Mamadou Alimou SOW

Un septuagénaire de génie nommé Abdoulaye Bah

Abdoulaye Bah avec Anonymous Photo: abkodo2
Abdoulaye Bah avec Anonymous Photo: abkodo2

S’il fallait résumer son parcours en une phrase, ce serait celle-là : une vie digne d’être vécue.  C’est aussi le titre d’une interview qu’il a accordée en mai 2013 au site Global Voices avec lequel il collabore depuis cinq ans, assidument. Et  bénévolement. A 72 ans bien sonnés, Abdoulaye Bah, citoyen italien et retraité de l’ONU, est un web-activiste débordant d’énergie.

Sa galanterie l’a conduit à découvrir le web 2.0. « Un soir de décembre 2008, raconte Abdoulaye Bah, j’étais alors à la retraite. Pour ne pas me disputer avec ma femme sur le choix du programme télé, je me suis mis à chercher une activité bénévole sur Internet ». Il tombe sur Global Voices et en tombe amoureux. Il se déchaîne. Déjà près de mille publications traduites ou écrites en français.  Dans la foulée, il  crée un profil Facebook, un compte Twitter et surtout un blog : Konakry Express. C’est le déclic pour cet amoureux de grandes causes et de chapeaux de feutre.

Sur son blog, à l’origine « né pour diffuser des informations sur les graves atteintes aux droits humains en Guinée lors des émeutes du 28 septembre 2009 », Abdoulaye Bah revisite les pages sombres de l’histoire récente de ce pays, notamment le régime dictatorial du premier président Ahmed Sékou Touré. Avec pédagogie, il plante sa plume dans la plaie de ce douloureux épisode de l’histoire de la Guinée ensevelie sous le sang et les larmes dont on sent le funeste fumet au fil des billets de blog. Une façon d’exorciser le mal qu’il couve depuis de longues années, souvent loin de sa Guinée natale.

Abdoulaye Bah est, en effet, un globe-trotter. Né en juin 1941 à Gongoré-Pita (Moyenne-Guinée) il est citoyen italien où il est arrivé il y a un demi-siècle. Aujourd’hui, il partage sa vie entre Rome et Nice, de l’autre côté des Pyrénées.

Son CV est une sorte de mappemonde sur laquelle l’on voyage à travers les continents avec comme boussole l’Organisation des Nations unies. 1975-1977, Addis-Abeba, Ethiopie : Commission économique de l’ONU pour l’Afrique (Uneca). Abdoulaye est rédacteur en chef du magazine Etudes des populations. Puis, il passe à l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) qu’il connaît comme sa poche pour y avoir travaillé pendant 19 ans (1978-1997). On le retrouve ensuite dans diverses missions de maintien de la paix ou d’organisation d’élections de l’ONU : Cambodge, Rwanda, Haïti.

Ce fonctionnaire international, spécialiste en statistiques n’en est pas moins un talentueux journaliste. Il a prêté sa plume à de nombreuses revues italiennes imprimées ou en ligne : Amicizia, Solidarietà, Chiamafrica, Quaderni Radical, etc. Il a également été correspondant depuis Rome et Nice pour le groupe de presse guinéen, Le Lynx – La Lance.

Blogueur, fonctionnaire onusien, statisticien, journaliste, mais aussi humanitaire et traducteur. On l’a écrit, le massacre de 28 septembre 2009 pousse Abdoulaye Bah à créer Konakry Express. Mais il  était déjà membre actif du Forum de l’association des victimes du régime de Sékou Touré. Membre également de plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, il a participé à la création de Pafodeg (Participation et Formation pour le Développement en Guinée). Ce grand-père polyglotte (il a appris au moins sept langues !) a plus d’un tour dans son sac. Il a mené, dans les années 1960, de nombreux travaux de recherche et de traduction pour l’Ecole de statistique de Florence en Italie. Expérience qu’il met au service du réseau mondial de blogueurs, Global Voices, depuis décembre 2008.

Cet activisme débordant est né probablement de son engagement précoce en politique. Années 1960-70 : le monde est en ébullition. Les soleils des indépendances brillent de mille feux  en Afrique, la guerre du Vietnam fait rage, lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, lutte contre la ségrégation raciale en Amérique. De toutes ces convulsions, le Parti radical italien est en première ligne. Abdoulaye Bah en devient membre. Il égraine les fruits des combats du parti dont il est fier de nos jours : initiative pour la création de la Cour pénale internationale, débat pour un moratoire sur la peine de mort, mobilisation contre les mutilations génitales féminines.

Pourtant, son destin aurait pu connaître une tournure moins lénifiante. En 1967 à la fin de ses études à Florence, le petit génie part chercher du travail à Paris. Objectif : trouver le prix du billet d’avion pour rentrer en Guinée. Son père l’apprend et saute dans un avion pour aller l’en dissuader. Le père sauve ainsi le fils des affres du régime révolutionnaire de Conakry. Il retourne finalement en Italie par la ruse pour vivre dans la clandestinité (sans-papiers). Il finit par trouver du boulot grâce à un prêtre. Deux ans plus  tard, en 1969 il rencontre son âme sœur : une Italienne.

Abdoulaye Bah, le musulman de Pita, dont le grand-père est mort à la Mecque, se marie au Vatican sous le coup de trois exigences : respecter la religion de son épouse, ne pas s’opposer à l’éducation catholique des enfants, reconnaître l’insolubilité du mariage célébré à l’église. Piqué par la flèche de l’amour, M. Bah accepte les yeux fermés et convole en noces.

Résultat : trois fils avec la liberté pour chacun d’embrasser la religion de son choix. Cela ne pose de problème à personne, surtout pas au père qui avoue ne pratiquer aucune religion.

Les voies du Seigneur étant insondables, Abdoulaye Bah a interprété le rôle d’un cardinal zambien dans le film « Habemus Papam » du célèbre cinéaste italien Nanni Moretti. « Une pure coïncidence » commente l’intéressé.

Vu son parcours, on pourrait s’imaginer que le Vieux s’est assagi et a fini d’accomplir son œuvre. Il n’en est rien. Le 4 mai passé, il a été victime d’une agression raciste dans un restaurant italien à Nice. De quoi raviver sa fougue d’étudiant engagé des années 60.  Il crie sa rage dans un billet de blog et engage une nouvelle bataille : la lutte contre la résurgence du racisme.

