Mamadou Alimou SOW

Ces femmes au « métier d’homme » : Solange Bamba, mécanicienne

Solange Bamba, crédit photo: Alimou Sow
Solange Bamba, crédit photo: Alimou Sow

Sa tenue, simple, est caractéristique : un pantalon quelconque assorti d’un t-shirt maculé d’huile moteur et une cagoule repliée sur la tête pour protéger ses cheveux. Un morceau de carton en guise de tapis, Solange Bamba glisse avec agilité sous une voiture, armée d’une clé plate et d’un testeur électrique. Ses gestes coordonnés sont rapides, précis et bien huilés. Quelques minutes plus tard elle ressort avec un diagnostic sans appel : il faut remplacer la douille des feux de brouillard avant, et au moins quatre ampoules grillées.

Dans le service « électricité » de ce grand garage mécanique de Conakry écrasé par le soleil de mars, Solange Bamba fait figure d’exception : elle est l’unique fille du garage parmi la cinquantaine de travailleurs. Elle fait la fierté du chef de service, Maitre Sagno, qui supervise le travail de six apprentis mécaniciens plus ou moins qualifiés.

C’est à l’été 2014 que Maitre Sagno a reçu Solange, accompagnée d’un oncle paternel. Il avoue avoir été un peu surpris à l’époque d’accueillir une fille, mais surtout frappé par la flamme qui brulait dans les yeux de la jeune demoiselle amoureuse, non pas d’un quelconque prince charmant, mais de la mécanique. Les choses se sont passées en règle, c’est-à-dire dans la pure tradition guinéenne : dix noix de colas et quelques billets de banque pour sceller officiellement l’inscription de l’aspirante mécanicienne.

Deux ans plus tard, le maitre se dit « très satisfait » des performances de son élève. Le courage et l’intelligence de Solange sont reconnus et salués par tous ses collègues et même par certains clients, comme ce Monsieur rencontré surplace qui a tenu à le signifier directement au chef de service. « Elle est plus solide que les garçons » s’est réjoui l’homme.

Pourtant, rien ne prédestinait Solange au métier d’électricienne auto. Quatrième d’une fratrie de six frères et sœurs, Solange Bamba est née en 1993 à Lola, à l’extrême sud de la Guinée, d’un père médecin à la retraite et d’une mère vendeuse de céréales. Inscrite à l’école, comme ses autres frères et sœurs, son père voulait faire d’elle une intellectuelle. Mais le rêve de la petite fille était loin de porter une blouse et de se farcir le Serment d’Hippocrate comme son géniteur de père.

Sans pouvoir l’expliquer aujourd’hui, le cœur de Solange battait pour la mécanique auto. Elle ne se sentait pas « à l’aise » sur les bancs de l’école, d’où quelques difficultés scolaires. D’une santé fragile, elle est obligée d’abandonner ses études en classe de 9ème année du collège lorsqu’une maladie a failli la rendre paralytique. Son vœu secret de « quitter les bancs » est exaucé.

La jeune fille débarque alors à Conakry chez un frère étudiant diplômé à qui elle fait immédiatement part de sa volonté : apprendre à réparer les voitures, et particulièrement le système électrique ! « Un choix de garçon » qui étonne, mais Solange tient bon.

Elle balaie d’un revers de main les propositions de ses proches d’intégrer un salon de couture ou de coiffure, traditionnels points de chute pour filles déscolarisées. Elle ne veut pas faire comme les « autres » et déteste ces deux métiers « où tu n’apprends rien de concret, en dehors de commérages oiseux ». Le frère et l’oncle se plient à ses desiderata.

Gentille et souriante, elle s’intègre assez rapidement dans ce milieu exclusivement masculin bien qu’au début c’était un peu « gênant » se remémore-t-elle. Solange apprend vite, son maitre appliquant les mêmes règles à tous ses apprentis sans distinction de sexe. Cette façon de faire la réconforte au point de la pousser à relever de grands défis dans la réparation des pannes.

Elle a désormais trouvé toute sa place dans ce garage où elle se sent appréciée et respectée par ses collègues hommes, sans harcèlement. Le jeune apprenti, Maxime, reconnait volontiers que Solange est sa supérieure hiérarchique, lui qui est arrivé ici il y a à peine une année.

solange_2En dehors de son travail, qui l’absorbe tout de même six jours sur sept, cette Chrétienne pratiquante consacre une partie du dimanche à l’église, l’autre aux affaires sociales en rendant visite notamment à des parents établis à Conakry et à quelques copines de son Lola natal.

Pour l’instant le travail de Solange ne lui permet pas de s’auto-prendre en charge, étant encore en phase d’apprentissage. Son frère qui l’héberge, l’habille et la nourrit gracieusement également. Quand elle peut, les dimanches, elle lui donne un coup de main dans le bar que gère celui-ci. Elle vit modestement et cela lui suffit largement.

Du haut de ses 23 ans, cette belle Forestière de l’ethnie Kono au sourire éclatant, n’est pas du tout portée sur le matériel. Solange est de l’espèce, ô combien rare, de jeunes femmes aux ambitions mesurées.

Celle qui a parfaitement connaissance de l’existence de Facebook, mais feint n’avoir pas un « téléphone adapté » pour s’y connecter, ne se considère pas pour autant différente des autres filles. Mais quand on lui pose la question de savoir de quoi a-t-elle le plus besoin en ce moment, la réponse, inattendue, tombe comme un couperet : « je rêve de posséder pour moi-même une mallette entière d’outils où il y a toutes sortes de clés »!

Elle est consciente de sa condition féminine mais, à court terme, le mariage n’est pas une priorité pour Solange. A moyen et long terme, elle voudrait terminer son apprentissage et créer son propre garage de réparation de système électrique des véhicules, se donnant deux à trois années supplémentaires pour obtenir son « certificat ». A ce moment-là peut-être, elle se mariera.

« Ce qui est sûr, rassure Solange, je laisserai le libre choix à mes enfants pour leur orientation professionnelle mais je ferai en sorte de leur léguer mon métier de mécanicienne » conclut-elle.

Bon vent à Solange et bonne fête du 8 mars à toutes les femmes du monde.

