28 septembre 2011

Le jargon des officiels guinéens

Depuis l’indépendance de la Guinée voici 53 ans, les officiels guinéens, à travers leur langage emblématique, ont écrit un véritable bréviaire d’expressions imagées. Extraits.

–      Nous ne ménagerons aucun effort pour… : De Touré à Condé, cette expression a traversé les âges. C’est le leitmotiv de rares inaugurations d’édifices publics par les gouvernants, de remise de dons (encore plus rares, sauf en période électorale), de réception de doléances ou de lancement de programmes de développement foireux tous azimuts. Les ministres en sont les dépositaires agréés ; ils ne ménagent aucun effort pour sa perpétuation en maintenant le pays dans…l’ornière.

–      La Guinée est une famille : C’est manifestement la plus populaire et la plus controversée. Un certain Néné Moussa Maléya y a consacré un bouquin à forts relents d’ethnologie et d’anthropologie. Des critiques ne manquent pas de lui remonter régulièrement les bretelles par médias interposés. En temps de paix, le concept est jeté aux oubliettes. Dès qu’une crise survient on le ressort, le dépoussière. Des officiels embouchent alors le Vuvuzela de la paix, se relayant à la Radio Télévision Guinéenne (RTG), véritable caisse de résonnance de baratins, pour s’époumoner : « La Guinée est une famille ». Mon œil !

–      Sortir le pays de l’ornière : C’est le refrain en temps de crise. Et Dieu sait que la Guinée en connait des crises. Depuis pratiquement six ans, chaque fin d’année est synonyme de cassage de gueules en règle. Et  à chaque fois, des acteurs qui ont justement contribué à foutre le pays dans le pétrin font feu de tout bois, jouent les bons samaritains clamant que c’est pour sortir le pays de l’ornière ! Avec la dernière crise en date entre pouvoir et opposition au sujet des législatives, l’expression est plus que jamais en vogue.

–      Aller de l’avant : celle-ci a surtout fait fureur en 2007.  C’est Rabiatou Serah Diallo, l’actuelle présidente du CNT (Conseil National de la Transition, un machin qui fait office d’Assemblée Nationale) qui détiendrait le brevet d’invention. Lors de la crise insurrectionnelle qu’a connue la Guinée en 2007, Rabiatou qui était à la tête du Syndicat, ne ratait aucune occasion pour claironner qu’on doit « aller de l’avant, pour que le pays aille de l’avant,…». En 2011, nous sommes arrivés à ce « avant » : elle est passée du Syndicat au CNT et le pays a fait du surplace côté crises.

–      L’Etat c’est moi, la Justice c’est moi : Son auteur, le Général Conté, a tiré sa révérence fin 2008. Il l’avait lancée deux ans plus tôt, en décembre 2006 en sortant de taule son ami Mamadou Sylla. L’effarante formule a servi de détonateur aux insurrections qui ont suivi cette libération faisant plusieurs morts et blessés parmi les civils et des destructions d’édifices publics et privés sans précédent. Même si aucun officiel ne reprend cette expression à son compte, les gens ordinaires l’emploient souvent pour se marrer ou pour rappeler la confiscation du pouvoir par l’Exécutif dans ce p’tit bout de territoire de 245 857 km2. A l’époque, le pays était allé très loin !

–      Le pays vient de loin : Autre rengaine en temps de guerre. Cette formule, en guise de dissuasion, est utilisée par les « en-haut-de-en-haut » pour rappeler les pages sombres de l’histoire du pays. En clair, les différents complots de Sékou Touré (1971), le pogrom contre les officiers Malinkés en 1985 par Lansana Conté, les évènements « douloureux » de 1993, 1996, 2006, 2007, 2010 et la boucherie de Dadis du 28 septembre 2009, entre autres. La liste est longue ; à chaque fois le sang coule et le pays continue à aller de l’avant en (re)venant de loin !

–      Guinea is back : c’est la toute dernière née. Elle est signée Alpha Condé, l’actuel locataire du palais Sékoutouréyah. « Guinea is back » a-t-il lancé le 21 décembre 2010 lors de son investiture devant un parterre d’homologues africains. Son sens est flou et se prête à toutes les interprétations. Pour les pro-Alpha, c’est le retour de la Guinée dans le concert des nations. C’est une simple démagogie rétorquent ses détracteurs. Soit. En tout cas, la formule continue à faire des émules. Ministre, secrétaires, généraux, commis de l’Etat, simples courtisans se sont mis à l’anglais pour sa répétition. Entre Guinée et Guinea (prononcez Guinéya), c’est chacun comme il peut dans la prononciation. L’expression est souvent associée au concept de « changement », un autre fourre-tout ronflant, cheval de bataille d’Alpha Condé. Elle a même accouché une ONG ! S’il est opportuniste le Guinéen ?