Un noble combat dans lequel l’infatigable Abdoulaye Bah pourrait faire de Christiane Taubira et de Cécile Kyenge des alliées de taille. N’est-ce pas Monsieur Claudy Siar ?


«Belgo», little Guinea à Bruxelles

Plat de fonio - Crédit Photo: Alimou Sow
Plat de fonio – Crédit Photo: Alimou Sow

Vendredi après-midi, rue de Liverpool à Anderlecht. La prière hebdomadaire vient de se terminer dans la mosquée d’à côté. La place est noire de monde, au sens premier du terme. Ça discute partout, par petits groupes, entre Africains. Un léger vent automnal, prémisse de l’hiver bruxellois, oblige à garder les mains dans les poches. Dans la forêt des chéchias qui coiffent les têtes, émergent de nombreux Poutos, le très caractéristique bonnet traditionnel peul.

« Ici, c’est un peu comme Madina », me sourit un ami improvisé guide.

La comparaison avec Madina, le principal marché de la capitale guinéenne, est parfaite. A plusieurs milliers de kilomètres de Conakry, la communauté guinéenne de Belgique a reconstitué une petite Guinée à «Belgo» un carré coincé entre la commune d’Anderlecht et celle de Molenbeek-Saint-Jean, au cœur de Bruxelles.

Belgo est le diminutif de la Belgo Malienne nv, une société d’export installée à Anvers, en Belgique, et fondée en août 1975 par un certain Dedrie Willy. Progressivement, elle ouvre des bureaux à Paris et à Bruxelles. L’immense entrepôt de la société, situé rue de Liverpool à Anderlecht, finit par imposer le préfixe «Belgo» au quartier.

Belgo, paradis de l’occasion-Bruxelles. C’est la porte du voyage sans retour vers l’Afrique de tous ces articles de seconde main qui inondent de plus en plus les rues de la capitale guinéenne : voitures, matelas, pneumatique, mobilier de bureau, électroménager, pièces détachées … et tutti quanti. Des objets, parfois muséaux, amassés et expédiés au pays à tour de bras.

Au-delà de la question de respect des normes de sécurité qui entoure cette activité florissante, c’est avant tout un business qui emploie et qui nourrit de nombreuses familles installées en Belgique ou restées au pays. Directement ou indirectement. De multiples activités parallèles se sont peu à peu développées autour de Belgo. La plupart exercées par des compatriotes guinéens.

Dans un local exigu, se bousculent une vingtaine de personnes. Dans les rangs, désordonnés, on s’interpelle en langue soussou et surtout poular. Un homme assis derrière un comptoir bancal est pendu au téléphone. Il égraine des chiffres et des codes inintelligibles. Un autre compte frénétiquement des liasses d’euros et délivre des reçus. C’est un bureau de transfert d’argent, «le plus important du pays en direction de la Guinée ».

C’est en fait un tout en un. Au fond de la petite salle, s’étale une enfilade de cabines téléphoniques pour, éventuellement, prévenir le correspondant de l’envoi du mandat. Tout autour, des articles divers sont jetés en vrac allant des canettes Vimto aux copies DVD du théâtre ouest-africain, y compris le fameux « Pessé » de Guinée. «Ce bureau ne désemplit pas, même en période de crise» me souffle mon accompagnateur.

C’est la preuve de l’importance de la manne financière rapatriée par la diaspora guinéenne de Belgique, de loin la plus importante d’Europe. Une diaspora non dépaysée.

Un peu plus loin, à l’angle des deux rues, une petite faim nous conduit à pousser la porte d’un bistrot qui ne paie pas de mine vu de l’extérieur. Dedans, une dizaine de personnes attablées. Toutes des Guinéens, du serveur au dernier client. Au menu : riz sauce feuille (manioc), riz au gras, fonio avec son inséparable sauce veloutée. La cuisine foutanienne presque au grand complet. Ces Guinéens de Belgique, de retour au pays, devraient avoir un sourire en coin quand surplace on se préoccupe à leur trouver des plats européens…

Dans le petit resto, l’ambiance est joviale. Conviviale. Les discussions sont animées. Entre deux blagues et les affaires sociales, reviennent les législatives guinéennes et le processus de sortie de crise qui polarisent les débats. Un leitmotiv.

La solidarité de la communauté se lit sur les murs intérieurs. Des annonces, ici un coiffeur «professionnel», là un tailleur, sont punaisées au mur du bistrot.

Dans la rue, discrètement, les affaires vont bon train bien que ce soit la Toussaint, jour férié. Des affaires qui n’échappent pas à la vigilance des autorités locales. Sur la rue de Liverpool, truffée des caméras de surveillance, un poste de police veille sur la sécurité et la tranquillité du coin. Il est situé en face de l’entrepôt Belgo. Pourtant tout semble être normal et licite. Pas de problème, tant que les agents de police ne décèlent pas du désordre ou de l’encombrement des voies de circulation.

Je me projette à Madina qui accueille la plupart de ces «occasions Bruxelles». Les pièces détachées (pas forcément venues de Belgique) y sont revendues sur une partie du marché qui porte bien son nom : la casse. Des pièces souvent volées au port de Conakry sur les véhicules d’occasion importés, et refourguées par des petits malins aux propriétaires des mêmes véhicules des fois. L’astuce qui consiste à démonter les accessoires et les planquer dans un endroit caché de la voiture n’est plus une panacée…

Comme à Madina, rares sont les Guinéens qui habitent Belgo. Ils viennent ici pour travailler et regagnent, le soir, leurs logements situés dans les quartiers plus éloignés.

Finalement, je sors de Belgo pour retourner à mon hôtel situé rue de la Loi, le centre d’affaires de Bruxelles, avec le sentiment d’avoir effectué un saut dans une Guinée en miniature.