PS: le garage où travaille Solange à l’écriture de ce billet se trouve à Kapporo-rails (Conakry), non loin de l’Ambassade des Eats-Unis.


Ces femmes au « métier d’homme » : Jeannette Haba, chauffeur professionnel

Jeannette HABA - Crédit photo: Sidate
Jeannette HABA – Crédit photo: Sidate

D’une fille, comme Jeannette, qui s’adonne à des activités habituellement réalisées par les hommes, on dit souvent qu’il s’agit d’un garçon manqué. Mais Jeannette Haba n’est pas un garçon manqué : elle fait nettement mieux que les garçons normaux ! Chauffeur professionnel en service au Bureau des Natio​​ns Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS), à N’Zérékoré, cette mère de famille de 40 ans cumule une expérience professionnelle à faire pâlir de jalousie le plus courageux des mecs.

Dans un mois, Jeannette Haba fêtera son premier anniversaire à UNOPS dont elle a rejoint les équipes en avril 2015 après une courte période d’inactivité due à la crise Ebola qui a durement frappé la Guinée forestière obligeant la société minière où elle travaillait à s’arrêter. Une consécration pour cette battante « partie de rien » pour tutoyer aujourd’hui les sommets dans sa profession.

Femme de défis

Comme la plupart des chemins conduisant au succès, celui qu’a suivi Jeannette Haba a été sinueux et semé d’embûches. Mais qu’importe pour cette amoureuse de défis et du riz sauce feuilles de patate ?

Son premier défi sur le plan professionnel, elle l’a relevé, haut la main, en 2002. A l’époque, le Bureau du Fonds international de développement agricole (FIDA) basé à N’Zérékoré lance un appel à candidature pour le recrutement de cinq (5) chauffeurs. Un ami, animé a priori d’une bonne intention, suggère à Jeannette de mettre en avant son statut de femme pour bénéficier d’un traitement de faveur de la part des recruteurs. Elle rejette poliment mais fermement la proposition.

« Je voulais concourir au même titre que les hommes, sans bénéficier d’aucun traitement de faveur lié à mon statut de femme », se rappelle-t-elle.

La suite lui donne largement raison. Le coup d’essai se transforme en coup de maitre. A l’issue des épreuves théorique et pratique, Jeannette, l’unique femme candidate, se classe quatrième sur les 320 dossiers déposés. Elle travaillera pendant cinq ans au FIDA.

Pour le poste suivant, dans une Mutuelle de santé, elle fera mieux en surclassant tous les candidats hommes : 1ère sur 25 candidatures.

Après plus de six ans d’expérience dans le privé, Jeannette change de secteur et de lieu de travail. Elle est recrutée par le Gouvernement et rejoint, en 2009, le ministère de l’Energie et de l’Hydraulique à Conakry. Au plus fort de la campagne électorale de 2010 dans l’équipe du candidat Papa Koly Kourouma (ancien ministre de l’Energie), Jeannette accomplissait jusqu’à deux allers-retours Conakry – N’Zérékoré dans la semaine.

Elle travaillera près de deux ans et demi au compte du ministère avant de regagner sa ville natale de N’Zérékoré à la suite du décès brutal de son mari. Un épisode difficile à surmonter. Mais son moral est à l’image du physique imposant de cette femme Guerzé qui fait crisser la balance. Solide.

Self-made-woman

Jeannette est une self-made-woman pure sang. Elle doit sa réussite en grande partie à une philosophie de vie toute simple : « tout ce qu’un homme est capable de faire, une femme peut le faire également si elle le désire ».

Son désir à elle d’embrasser le métier de chauffeur remonte de très longtemps. Devenue orpheline de père à l’âge de 17 ans, cette fille d’un couple de paysans du village de Gbowo (N’Zérékoré) s’est responsabilisée très tôt, bien que troisième d’une famille de 4 frères et sœurs. Ayant abandonné l’école en classe de 4ème année de l’élémentaire, Jeannette a rapidement pris conscience que sa vie ne sera pas un conte de fée.

Sa mère veut qu’elle soit coiffeuse ou couturière de talent. Jeannette rêve de conduire une voiture. Son sens d’observation inné lui a déjà fait comprendre que pour émerger et réussir dans son milieu, il faut faire un métier diffèrent, un « métier d’homme ». Par deux fois elle oblige sa maman d’aller reprendre la caution versée pour son inscription dans un salon de coiffure. Jeannette remporte le bras de fer.

Désireuse de faire le métier de chauffeur par la pratique du terrain, elle n’hésite pas un seul instant à rejoindre le conducteur d’un vieux camion pour faire l’apprenti-chauffeur ! Nous sommes en 1997. Oui, comme les jeunes hommes Jeannette s’accrochait sur les arceaux du camion qui sillonne les petits villages de N’Zérékoré pour alimenter les marchés hebdomadaires en produits locaux et manufacturés.

Au bout de trois ans d’apprentissage, la jeune femme était non seulement capable de jauger le niveau d’huile d’un camion, monter la crique pour changer une roue crevée, poser la cale sur les pentes glissantes mais aussi et surtout conduire un poids lourd ! Forte de cette expérience pratique acquise à la sueur de son front, Jeannette peut passer à l’étape suivante.

En l’an 2.000 elle s’inscrit à l’auto-école et obtient son permis de conduire au bout de trois mois. Elle commence immédiatement à travailler pour son propre compte. Son mari, également chauffeur, lui achète une Toyota Pick-up grâce à laquelle elle fait le transport en commun pendant deux ans sur le même parcours que durant ses années d’apprentissage en camion. C’est le piédestal pour grimper au FIDA…

Près de deux décennies plus tard, Jeannette habite sa propre maison au quartier Boma de N’Zérékoré où cette veuve élève tranquillement son petit garçon et ses deux jeunes filles. Ces derniers sont également futurs héritiers de plusieurs parcelles de terrain grâce à leur mère, brave femme jouissant auprès de sa petite famille du fruit mûr de ses efforts dix fois bien mérités.

Bien qu’ayant abandonné l’école à l’élémentaire, Jeannette Haba parle un français d’un niveau correct acquis aux côtés des centaines de cadres qu’elle a côtoyés et transportés. Elle s’enorgueillit également d’un bon niveau d’anglais parlé grâce à un court séjour à Monrovia, au Libéria.

