayon. Je le pratique en moyenne une fois par an depuis douze ans; depuis mon premier voyage à Labé en février 2004 à la faveur d’un cycle universitaire qui aura duré cinq ans…

J’ai parcouru ce trajet, de jour comme de nuit, des dizaines de fois en Peugeot 505 – mulets de nos routes déglinguées -, une fois en autocar (caprice d’une ex-copine d’université qui a failli nous expédier six pieds sous terre sur la montagne de Yombokhouré) et une fois par avion, en 2015, dans le cadre d’un voyage professionnel.

Quel que soit le type de véhicule utilisé, le voyageur Conakry-Labé s’en sort toujours avec un sentiment mitigé : la beauté d’un paysage à couper le souffle sur une route chaotique qui flanque à vos reins un formidable coup de vieux.

Cette fois, c’est moi qui suis aux commandes. Ma troisième expérience de « long voyage » après un « Conakry-Télimélé » et un « Conakry-Boké » réussis au volant du même tacot: une Nissan Almera 2006, « occasion Bruxelles », plutôt correcte. Mais, comme « qui voyage loin ménage sa monture », je la soumets à un check-up complet la veille du départ. Les récits épiques, quelquefois tragiques, sur cette route de 400 km au bout de l’enfer, laissent peu de place à l’improvisation pour s’y engager.

Je suis débout dès potron-minet pour affronter, en solitaire, le tronçon jugé le plus difficile, Conakry-Kindia. 135 km que l’on accomplissait, il y a quelques années, en un peu moins de deux heures montre en main. Maintenant, il faut rajouter deux heures supplémentaires pour crapahuter sur la même distance devenue un parcours de rêve pour un rallye raid de type « Paris-Dakar », tant la route est en piteux état.

Sous le poids de l’âge et surtout des poids lourds chargés à tout casser, le goudron s’est effrité au fil des saisons, formant des nids de poule devenus progressivement de larges cratères qu’on aurait dit provoquées par un puissant séisme. Des bulldozers s’activent à niveler ces trous géants dans un nuage de poussière permanent, interrompant intempestivement le trafic. Le capharnaüm ressemble à un paysage lunaire balayé par une puissante tempête extraterrestre.

C’est dans ce chaos indescriptible qu’on tente d’appliquer les règles de la sécurité routière. Entre rigueur et excès de zèle.

En plus de l’inamovible barrage de Kaka, à la sortie de Coyah, des checkpoints filtrants sont érigés tout le long de la route jusqu’à Labé. Les gendarmes veillent au grain.  Pour passer, il faut montrer patte blanche. Les documents classiques du véhicule : permis de conduire, carte-grise, certificat d’assurance, vignette (Taxe Unique sur les Véhicules) sont passés au peigne fin. Fait nouveau : il faut également disposer du triangle de pré-signalisation (triangle rouge), la trousse médicale de secours et un extincteur, décliné en « essinter » ou « egzinter » par certains agents, y compris à l’écrit sur les PV de contravention (100. 000 GNF pour une pièce manquante) ! Il faut donc tendre l’oreille et être bon en …anagrammes pour s’en tirer !

En règle sur toute la ligne, je franchis les chekcpoints sans coup férir. A l’aller comme au retour, aucun agent ne m’a sorti « on est là pour vous »  ou bien «  levée de barrage », les fameuses formules pour abouler le bakchich de la corruption. A mon grand étonnement …et soulagement !

En dépit de cette attitude correcte (même si certains gendarmes me prenaient de haut), ce contrôle strict se heurte à un triple paradoxe.

Premièrement, il est partial. Il concerne, paradoxalement, les véhicules personnels relativement en bon état et qui offrent plus de sécurité ; tandis qu’on ferme les yeux sur les défaillances des poids lourds et les véhicules de transport en commun (taxi-brousses, bus et minibus), des épaves en mouvement, dangereusement surchargées au point d’être flanquées de porte-bagages en extension, non prévus par le constructeur.

Deuxièmement, dans une situation normale, il est indispensable de disposer des documents légaux du véhicule et les autres accessoires pour la sécurité des voyageurs. Mais, ici, la situation est tout sauf normale avec une route complètement défoncée et muette (pas l’ombre d’un panneau de signalisation), constituant le plus grand danger pour les usagers. En attestent les innombrables carcasses de véhicules gisant sur le bas-côtés de la route, témoins d’autant d’accidents de circulation mortels.

