Conakry, obscurité 2.0
Quand l’astronaute belge Frank De Winne avait le mal du pays la nuit dans l’espace, il lui suffisait de chercher une zone particulièrement lumineuse sur la terre, a-t-il raconté un jour. Avec 335.000 lampes qui s’illuminent la nuit tombée, les autoroutes belges sont les plus éclairées du monde à tel point qu’elles sont visibles depuis l’espace ! Vue de Conakry, cette info a tout le don de me faire marrer. Et pour cause !
En décembre dernier, je publiais directement sur la plateforme Mondoblog un billet intitulé « Wéé, tè faa !! ». J’y décrivais alors la liesse des enfants des quartiers obscurs de Conakry quand le courant revenait dans les foyers. Ils célébraient ce retour dans une clameur bluffante avec cette rengaine de « Wéé, tè faa » qu’on peut traduire par « Youpi, la lumière » ; criée en langue vernaculaire Soussou.
A l’époque, le courant était fourni un jour sur deux dans le meilleurs des cas. Chaque quartier attendait son tour avec impatience, l’interrupteur des ampoules invariablement placé sur « ON » pour guetter le moindre scintillement. Les enfants, tels des sirènes des temps modernes, donnaient l’alerte les premiers en sautant et gambadant partout comme des enragés. Les adultes (les femmes en tête) le visage illuminé, regagnaient les salons pour se rincer l’œil sur des soap-opéras devenus ringards chez les autres depuis des lustres.
C’était la belle époque, le bon vieux temps comme on aime le dire ici. L’époque où le mot « délestage » avait un peu de sens. L’époque où le Yé-guilassé (eau fraiche) et autres bonbons façonnés à la six-quatre-deux se promenaient sur la tête des gamins morveux qui se la fendaient à force de crier. Comme une coépouse, chaque quartier attendait son « tour » du courant dans un compte à rebours dont les marmots détiennent le secret. Eh bien, depuis quasiment six mois le « Wéé, tè faa !! » est devenu extrêmement rare. Le courant joue la météo à la Texan Camara (présentateur télé). Les enfants semblent avoir perdu la notion de « tour » et ont arrêté le décompte dans certains coins de la ville, à force d’être désabusés par l’Electricité de Guinée (EDG). Les femmes ont rangé la télécommande.
Dès la tombée de la nuit, le noir s’installe et règne partout en maitre absolu que n’osent lui disputer que les indélicats moustiques. Il a même atteint une version plus évoluée : l’obscurité 2.0. Quand le soleil décline à l’horizon, un voile obscur recouvre les cinq communes de la ville les plongeant dans un océan d’obscurité où apparaissent quelques îlots de lumière formés par les maisons cossues. Cibles idéales pour les gangs armés qui terrorisent les citoyens. Même la commune de Kaloum, siège de l’Administration n’y échappe pas. Traditionnellement, Kaloum qui abrite le palais présidentiel et quelques chancelleries occidentales est toujours éclairée.
Chaque année, les candidats aux examens de fin d’année sont attirés tels des insectes, par l’éclairage des stations d’essence, l’aéroport de Gbessia-Conakry et l’ambassade des Etats-Unis à Koloma. Cette année, leur nombre a triplé. Ils sont ainsi des milliers à devenir des mendiants de lumière dans un pays aux ressources énergétiques incommensurables.
La Guinée, scandale géologique et château de l’Afrique de l’Ouest, est l’un des rares pays au monde à utiliser des centrales thermiques pour se fournir en courant électrique. Des centrales au nom évocateur de « Tombo » où repose notre électricité (suivez mon regard). En début d’année, des agents de l’EDG avaient été accusés d’avoir administré aux groupes de cette centrale du mazout de mauvaise qualité à l’origine de la crise actuelle. Le ministre en charge de l’énergie avait fait sauter ces « fusibles », taxés d’irresponsables. Six mois plus tard, le problème a empiré devenant un casse-tête chinois. Récemment, le même ministre s’en est pris à son homologue des finances, l’accusant des lenteurs pour l’accès aux sous alloués à son département.
Une guéguerre interministérielle loin des préoccupations de ces vendeuses de bonbons glacés qui ont vu leur chiffre d’affaire fondre comme neige au soleil. Si Frank De Winne était amené à retourner dans l’espace, qu’il vise la zone particulièrement obscure de la terre, il reconnaîtra mon pays, la Guinée !
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