Mais de tous les succès de Jeannette, il existe un dont elle est particulièrement fière : en 20 ans de carrière au volant, Jeannette n’a jamais fait d’accident de circulation !

A toutes les jeunes filles guinéennes, Jeannette Haba a un message qui tient en neuf mots: « le premier mari d’une femme est son métier ». Venant d’elle, on ne peut que respecter.

Bonne fête du 8 mars à Jeannette Haba et à toutes les femmes du monde.

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Lectures déambulatoires dans les rues de Conakry

20151220_102441Matin frisquet de fin décembre. Le klaxon strident du train minéralier, faisant écho à la voix amplifiée du muezzin, déchire l’aube naissante dans une chorale sublime. Une ombre en haillons faufile entre deux murs, une planche garnie de baguettes de pain en équilibre sur la tête. A l’est, le soleil, l’air timide, entame l’ascension harassante du mont Kakoulima. Conakry émerge progressivement de son lit, drapée d’un épais voile formé par les volutes de poussière et de fumée s’échappant des vieilles guimbardes devenues le décor de la ville.

Comme à l’accoutumée, je suis débout dès potron-minet. Baskets aux pieds, maillot de jogging au dos, je mets à profit quelques jours de congé de fin d’année pour dégonfler une petite bedaine qui commence à s’installer sournoisement me flanquant un aspect d’officier des douanes africain. La pente raide sur la route qui traverse notre quartier est une sacrée aubaine. Je vous en dirai des nouvelles, l’année prochaine…

Cette activité sportive, sporadique, est également une aubaine pour redécouvrir Conakry sous un autre jour : celui de l’écriture et des inscriptions urbaines.

Ça a l’air totalement badin mais ma curiosité innée et mon amour acquis pour la lecture m’ont permis de comprendre que Conakry est un véritable livre ouvert. On peut y lire les transformations continues de la ville, son essor économique, ses fantasmes et ses codes mais aussi ses douleurs et ses plaies cicatrisées ou encore ouvertes. Pour peu qu’on y prête attention, Conakry parle à celui qui écoute, instruit celui qui lit.

Pour s’en rendre compte, le meilleur moyen est de déambuler dans les quartiers, de préférence à pied.

Sur les deux principaux axes routiers de la capitale, les autoroutes Fidel Castro et Leprince, le florilège des affiches publicitaires géantes témoigne de l’entrée de la ville de plein pied dans la société de consommation qui s’universalise. Ici, un panneau d’opérateur de téléphonie mobile annonce des tarifs mirobolants, là une société de paris incite à miser gros pour toucher le jackpot. Miroir aux alouettes pour une jeunesse en proie au chômage, déchirée entre espoir de rester et rêve de partir.

Entre les deux affiches, brusque changement de thème : un Alpha Condé candidat, costume-cravate, étale sur 18 mètres carrés de vinyle un sourire photoshopé. Le slogan de campagne qui barre le panneau est sans appel : « Le progrès en marche ». Ma curiosité également, Monsieur le président. En avant.

Plus loin, sur les hauteurs de Bambéto, une main anonyme a tracé à la chaux sur un pan de mur branlant : « Vive l’UFDG ». A côté, on distingue le dessin maladroit d’un lance-pierres. Mieux que quiconque un gendarme de Conakry sait interpréter ce « message » dans ce  quartier qualifié, à tort ou à raison, de « contestataire ». Le « combat » politique s’étale à ciel ouvert.

Redescente dans cet autre quartier de banlieue : Sangoyah. Une épaisse couche de poussière ocre tapisse les toitures des maisons en taules ondulées. Quand les ruelles sont bitumées, elles mènent généralement chez un ancien dignitaire du pouvoir. Mais shiitt, mieux vaut se taire car comme partout ailleurs, les murs ont des oreilles. Mieux, ici ils parlent !

Justement à l’angle des deux rues, on peut lire au mur, écrit par un riverain dans un français approximatif, « interdit de jeter des ordures ici, amende 150.000 FG ». Une interdiction que portent quasiment tous les murs de Conakry. Elle matérialise le conflit entre voisins autour de la gestion des déchets que l’on balance où l’on peut, faute de collecte et de circuits de ramassages organisés et efficaces.« Interdit d’uriner ici » est l’autre inscription qui décore les murs des quartiers ; baromètre de l’absence de toilettes publiques.

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Au-delà du montant de l’amende qui varie suivant la courbe de l’inflation (dans le années 90, elle tournait autour de 5.000 francs), les deux formules sont souvent complétées par une menace de sévices corporels auxquels s’exposent les contrevenants. Ainsi, on retrouve les variantes : « interdit d’uriner ici, amende 100.000 francs, plus 50 coups de fouet », «amende 200.000, plus bastonnade », « amende 50.000, plus 2 heures de combat ». La meilleure que j’ai trouvée, est celle qui, pour souligner la rigueur de la punition, était illustrée d’une image montrant une paire de ciseaux qui coupent un pénis urinant. Aïe !

Douloureux aussi est le pari fou de ce… malade mental qui prend les fondations de l’échangeur de l’aéroport Gbessia pour un tableau qu’il s’acharne à peindre à la craie ou au charbon de bois. Des bouts de phrase sortis des méandres de son imagination alternent avec des célèbres proverbes et des citations d’auteurs connus. Un monologue en écriture, le temps que l’impitoyable flotte de Conakry lave les murs du pont. Puis, notre artiste se remet à l’œuvre, et le cycle recommence.

Les taxis, eux, ont choisi l’encre indélébile pour faire parler leurs engins sans âge. Si à Dakar, les taxis-ville arborent une queue de vache à l’arrière-train, ceux de Conakry sont porteurs de messages. Messages de gratitude à l’endroit du Seigneur, « Grâce à Dieu », aux parents, « Grâce à ma mère », ou à un obscur bienfaiteur, « merci maitre ». Ces bout de phrase peints sur les véhicules en disent long sur la traversée du désert de leurs propriétaires qui ne cachent point leur joie d’en sortir. Sur un taxi inter-urbain au décor exubérant, l’on précise que c’est la réussite de « l’enfant de Horé-Fello ». Un Magbana suranné porte, lui, tout « l’espoir de Banamorydougou ».