Enfin, la présence de ces nombreux barrages de contrôle contraste fort bien avec l’insécurité qui règne sur les axes routiers en province où des coupeurs de route sèment la terreur à la nuit tombée. On ne compte plus le nombre d’attaques à main armée souvent fatales aux voyageurs nocturnes.

Première conséquence de la baisse du trafic la nuit : l’économie de la petite localité de Tamagali, sur l’axe Kindia – Mamou, est à terre. Cette espèce de caravansérail naguère prospère où l’on s’arrêtait manger de la chèvre au milieu de la nuit, affiche une image pâle en cette fin décembre 2016. Contrairement à sa sœur, Linsan, où l’on continue de faire halte la journée pour manger : lait caillé, fonio, riz, brochettes de viande, tarot… C’est au choix.

C’est ce magnifique exemple d’entente et de solidarité entre deux localités voisines sur le fonctionnement de leur économie que les bandits sont en train de démolir, au nez et à la barbe des autorités …

Ma Nissan ne bronche pas pour la montée harassante de Yombokhouré, dernier rempart avant d’accéder aux hauts plateaux du Fouta Djallon. Les villes défilent. Kindia est déjà loin derrière.

Voici Mamou, ville-carrefour, bâtie sur un confettis de petites collines abruptes que dévalent des moto-taxis à tombeau ouvert.

Puis Dalaba, haut perchée sur le massif montagneux de Tamgué. Au loin, les minarets de la majestueuses mosquée de la ville se détachent dans la brume qui enveloppe la cité surnommée « la Suisse de l’Afrique » du fait d’un climat frais, particulièrement en cette fin d’année où l’harmattan sévit. Plus près, des pins verdoyants défilent à gauche dans un virage serré avant d’arriver au centre-ville qui n’a rien d’extraordinaire. Mais Dalaba reste cet exceptionnel mirador pour contempler, par beau temps, des magnifiques paysages aux plateaux encaissés.

Pita est à une cinquantaine de kilomètres de là. Des virages en épingle de cheveux. Sébhory, Mitty, … Brouwal Tappé pour, enfin, entrer à Pita-centre. Moins de 5 minutes pour traverser la ville. Toujours la « Tappa-lappa », la fameuse miche de pain locale proposée sur des planches alignées sur le trottoir de la route principale. Je franchis le Koubiwol, la rivière qui ceint le côté ouest de la ville pour entrer dans « le Labé ».

Pour railler la ruse supposée (ou réelle) des gens de Labé, la légende raconte que  pour fixer la frontière entre Pita et Labé, les habitants des deux cités rivales s’étaient entendus de se lever aux aurores pour marcher les uns en direction des autres. La frontière serait établie pile au point de leur rencontre. Les habitants de Pita ont eu la désagréable surprise de rencontrer ceux de Labé juste à la sortie de leur ville. Comme convenu, ils s’étaient levés tôt le matin alors que les Labékas avaient marché toute la nuit !

Au bout de 12 heures de voyage (avec une pause d’une heure et demie), je fais mon entrée dans la cité de Karmoko Alpha Mo Labé, du nom de son fondateur. La ville est en pleine expansion où poussent des buildings élancés et des demeures cossues. La voirie urbaine en lambeaux, – comme à Conakry – la  ville est écrasée par une chape de poussière ocre et salissante qui irrite les voies respiratoires. C’est à croire qu’un astéroïde est tombé sur la ville !

Quatre jours de séjour pour revoir de vieilles connaissances, parents et anciens amis de l’Université de Labé.

Beaucoup de nouveautés pour le loisir et la gastronomie comme le dîner « Chez Kamal », un restaurant sympa où l’on mange bien au quartier Safatou. Mais aussi des adresses intactes comme l’éternel petit déjeuner au rond-point Tinkisso chez Dian Kadiatou. Au menu : riz ou fonio à la soupe de poulet/ viande, ou au velouté « mafé nama ». ça ne désemplit jamais le matin, surtout en ce matin frisquet de décembre, la rigueur de l’harmattan se lisant sur la peau squamée et les lèvres gercées des clients, écharpes autour du cou, les mains dans les poches des jackets.

Au bout de quatre jours, je reprends le chemin inverse pour rentrer à Conakry avec une halte à Dalaba, pour une nuit au somptueux hôtel du Foutah, fondé dans les années 1930. Les bâtons de frites qu’on y mange ont des allures de pilons vigoureux. La pomme de terre sent la fraicheur locale.

