Superstition, quand tu nous tiens !

25 décembre 2010

Superstition, quand tu nous tiens !

cauris, cornes et kolas
cauris, cornes et Kola

« Il y a des choses auxquelles il faut croire. L’Afrique a ses valeurs », me répétait inlassablement mon collègue et ami. Il tenait vaille que vaille à me prouver la puissance et la promptitude du charlatan. Je résistais, m’agrippant à mon esprit cartésien et de rejet total du fétichisme. Et puis, j’avais vainement tenté de convaincre cet ami que cela faisait déjà plus d’un mois que l’on m’a volé cet enregistreur numérique. Rien n’y fit. Il gagna ce premier duel. Alors nous allâmes « exposer le problème » au féticheur.

C’était en début d’année dans un célèbre quartier de Labé, au crépuscule. Le soleil disparaissait lentement derrière la montagne de Sérima, lorsque nous arrivâmes chez le charlatan. Un type d’une cinquantaine d’années de teint noir et de taille courte, vêtu d’un pantalon tissu et d’une chemise bleu-ciel à la propreté douteuse. Son image contrastait de façon saisissante avec l’idée que je me faisais de ces personnages chez eux. Aucun signe particulier.

Après de brefs salamalecs, il nous introduisit dans sa maison encore en chantier. Un petit salon crasseux au milieu duquel étaient disposés trois  fauteuils qui entouraient une natte faite à la main. A l’angle gauche, près de la porte d’entrée, était négligemment jetée une paire de souliers éculés aux lacets défaits. C’était tout comme décor. Mon ami, se raclant la gorge, expliqua brièvement le mobile de notre visite : « ce jeune homme est un collègue. Tout récemment, il s’est fait voler un outil important pour son travail. Un enregistreur numérique. Je l’accompagne donc chez vous afin que vous l’aidiez à le retrouver. Moi, je vous fais déjà confiance depuis que j’ai retrouvé mon téléphone grâce à vous ». A l’évocation de cette dernière phrase, je pus remarquer le visage du charlatan s’illuminer. Sans ajouter mot, il se leva et disparut dans une pièce. Il réapparut aussitôt avec un petit sac noir et s’installa en tailleur au milieu de la natte.  Il vida le continu. Une panoplie d’objets : des cauris, des fils de différentes couleurs, un citron, une petite roche, un miroir, une aiguille et deux cornes. A cet instant, mon regard et celui du féticheur se croisèrent. Il me demanda mon nom que je déclinai sans formalités. Il garda les cauris et réintroduisit tout le reste dans le petit sac. Je compris que le premier geste avait pour but d’impressionner.

D’une main il ramassa les cauris, les tritura un bon moment en récitant des incantations bizarres avant de les jeter. Il observait attentivement la position de chaque cauri et répéta cette opération trois fois. Il ressortit les fils, associa plusieurs couleurs et se lança dans une interminable récitation cabalistique en faisant des nœuds sur lesquels il crachait abondamment et régulièrement. Puis, il réintroduisit le tout dans le sac et déclara à notre intention : « vous retrouverez l’objet volé. Ce sont deux personnes qui l’ont volé et non pas une seule. Mais il faut enlever des sacrifices ». Il me décréta trois noix de cola de couleurs blanche, rouge et violet à offrir à un vieux, et un œuf à déposer à un carrefour. Il enroula les fils en une boule qu’il me demanda de loger sous mon oreiller pendant une semaine. Je répugnai de toucher à ceux-ci, vu le sort qu’il venait de leur faire subir. Néanmoins,  j’acceptai de mauvais gré et on demanda la route, après avoir discrètement glissé entre ses mains 15 000 GNF.

Sur le chemin de retour, je voulus balancer les fils mais je me ravisai, craignant de contrarier mon ami, au cas où il s’en apercevait.  Et Subitement,  j’eus cette idée : pourquoi ne pas mettre le féticheur et mon ami à l’épreuve ? Je décidai donc de dormir avec les fils et d’exécuter toutes les autres instructions. Après cinq jours d’hésitation, les fils dehors sous une pierre,  mon scepticisme prit le dessus. Je jetai la boule de fils dans un tas d’ordures et oubliai l’histoire des colas et de l’œuf…

Ceci explique-t-il cela ? En tout cas, après presque un an, je n’ai toujours pas des nouvelles de mon enregistreur numérique. Et je suis devenu plus cartésien que jamais. Pendant ce temps, je continue à enjamber chaque matin, dans les carrefours, des œufs frais, des colas, des papiers et tissus blancs, et de la cendre !

Superstition, quand tu nous tiens !

Alimou Sow

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