Un poids lourd au moteur fatigué ploie sous des tonnes de bananes plantain en provenance du sud du pays. Si l’on se fie à l’inscription haut placée sur la cabine, c’est « Jack Bauer » qui est au volant. En réalité, Maitre Niankoye, éreinté par le trajet difficile et brulé par le soleil de Faranah puise dans ces dernières réserves d’énergie pour livrer sa cargaison fragile au marché forestier de Tanéné à Conakry.

« Bonne chance », en lettres capitales, barre tout le flanc gauche d’un «School bus surchargé en route pour Kankan. De la chance, en a vraiment besoin la centaine de passagers de cet ancien autocar américain dans lequel pétaient, jadis sur les routes du Mississipi, une trentaine d’écoliers américains. On continue, certes, à péter dans cette épave d’autocar sur les virages en épingle de Yombokouré, mais pour d’autres raisons…

De l’Amérique, nous vient également Madonna, en posture lascive sur un poster qui colonise les taxis. On se croirait à la veille d’un concert de la superstar à Conakry, ville qu’elle ne saurait même pas géolocaliser sur son Google Earth.

Ce sont des banderoles en percale, tendues entre deux poteaux, qui annoncent les concerts à Conakry. Fantaisies d’écritures et fautes d’orthographe se disputent la vedette sur ces bouts de tissus qui inondent les axes routiers. Les enseignes d’échoppes de quartier, d’atelier de couture et de coiffure, sont le porte-étendard de ce massacre organisé de l’orthographe. Ici, la prononciation d’un mot passe avant le respect des règles d’écriture. Qu’importe ! « Pouleh rauty » ou « poulet rôti » ne change pas la saveur de votre plat dans ce resto de banlieue.

Conakry est dépourvue de graffitis, excepté quelques inscriptions murales que l’on rencontre par exemple au quartier Wanindara, inspirées par le lointain hip-hop américain des années 90 que de petits délinquants tentent de perpétuer. A Kaloum, au centre administratif, les murs témoignent de la guerre des factions de jeunes manipulés par les politiques locaux.

Désignée capitale mondiale du livre en 2017, Conakry offre d’ores et déjà une littérature murale riche et diversifiée. Un livre dont chaque coin de rue est une page ouverte. Il suffit de lever le regard pour en saisir le sens. Bonne lecture et bonne année 2016.


Conakry, le règne de la télécommande

Photo: www.ssofast.com
Photo: www.ssofast.com

Kaléta commence à mettre toute la lumière sur la vie des foyers à Conakry bercés par une obscurité permanente, 57 ans après l’indépendance de la Guinée. Depuis le lancement, fin septembre 2015, de ce barrage hydroélectrique de 240 MW qui fournit jusqu’ici régulièrement du courant électrique à la capitale et à quelques villes de province, les habitants de Conakry émergent progressivement de l’ignorantisme sous lequel ils étaient ensevelis.

Mais ils n’échappent pas à la règle de l’éblouissement, effet d’optique qui frappe celui qui passe de l’ombre à la lumière éclatante. Les Conakrykas usent et abusent du courant, aveuglés par la découverte presque inattendue de cette denrée rare. Plusieurs fois désabusés, ils sont sans doute sceptiques sur la pérennité de ce service social de base dont la fourniture a toujours été un enjeu électoral majeur.

Alors on en « profite ». Et pas qu’un peu ! En attendant la pose systématique des compteurs électriques dans les foyers pour l’établissement correct des factures de consommation, c’est la course à l’armement… électroménager. Fers à repasser énergivores, réfrigérateurs grabataires, thermoplongeurs antédiluviens, four à micro-ondes, climatiseurs, téléviseurs, cuiseurs…Conakry est littéralement noyée sous un déluge de matériels électriques souvent de seconde main importés de l’Occident.

Au grand dam de la sécurité des consommateurs et de la protection de l’environnement. A ce rythme, il faut espérer que la COP22 sera organisée à Conakry pour sauver ce qui aura survécu… En attendant, la petite classe moyenne émergente entend bien profiter de l’opportunité pour améliorer sa qualité de vie. Grand, risque d’être le désenchantement quand le courant sera facturé à sa juste valeur.

Sans surprise, la télé occupe la tête de la longue liste d’appareils électriques achetés. Elle trône au salon dans pratiquement tous les foyers urbains électrifiés. Au sein des jeunes couples, les femmes la désirent aussi plate et large que possible. La longueur de la diagonale de l’écran est un étalon de mesure de leur satisfaction. C’est à croire que, physiquement, elles s’identifient à cet objet devenu leur second miroir après Facebook.

Passé ce détail esthétique, l’inévitable débat sur les programmes à suivre s’impose. Et c’est là que, toujours au sein des couples, la télécommande prend toute son importance. Discrète habituellement, elle savoure sa revanche suscitant l’envie de chacun au point de semer la zizanie entre mari et femme. Pour mieux régner, la télécommande divise les chaînes de télé en nombre, mais surtout en genre. Jeux et sports pour le mâle, musique et feuilletons pour la femelle.

Et c’est parti pour la « guerre » alimentée par les distributeurs d’images satellites qui jettent régulièrement de l’huile sur le feu en proposant de nouvelles chaines dans chaque catégorie.

Si pour les hommes le sport se résume aux championnats de football européens et les compétitions internationales, pour les femmes, en revanche, les sujets sont plus complexes et variés.

La passion de nos femmes pour les feuilletons est un véritable sujet d’étude sociologique. Elles sont insatiables de ces histoires d’amour à l’eau de rose déclinées en un chapelet interminable d’épisodes quasi-identiques. Et c’est là que ça devient vraiment intriguant, puisque voir un seul de ces feuillons, c’est voir tous les autres.

Le scénario est généralement construit autour de l’amour, la gloire, la beauté, l’argent, le mensonges et les trahisons. Des thèmes que les scénaristes, selon leur imagination, mixent et remixent à l’envie en y ajoutant quelques ingrédients : de l’eau et du sable fin saupoudrés de musique exotique.