Une fraicheur que distribue également à l’état naturel le fameux « Kouratier » de l’hôtel du Foutah, le figuier sauvage de Guinée devenu carte postale de Dalaba.

Je rentre à Conakry éreinté, mais plein de bons souvenirs foutaniens. Comme à chaque fois. Depuis 12 ans !


Tayaki, un village de Conakry écartelé entre beauté et précarité

Plage de Tayaki (Alimou Sow)
Plage de Tayaki (Alimou Sow)

La pression écrasante que Conakry exerce sur ses habitants pris en étau entre des déchets éternels, des embouteillages légendaires, des moustiques mutants et une chaleur de fournaise, pousse les Conakrykas hors les murs à la quête d’air pur et d’un peu d’exotisme.

Les weekends, il n’est pas rare de croiser de petites bandes de copains en partance pour les îles de Loos, au large de la capitale, pour aller recycler l’air de leurs poumons pollués. Au point qu’un micro-phénomène de tourisme de proximité est en train de se mettre doucement en place autour de Conakry dans un rayon de 150 km.

Ce dimanche, j’ai sauté le pas pour suivre un groupe de 13 filles dont 10 de l’Association Africaine des Professionnelles de la Communication (APAC). Destination ? Tayaki !

Son nom à six lettres évoque une île perdue sur l’archipel du Japon, y compris pour les habitants de la capitale dont la plupart n’ont jamais entendu parler de Tayaki. Pourtant, ce village relève de Kobaya, l’un des quartiers nord de la commune urbaine de Ratoma dans l’agglomération de Conakry.

Pour se rendre à Tayaki, il faut mouiller le maillot, au sens propre comme au figuré. Aucun moyen de déplacements hormis la marche à pieds !

Tayaki n’est pas une île à vrai dire. C’est une espèce d’immense radeau flottant au milieu des marécages à près de quatre kilomètres des côtes de Kobaya. On y a accède en suivant un chemin fait des digues de protections de carrés rizicoles formant un vaste réseau de boyaux à travers les marais.

Bien que nous soyons à la fin de la saison des pluies, il vaut mieux être chaussé de bottes, le pantalon retroussé au-dessus des genoux, pour patauger dans la boue. A défaut, se mettre carrément pieds nus. Attention aux chutes ! La terre dégorgeant d’eau est particulièrement glissante.

C’est la saison de la moisson. Armés des faucilles, des paysans récoltent le riz en coupant les tiges d’un geste vif. A notre passage, l’un d’eux se redresse pour se plaindre d’une mauvaise récolte, l’eau de mer ayant franchi les digues et envahi les rizières. Un autre, travaillant en solo, enchaîne des refrains de reggae pour se donner du courage.

La senteur du riz mûr embaume les champs tout le long de notre chemin. Un instant, je me sens transporté dans mon enfance villageoise à Télimélé

Après une heure de marche et plusieurs bouteilles d’eau vidées, surgit Tayaki. Une poignée de maisons rustiques négligemment disloquées sur une langue de sable : murs en banco, toitures en tôle ou en chaume. La plage, bande de sable d’une dizaine de mètres de large, s’étire en ligne droite à perte de vue. Une flopée de pirogues mouille au large, bercée par le clapotis des vagues. C’est le port de pêche de Tayaki.

Assis dans une pirogue, un groupe de pêcheurs brûlés par le soleil et l’eau de mer démêle un filet, tandis que des gamins jouent dans le sable à attraper des crabes vivants aux pinces acérées.

Premier constat : la plage est sale près du village. Pour dénicher un endroit propre et ombragé, il faut pousser un à deux kilomètres plus loin.

Nous installons notre camp de base à l’ombre bénie d’un palmier isolé. L’endroit est magnifique. Les filles font la cuisine, je les berce avec des blagues plus ou moins inspirées.

13H. Les gros morceaux de viande du barbecue sont charriés par des litres de jus de fruit en brique. Je me fais même damer le pion par les… dames en matière de rapidité pour avaler ! Petit tour de… sable pour recueillir les avis sur la sortie. Toutes les 13 filles se montrent élogieuses et en redemandent, tressant des lauriers à l’initiatrice de la sortie, Asmaou Barry, présidente d’APAC.