Tabaski à Kansaghi

Tabala traditionnelle - Photo: Alimou Sow
Tabala traditionnelle – Photo: Alimou Sow

Ça me manquait grave ! Près de vingt ans de vie à Conakry et autant de fêtes de tabaski, je voulais changer d’air et de… mouton. Changer pour aller manger les agneaux ruraux aux flancs de coteaux. Partir revivre le rituel de la célébration de la plus importante fête musulmane dans ce qu’elle a de plus  authentique en pays peul. Cap sur Kansaghi, à 335 km de Conakry.

Presque une journée de voyage à travers monts et vallées sur les routes de Télimélé. L’effort de la montée vertigineuse des cols du mont Loubha et les falaises abruptes de Sogoroyah est récompensé par la fraîcheur et la pureté de l’air ambiant une fois au sommet. Perché à 1.500 mètres d’altitude dans les contreforts du Fouta occidental, Kansaghi, un des 13 districts de Brouwal, est un distributeur naturel d’oxygène à l’état pur. Je respire un grand coup, comme pour chasser de mes poumons l’air pollué de Conakry.

La nature s’étale dans toute sa grandeur, réduisant presque à néant les vains efforts de l’homme à la dominer. L’habitat, rare et rustique, est dispersé. Une stratégie des ancêtres selon les récits.

L’histoire, transmise de bouche à l’oreille, raconte que le premier conquérant  de la zone fut un certain Manga, armé de … tambours (kouloun). Rien que par le bruit de cet instrument à percussion et le feu qu’il alluma à plusieurs endroits pour effrayer l’ennemi, Manga réussit à chasser les occupants de ce vaste plateau les obligeant à se refugier en contrebas, sous la montagne. Le héros et ses tambours laissèrent leur nom à la localité, Manga-Kouloun, dont une partie est constituée d’une zone aride ainsi appelée Kansaghi en langue locale Poular.

Parmi les dépositaires du récit, y en a qui ont une version beaucoup plus belliqueuse. Mais personne n’est en mesure de démentir, preuve à l’appui, celle de l’autre. Et c’est tant mieux. A l’école primaire de Kansaghi, on nous parla bien de la science de René Caillé et de la bravoure de Napoléon, mais pas de la tactique de Manga-Kouloun contre ses adversaires. Je m’égare… Revenons à nos moutons.

Tabaski à Kansaghi. Je me revois à l’âge de dix ans, en compagnie de mes amis d’enfance… Le moindre bruit, le plus subtil parfum de campagne me parlent. Je suis en terrain connu, et même conquis. Sur ces interminables terres verdoyantes, j’ai coulé des jours heureux de mon enfance et une partie de mon adolescence.

Comme jadis, la fête a lieu à Missidé, le village qui abrite la mosquée principale. Sauf cas exceptionnel, les prières des fêtes musulmanes ne sont pas effectuées dans la mosquée. Par tradition, elles se tiennent à l’extérieur à l’orée du village, sur une aire aménagée à cet effet qu’on assainit à l’approche de chaque fête. L’endroit reste inchangé : beau et simple. Presque figé dans le temps.

Le parcours de la distance qui sépare la mosquée de cette aire de prière constitue le moment fort du cérémonial. L’imam, appuyé sur une longue canne surmontée d’une étoile, est escorté par une armée de sages qui répètent après lui des versets du Coran sous le son de la tabala traditionnelle, frappée à coups réguliers à l’aide des lanières aux extrémités remplies de cailloux. La procession est majestueuse. La symphonie, audible des kilomètres à la ronde, est captivante.

A pas lents, l’escorte rejoint l’aire de prière avec solennité. Les femmes, tenues à bonne distance, suivent la scène dans une discipline militaire.

Séance de prière - Photo: Alimou Sow
Séance de prière – Photo: Alimou Sow

Le sermon est lu en arabe, traduit en Poular de façon littérale. L’imam ne développe pas, ne commente pas. Le profane se perd dans les allégories. Puis des rangées se forment. Par mérite d’abord, puis par âge.

Au salut final de l’imam, je remarque un changement. Les garçons ne courent plus. A notre époque, sitôt le salut final prononcé nous sprintions pour nous retrouver à un endroit isolé afin de recomposer les nouveaux groupes d’amis au cours d’une mémorable compétition de lutte traditionnelle. Redoutable épreuve pour moi qui étais plus à l’aise avec la conjugaison des verbes du 2ème groupe que pour terrasser un adversaire. Je rusais pour y échapper, préférant la force du neurone à celle du muscle.

La prière terminée, l’imam est raccompagné chez lui par un autre chemin que celui par lequel il est arrivé. Puis, il procède au sacrifice du mouton donnant ainsi le ton. La tradition d’Abraham se répète alors dans chaque concession, donnant lieu à une véritable tuerie dans les villages pendant les trois jours qui suivent la fête. Les morceaux de viande font la navette entre les hameaux. On offre, on reçoit. Tout le monde se régale. Dans la discipline et l’humilité. Malgré la pauvreté.

Contrairement à Conakry, ici on ne vous harcèle pas pour un pauvre billet de banque. Chacun donne à son bon gré. Chacun se contente de ce qu’il a, de ce que Dieu lui a donné. Musulmans austères donc.

Musulmans très tolérants mais aussi très conservateurs. La célébration de chaque fête est déterminée par l’observation stricte du croissant lunaire. Pas de prédiction, pas de suivisme. Conakry, et même l’Arabie peuvent fêter la tabaski aujourd’hui, Kansaghi le lendemain. Comme ce fut le cas cette fois en 2013.

C’est cela la tradition dans la région du Fouta, ancienne théocratie au cœur des montagnes et des sources de la Guinée.


Dans la peau d’un chauffeur de taxi de Conakry

Taxi-jaune – Crédit photo : Alimou Sow

Je bosse 16 heures par jour. Sept jours sur sept. Pour un salaire mensuel de 150 000 GNF. Depuis 10 ans. Je connais la capitale guinéenne mieux que ma poche. Je m’appelle Alpha*. J’ai 32 ans. Je suis chauffeur de taxi à Conakry.

