Respirez, c’est la Basse-Guinée !
Sortir. Sortir la tête des dossiers, ranger souris et clavier pour se refaire les idées le temps d’une journée. Sortir surtout de Conakry, ville surdimensionnée, ville-élastique, ville-capharnaüm avec ses rues étriquées et encombrées, ses quartiers surpeuplés, ses habitants pressés et indisciplinés, son air irrespirable, empesté d’odeur de détritus brûlés à même la chaussée. S’échapper de ce chaudron de cité pour aller humer l’air pur de l’intérieur du pays, pour communier avec la nature qu’on a réussi à mutiler et à transformer dans la capitale.
Mes collègues et moi avons réussi ce pari, un fameux jeudi 14 mars, en 2013.
Cap sur Koba, dans la zone de Boffa. Un écrin de beauté à l’état pur niché au cœur de la Basse-Guinée, l’une des quatre régions naturelles du pays à l’origine du nom de « Rivières du Sud » de la Guinée d’antan. Nos 4×4 avalent les quelque 150 kilomètres d’asphalte en un rien de temps. Le nez collé à la vitre, l’œil rivé à l’horizon, appareil photo dégainé, je redécouvre la beauté de mon pays, en mode touriste.
La ville de Dubréka franchie, les montagnes imposantes de la dorsale guinéenne défilent rapidement à ma droite, faisant place à un pays plat au paysage époustouflant. Des cocotiers élancés, des palmiers symétriquement rangés alternent avec des plaines verdoyantes et encaissées. L’habitat est dispersé. Les gamins couverts de poussière courent les ruelles, l’air insouciant. Des femmes lavent le linge dans les cours d’eau sous les ponts. Des cases en banco et des maisons aux tôles rouillées rappellent le classement PNUD 2012 de la Guinée au rang de 178ème pays le plus pauvre au monde. Le grincement des quatre ponts métalliques de Tanènè, construits sur le Konkouré à la faveur du projet de l’usine d’alumine de Friguia, à Fria (première en Afrique, aujourd’hui à l’arrêt), confirme tristement ce classement.
«Qu’avons-nous fait de nos 54 ans d’indépendance ? »
J’ai failli poser la question au feu Général Lansana Conté dont la statue est figée pour l’éternité à la sortie de Tanènè. Virage à gauche, nous entrons sur les terres de l’ancien président de la République, mort le 22 décembre 2008 et enterré ici. Une belle palmeraie, quelques routes bitumées et des coquettes mosquées. C’est l’héritage qu’il a laissé à «ses parents» qui continuent à le bénir. Aucune infrastructure impressionnante. Je suis un peu déçu par rapport aux légendes qu’on entendait du temps de Conté, et qui faisaient de Koba un pays de cocagne.
Encore quelques kilomètres, cette fois sur une piste rurale poussiéreuse, avant d’arriver à Filaya où nous visitons un projet agricole. Quarante-cinq hectares de plaine de mangrove aménagés grâce au financement de l’Agence Française de Développement (AFD) dans le cadre d’un vaste projet de rizière. Des digues à perte de vue pour maîtriser l’eau salée d’un bras de mer. Le rendement est de 2,5 tonne de riz à l’hectare, explique le coordinateur du projet qui emprisonne dans sa main une carte en couleur de la zone. Du riz 100% bio, obtenu grâce à des techniques d’irrigation simples. On n’a pas les chiffres exacts sur le nombre de personnes impactées par le projet, mais des paysans dépenaillés, visiblement impressionnés par les visiteurs, se disent «satisfaits».
Je me dis qu’avec une politique agricole cohérente, la Guinée pourrait assurer son autosuffisance alimentaire et exporter ses excédents de production, surtout en riz. L’idée est géniale mais reste un rêve pour l’instant. D’ailleurs, je ne puis m’empêcher de sourire en pensant à ces tonnes de riz blanc insipide en provenance d’Asie dont on nous gave…
Le soleil est au zénith, l’air devient chaud et sec. Un bon repas et une petite sieste s’imposent. Pour ça, il existe un endroit idéal situé à un jet de pierre de là : l’Auberge du lac.
C’est un hôtel rustique installé sur un domaine de quatre hectares (dont un et demi exploité) situé en bordure d’un lac artificiel d’eau douce. Des bungalows en cases rondes au mur en béton et à la toiture de chaume. Savant mélange de tradition et de modernité qui se ressent jusque dans les 14 chambres disponibles de l’auberge. Clim, toilette moderne avec eau chaude, décoration sobre, propreté impeccable sur laquelle veille en permanence la charmante Laou Buée, la patronne du coin. J’imagine que le client ne regrettera pas les 500.000 GNF (55 euros) la nuitée.
Au restaurant de la paillotte, vous pouvez siroter au choix, un Coca frais ou un verre de jus d’hibiscus fait maison et manger des brochettes de capitaine et du couscous … marocain. Le tout les pieds dans l’eau, les oreilles bercées par le chatouillant clapotis de l’eau bleue du lac. On respire la nature à plein poumons. Un havre de paix dans lequel repose à tout jamais l’ancien président Lansana Conté dont aperçoit, de l’autre côté du lac, le mausolée qui se détache au milieu de la verdure. On ne sent pas le soleil qui glisse doucement à l’horizon. L’endroit fait rêver et donne envie de rester.
Mais il faut vite rentrer à Conakry en faisant, si possible, un crochet sur les Cascades de la Soumba, site touristique situé près de Dubréka. On y arrive en début de soirée. Un peu déçus je l’avoue. Nous sommes en plein mois de mars, c’est l’étiage. L’eau a déserté les cascades et l’endroit est un peu tristounet. Caprices de la nature, folies de l’être humain qui détruit son environnement immédiat et éprouve l’envie d’aller chercher ses bienfaits ailleurs…
Je regagne Conakry, les poumons chargés d’air pur, l’esprit léger comme une plume avec l’envie de retourner si souvent d’où je viens. Pour respirer la Basse-Guinée!
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