15H. Partie de jeux, puis marée basse qui laisse découvrir un sol noir, boueux. On aurait dit des pierres volcaniques disposées régulièrement. C’est l’heure du retour.

Mais Tayaki ce n’est pas seulement la plage au sable fin. C’est aussi et surtout une population à dominance Baga qui lutte pour sa survie et à qui il faut parler. Le village, de près d’un millier d’habitants, est dépourvu de tout. Aucune infrastructure digne de ce nom : pas de route (on l’a vu), pas d’eau, pas d’électricité, pas de service de santé, pas même une école sérieuse.

C’est en pirogue que les villageois partent à Lambanyi ou à Kobaya pour chercher de l’eau potable. Pour l’école, ce sont deux âmes charitables (dont une femme expatriée) qui se battent pour les enfants : déjà un hangar couvert de tôles et protégé par des bâches, deux tableaux noirs, quelques tables-bancs pour un effectif total de 42 élèves de la première à la troisième année. M. Camara, le seul instituteur du village, fait comme il peut.

Les parents d’élèves également. Ils cultivent le riz pour nourrir la famille, pêchent et revendent une partie du produit afin de subvenir aux autres besoins. Ce sont eux qui rémunèrent le maître d’école à hauteur de 5.000 francs par enfant le mois.

A côté de ces deux activités principales, il y a la production de vin de palme, une filière tenue visiblement par d’anciens réfugiés sierra léonais. Des gaillards qui ravitaillent Conakry du liquide blanc laiteux qu’ils transportent en packs de trois bidons de 10 et 20 litres accrochés à chaque extrémité d’un bâton calé entre les deux épaules. Sur 4km de marche, voire plus. Un boulot de malade !

Au coucher du soleil, un petit  marché forain de vin de palme se crée à l’orée du quartier Kobaya. Un vin que l’on soupçonne frelaté si l’on en juge par le nombre de sachets de bières vides qui jonchent le chemin de Tayaki. Un cocktail qui rougit les yeux et échauffe les esprits.

De par la beauté de sa plage et son emplacement idéal, Tayaki possède tous les atouts pour être un village touristique non pollué, soupape de la capitale. En attendant, Tayaki est une bourgade à la marge de Conakry, perdue dans des marécages aux eaux troubles !

 


Du bon temps à Clermont – Ferrand après un voyage éreintant

Vue sur Clermont-Ferrand - crédit photo: Alimou Sow
Vue sur Clermont-Ferrand – crédit photo: Alimou Sow

Je savoure le bon temps que je passe actuellement à Clermont-Ferrand, je le vois comme la récompense suprême de mon exécrable voyage Conakry – Paris via Casablanca, qui a failli transformer mes vacances d’été en pétard mouillé. Vingt-quatre heures de retard au départ de Conakry à cause d’une avarie technique de l’avion avec pour conséquence directe la perte – non remboursée – de ma réservation d’hôtel prépayée à Paris. S’y ajoute la torture psychologique de voler dans un avion dont la roue crevée a été remplacée. « L’avionphobe » qui habite en moi, gavé d’horribles images de catastrophes aériennes sur National Geographic Channel, a failli péter un câble à 11 mille pieds d’altitude ! La perte de ma valise (retrouvée et rendue après quatre jours) fut la cerise sur le gâteau que m’a servi Royal Air Maroc. Shoukran !

Mais les choses ont commencé à partir en vrille bien avant mon arrivée à l’aéroport de Gbessia Conakry. Quelque temps avant mon départ de la maison, ma cheville droite est victime d’une entorse après un violent coup de porte. Un incident qui aurait dû me pousser à annuler mon voyage si j’avais été superstitieux (comme le sont la plupart de mes compatriotes), mais je suis plutôt d’un esprit cartésien.

Mon incrédulité face à certaines croyances populaires est-elle à la base de ma mésaventure ? Possible.

Adolescent, au village, j’ai vu des voyageurs rebrousser chemin après plusieurs kilomètres de marche et annuler ou reporter leur voyage, simplement parce qu’ils avaient croisé un individu soupçonné de sorcellerie ou parce qu’ils avaient buté sur une pierre du pied gauche (ou droit) !

