L’Angola, ce pleurer-rire pour les Guinéens
Pour petit Soul «game is over». Il est rentré à la maison. Son vol s’est posé cet après-midi à l’aéroport international de Conakry-Gbessia. Un coup de fil et je suis allé l’accueillir. Un jean délavé, un t-shirt sur les épaules, de simples repose-pieds et un regard de détresse. Mon frangin a été charterisé, renvoyé, rapatrié de L’Angola. Un sort qu’il a partagé avec 44 autres compatriotes.
Soul rêvait de l’Angola, il y est allé mais n’aura vécu que trois mois au pays du patriarche José Eduardo dos Santos. Exactement 95 jours qu’il a passés à égrainer un à un à la prison de haute sécurité de Tirinta dans la banlieue de Luanda, déclinée en «Centre de rétention» à l’intention de la presse et les organisations de défense des droits de l’Homme. Un cachot où sont entassés des centaines d’immigrés ouest-africains, nourris à une gamelle de pâte à base de maïs une fois les 24 heures.
Terminé. Le rêve de petit Soul a volé en éclats, se fracassant sur les durs flancs de la réalité. Celle d’une odyssée irréaliste qui l’a mené en Angola, ce pays de cocagne qui cristallise les fantasmes de nombreux jeunes guinéens. Soul a dépensé 4.500 dollars US pour un voyage de neuf mois, traversant près de 10 pays avant de s’échouer sur les côtes de Luanda à bord d’une embarcation de fortune. Pour être immédiatement pêché par des policiers pourris qui ont fini par le jeter à Tirinta, faute de pouvoir monnayer sa libération contre 400 dollars américains.
Il n’a pas eu de bol comme certains de ses compagnons de fortune qui ont réussi à se faufiler ou se faire «racheter» par un frère, un cousin après leur arrestation. Mais il a été nettement plus chanceux qui ceux qui ont péri noyés au cours de la traversée en pirogue entre Pointe-Noire et Luanda, ou qui sont morts de faim et de fatigue durant le voyage.
La police de l’aéroport de Bruxelles peut l’attester : depuis près de 10 ans, l’Europe ne constitue plus un attrait pour les Guinéens. Ceux-ci sont attirés par les scintillements des diamants angolais et les dollars issus de la vente des matériels électroménagers dans ce pays pétrolier de 18 millions d’habitants, vaste comme cinq fois la Guinée. En attestent les villas cossues qui poussent comme des champignons dans les nouveaux quartiers de la haute banlieue de Conakry et les titres d’El-hadj et de Hadja (pèlerins) dont s’enorgueillissent de nombreuses personnes du troisième âge, grâce à un fils qui vit en Angola.
Combien de familles guinéennes dépendent aujourd’hui entièrement d’un fils, d’un père ou d’un mari immigré dans ce pays ? Des success-sotries qui ont aiguisé les appétits, jetant chaque année des milliers de jeunes guinéens sur le chemin périlleux de l’Angola. Clandestinement.
Selon une note de l’Ambassade de Guinée à Luanda transmise à la presse fin février 2012, entre 50 et 60.000 Guinéens vivent dans ce pays, dont seulement 800 de façon régulière ! Des Guinéens de plus en plus victimes de persécution, de rafles, de tortures et de violence gratuite de la part des forces de sécurité angolaises ou de simples citoyens. Entre mars 2011 et février 2012, 15 ressortissants guinéens, dont une femme par viol, ont été tués à travers le pays et des centaines d’autres croupissent actuellement en prison (130 à Tirinta, selon la même note). Les vols charters en provenance de Luanda se multiplient à l’aéroport de Conakry. Cela n’a pas empêché l’arrivée en Angola, au cours de l’année 2011, de 410 personnes se réclamant de nationalité guinéenne. Parfois des clandestins récidivistes qui tentent une seconde chance.
L’Angola est devenu un nouvel eldorado pour les Guinéens qui préfèrent s’expatrier, quitte à en mourir, pour fuir la misère qui étrangle leur pays, un concentré de richesses inexploitées qui n’a rien à envier à la patrie de Savimbi. Une situation tragi-comique, un pleurer-rire qui sonne pour nous comme celui du personnage de Bwakamabé Na Sakkadé de l’écrivain congolais (RDC) Henri Lopes. Triste reality!
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