Mais Alpha, c’est à la maison. Au boulot, je me fais appeler « Rafale » par les potes. Je ne tire pourtant sur personne. C’est à cause de mon côté «chaud-chaud» qu’ils m’ont collé ça. Sinon, sur la route, mon lieu de travail, c’est souvent « maître » ou « taximan » qu’on m’appelle. Parfois «taxi» ou « taximètre », mais tout le temps « sofééri »« mètèr », « maudit » ou « le bâtard ». Des qualificatifs devenus des sobriquets qui me collent à la peau et dont j’ai fini par m’accommoder sans soucis.

De Conakry, j’ai fini aussi par m’accommoder. Cette ville atypique, cette non-ville, une sorte de mélange de bourgade rurale et de cité urbaine, sans eau, pour une grande partie, et sans électricité. Toujours encombrée. Une capitale-moi, dont je prends les couleurs chaque jour, où je fonds par mimétisme comme un caméléon. Conakry, c’est moi, moi c’est Conakry. Une cité qui vit à 100 à l’heure. Vitesse à laquelle je roule habituellement à bord de mon taxi chéri.

Mon taxi ! Mon outil de travail, mon bureau, ma boutique, mon magasin, ma muse, mon amulette. Celui qui m’habille, me nourrit, me loge, me fait sourire souvent, me fait chier tout le temps. Une petite Nissan Sunny peinte en jaune, comme tous les taxis de Conakry. J’ignore son âge exact. Y en a qui disent qu’il est fatigué, vu son état. Ce n’est pas mon avis. Extérieurement,  il lui manque, certes, les feux rouges, les clignotants, l’essuie-glace de la vitre arrière et les deux rétroviseurs. Il porte aussi une grosse toile d’araignée sur le pare-brise avant, des traces de coups de fouet sur les flancs, au capot et sur le toit. A l’intérieur, seuls le démarreur, les ceintures de sécurité, et les manivelles pour monter les vitres font défaut. Plus quelques boutons sur le tableau de bord. Le reste est parfait. Il roule cool.

Pare-brise brisé

 

A quoi servirait tout ça d’ailleurs? Inutiles, les feux de stop et clignotants quand je peux freiner « bouge-pa s» et tourner où je peux, quand je veux.  Qui n’a pas vu les chauffeurs de voitures personnelles clignoter à gauche pour aller à droite ? Des chauffards qui ont obtenu leur permis dans les auto-écoles et qui veulent se comparer à nous. Inutile aussi l’essuie-glace, puisque la glace elle-même est inexistante, remplacée par un écran plastique. Rares sont les pare-brise qui survivent aux étreintes quotidiennes entre taxis, ou quand l’axe Bambéto-Cosa est en ébullition. Un caillou a vite fait de le péter où d’y imprimer une jolie toile d’araignée. Presque tous les taxis de Conakry portent une !

Policière tenant un bout de tuyau

 

Un furtif coup d’œil par la vitre est mieux que le rétroviseur. Les coups de fouets, quant à eux, sont l’œuvre des maudits policiers de la route. Mes pires ennemis. Ces affamés passent tout leur temps à me rançonner et à cravacher ma Nissan par des bouts de tuyau qu’ils brandissent comme des Talibans en plein Kaboul! Y a longtemps qu’ils ont perdu l’usage du sifflet. Celui-ci est remplacé par des coups de pieds et de cravaches pour réguler la circulation. Une révolution chez nous !

Pour le démarreur, deux bouts de fils dénudés font l’affaire. C’est instantané. Comme dans les films quand les bandits volent une voiture. Sinon je le fais pousser pour l’allumer. C’est là qu’il me fait chier ce taxi.

Pour la ceinture de sécurité, obligatoire pour le chauffeur, j’ai une corde attachée nulle part que je colle à la poitrine à l’approche d’un contrôle de police. Ça marche nickel. Sinon un billet de 1000 francs peut acheter l’infraction. Tout comme l’absence de permis, de carte grise ou d’assurance. Assurance  de qui ? Mon oeil. S’en fout aussi des manivelles pour les vitres. Tu les laisses intactes, c’est un salaud de petit mécanicien qui te les volera un jour. Un tournevis que je détiens sert de manivelle générale quand il pleut où quand le taxi devient « un fou r», complainte des passagers emmerdeurs.

Ah les passagers ! Je me demande pourquoi ils me haïssent tous ?

Ces inconnus pour qui je ne suis pas Alpha mais «taxi», « maître » ou « le bâtard ». Des individus que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam, mais qui m’insultent et me maudissent à longueur de journée. Alors ils s’étonnent que je ne réponde pas à leurs lamentations lorsqu’il y a une crise de taxis le matin pour descendre « en ville » où pour remonter en banlieue le soir. C’est mon heure de gloire ces deux moments. Il me plaît de les voir se bousculer comme des animaux pour monter dans mon taxi qu’ils ont fini par défoncer. Quand j’en ai marre, je roule en mode «déplacement». Muet comme une carpe quand ils me demandent « maître c’est où ? ». Intérieurement, je réponds : « C’est en enfer, sale connard ».

Petit rectificatif. Ce taxi ne m’appartient pas en fait ! Il est à un « Vieux » que je maudis tous les jours à mon tour. Je dis  « MON » taxi, puisque je le gère, il est entre mes mains. C’est comme ça chez nous. Ce que tu détiens ou soutiens, t’appartient. Ainsi, quand mon équipe Barça joue contre le Real, je ne dis pas Barça est opposé au Real Madrid. Je dis « nous allons déculotter les Madrilènes ». Donc,  mon taxi appartient à ce vieux grabataire qui m’exige une recette journalière de 60 000 francs.

Je supporte aussi les frais de carburant, 20 litres par jour, les infractions que je commets tout le temps, les futiles cotisations syndicales, les frais de réparation en cas de pannes mineures  et la rémunération des coxeurs . Ces petits morveux, voleurs de téléphones portables par excellence qui passent leur temps à aboyer les noms des quartiers de Conakry pour rameuter les clients contre un billet de 500 francs.

Pour couvrir tous ces frais, plus la recette journalière et mon « pain du jour », je roule comme un damné. Un piéton qui me hèle quand la circulation est fluide, je peux piler même à 100 à l’heure pour le prendre. Je suis un rat d’embouteillage. Je connais tous les raccourcis. Partout où peut passer une Sunny, je passe. Fût-ce le sas d’une aiguille ! J’embarque deux personnes devant, et quatre derrière. Je souris souvent au volant quand j’entends les passagers râler sur la surcharge. Ce qu’ils ignorent, c’est que pour moi, ce ne sont pas des personnes qui sont assises dans mon taxi mais des montants de 1.500 francs, coût du tronçon.