Pour conjurer le mauvais sort du voyage, certains consultaient le Marabout pour savoir quel jour partir, à quelle heure et quelle direction prendre au départ. D’autres avaient recours à un drôle de GPS : la poule couveuse ! On devait surprendre une poule entrain de couver ses œufs pour suivre impérativement la position de celle-ci en sortant de la maison, quitte à foncer, tête baissée, directement dans la broussaille si le chemin y menait !

Hélas, je n’ai pas de poule couveuse pour savoir quelle est la bonne direction à prendre. Ce qui est certain, c’est qu’un billet d’avion de plus de mille dollars était en jeu si je décidais d’annuler délibérément mon voyage. Je préfère affronter un sorcier ayant des cornes que de laisser partir en fumée une telle somme…

Mais c’est de l’histoire ancienne.  Les charmes de l’Auvergne sont en train de poncer tous les mauvais souvenirs de cette mésaventure…

Ce qui frappe le voyageur qui arrive pour la première fois à Clermont-Ferrand par la route du nord, c’est le relief. La monotonie des plaines du centre est brusquement cassée par la chaîne des volcans du Massif Central qui surgit à l’horizon. La ville, capitale de l’Auvergne, se trouve confinée dans une sorte de cuvette cernée par un chapelet de volcans éteints (nommés les Puys) dominés par le très célèbre Puy-de-Dôme.

Le spectacle est plus parlant depuis le toit de la majestueuse Cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption de Clermont. Pour deux euros, l’effort de l’ascension des 245 marches de l’une des tours du monument est récompensé par une vue panoramique à 360 degrés sur la cité. Au premier plan, des maisons aux toitures en tuile rouge flammé, au second, les HLM des quartiers périphériques (avec la « Muraille de Chine » qui se détache nettement) et, à l’arrière-plan, des demeures cossues, accrochées au flanc des montagnes, complètent le décor de carte postale qui s’offre à mes yeux sous un ciel bleu azur.

L’église, comme la plupart des édifices environnants, est bâtie avec la Pierre de Volvic, une roche volcanique noirâtre qui confère un aspect sombre et un tantinet triste à la vieille ville de Clermont. Une tristesse accentuée par des rues quasi-désertes, l’été ayant charrié les Clermontois actifs vers les plages du Sud de la France. Je descends de la Cathédrale pour monter encore plus haut : au Puy-de-Dôme.

Sous la conduite d’un ami guinéen, aventurier dans l’âme, et qui connait Clermont-Ferrand comme sa poche, nous décidons, en compagnie de deux Auvergnats et d’un couple d’amis compatriotes, de gravir la montagne à la marche. Après trois quart d’heure d’une montée éreintante, nous voilà au sommet du volcan qui culmine à 1.465 m d’altitude. Pas de bol, le temps est couvert rendant la visibilité nulle. On m’explique rapidement que, par beau temps, la vue serait imprenable sur la ville de Clermont et la plaine de la Limagne. Je reviendrai, c’est décidé…

On dévale le flanc nord de la montagne par le Chemin des chèvres pour traverser une plaine qui rappelle les paysages irlandais magnifiés dans la série « Game of Thrones ». Notre « game » à nous, c’est l’ascension du Pariou, l’autre volcan éteint de la chaine. Il est moins abrupt que le Puy-de-Dôme, surtout grâce à un immense escalier en bois de 528 marches qui mènent jusqu’au cratère en forme d’entonnoir. Le temps est devenu plus clément pour admirer Clermont. Et pour pique-niquer. On redescend pour rentrer à la maison après 17 km de randonnée, les muscles en feu.

Depuis, je suis retourné au sommet du Puy-de-Dôme, mais cette fois par le Panoramique des Dômes, le magnifique train électrique à crémaillère qui déverse des fournées de touristes au sommet de la montagne, toutes les 20 minutes en été. J’ai pu admirer tout ce que le brouillard masquait lors de la première visite : au sommet, les vestiges du Temple de Mercure (édifice construit à l’époque gallo-romaine), la ville de Clermont-Ferrand, la plaine de la Limagne et des paysages montagneux entrecoupés de vallées à couper le souffle. Sur les dômes des petits volcans éteints, se sont formés au gré du temps de magnifiques lacs à l’eau d’un bleu profond : Gour de Tazanat, lac Aydat, lac de la Cassière, etc. Des hauts lieux du tourisme auvergnat, intelligemment mis en valeur pour la baignade, le vélo ou pour de somptueuses randonnées pédestres.