C’est au milieu des années 1990, selon mes souvenirs, que notre télévision nationale a commencé à diffuser ces télénovelas à travers le feuilleton Mari Mar. Par la suite, on a vu fleurir dans les rues de Conakry des Rosa et des Léopoldina étrangement fagotées. Le Cercle de feu et Femmes de sable allaient enfoncer le clou. Depuis l’arrivée des bouquets, c’est le déferlement : Amour Océan, Cœur Brisé, Vaidehi, Main Teri, Paloma, La Patrona, …

En dehors du plaisir de voir la fin du film, qui se termine toujours par  un « happy end », l’apport culturel de ces télénovelas est fort discutable. Y en a qui pensent qu’elles contribuent tout simplement à abêtir davantage celles qui en sont accros. Au regard de la culture générale de nos braves étudiantes, je suis tenté d’y croire. Inversement, nul ne peut affirmer que le foot à la télé favorise l’émergence des Senghors dans les universités…

En tout cas, ni la bizarrerie des titres, ni les réalités socio-culturelles éloignées, ni le doublage de piètre qualité de ces feuilletons latino-américains ou indiens ne constituent un frein pour leur succès fulgurant chez nous. Au contraire.

Les fournisseurs d’images sont ceux qui ont le mieux compris ce phénomène, multipliant l’offre sur les bouquets satellitaires. En mars dernier, le groupe THEMA a sauté le pas pour créer carrément la chaine bien nommée NOVELAS TV sur le bouquet CanalSat. Désormais, dans les foyers, il faut engager des pourparlers même pour voir le Journal sur la chaine nationale ! On ne respire plus.

Quand la tension monte gravement dans les couples pour le contrôle de la télécommande, certaines femmes n’hésitent pas à proposer à leur mari d’acheter un second téléviseur. Quitte à chasser définitivement le très peu de quiétude qu’on trouve dans un appartement à Conakry ou à saler un peu plus la facture d’électricité et d’abonnement aux chaines de télé. Aux frais du Monsieur, bien sûr.

Mais ne dit-on pas que ce que femme veut, Dieu le Veut ? Reste à savoir si l’inverse est valable.


Conakry by night, version 2015

Au Crisber - Photo: Alimou Sow
Au Crisber – Photo: Alimou Sow

Conakry est ineffable. C’est une ville bouillonnante qui vit à 100 à l’heure. Agressive et stressante le jour, elle est calme et apaisante la nuit en cette fin d’année 2015. Quand le soleil incandescent décline derrière l’archipel des îles de Loos, la cité vous rend au centuple ce qu’elle vous aura pris la journée. Une équité que les noctambules ont bien comprise. Je suis un des leurs ce samedi soir-là.

J’ai craqué pour une sortie en boîte de nuit organisée par un ami de Facebook à l’humour vif et tranchant. Une première depuis quasiment mes années d’adolescent timide que les potes du quartier étaient obligés de traîner pour aller danser à l’occasion de grandes fêtes de fin d’année.

J’ai toujours préféré potasser un bouquin de 500 pages que d’aller me défoncer les tympans et les chevilles dans une discothèque surchauffée de Conakry. J’abhorre danser. L’idée de serrer une fille sur un air de zouk était pour moi la pire torture psychologique qui soit. Peur de danser faux, peur de piétiner ma cavalière ou de lui faire sentir la dureté de mes tibias d’enfant berger des montagnes

Du temps a passé. J’ai également plus d’assurance avec ma cavalière de ce soir (ma femme).

Au volant, je suis bluffé par le contraste de la circulation entre le jour et la nuit. Les voies de circulation de la capitale, éternels parkings géants et marchés le jour, retrouvent leur raison d’être la nuit. Tout est dégagé, faisant apparaitre la largeur réelle des routes, inimaginable aux heures de pointe. A 2H du mat’, on peut se taper un tour complet de la capitale et sa banlieue tentaculaire en moins d’une heure d’horloge !

Routes dégagées mais aussi éclairées. Du moins, les deux principales qui desservent la presqu’île de Kaloum : les autoroutes Fidel Castro et Leprince, tracées en parallèle  et reliées entre elles par des « transversales » à la manière d’un chemin de fer.

Les noctambules, excités par la fluidité de la circulation, écrasent le champignon sous la lumière blafarde des centaines de lampadaires solaires plantés en rang d’oignons entre les deux voies autoroutières. Le malheur est vite arrivé. Un motard a été écrasé à Koloma, près du siège de la télévision nationale. Preuve, s’il en était besoin, que les nombreux check-points installés aux principaux ronds-points ont d’autres objectifs que de décourager les chauffards roulant à tombeau ouvert.

Au niveau de l’un de ces « barrages routiers », au quartier « Cité Enco5 », deux garçons sont soumis à une séance humiliante de pompes verticales devant leurs petites amies qui en rigolent (ah les meufs !). De jeunes gens paisibles, sans moyens de déplacement, qui profitaient simplement de la fin des vacances pour s’amuser . Les autoroutes sont peut-être éclairées, mais les idées sont encore obscurantistes dans ce pays…

Malgré l’heure tardive, les abords des routes sont animés. Le courant du barrage de Kaléta fait monter la tension tous les soirs chez les fêtards des cabarets. Dans presque chaque quartier, des spectacles folkloriques (pôodha) très populaires réunissent des nostalgiques qui noient leurs soucis dans le Skool et la cigarette, esquissant des pas de danse mal assurés. Rendez-vous incontournables des ouvriers, manœuvres, petits commerçants et femmes divorcées.

Pour danser, les étudiants et les diplômés, eux, préfèrent les discothèques. Les plus huppées sont concentrées le long des deux corniches, nord et sud, de Conakry dans la proche banlieue de la capitale, notamment dans les quartiers de Kipé, Taouyah et La Camayenne.

Mon ami « organise » au « Crisber », à Kipé, l’une des discothèques les plus populaires de Conakry. La seule fois que j’ai dansé ici, ça s’appelait le « Climax ». C’est peu de dire que ça a changé depuis. Côté décor et installations, tout a été revu et corrigé : pistes de danses modernes, reposoirs propres, éclairages au top, espaces mieux insonorisés et surtout bien climatisés. Il faut vraiment épuiser un album entier de techno ou du reggae pour sentir ses aisselles humides. La sécurité est également omniprésente. Des videurs trainant des quintaux de muscles veillent au grain.