Alors, qu’ils soient gros, gras, maigres, hommes, femmes, jeunes, vieux, sains, malades, serrés ou confortablement assis, je m’en tape. Comme s’en tape le proprio du taxi qui ne gobe jamais quand je lui dis que la journée n’a pas été bonne. Alors c’est le tacot qui trinque. Il arrive que je le sous-loue à un pote en galère qui, lui aussi, s’en donne à cœur joie.

C’est ainsi jusqu’à ce qu’il rende l’âme ou que le propriétaire, se rendant compte de mes magouilles, me le dépossède. Alors je transhume chez un autre. C’est ainsi depuis 10 ans. Je tourne en rond. Mais j’aime ça. Je vis de ça. Je suis un taxi de Conakry.

*Prénom fictif


Bienvenue à Pounthioun où tradition et modernité se côtoient

Mosquée de Pounthioun - crédit photo Alimou Sow
Mosquée de Pounthioun – crédit photo Alimou Sow

La voix du muezzin, portée par des haut-parleurs perchés sur les minarets de la coquette mosquée, déchire l’aube naissante se perdant au loin dans l’horizon qui se moire. Plus près, un coq donne la réplique. Des tisserins nichés dans le feuillage des manguiers se joignent au concert. Peu à peu, Pounthioun se réveille.

Moi aussi. Je sors du lit au moment même où un timide rayon du soleil échappé de la montagne de Kolima tente d’entrer par l’embrasure de la fenêtre. Hadja Mariama, elle, est débout depuis 5 heures du matin. Peut être même bien plus tôt. A son âge, on dort peu.

Cette grand-mère de 75 ans, la démarche traînante, le physique marqué par la rigueur de la vieillesse, s’apprête à accomplir ce qui est devenu un rituel pour elle depuis près de 50 ans : chaque matin, elle fait la ronde  de Pounthioun pour dire bonjour aux voisins et savoir s’ils ont passé la nuit en paix.

Je décide de l’accompagner dans cette quête de nouvelles ; véritable travail du facteur. Un moyen pour moi de me rattraper. En trois ans d’absence, beaucoup d’évènements, heureux et malheureux, se sont accomplis à Pounthioun, un quartier où j’ai coulé cinq ans de vie d’étudiant au Centre universitaire de Labé. Je connais tous les recoins et presque chaque concession.

Je note quelques nouvelles naissances et beaucoup de décès. Des notables du quartier, parmi les plus respectés et influents, s’en sont allés à jamais. Dans l’enceinte de la petite mosquée jaune, le mausolée s’est agrandi d’une nouvelle pierre tombale surmontée d’un magnifique dôme. Hadja Mariama y jette un regard triste et secoue la tête de chagrin et de mélancolie. Elle se désole que « tous les sages sont en train de partir laissant derrière eux des maisons vides ».

L’architecture de Pounthioun est en constante évolution. Parmi les maisons au style ancien, poussent désormais des étages carrelés et vitrés. Signe de prospérité des fils ressortissants du quartier. Les habitations sont parfois délimitées par de simples haies faites de tiges de bois. Ici, on partage tout, jusqu’au sel de cuisine.

Les ruelles étroites qui faufilent entre les pâtés de maison sont parsemées de graviers couleur ocre qui crissent sous nos pas traînants. Des herbes sauvages colonisent les terrains vagues, les vaches, repues de mousse, continuent à être les reines de la route où elles s’affalent et ruminent en toute tranquillité. Pounthioun, un des 28 quartiers de Labé, est écartelé entre tradition et modernité.

Jusque dans un passé récent, cette sorte de village-quartier était constitué de pâturages autour desquels fumaient des cases rondes au toit de chaume. Le bétail s’abreuvait dans le Pounthiounwöl, la petite rivière qui ceint le côté ouest du quartier et dont il tire son nom. Image qui s’est considérablement effritée ces trente dernières années. L’exode a drainé les bras valides ailleurs.

Dans certaines concessions la pratique de l’élevage de bovins subsiste encore, matérialisée par de minuscules enclos accolés à des maisons modernes. Juste pour le symbole. Jadis signe de richesse pour les pasteurs peuls musulmans, la vache est devenue un simple moyen de perpétuer la tradition à laquelle s’accrochent désespérément les personnes du troisième âge de Pounthioun.

Les petits-enfants, eux, ont la tête ailleurs. Dans une maison aux carreaux couleur grise, un groupe d’une demi-douzaine de jeunes garçons est plongé dans un jeu vidéo projeté sur un écran de télé. Au-dessus de leurs têtes, sur le mur du salon, pendent des clichés jaunis par le temps de leurs grands-parents et arrière-grands-parents vêtus de Leppi (tissu local) et enturbannés. C’est à peine si les gamins lèvent la tête en nous voyant entrer.

Intérieure cour d'une concession photo: Alimou Sow
Intérieur cour d’une concession à Pounthioun photo : Alimou Sow

Nous les laissons jouer pour aller dire bonjour à une vieille femme qui a reçu la visite d’un serpent la nuit précédente. Le reptile a été massacré par les jeunes nous explique la vieille sans afficher la moindre émotion. Elle est plutôt préoccupée par un rhumatisme qui la cloue au lit en ce matin frisquet. Un thermomètre accroché au-dessus d’une jarre en terre cuite affiche 20 degrés Celsius.

Les deux vieilles  dames échangent des amabilités, s’en remettent à Dieu et Lui rendent grâce de tout ce qui arrive, en bien comme en mal. Elles me couvrent d’interminables bénédictions pour un simple billet de banque. J’imagine que leurs fils ressortissants qui pourvoient le matériel et qui les ont emmenées aux lieux saints de la Mecque doivent être blindés de bénédictions.

