Guinée, les recettes de la malbouffe
Pizza ! Peu de meufs de Conakry savent où se trouve la ville de Rome, mais à l’évocation de ce mot de cinq lettres, le carte de l’Italie se dessine instantanément dans leurs yeux qui pétillent de gourmandise. Elles pensent «Resto».
Dans la capitale guinéenne, les hobbies respectent le genre : les garçons se ruinent (y compris le moral) dans les jeux de hasard et les championnats de foot européen, tandis que les filles se gavent de soap-opéras, de chawarmas et de pizzas !
«Au resto, tu l’amèneras». C’est quasiment un commandement à Conakry. Un jour ou un autre, pour concrétiser ou affermir une relation amoureuse, le passage par la case resto est obligatoire. Pour le meilleur et pour …la pizza !
Il y a quelques mois, je décidai, un soir, de revêtir les habits de la galanterie masculine pour offrir un copieux dîner à une princesse dans un resto propre d’un chic quartier de la banlieue. Elle voulait – naturellement – de pizza, moi de maquereau braisé. Bien que la cuisine ait toujours été une horreur pour moi, je lui sortis une leçon culinaire digne d’un cordon bleu. Je réussis à convaincre ma belle – c’était une personne fort sympathique – d’apprécier le goût exquis d’un maquereau braisé et assaisonné, pêché dans les eaux poissonneuses de notre Guinée natale. Mal m’en a pris !
On s’installa. Au bout de 30 longues minutes d’attente, le serveur déposa à notre table une forme noire faiblement éclairée par le halo d’une lampe chinoise. En ôtant le couvercle, je faillis gerber à l’odeur pestilentielle du poisson pourri. Stocké dans un frigo boudé par le courant rebelle d’Electricité de Guinée, le maquereau était sans doute dans un état de putréfaction avancé avant de monter sur le gril du restaurateur véreux. Je voulus créer un scandale, mais me ravisa devant le regard attendri de la biche. Je payai 50.000 francs et quittai le maudit resto avec la décision de ne plus jamais y remettre pied.
Les explications mielleuses de ma compagne ne réussirent pas à me convaincre d’aller manger une pizza ailleurs. Elle ignorait que j’en avais également une très mauvaise expérience.
Quelques années plus tôt, obnubilé par l’enseigne d’un resto de province qui annonçait «PIZZA AU FEU DE BOIS», j’avais décidé de goûter, la première fois, à cette spécialité italienne. La nuit suivante je me rendis compte que j’avais pris un puissant laxatif !
De ces mésaventures, j’en ai tiré une leçon : le Guinéen ne sait pas bien manger !
Voici quelqu’un qui, gâté par la nature (en plus du scandale géologique), a décidé d’être un oisif et de vivre le supplice de Tantale sur sa propre terre. Il mange avec un lance-pierre, tandis que les tubercules, les arachides, les agrumes, le fonio et le riz produits dans son paradis perdu sont vendus et consommés ailleurs. Il est rare de voir un compatriote prendre un dessert après le repas. Un repas sommaire et souvent insipide : du riz blanc importé d’Asie accompagné d’une sauce survoltée de l’huile rouge et de piment.
Le riz n’est pas simplement le principal aliment de base des Guinéens, on vit quasiment sous sa dictature. Il nous envahit, on en mange matin, midi et soir. Omniprésent, roi des gargotes malfamées du pays, le riz est considéré comme LE repas. Pour nous, manger c’est avant tout manger du riz. Il est souvent pathétique de voir les Guinéens fondre sur les plats de riz lors des séminaires et rencontres organisés à l’étranger. Il est si prisé qu’il devient régulièrement un enjeu politique et électoral. Du riz contre des voix, on en connait.
L’alternative à cette monotonie gastronomique c’est l’Attiéké ivoirien, ou du moins ce qui en ressemble. A la nuit tombée dans les quartiers de Conakry, au moment où l’on se demande avec quoi dîner, des femmes installées entre deux feuilles de tôle rouillée servent une espèce de poudre de manioc à peine chauffée que l’on dilate avec trois cuillérées d’huile d’arachide et une tête de poisson frit comme accompagnement. Une vraie bombe à retardement sanitaire.
A l’image de la ville de Conakry (vous avez dit une poubelle à ciel ouvert ?), le manque d’hygiène est horripilant. Au marché, en bordure de route, dans les gargotes, les aliments sont vendus et consommés dans la saleté, au milieu d’un essaim de mouches et autres coléoptères. Dans l’indifférence totale des autorités. La Guinée est le seul pays à ne pas avoir une politique de panification. Les boulangers, qui n’en ont cure de l’hygiène, fabriquent et vendent le Tappalapa (principal type de pain) dans des conditions qu’il vaut mieux ne pas connaitre. Au sortir du four, un Tappalapa est souvent un sandwich insoupçonné : ouvrez pour voir son contenu.
De cette alimentation infecte, nos parents vivant au village étaient jusque là épargnés, consommant ce qu’ils produisaient de leurs propres mains de façon biologique. L’exode rural et la montée de la pauvreté ont inversé cette tendance. Les fils s’estimant plus aisés, les fourguent régulièrement de ce riz blanc et de la mayonnaise frelatée dont une bouteille ouverte peut durer jusqu’à deux mois par souci d’économie.
Les conséquences de cette malbouffe nationale se mesurent à l’hôpital. Hypertension, constipation, colopathie et hémorroïdes font des ravages. Mais comme toujours chez nous, on trouve les raisons de ces maladies ailleurs.
C’est aussi « d’ailleurs » que nous viennent la pizza et le chawarma que les filles de Conakry, en mal de repères alimentaires, s’emploient à exalter. Bon appétit mesdemoiselles.
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