23 mai 2011

Qui est vraiment Nafissatou Diallo?

Illustration "affaire DSK"/Oscar

L’adverbe « vraiment » ci-haut dans le titre de ce billet a valu au site Slate.fr une explication détaillée suite à un déchainement de cris d’orfraie qu’il a suscité dans un article portant le même titre. C’est le lieu donc de préciser qu’il est loin de moi la volonté de surfer sur la vague – le mot vaut son pesant d’or – pour « wikileakser » la vie privée d’une personne qui souffre déjà dans son âme.  Mais après avoir avalé des kilomètres et des kilomètres de textes et d’images, parfois hallucinantes comme cette vidéo d’interview de Madame Doussou Condé, sur Nafissatou et sur la Guinée, je me devais d’apporter des précisions pour moi-même d’abord. Je n’ai pas trouvé mieux que cet article, puisé à la source, qui s’étale à la page 4 du Numéro 997 de ce 23 mai 2011 du Satirique guinéen Le Lynx. Lisez plutôt.

Nafissatou…sur l’affaire DSK

Nafissatou Diallo, la femme de chambre du Sofitel New York qui accuse Dominique Strauss-Kahn, l’ex-Directeur Général du Fonds Monétaire International de l’avoir violée a vu le jour dans un petit hameau coincé là-bas entre monts et vaux, dans la préfecture de Lélouma. Que d’acrobaties pour y arriver. Il faut braver une piste poussiéreuse et caillouteuse ici, montagneuse, inaccessible aux véhicules là. Ne parlez surtout pas du Moyen Age ! Le 19 mai des journaleux étaient sur les traces de Nafissatou. Boubacar Siddy Diallo, frère ainé de Nafissatou Diallo nous a accueillis, nous a parlé à cœur ouvert. « Vous ne vous êtes pas trompé de chemin. Tchakulé est le seul village du Foutah qui porte ce nom. Nafissatou est née dans cette maison que vous voyez ».

Commence alors une visite de ce petit village paisible, dans un bas fonds coupé du monde. « Elle est née dans cette maison, à l’époque, une case. Sa sœur Hassanatou Diallo qui l’a fait venir aux Etats-Unis auprès d’elle a cassé la  case pour construire cette belle maison ». Dans le hameau, sept maisons en dur, l’une équipée d’une antenne parabolique et de deux panneaux solaires. « Nous sommes isolés du monde, mais grâce à cette antenne parabolique, nous suivons les championnats de football du monde. J’adore le football et plus particulièrement la Liga » lance Boubacar Siddy comme pour impressionner. Bel homme, malgré les rides du visage.

« Nous ne sommes pas riches, mais notre village est béni. C’est Dieu qui nous préserve ici » sourit-il. Au beau milieu du village, une petite mosquée en construction. On remonte dans la maison où est née Nafissatou. Jolis meubles, grand salon, un couloir, deux chambres à coucher de chaque côté. Sur le mur, deux photos encadrées : deux doyens assis de l’une, pour la seconde, une très belle dame en tenure africaine. « C’est la photo de notre papa, la seconde photo est de Nafissatou, ma sœur ». Boubacar Siddy marque une pause et attaque l’histoire de Nafissatou Diallo. « Depuis sa tendre enfance, Nafissatou se distingue de ses copines. Elle ne parle pas beaucoup, aime travailler. Elle passait le clair de son temps à la vaisselle, au linge ou à la propreté de la maison. C’est une solitaire, je dirais une marginale, qui ne s’intéresse pas au futile ». Boubacar Siddy poursuit que sa sœur a grandi dans la stricte culture musulmane de son Lélouma natal qui regorge d’érudits. A sa majorité Nafissatout et son cousin Abdoul Gadiri Diallo décident de convoler en justes noces. Le mariage est célébré selon les rites du Fouta Djallon. Nafissatou et son mari vivront ensemble des années. Ils auront une fillette. Gadiri tombe malade, décède.

« Contrairement à ce que les gens disent, ma sœur et son mari formaient un couple exemplaire. Ils s’aimaient beaucoup, étaient très pieux ». Son mari enterré, Nafissatou décide de s’éloigner de Tchakulé pour oublier. Elle s’installe à Conakry, Hassanatou Diallo vit à New York, veut que sa sœur l’y rejoigne. Nafi obtient son visa. Boubacar Diallo raconte : « Elle est revenue ici radieuse. Elle m’a dit : frère, j’ai mon visa pour les Etats-Unis, je vais partir, mais je ne t’apporterai aucun cadeau, hein ! Elle éclate de rire. Nous étions contents pour elle. Moi, surtout, qui rêve d’aller aux Etats-Unis ».