On termine la ronde en rendant visite à une autre vieille Hadja dont la concession fait face à un pylône de téléphonie mobile. Le ronronnement du groupe électrogène qui alimente le poteau n’est pas de son goût… Encore du gravier ocre, beaucoup de gravier qui tapisse la cour intérieure de sa maison. Des arbres fruitiers à foison : manguiers, avocatiers, orangers, papayers, citronniers forment un véritable verger. Tout près, quelqu’un élève des pigeons qui roucoulent et partent dans de lourds vols planés au-dessus des maisons.

Les yeux rongés par un glaucome, la vieille Hadja perd progressivement la vue mais garde la mémoire sur ses origines qui correspondent aux miennes. Elle me raconte comment la jeune fille de 18 ans native de Télimélé est arrivée à Labé au moment où presque toutes les maisons de Pounthioun étaient des cases rondes. Son visage est ravagé par une profonde expression de mélancolie. La nostalgie prend le dessus, elle écrase une larme.

Hadja Mariama met fin à sa traditionnelle ronde. Nous rentrons à la maison, elle satisfaite d’avoir pris des nouvelles, moi profondément ému et abreuvé des valeurs ancestrales qui cimentent les liens des habitants paisibles de cette localité depuis des années.

Dans un monde quasi déshumanisé, cette belle balade m’a servi d’exorcisme et de ressourcement.

Que vive Pounthioun, où tradition et modernité se conjuguent au pluriel.


Elections législatives : le système électoral guinéen pour les nuls !

Crédit image: Edile.fr
Crédit image: Edile.fr

Sauf retournement spectaculaire de situation, – pas impossible –  les Guinéens se rendront aux urnes le mardi 24 septembre prochain pour élire les 114 députés de l’Assemblée nationale, 11 ans après le dernier scrutin législatif qui remonte au dimanche 30 juin 2002.

Soit cinq ans de mandat légal pour les députés (2002-2007), et six ans de cafouillage électoral pour le pays (2007-2013) ; pouvoir et opposition se détestant cordialement.  Le 3 juillet dernier, les protagonistes guinéens, chaperonnés par la communauté internationale, ont signé un accord politique permettant d’aller, enfin, aux élections législatives.

On y va donc le 24 septembre. Mais sait-on réellement pourquoi ? Les 5,3 millions électeurs que la CENI dit avoir inscrits font-ils tous la différence entre les deux scrutins : élection uninominale à un tour et liste nationale à la représentation proportionnelle ? Dans un pays où, selon les statistiques officielles, 72% de la population est analphabète, on peut raisonnablement douter.

Personnellement, j’ai cherché à mieux comprendre et je partage.

L’Assemblée nationale guinéenne, dont le rôle est le vote des lois et le contrôle de l’action gouvernementale, compte 114 députés élus pour un mandat de cinq ans renouvelable. Sur les 114, les deux tiers sont  élus sur une liste nationale et un tiers élu par circonscription.

La Guinée compte actuellement 38 circonscriptions électorales représentées par les 33 préfectures du pays, plus les cinq communes de la capitale Conakry.

Avant d’aller plus loin, précisons que tout citoyen guinéen présenté par un parti politique, sain d’esprit (quand j’écoute certains candidats battre campagne, je me demande si ce critère a été tenu compte pour ces législatives !),  jouissant de ses droits civiques, n’étant pas fonctionnaire de l’Etat (dans la circonscription où il se présente), n’étant pas militaire ou magistrat, peut être élu député.

Le système électoral en Guinée est mixte sans compensation. En termes clairs, il combine deux scrutins distincts dont l’un ne compense pas l’autre. Chaque électeur votera donc pour désigner simultanément :

  • Le député de sa circonscription
  • Le parti politique de son choix

A travers :

  • Le scrutin uninominal à un tour : littéralement, c’est un scrutin où on ne peut indiquer qu’un seul nom. Il est d’une grande simplicité. Le candidat ayant rassemblé le plus de voix dans sa circonscription est élu. Etant à un seul tour (contrairement à la présidentielle qui en a deux), une majorité relative de voix suffit pour gagner une élection. En cas d’égalité de voix entre deux candidats, le plus âgé l’emporte. Ce scrutin permettra d’élire donc 38 députés sur les 114 du parlement.  On vote plutôt pour un candidat que pour un parti politique.
  • Mode de calcul des résultats: le candidat qui recueille le plus de voix dans sa circonscription est déclaré vainqueur. Exemple : A, B, C sont candidats à l’uninominal dans ma circonscription, commune urbaine de Matoto (en réalité, ils sont au nombre de six pour ces législatives). A supposer que Matoto compte 10.000 électeurs. « A » recueille 3.000 voix, « B » 2.000 et « C » 5.000 voix. « C » est automatiquement déclaré vainqueur.

  • La liste nationale à la représentation proportionnelle : Dans ce scrutin, les électeurs votent pour un parti politique, puis les sièges sont attribués aux différents partis proportionnellement au nombre de voix obtenues. Les candidats sont élus dans l’ordre d’apparition sur la liste de leur parti. Deux tiers des députés doivent être élus avec ce scrutin, soit 76 députés. Un quota minimum de 30% est réservé aux femmes.
  • Mode de calcul : Un peu de maths, ma bête noire, pour comprendre. Ici, pour le calcul des résultats, on cherche ce qu’on appelle le « quotient » pour déterminer le nombre de voix requis correspondant à un siège de député. Simplifions : pour obtenir le quotient, on divise le nombre total de suffrage exprimés (nombre de votes moins les bulletins nuls) par le nombre de députés à élire.

Exemple : Après le toilettage du fichier électoral de la CENI, supposons que celui-ci contiendra en définitive 5 millions d’électeurs et que le jour du scrutin, on fera comme les Maliens, 400.000 bulletins nuls (je crains le pire). Le suffrage valablement exprimé sera donc 4.600.000 voix à repartir aux 76 députés. Posons l’opération : 4.600.000/76 =  60.520,31 (quotient).

En clair, dans notre exemple, pour obtenir un siège de député à l’Assemblée, chaque parti doit gagner 60.520 voix.