La seule fausse note (partagé avec d’autres lieux), c’est l’absence d’aire de parking. Les véhicules s’alignent le long de la route générant un petit bouchon alentour. Je doute également que la boîte soit équipée des issues de secours et de plan d’évacuation en cas de sinistre.

Pour l’animation, je suis un peu déçu. Trop de Dancehall et de hip-hop américains ultra saturés (Dj Quick, Patoranking, Wandecoal, etc.). J’ai certes eu du Korede Bello avec son captivant « Godwin » mais pas assez de guinéen. Enfin, j’étais choqué de voir les petites filles, à l’accoutrement aux effets Viagra, se déchaîner sur le très vulgaire clip  « Coller la petite » du  Camerounais Franko (Kinguè Franck Junior).

La nuit s’étire. Les articulations sont fatiguées, les ventres vides. La faim étant la plus fidèle compagne des sortants de soirée de danse, des vendeurs de viande sont stratégiquement installés à l’affût aux alentours du rond-point « Centre Emetteur » à Kipé. Chèvre et poulet grillés au menu.

Des noctambules affamés, assis à califourchon sur des bancs en bois, démembrent impitoyablement des poulets braisés sous les néons du centre Plazza Diamon situé de l’autre côté de la route. Ça dévisse bruyamment entre deux bouchées de chèvre ou de poulet entrecoupées de longues lampées de breuvage. Il est déjà 3 heures du matin. Personne ne semble se soucier de l’heure.

Conakry est définitivement une capitale qui ne dort jamais.


Leur histoire d’amour née sur Facebook se termine au village au premier rendez-vous !

crédit photo: lecontrarien.com
crédit photo: lecontrarien.com

C’est l’épilogue d’une histoire d’amour tout droit sortie d’un roman de Yasmina Khadra qui s’est joué, jeudi 13 août 2015, à Brouwal Sounki, un village de Télimélé perché sur les contreforts du Fouta Djallon. Sur place, elle fait la « Une » des potins des chaumières, amusant les jeunes gens, horripilant les vieilles personnes qui découvrent Facebook pour la première fois. Hélas, sous le plus mauvais jour du réseau social de Mark Zuckerberg.

Tout, a priori, séparait A.B et F.D, la vingtaine révolue. D’abord la distance, l’un vivant à Abidjan en Côte d’Ivoire, l’autre à Ziguinchor, dans la région de la Casamance au sud du Sénégal. Ensuite la disponibilité, tous deux étant mariés, chacun de son côté.

Il n’y a que la magie de Facebook qui soit capable de rapprocher de tels extrêmes au point de favoriser l’éclosion d’une incroyable histoire d’amour virtuelle entre deux jeunes gens dont la naïveté et l’imprudence feront la honte.

A.B est ce qu’on appelle un aventurier. Le jeune homme affable a roulé sa bosse dans plusieurs pays ouest-africains à la recherche d’un travail rémunérateur. Il a même tenté l’aventure périlleuse en Angola avant de revenir poser ses valises à Abidjan. Marié, sa femme vit au village, en Guinée, aux côtés de ses parents.

F.D quant à elle est femme au foyer. Calme et effacée. Elle est mariée à un commerçant guinéen établi depuis plus d’une décennie à Ziguinchor en Casamance où leurs affaires prospèrent. Elle élève paisiblement ses deux enfants aux côtés de son mari à qui elle donne un coup de main à l’épicerie familiale de temps en temps.

C’est cette harmonie que Facebook a à jamais bouleversée.

A.B et F.D se sont donc rencontrés sur ce réseau social il y a de cela plusieurs mois. Ils se lient d’amitié qui glisse progressivement en amour, consolidé par des sulfureux messages privés qu’ils s’échangent dans l’intimité de l’application Messenger.

Personne dans leur entourage n’a la moindre idée de ce que fricotent les deux amants virtuels. Jusqu’à ce que disparaît miraculeusement F.D, début août, laissant derrière elle ses deux enfants et une énorme angoisse à son mari et à ses parents. On la cherche partout à Ziguinchor. Introuvable. Une alerte disparition est lancée, les forces de sécurité sénégalaises sont mises au courant.

Deux jours après sa disparition, la famille de la jeune femme retrouve un téléphone de F.D sur lequel elle avait oublié de se déconnecter de son compte Facebook toujours actif. Très vite, l’application livre les secrets de sa fugue. A la stupéfaction générale, on découvre que derrière la timidité feinte de la jeune mère se cachait une malice très discrète. Elle est amoureuse d’un homme vivant à des milliers de kilomètres de là qu’elle n’a jamais rencontré dans la vraie vie. Ils se sont donné rendez-vous en Guinée !

Les messages privés révèlent la véritable identité de A.B qu’il avait réussi à dissimuler en utilisant un pseudonyme sur son compte Facebook. Le lieu de leur rendez-vous, l’itinéraire que F. D devait suivre pour y arriver, les complicités… tout avait été orchestré via Facebook. Pire, ils avaient un projet de taille :  se marier !

Coups de fil en Guinée pour prévenir les autorités et les parents. Les informations sont rapidement recoupées. A.B a effectivement quitté Abidjan. Il est repéré à Conakry, puis dans son village natal où il arrive le lendemain.

Il n’a pas le temps de déposer son sac. Une unité de la gendarmerie de Brouwal alertée, fait irruption dans son village et le met immédiatement aux arrêts. Transféré à la sous-préfecture, il nie dans un premier temps être à l’origine de la disparition de F.D. Mais ses échanges Facebook le trahissent. Il finit par tout avouer révélant par la même occasion que la femme disparue se trouve quelque part à Télimélé ville où ils ont passé la nuit ensemble la veille.

Elle est retrouvée par les gendarmes qui la conduisent aux côtés de son amant pour s’expliquer.

Voici l’explication : le jeune homme était spécialement revenu au village, qu’il a quitté depuis plus de trois ans, pour trouver un prétexte de divorce avec son épouse légitime afin d’épouser la femme du commerçant. Cette dernière s’était financièrement préparée à cette issue en dérobant une importante somme d’argent à son mari avant de prendre la tangente.