–      Le Président de la République, … : Après ces mots, on ajoute simplement le nom du président dans bien d’Etats démocratiques. Chez nous ce serait de l’indécence. Les prédicats présidentiels prennent ici des allures d’épilogue. Ainsi, avec le premier président, Sékou Touré, c’était : Son Excellence le Président Ahmed Sékou Touré, l’Ami du Peuple, le Responsable Suprême de la Révolution. Le 2ème,  Conté, se faisait appeler : Son Excellence le Président de la République, Commandant en Chef des Forces Armées, le Général Lansana Conté. L’actuel, Condé, élu et civil, s’adjuge un modeste: Son Excellence, le Président de la République le Professeur Alpha Condé. C’est le bouillant capitaine Dadis qui s’est emparé du pouvoir en décembre 2008 à la mort de Conté qui détient le record. Il faut dire qu’il est recordman dans beaucoup de domaines lui. Prenez une longue inspiration pour lire : Son Excellence Monsieur le Président de la République, Président du Conseil National pour la Démocratie et le Développement, Commandant en Chef des Forces Armées Guinéennes, le Capitaine Moussa Dadis Camara ! Excusez du peu. Ces prédicats, quoique kilométriques, étaient systématiquement répétés à chaque fois que l’on faisait référence à lui. Jusqu’à un soir de 3 décembre 2009 où un certain Diakité « Toumba » Dadis. Comme le titrait, dans ce subtil jeu de mots, l’hebdo satirique Le Lynx, consacré à sa tentative d’assassinat de la part de on aide de camp Touma Diakité.

Et vous, connaissez-vous d’autres expressions de nos officiels ? 

 

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Commentaires

Abdoulaye Bah
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Analyse très intéressante.

Celle que je trouve la plus amusante parmi ces expressions qui reflètent une triste réalité de notre pays, c'est "la Guinée est une famille". Chaque fois que je l'entendais, lorsque j'étais la-bas, je disais que si c'était vrai, ce devait etre une famille pleine de bâtards. Nous ne savons pas ce que veut dire amour fraternel.

Il suffit de voir les réactions aux violences et exécutions extra-judiciaires dont l'histoire de la Guinée est parsemée. Devant les crimes les plus abominables, nous réagissons en fonction de notre communauté tribale avec celui qui est au pouvoir.

Malgré toutes les violences et crimes commis par le régime du tyran Sékou Touré, qui sont documentés dans de nombreux livres des survivants du camp Boiro, les rapports d'organisations internationales, il y a encore un grand nombre de guinéens qui le défendent, principalement parmi les intellectuels qui appartiennent à son ethnie, oubliant que dans sa tyrannie et son incapacité à développer le pays, les ressortissants de sa région ont payé un lourd tribut.

Sous Dadis Camara, il y a eu les massacres que l'on connait. Il avait recruté près de 6000 individus (source Human Right Watch) à utiliser pour défendre son régime. Mais une des personnalités choisies par le Président Alpha Condé (je m'excuse de ne pouvoir ajouter le "Professeur" car j'ai rencontré des personnes qui l'ont connu vers le milieu des années '50 et qui doutent fort qu'il ait terminé ses études) à la tête de sa structure devant aboutir à la Commission Vérité Justice et Réconciliation, a oublié qu'il portait la soutane et que sa fonction devait l'inciter à faire des sermons d'amour et de piété, pour prendre des positions défendant des crimes considérés comme contre l'humanité.

FotéPorto
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Moi c'elle qui me fait rire jaune, c'est "Si je suis là/président, ou si c'est comme ça... c'est la volonté de DIEU". Il a facilement bon dos dans la bouche des Guinéens pour se donner une bonne raison de subir ou de faire subir. En tout cas, tout les présidents y on eu recoure à un moment ou à un autre, alors que ce même Dieu ne les a pas choisi mais surement abandoné depuis longtemps.

Merci Alimou pour ce belle article tristement divertissant.
Comme toujours c'est un plaisir de te lire.

Alimou
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@Abdoulaye Bah, les Guinéens auront compris de qui il s'agit, l'homme de la soutane.

Hé, mon ami @FotéPorto, tu es le plus fort puisque t'as toujours, toi aussi dans tes commentaires, quelque chose à nous offrir à se mettre sous la dent. Continue. Big up!

Bachir Sylla
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Encore une fois, tu as fait preuve d'une belle inspiration. Bon courage !