Supposons qu’il existe 3 listes nationales, « A », « B », « C » (en réalité, pour les législatives du 24 septembre il existe officiellement 22 partis en lice, donc 22 listes avec un total de 1672 « députables »). On sait que chacune de nos listes « A », « B » et « C » doit obtenir un minimum de 60.520 voix pour prétendre envoyer un député concurrencer les artistes de tout poil à notre Palais du peuple omni-évènements (siège de l’AN).

Au lendemain du 24 septembre, les résultats donnent : liste « A » = 2.000.000, liste « B » = 1.600.000, liste « C » = 1.000.000 de voix. Pour savoir le nombre de sièges obtenus par chaque liste, on divise le nombre de voix qu’elle a valablement obtenu par notre quotient (60.520). Ce qui donne dans l’ordre : « A » = 33,04 ; « B » 26,43, C  = 16,52. Mais la somme des députés (en oubliant les chiffres après la virgule) ne donnent pas 76 députés dont on a besoin (33+26+16 = 75).

Alors, on fait recours à ce qu’on appelle la règle du plus fort reste. Ici, la liste « C » a le plus fort reste (0,52). Ce parti remporte donc le siège restant. En cas d’égalité du plus fort reste, le siège revient à la femme ou, à défaut, au plus jeune, suivant les listes.

On obtient donc les 76 chanceux qui rejoindront les 38 autres issus de l’uninominal pour constituer les 114 députés qui vont être payés pour s’insulter cinq ans durant au perchoir (non je déconne, ils vont contrôler l’action gouvernementale !!!).

Sans rentrer dans les détails des avantages et inconvénients de ce système électoral, on peut remarquer d’ors et déjà deux choses : la complexité du mode de calcul des résultats (pour la proportionnelle) rallongera le délai d’attente de ceux-ci. Ensuite, il a le mérite, du moins théoriquement, de rapprocher l’électeur de l’élu (uninominal) et de s’éloigner ainsi de l’ethnisation du scrutin.

Les électeurs le savent-il ? Je doute. Une bonne partie de l’électorat rural, analphabète, ne fait aucune différence entre ces législatives et la présidentielle, croyant fermement qu’elles opposent une nouvelle fois les deux finalistes de l’élection de 2010.

Pendant ce temps, les candidats se succèdent à la télé, que personne ne regarde faute de courant, pour nous lire leurs CV touffus, au lieu d’expliquer aux citoyens  comment voter.

Le premier élu de ces législatives risque d’être le bulletin nul. Wait and see.


Top 10 des fautes de français qui collent les Guinéens à la peau

Crédit visuel - Alimou Sow
Crédit visuel – Alimou Sow

Le français est la langue officielle de la République de Guinée. Il est enseigné à l’école et parlé par au moins 28% de la population estimée à 10,22 millions d’habitants et composée de multiples groupes ethniques auxquels il sert souvent de passerelle de communication. Contraint de s’adapter aux dialectes locaux, le français parlé en Guinée  est parfois serti des perles qui feraient se retourner Molière dans sa tombe !

Voici le top 10 de fautes de français qui collent les Guinéens à la peau :

#10 – Des tribus et des… lettres : en dehors des traits physiques et des langues respectives,  l’autre trait caractéristique des groupes ethniques de mon pays est leur accent quand ils parlent le français. Tout instituteur sait que l’exercice d’apprentissage de certains sons syllabiques français aux écoliers guinéens est un véritable cauchemar. Et ce, suivant les ethnies :

  • Les Peuls : le son «V» n’existant pas dans la langue Poular, faire dire à un Peul illettré  « Vélo », « Voiture », « Vote », est un réel casse-tête chinois. Il simplifiera en remplaçant le « V » par « W » (Ce qui donnera Wélo, Watir,  Wôté). Pareil pour le son « Ch », « Sch ». Il est plus aisé pour un Peul analphabète (ou pas) de tuer son unique vache à lait par un coup de fusil que de prononcer les mots « Chimie », « Châssis », « Schéma », « Psychiatrie », ou « Torche» !
  • Les Kissis : ces habitants du sud de la Guinée semblent avoir un sérieux problème avec le son «GR». Du coup, dans leur bouche le mot «Grave» devient parfois « Glave » ou « Clave ». D’ailleurs, l’oreille d’un Peul a toujours l’impression qu’un Forestier (Kissi ou Guerzé) a une braise dans sa bouche quand il parle !!!
  • Les Soussous : ce peuple côtier dont la langue est très parlée à Conakry la capitale sait pêcher du poisson, mais pèche dans la prononciation du son « Dia ». Les Soussous vexent souvent les « Diallo » et « Diakité » qu’ils appellent « Monsieur Yallo » ou « Madame Yakité ».
  • Les Malinkés : je ne connais pas un son précis que les Malinkés ne savent pas prononcer, mais ils ont le tic de transformer le mot « donc » en « Donkou » quand ils parlent. Et, soit dit en passant, personne au monde ne sait parler plus fort qu’un Malinké ou un Bambara du Mali (tous des Mandings). En Europe, quand deux femmes Malinkés entrent dans un train, le silence s’enfuit par les fenêtres !

#9 – « Bonne voyage » : c’est une énigme. Personne ne sait pourquoi les Guinéens disent au voyageur « bonne voyage » alors qu’ils savent pertinemment que le nom « voyage » est masculin. La faute se retrouve même gravée sur des plaques situées au bord de la route.

#8 – « Ça descend » : ce bout de phrase qu’on crie dans les transports en commun à Conakry est une traduction littérale en français de l’expression Soussou « ä goroma ». « Ça descend » ne signifie pas qu’un sac de riz descend, mais plutôt « arrêt demandé » ou bien « Je descends ».

#7 – « Elle s’est accouché »: typique invention guinéenne, cette expression veut dire tout simplement «elle a accouché ». Tant pis pour ceux qui essaient d’expliquer que le verbe « accoucher » n’est jamais pronominal. Sans gêne on vous annoncera : « La femme de Fodé s’est accouché une fille ».

#6 – « J’ai passé chez toi » : cette faute de conjugaison colle à la peau des collégiens guinéens comme leur tenue couleur kaki. La leçon portant sur « le verbe passer et les auxiliaires  être  et  avoir » ne passe pas du tout, visiblement.