Sur le flanc nord du Puy-de-Dôme, des casse-cous s’élancent dans le vide depuis le sommet, accrochés à de minuscules cordes de parapente. A chaque décollage, un frisson me parcourt la colonne vertébrale !

C5

 

J’ai pourtant eu ma dose d’adrénaline au parc d’attraction et animalier du Pal, situé dans la commune de Saint-Pourçain-sur-Besbre, à un peu plus de 100 km de Clermont. Vingt-six attractions et un parc zoologique de 700 animaux. La nature est partout. A l’attraction Azteka, on a pris un train fou qui dévale des pentes raides et des virages serrés à une vitesse vertigineuse, à vomir toutes ses tripes ! A l’arrêt, je sentais la terre se dérober sous mes pieds. Un truc de ouf !

Clermont-Ferrand, c’est le relief et la nature, on l’a vu, mais c’est bien sûr aussi les fromages (l’ADN de la région) : le Bleu d’Auvergne, la Fourme d’Ambert, le Rocamadour, le Saint-Nectaire, le Gaperon… La liste est longue. Je me suis limité au Saint-Nectaire, pris seul ou avec du pain, et au Bleu d’Auvergne fondu dans un savoureux Hamburger dont mes papilles se souviendront longtemps. J’avoue que mes pressentiments sur les formages français, endurcis par le rebutant Camembert, commencent à s’émousser.

Clermont, c’est aussi la ville de la roue. Celle de Michelin dont on aperçoit les sites de la société un peu partout dans la cité. C’est un peu l’âme de Clermont-Ferrand. C’est ici que le fameux pneu Michelin est fabriqué depuis 1891. Plus d’un siècle après, Clermont et Michelin roulent toujours ensemble !

Enfin, c’est également ici, dans la commune voisine de Chamalières, que les fameux billets de Franc CFA sont imprimés avant d’être expédiés en Afrique dans les zones UMOA (Union monétaire ouest-africaine) et CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale).

Clermont-Ferrand, ville des volcans, de la roue et des fromages, mais également ville du savoir où est né Blaise Pascal, mathématicien, physicien, philosophe, inventeur de la calculette et auteur de « Les Pensées » où il affirme : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ». A propos de l’Auvergne, je reprends la citation à mon compte.


Parlez-vous le « guinéen » ? top 10 des mots et expressions français aux couleurs locales

wordle 2D’emblée, je préfère lever tout équivoque : de manière générale, les Guinéens s’expriment très bien en français. Certains intellectuels ont un niveau irréprochable, surtout les fonctionnaires à la retraite vivant en zone rurale, qui parlent encore un français raffiné d’inspiration coloniale. Ce constat m’a été confirmé par de nombreux amis étrangers qui séjournent ou ont séjourné en Guinée.

Mais comme partout ailleurs où le français, langue étrangère, s’est imposé comme langue officielle au détriment des dialectes locaux, les Guinéens, au fil des générations, ont acquis leurs « tics » de langage, leur façon de parler. Le résultat est éloquent. Des mots ordinaires ont fini par revêtir un sens qui peut soit dérouter, choquer ou faire sourire l’expatrié qui débarque pour la première fois à Conakry et qui engage la conversation.

Voici, en toute subjectivité, un « top 10 » des mots et expressions français du jargon guinéen.

