Salons de coiffure de Conakry, fragments « d’ailleurs »
Poussez la porte d’un salon de coiffure de Conakry : vous entrez dans la troisième dimension ! Un monde fascinant où les frontières s’effacent, une sorte de grotte d’Ali Baba qui recèle des trésors insoupçonnés. Sésame, ouvre-toi.
On tombe sur une scène à s’arracher les cheveux. Lionel Messi en sueur décoche un sourire candide à un Oussama Ben Laden impassible, lui-même occupé à reluquer la poitrine ensorcelante de la star Nicky Minaj ! Non, ce n’est ni un cauchemar, ni un film au scénario pourri. C’est le chef d’œuvre d’une mise en scène qu’on ne peut trouver que sur les murs d’un salon de coiffure de ma capitale.
Précision de taille avant d’aller plus loin : il s’agit ici des salons de coiffure pour hommes. Je ne sais pas si un jour j’aurai le courage de franchir la porte d’un salon pour dames, une de ces mini-industries dont le produit fini est un concentré personnifié de la Chine! Je m’égare…
Disons qu’un salon de coiffure (homme) remplit, certes, sa fonction première : celle d’être un lieu où l’on peut vous refaire la beauté. Une gamme de mille et un modèles de coiffures des plus loufoques aux plus artistiques à votre disposition: ras congolais, Craig David, Singleton, Snoop Dog, Livio, zèbre, tête de mort, etc. Une lame et un simple peigne fin (Pour la tondeuse électrique, revenez quand le courant rebelle de Conakry décidera de pointer le nez). Avec ce matériel rustique, un gars s’attaque à votre tête qu’il tord, tond et sculpte en moins de vingt minutes. Pour une misère (moins de 0,5 euro) et dans des conditions d’hygiène souvent douteuses.
En contrepartie, l’ambiance d’un salon est toujours fun. Si le courant est de «tour», une chaine musicale ou un écran télé crachent de la musique en permanence. Sinon la conversation bat son plein entre clients, gérant et désœuvrés qui cherchent à tuer le temps. Les ragots et les potins du quartier sont passés au crible, l’actu sportive et politique est disséquée, commentée, passée au …peigne fin. Les rumeurs se ramassent à la pelle.
A Conakry, c’est dans les bars-cafés et les salons de coiffure que les footballeurs des championnats européens sont recrutés et formés, là que les ministres de la République sont nommés et destitués, que les coups de d’Etat sont orchestrés, là que les élections sont organisées et validées ou non, là que les président tombent malades, guérissent ou meurent. Ce sont des parlements en miniature dont le pouvoir est renforcé par l’absence d’une vraie Assemblée nationale dans le pays depuis décembre 2008.
Les salons, c’est aussi et avant tout un business. Dans un pays où le secteur informel tient l’économie par la bride, les salons de coiffure constituent autant de points de chute pour de nombreux chômeurs dont des sortants d’université qui ont fini par ranger leurs diplômes sous le matelas, à force d’écumer la ville à la recherche d’un emploi introuvable. On arrête de couper les cheveux en quatre pour prendre le peigne et la lame rasoir. Il faut vivre.
Mais, de tous les aspects d’un salon de coiffure guinéen, le plus fascinant reste le décor. Celui-ci est pensé. Les propriétaires y accordent une importance capitale. Mi-salle d’exposition photos, mi-tableau d’affichage de cinéma, les salons de coiffure croulent sous le poids des affiches et autres posters dont ils sont tapissés dans une logique que ne comprennent que les auteurs. Des stars du showbiz d’Hollywood côtoient des icones de l’islam wahhabite, des gros poissons de la jet-set du football européen posent un regard rieur sur la coiffure des modèles ghanéens ou nigérians. Tout le monde y trouve sa place. Dans la tolérance la plus complète. Un véritable cas d’école.
Ces posters ne sont pas uniquement destinés à cacher la misère des murs décrépis et la tôle mangée par la rouille d’un studio de quatre mètres carrés chauffé à blanc. Ces fragments d’ailleurs traduisent aussi l’expression d’une génération à l’écoute du monde extérieur par la bénédiction d’une mondialisation débridée. L’expertise de la Chine et du Nigéria en matière de fabrication de posters pacotilles est mise à contribution à grande échelle. Le résultat est une photothèque du monde reconstituée entre quatre murs.
Cette espèce de syncrétisme culturel illogique est également perçue comme un dérivatif pour s’échapper, du moins spirituellement, à la dure réalité du quotidien de Conakry la capitale. Une façon de partager la vie des célébrités à travers leur image.
Ça s’appelle vivre le bonheur par procuration même si, comme le disait le poète Senhgor, «on ne peut pas se désaltérer au seul souvenir d’une eau déjà bue».
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