#5 – « J’ai intervenu » : même problème que précédemment à la différence qu’ici, élève et parent d’élève conjuguent le même auxiliaire « avoir » devant « intervenir » qui, normalement, s’accompagne du verbe « être ». « J’ai intervenu entre mon fils et son maître ».

#4- « Idem que moi aussi » : les linguistes appellent ça une tautologie, ici on s’en fout. Dialogue  sur la route de l’école : « Mon ami, j’ai faim ». « Idem que moi aussi» !!!!

#3- « Je les ai dit » : ce problème grammatical hante étudiants, cadres, journalistes et même des hauts dignitaires du pays. Beaucoup n’ont jamais su faire la différence entre les déterminants « le, la, les» et les pronoms personnels « la, lui, leur ». Parait que même en Conseil des ministres on peut entendre dire : « Il faut la donner ce dossier » !

#2 – « Je vais me déjeuner » : cette formule qui ferait danser d’étonnement l’excellent Ivan Amar de RFI, est une autre traduction littérale de l’expression soussou « N’khassa n’dèyba » (Je vais prendre mon petit déjeuner ». Matin de bonne heure, tu entends un gaillard dans les bas-fonds de Kindia, assis devant un faramineux plat de Foutty, annoncer : « Je vais me déjeuner » !

#1- « Faire partir » : la palme d’or revient à cette faute de français devenue un classique mêmes dans  nos amphithéâtres. Au collège, les profs ont enseigné que « quand deux verbes se suivent, le second se met à l’infinitif ». Alors beaucoup pensent que dans cette expression « faire » est suivi du verbe « partir » alors qu’il s’agit du nom commun féminin singulier « Partie ».

Faites-vous partie de ceux qui ne commettent pas ces fautes ? Connaissez-vous d’autres ? Je vous laisse la main pour les commentaires ; en attendant, je vais ME déjeuner !!!


Hôpital de Donka, ce grand corps malade du système de santé guinéen

CHU Donka- Crédit photo: Alimou Sow
CHU Donka- Crédit photo: Alimou Sow

C’est une insupportable rage de dent qui m’a fait pousser les portes de Donka. J’y suis ressorti la rage au ventre !

Le service dentaire du Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Donka, l’un des deux plus grands établissements sanitaires de la Guinée, ressemble plus à une forge qu’à un  centre de soins pour dents. On y retape les gueules presque au marteau !

Après avoir franchi l’imprenable grille de l’entrée principale de l’hôpital, le patient arrive au service dentaire en suivant l’une des interminables coursives qui bordent les bâtiments décatis du CHU.

A droite, une inscription décolorée au dessus d’une porte ouverte annonce le cabinet dentaire. Dedans, une antichambre grosse comme un mouchoir de poche au milieu de laquelle impatientent des patients entassés sur des fauteuils en lambeaux. Mines serrées, les-bouches-enflées se font la gueule dans un silence pesant.

Ce matin-là, tout le monde se tenait le nez entre le pouce et l’index. Une odeur fétide empeste l’atmosphère plusieurs mètres à la ronde. Une rigole passe juste derrière la fenêtre de la petite salle. Les canaux d’évacuation des eaux usées de Donka sont bouchés, m’explique-t-on. Une grosse mouche verte vient vrombir à l’intérieur de la pièce comme pour confirmer l’information.

Derrière une porte couverte de crasse, comme les murs intérieurs, les médecins dentistes burinent. Une spatule et une lampe torche pour inspecter l’intérieur de la bouche. Le courant électrique a déserté l’hôpital depuis plus d’une semaine. Sans gants, le dentiste me fait apprécier le goût salé de ses doigts qu’il plonge dans  ma bouche en même temps que des boulettes de coton pour essayer de la maintenir ouverte. J’ai failli gerber. Mais, ma pire crainte était de choper une maladie nosocomiale pour une simple rage de dent.

A propos de Donka, il se raconte des histoires à dormir debout : des femmes qu’on gifle dans les salles d’accouchement de la maternité, des malades que des médecins laissent trépasser parce que non accompagnés aux urgences et, plus hallucinant, des corps qui se décomposent faute de courant électrique dans la chambre froide de la morgue de l’hôpital.

Le seul capitaine à bord du bateau Donka, envasé dans la misère et la corruption, c’est l’argent. Le racket commence dès la grille d’entrée où son postés des agents qui filtrent les entrées par des billets de 5.000 ou 10.000 GNF. Au vu et au su de tout le monde. Les médecins ne font pas mieux. À quelques rares exceptions, le sermon d’Hippocrate ne vaut pas mieux que du papier-toilettes ici. 

Dans cet hôpital public construit en 1959 par l’aide de l’Union soviétique, l’urgence c’est l’argent. Vous payez, vous êtes soignés avec les moyens du bord, sinon vous partez les pieds devant.

Il y a 17 ans, en 1996, le cinéaste Thierry Michel a posé ses caméras à Conakry pour filmer la douleur de Donka. Six mois durant, il scrute le travail des médecins souvent vénaux et l’agonie des patients démunis. Le résultat est une radioscopie d’un hôpital africain (1H25’), film documentaire qui a fait une belle moisson des prix depuis.

Le film de Thierry s’ouvre sur les gémissements d’un homme foudroyé par une crise de méningite. Il a été ramassé au marché et jeté aux urgences de Donka, sans accompagnateur. Les médecins refusent de le toucher – et le disent dans l’objectif de la caméra – préférant attendre les parents du patient qui ne viendront jamais. Il rend l’âme à la tombée de la nuit.

Un drame parmi tant d’autres qui n’ont pas, eux, le privilège d’être filmés.

Laissé à lui-même à travers une gestion qui se veut autonome, Donka, comme la plupart des hôpitaux du pays, constitue le dernier recours des malades minés par la misère. Conséquence : l’hôpital est devenu un mouroir. Le documentaire révèle qu’en 1996 au service réanimation, le taux de mortalité était de 75%.

Mais Donka  est loin d’être une exception. À Ignace Deen, l’autre grand hôpital situé à moins de cinq km de là, le service neurologie ne dispose même pas d’un scanner !

Avec  ça vous vous demandez encore pourquoi nos chefs préfèrent aller mourir dans les cliniques aseptisées du Royaume chérifien?