Comme souvent au village, l’affaire a été réglée à l’amiable et comme toujours à la grande satisfaction des forces de sécurité qui ne se déplacent jamais pour rien.

Cette histoire est révélatrice du danger des réseaux sociaux quand ils sont utilisés à mauvais escient. Malheureusement, elle est loin d’être un cas isolé.

On ne dira jamais assez qu’il faut se méfier des inconnus et de l’apparence, surtout sur Internet.


Ces catastrophes qui ont ôté le cache-sexe de Conakry

Une rue de Conakry sous la pluie - crédit photo: Alimou sow
Une rue de Conakry sous la pluie – crédit photo: Alimou sow

La scène, filmée avec un téléphone portable, est digne d’un documentaire de National Geographic Channel tourné à l’archipel des Bissagos. On y voit  trois personnes juchées sur l’épave d’un congélateur traversant les deux voies de l’autoroute Fidel Castro de Conakry à la nage ! Cela s’est passé au quartier Bonfi où le temps s’est arrêté ce samedi 25 juillet 2015 en fin d’après-midi.

De mémoire d’homme, rarement la capitale guinéenne n’a été autant lessivée que pendant les 10 derniers jours de ce mois de juillet 2015. Une semaine, quasiment sans interruption, les vannes du ciel sont grandes ouvertes déversant des mètres cubes d’eau sur chaque millimètre carré du sol de Conakry.

Puis arriva ce qui devait arriver.

Des catastrophes en cascade : inondations, éboulements, accidents de circulation. Au moins quatre personnes ont perdu la vie depuis le début du déluge, selon les médias.

Sur les principaux axes routiers, les caniveaux ont recraché sur la chaussée tout ce qu’ils avaient dans le ventre offrant un spectacle dégueu.

Dans les anciens quartiers de Conakry, comme celui au nom évocateur de Tombo, les vieilles maisons ont l’air d’être bâties sur des pilotis, certaines n’étant accessibles qu’en radeau de fortune de type vieux congélateur. Plusieurs citoyens sont courbaturés à force d’évacuer les eaux pour déblayer leur … Tombo.

Les nouveaux quartiers, en haute banlieue, n’ont pas été épargnés. Evidemment pas dans les mêmes proportions que pour « la vieille ville ». Les intempéries savent, elles aussi, distinguer le riche du pauvre.

Décidément, 2015 est un millésime poisseux pour les habitants de Conakry déjà éprouvés par des décennies de malaria et près de deux ans d’Ebola.

Dans la nuit du 13 au 14 juin dernier, une tornade accompagnée des vents violents avait balayé la ville provoquant des dégâts matériels et humains considérables. Au moins un mort et des centaines de maisons détruites ou endommagées. De ces dégâts, l’opinion publique n’avait choisi de retenir qu’une histoire à dormir debout selon laquelle un manguier arraché par le vent se serait replanté tout seul dans un quartier de la capitale ! Œuvre signée des épiciers de la rumeur.

Cette banalisation des drames humains est caractéristique de Conakry, cité ineffable. Elle est révélatrice de la haute idée qu’ont les habitants et leurs dirigeants de la vie humaine. Ici tout est banal, puisque tout est banalisé.

Le citoyen qui balance des ordures dans les caniveaux destinés à drainer les eaux de ruissellement, c’est une banalité.

Les commis de l’Etat qui vendent des parcelles à des citoyens dans des zones réservées, le même Etat qui revient casser les constructions, c’est anodin.

Les femmes qui mangent et pataugent dans les détritus des marchés à longueur de journée, c’est banal.

Le taxi et ses passagers qui se tuent en s’encastrant dans la carcasse d’un camion-remorque garé au beau milieu de la chaussée, c’est un non-événement.

Les jeunes qui barrent la route pour jouer au foot et qui cassent les pare-brise des conducteurs, on s’en fout c’est banal.

Les militaires qui fendent les files de véhicules, roulant à tombeau ouvert dans les embouteillages, c’est vicinal.

Les petits délinquants de Madina qui font pleurer des femmes tous les jours en volant leur téléphone portable au nez et à la barbe des forces de sécurité, c’est rien.

Bref, en attendant d’être la capitale mondiale du livre en 2017, Conakry est la capitale de l’insouciance et du laisser-aller. Chacun fait ce qu’il veut en s’asseyant sur le droit des autres.

Le résultat est une anarchie à ciel ouvert qui règne sur une presqu’île de près de 50 km de long. Et quand les éléments de la nature se déchaînent comme cette fois, ils balaient tout sur leur passage ôtant par la même occasion le cache-sexe de notre invulnérabilité supposée.

A bien observer Conakry, la réalité saute aux yeux. C’est une ville qui a chassé un village. On le sent à travers la flore essentiellement constituée d’arbres fruitiers, plantés non pas pour embellir une quelconque rue, mais pour répondre à un besoin primaire : calmer la faim. Ce sont ces manguiers, avocatiers, et palmiers qui ont causé les plus gros dégâts dans la nuit du 13 au 14 juin dernier.

La « ville-village » continue pourtant de s’étendre sauvagement se livrant chaque jour à la férocité de la force destructrice de la nature.

Bien que la Guinée tout entière soit exposée constamment à des vents violents, à des inondations et à des séismes, le pays ne dispose d’aucun moyen sérieux pour prévenir ces catastrophes naturelles. Encore moins de plan d’évacuation de la ville de Conakry, cette bande de « Gaza » guinéenne à la merci des intempéries.

Notre plan Vigipirate ? Euh… Vigi quoi ? Et pour l’organisation des secours, revenez le 14 février pour en parler.

Samedi, 20 juillet 2013 (encore en juillet!) un séisme a frappé une bonne partie du pays et notamment la capitale Conakry. Il a fallu attendre plusieurs jours pour qu’un responsable de la Direction nationale de la géologie prenne la parole pour annoncer fièrement que selon ses collègues du Centre sismique de Mbour, au Sénégal, la magnitude du tremblement de terre était de 2,5 sur l’échelle de Richter (sic). Quelle prouesse !