Nafissatou Diallo quitte Tchakulé un soir après avoir dit au revoir à tous les siens. Ses parents restés à Tchakulé ne l’ont plus revue. « Elle n’a aucune réalisation dans  ce village. Nous, enfants de même père qu’elle, elle ne nous appelle pas, ne nous apporte pas d’argent, rien, contrairement à sa sœur Hassanatou qui pense à nous et qui a construit ici comme vous le voyez. Mais, cela n’est pas grave, l’essentiel pour nous est qu’elle se porte bien et qu’elle n’a pas de problème. Nafissatou est la benjamine de six enfants de même mère, même père. Moi, je suis l’ainé de quatre de même mère, même père. Nous sommes dix donc. Nafissatou ne pense qu’à ses frères de même mère et même père qu’elle. Mais, cela c’est l’Afrique, on le comprend ». Siddy fronce la mine, réprime une montée d’adrénaline.

« Etes-vous au courant que votre sœur a des problèmes aux Etats-Unis là où elle travaille ? », hasarde le Moutard Bah de RFI. Réponse de Siddy : « Non ! C’est vous qui nous l’apprenez. Je vous ai dit qu’elle n’a pas de contact avec le village. Nous n’avons pas de ses nouvelles. Il y a quelques années, lorsque notre papa est décédé, je l’ai appelée de Bissau pour lui présenter mes condoléances. Lorsqu’elle a décroché elle ad dit que ces numéros de téléphone d’Afrique ne l’enchantent pas parce que les gens en Afrique ont trop de temps pour parler alors qu’elle a beaucoup de boulot à abattre par jour aux Etats-Unis pour gagner sa vie dignement. Cela m’a vexé. Lorsqu’elle a su que c’était moi au bout du fil, elle s’est excusée, mais le mot était parti. Depuis ce jour, j’ai décidé de ne plus l’appeler. Voilà. Alors elle a un problème là-bas ? »

Après que le Moutard Bah, sans  entrer dans les détails, a eu dit la situation de Nafissatou à New York, Siddy a lâché attristé : « Que Dieu aide ma sœur, veille sur toutes mes sœurs et frères qui vivent hors de ce village ! »

Nafissatou Diallo, nous a expliqué Siddy, est la fille de Thierno Ibrahima Diallo et de Néénan Aissatou Diallo. Son père, décédé à l’âge de 98 ans, était un érudit très versé dans le coran. « Sa maman se trouve au Sénégal pour des soins. Inutile de me demander son numéro, je ne l’ai pas ».

Mamadou Bhoye Bah, l’aidé de toute la famille, 82 ans, assis, tête baissé, une canne à la main, a suivi toute la scène, entendu tout. Il lève les des yeux qui brillent dans un visage entièrement bouffé par des rides. « J’avais entendu une radio annoncer qu’une femme a eu un problème chez les Blancs, mais je ne savais pas que c’est notre sœur. Maintenant, par vous, je comprends qu’il s’agit d’elle. Nous prions pour elle et compatissons à ses peines. Nous sommes de cœur avec elle ».

Les habitants de Tchakulé vivent dans « leur paradis », loin des politiciens et leurs discours sirupeux, loin de la crise  économique qui mine la Guinée, loin des coupures de courant et d’eau. Ici, pas de moustiques, fait pas chaud. Ce qui compte, c’est l’agriculture, c’est le Coran, c’est la mosquée. Pour très peu, le commerce.

Les marmots de Tchakulé semblent heureux. « Nous n’avons pas de réseau téléphonique. Il nous faut aller loin à pied vers une zone couverte par des opérateurs. Nous n’avons pas de centre de santé, pas d’école. Un marché se tient ici tous les jeudis, c’est là que nous faisons nos achets. Mais, nous nous sentons très bien dans ce village que nous aimons » conclut Boubacar Siddy Diallo.

Abou Bakr

P-S : des proches de Nafissatou que je côtoie m’ont dit qu’elle a eu deux autres garçons qui sont décédés en plus de sa fille, amizo, 15 ans. Selon eux, c’est en 2001 qu’elle est allée aux Etats-Unis en gagnant la loterie américaine (Green Card).

 

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Commentaires

Boukary
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Merci mon frère !
Même si c’est trop dit en africain, je ne cesse pas de répéter que l’internet est comme le monde entier dans un grand vestibule, un vestibule de partage de tout. Il suffit d’être connecté à Internet pour être connecté au monde entier. A travers ce reportage, j’ai eu grande envie d’être sur les lieux.
Merci vraiment pour ton courage dans cette recherche.

algassimou diallo
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cet article contient des informations plus renseignantes que celles que j'ai eu à apprendre. c vraiment extraordinaire!

Christelle
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Te voilà un vrai journaliste d'investigation. Bravo!!

tounkara tkilla
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man cool ça mais pourquoi ya pas de tofs de son village la maison familiale et tout.ça aurait été la cerise sur le gateau anyway tu es un maestro so massive respect.tkilla