  • Chose : Le mot qui choque l’étranger. Dans la bouche d’un Guinéen ayant un mot au bout de la langue, « chose » est l’équivalent de « truc » ou « machin ». Quelqu’un qui a un trou de mémoire et qui cherche à se rappeler le nom de quelque chose voire de quelqu’un, utilise « chose ». Les plus embêtés les alignent comme des perles qu’on enfile en se donnant de violents coups de poing à la tête : « euh … chose, chose » Pan ! « euh … chose-là » tchipp. Ceux-là ont poussé l’audace jusqu’à créer le verbe « choser » qui ne veut absolument rien dire !
  • L’autre-là : C’est la version de « chose » se rapportant au nom d’une personne. Un individu dont on oublie le nom ou le prénom devient « l’autre-là ». Ce qui a le don d’agacer certains expatriés qui peuvent l’assimiler à du mépris, pire : à la chosification. Alors qu’il n’en est rien. C’est juste une panne sèche de vocabulaire qu’on essaie de compenser par une traduction directe d’un concept de sa langue maternelle en français. Évitez donc de blâmer l’autre.
  • C’est mesquin : Dans le dictionnaire français, le mesquin est celui qui manque de générosité, l’avare. En Guinée, on dit souvent d’un travail qu’il est mesquin lorsqu’il demande de la concentration et de beaucoup de temps. C’est-à-dire un travail complexe, voire compliqué. Un problème mathématique : « c’est mesquin ». Un tableau croisé dynamique en Excel : c’est mesquin ». Pour souligner la complexité de la tâche, on tire sur la dernière syllabe du mot : « c’est mesquiiinnn » !
  • Escroc : Le Larousse définit l’escroc comme quelqu’un qui commet une escroquerie, c’est-à-dire qui trompe la confiance de quelqu’un en vue de le voler. Chez nous, dans le langage courant, un escroc c’est quelqu’un qui manque de franchise, qui rapporte, c’est-à-dire un hypocrite, un fourbe, un menteur. Et le pire des hypocrites est appelé ici par le nom bizarre de « Escroc-di-menteur ». Allez savoir d’où ça vient.
  • En cas de cas : Cette expression guinéo – guinéenne signifie en bon français « le cas échéant », c’est-à-dire si le cas se présente. Je m’excuse d’être aussi simpliste mais il faut préciser également que dans l’entendement de beaucoup de mes compatriotes l’expression « le cas échéant » signifie « le cas contraire » ! Vous ne trouvez pas que c’est mesquin tout ça ?
  • Moins un / moins cinq : Chez nous, ces deux expression servent à souligner la très forte probabilité de la survenue d’un évènement ou d’une action. Elles sont l’équivalent de « il a fallu de peu », « in extrémis », etc. Un joueur qui rate un penalty, c’est moins un il n’a pas marqué. Un camion qui manque d’écraser un piéton, c’est moins cinq le camion ne l’a pas tué. J’ignore si ces deux entiers négatifs sont utilisés puisque se rapprochant de zéro. D’ailleurs pourquoi ne dit-on pas par exemple moins trois ou moins sept… ?
  • Missionnaire : En réalité, nous ne donnons pas un sens très différent de ce mot de celui qu’il a dans le dictionnaire. Mais son emploi est si galvaudé en Guinée qu’il rappelle les Missions évangéliques en Afrique dans la période pré-coloniale. Il est très courant et désigne quelqu’un investi d’une mission officielle. Ainsi, un professeur qui se rend dans une université de province pour dispenser un cours en quelque temps est un missionnaire (Étudiants, nous disions que le prof balance le cours par la fenêtre). Des hôtes venus de l’étranger en mission dans le pays sont des missionnaires. Ce sens du mot est sans doute une survivance d’un vieux vocabulaire colonial.
  • C’est doux : Pour apprécier la saveur d’un mets, les Français s’exclament : « c’est bon » ! En Guinée, nous disons « c’est doux ». Le riz est doux, la sauce est douce, etc. En stage dans une rédaction parisienne fin 2011, cette expression faisait marrer mes collègues stagiaires qui ont fini par l’adopter pour me vanner régulièrement.
  • (Petit) plat : Attention, dans les foyers en Guinée, préparer un plat signifie faire la cuisine à l’occidentale. Ou en tout cas, cuisiner un aliment autre que ce qu’on mange habituellement à la maison, à savoir le riz et ses différentes variétés de sauces dont la débauche de couleurs rivaliserait un arc-en-ciel de fin de saison. Donc, un plat ou un petit plat c’est soit du poulet rôti, de la grillade, des spaghettis façon-façon ou quelque chose dans le genre un peu exotique. Dans les couples analphabètes, les possibles déclinaisons de l’expression sont « petit pilâ », chez les femmes peules, ou « petit pilan » chez les Soussou.
  • Pagaille : C’est bizarre, mais pagaille n’a pas toujours le sens de « désordre » ou de « confusion » dans la bouche de nos élèves et étudiants. Au contraire. En milieu scolaire, pagaille est assimilée à la plaisanterie. Le verbe « pagailler » made in Guinea désigne donc le fait de s’amuser, de faire de plaisanteries ou de se moquer gentiment.

Bon, j’arrête de pagailler. Mais j’ai une question: vous retrouvez-vous dans cette belle pagaille de mots et expressions ? En connaissez-vous d’autres ? En cas de cas, partagez-les ci-dessous dans les commentaires. Ce n’est vraiment pas mesquin ça !