Cette fois, c’est après une semaine de déluge que la Direction nationale de la météorologie (DNM) s’est fendue d’un communiqué pour nous dire quelle quantité de pluie nous avons prise dans la gueule durant les sept derniers jours. Je rappelle également qu’après la violente tornade de juin, ils ont eu la gentillesse de nous révéler la vitesse du vent qui nous a secoués : 90 km/h ! Merci chef.

A la décharge de ces services, il faut reconnaître qu’ils végètent dans un dénuement complet. Matériels obsolètes, vieillissement du personnel, manque d’investissement et de motivation. La DNM ne dispose même pas d’un  site web ou d’une page Facebook (c’est gratuit non ?) pour publier ses communiqués post-dégâts !

Avez-vous croisé un élève guinéen qui aspire à devenir un Texan Camara, euh… pardon, un météorologue ? Ou bien un sismologue ? Ou encore un océanographe ? Tout le monde veut être journaliste, juriste, informaticien, banquier, minier, diamantaire, argentier, président, etc. Et on en est là.

En tout état de cause si vous attendez le bulletin météo d’avant le journal TV pour décider ou non de prendre votre parapluie à Conakry, c’est que vous êtes vraiment, mais alors vraiment mal barré !


Au cœur de la forêt guinéenne, les trésors du Ziama

Vue du massif de Ziama à Sérédou - crédit photo: Alimou Sow
Vue du massif de Ziama à Sérédou – crédit photo: Alimou Sow

Dans ma tête, le massif du Ziama a toujours été cette tache baveuse que nous montrait notre Instituteur, Monsieur Diallo, sur une carte de la Guinée quelque part dans le sud du pays près d’une encoignure qui évoque le bec du perroquet. Vingt-et-un ans plus tard, j’ai la chance de toucher le Ziama du doigt, d’écouter ses multiples gazouillis, d’humer ses mille et une senteurs, de sentir sa fraicheur équatoriale.

Mais le confort est au bout de l’effort. Pour arriver au Ziama à partir de Guéckédou, le voyageur doit affronter le fameux tronçon de « l’enfer » Guéckédou – Kondébadou. Trente-cinq kilomètres parsemés de nids de poule, de crevasses et de véritables cratères, par endroits, dans lesquels pataugent des poids lourds surchargés au moteur fatigué. Des morceaux de goudron s’accrochant désespérément au sol argileux rappellent que la route était bitumée jadis.

Le soulagement s’appelle Kondébadou (Macenta) où, au milieu de nulle part, surgit un ruban de bitume en parfait état qui serpente à travers la forêt et illumine les visages d’un sourire presque involontaire. L’habitat est très dispersé à travers un relief vallonné. Des hameaux défilent à intervalle irrégulier d’un côté et de l’autre de la route ; puis apparait la ville de Macenta encastrée dans une cuvette cernée de montagnes granitiques.

A 30 km de Macenta, changement de décor. Les clairières et les montagnes chauves font place à une forêt dense et humide. C’est le massif du Ziama avec son micro-climat exceptionnel. Des arbres au tronc démesuré s’élancent dans le ciel formant une canopée céleste. La route franchit un col donnant accès à la cuvette de Sérédou située à 37 bornes de Macenta-centre. Nous sommes au cœur du Ziama.

Le Ziama est un massif montagneux de la dorsale guinéenne, mais c’est aussi et surtout une réserve forestière de près de 120.000 hectares à cheval entre la Guinée et le Libéria voisin. Erigé en forêt classée depuis 1942, le site compterait plus de 1.300 espèces végétales. Un havre de paix pour pas moins de 547 espèces animales, dont 22 espèces protégées par la convention CITES pour le respect de laquelle la Guinée est un mauvais élève. Selon un vieux recensement daté de 2004, on dénombrait 214 éléphant, y compris le fameux éléphant nain d’Afrique. Ziama est classé patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1980.

Sa biosphère est si attractive que l’ancien gouverneur de l’Afrique occidentale française (AOF), qui avait pour résidence Dakar, venait se la couler douce ici-même pendant ses vacances. Il s’était tapé une coquette cabane dans la montagne, à Quinadou, à 15 km de Sérédou-centre. La maison est aujourd’hui en ruines, au grand dam du maire de la commune rurale.

Grâce à la fameuses forêt de quinquinas du Ziama, la Guinée disposait de l’un des premiers laboratoires de production de la quinine en Afrique. Les quinquinas sont toujours là, mais le labo lui est mort enterré. Un sort identique a frappé la célèbre scierie de Sérédou aux immenses hangars qui meurent à petit feu, rongés par la rouille sous le regard attendrissant du massif montagneux.

Le défi de la préservation des trésors de biodiversité du Ziama s’est toujours posé avec acuité. La majorité de la population riveraine dépend de la forêt d’où elle tire l’essentiel de sa nourriture à travers l’agriculture, la chasse et l’exploitation du bois. Les métiers les plus courants à Sérédou ? La menuiserie et le braconnage. Et si l’on lorgne de plus près, on ne sera pas surpris de découvrir un petit trafic d’animaux protégés.

Depuis près d’un demi-siècle, différents projets ont été mis en œuvre pour préserver les richesses fauniques et floristiques de la réserve, avec plus ou moins de succès. Pour décourager les braconniers et les trafiquants des produits ligneux et animaliers, une unité d’une centaine de gardes forestiers non armés veille au grain. Autant dire, une goutte d’eau dans l’océan de verdure du Ziama.

Pour préserver toutes ses richesses et espérer en tirer profit à travers l’éco-tourisme par exemple, il faut plus que des mesures coercitives. Il est impératif de développer des activités génératrices de revenus en faveur des riverains afin qu’ils fassent la substitution.

Cela pourrait passer par le café car le terrain est très propice. Quelques producteurs locaux, réunis en coopératives, essaient de perpétuer une culture domestique du caféier sur flanc de montagne. Leur combat consiste également à labéliser le café du Ziama aux saveurs exceptionnelles selon les connaisseurs.

En tout cas, siroter une tasse de café du Ziama dans la maison réhabilitée de l’ancien gouverneur, à Quinadou, est un rêve que je caresse avec tendresse…