Mamadou Alimou SOW

Les «brouteurs» ivoiriens dans la prairie guinéenne

Crédit image: FranceTv info
Crédit image: FranceTv info

A Abidjan, mon pote serait passé pour un «Gawou». A Conakry, c’est quelqu’un qui a failli ruiner sa mère.

Mon ami est chômeur. Il cumule déjà près de cinq ans d’ancienneté dans ce métier qu’il a embrassé dès sa sortie d’université, affublé d’un diplôme de gestionnaire d’entreprise qui est en train de jaunir sous le matelas de son lit grinçant.

Le plancher de sa chambre est jonché de photocopies de son CV et des lettres de motivations qu’il ne cesse d’inonder les rares entreprises qui publient des annonces de recrutement. Même si ce recrutement concerne des plombiers ou des manutentionnaires, mon pote gestionnaire, veut tenter sa chance. Il «dépose», comme on dit ici. Son seul objectif est de changer de statut : passer de chômeur à salarié, même payé au lance-pierre.

En cinq ans d’expérience de recherche, il a fignolé son CV, répondu aux annonces dans la presse écrite, expérimenté les recommandations, usité les tuyaux (les fameux « bras longs »), investi les réseaux souterrains pour entrer dans la fonction publique, etc., mais que dalle.  Mon pote reste chômeur usant le fond de sa culotte sur des bancs en bois et noyant ses soucis dans du thé sous le manguier.

Alors il décide de se moderniser et de passer ainsi de chercheur de job ordinaire à chercheur de job 2.0. On lui a soufflé qu’en la matière, internet et les réseaux sociaux surtout, constituent un piédestal pour atteindre le graal : décrocher un taf ! Il file tout droit ouvrir une adresse mail et crée, dans la foulée, un profil Facebook. De toutes les manières, à défaut de trouver un job, c’est un moyen pour se faire des amis et échanger.

Mon ami sera servi.

Quelques mois après l’ouverture de son compte Facebook, il se fait des amis, naturellement. Parmi eux, UNE amie, Angélina dont il a accepté la demande d’amitié la bouche entrouverte, le cœur battant la chamade.  La photo de profil d’Angelina montre une débauche de beauté et d’élégance à l’état pur. Rien que pour chater avec elle, mon pote était capable de lécher les bottes du gérant du cybercafé de son quartier devenu son nouveau QG qu’il ne quitte que pour aller manger, prier ou pisser.

Un jour la «go» lui demande s’il taffe, il répond que NON !!! «Elle» lui révèle qu’elle bosse pour une institution internationale qui était, justement, en train de recruter des jeunes gens à envoyer d’abord à Londres pour formation, tous frais payés. Elle promet, en tant que chef de service du département ressources humaines, qu’elle donnera un coup de pouce à sa candidature. Mon pote jubile et jure que son heure de gloire est arrivée et que son étoile va bientôt briller dans le ciel lugubre du désespoir.

Son amie Facebook lui balance l’avis de recrutement sur son mail qu’il télécharge et imprime dans le plus grand secret. Il remplit tous les formulaires avec le plus grand soin et applique une nouvelle cure d’esthétique à son CV déjà joli.

Il s’apprête à tout renvoyer par mail à sa bienfaitrice d’amie, quand il reçoit un message de celle-ci précisant que le dossier doit être acheminé non pas par mail, mais par la poste, accompagné d’un billet de…  100 euros !!! Un petit doute veut s’incruster dans son esprit. Il le chasse très vite devant la perspective de révéler à ses potos du carré, et surtout à sa copine, qu’il doit aller à Londres pour une formation assortie d’un CDI dans une institution internationale.

Cent euros c’est une fortune pour un chômeur patenté comme lui, mais il va les trouver.

Il rentre à la maison en haletant : « Maman, je sais que tu ne me crois plus mais cette fois-ci ton fils a une occasion en or pour voyager et surtout trouver un bon emploi. Mais j’ai besoin de l’équivalent de 100 euros, c’est-à-dire neuf cent mille francs guinéens. Prête-les moi, s’il te plait maman».

La vieille cède, voyant les diamants qui brillent dans les yeux de son fils chômeur, fumeur, et buveur de thé, etc. Véritable calamité pour sa porte-monnaie.

Il convertit les neuf cent mille francs de la maman en un billet brillant de 100 euros qu’il entend poster à une certaine Angélina, rencontrée sur Facebook mais directrice de ressources humaines dans une institution internationale.

C’est pile au moment où il achetait les timbres postes pour affranchir le dossier, qu’il reçoit un appel affolé du seul ami qu’il avait tenu à informer de son coup de chance.

Arrête tout, c’est une grosse arnaque.

Je venais de me rendre compte, en effet, que le fameux avis de recrutement que j’avais demandé à mon ami de m’envoyer pour étude, était une grossière imitation cousue de fautes de français. Un vrai faux avis comme j’en trouve des dizaines dans le dossier Spam de ma boite électronique.

Une semaine après ce sauvetage in extremis, une voisine m’appelait matinalement pour m’annoncer qu’elle pensait avoir remporté le jackpot du loto d’un opérateur local de téléphonie mobile. Je n’ai pas eu de la peine de découvrir l’arnaque dès qu’elle m’a narré le procédé de son interlocuteur : envoyer les numéros de série de plusieurs cartes de recharge pour récupérer son cadeau.

Deux cas sur des centaines de procédés d’arnaque, devenus des banalités ailleurs, que mes compatriotes guinéens expérimentent depuis quelque temps. L’internet mobile et les plans promotionnels d’entreprises de jeux et de téléphonie commencent à arriver dans les foyers. Les «brouteurs» ivoiriens, ces fameux arnaqueurs sur le web, en profitent pour débarquer dans la prairie guinéenne encore toute fraîche.

Pour vous en premunir, voici le site ivoirien de la Plateforme de Lutte Contre la Cybercriminalité – PLCC


La Guinée, terre de superstitions !

Crédit image -etudiantguinee.org
Crédit image -etudiantguinee.org

Une secousse tellurique de magnitude encore inconnue a ébranlé, samedi 20 juillet 2013 à 21H33,  la capitale Conakry et une bonne partie de la Basse Guinée, jusqu’au Fouta oriental. Une secousse d’environ cinq secondes, suivie de deux répliques espacées de quelques minutes. Petite panique dans les concessions, mais aucun dégât, ni de blessé signalés pour le moment.

Ça, c’est ma version personnelle. Y’en a qui vous diront que la terre a tremblé pendant au moins cinq minutes et que tous les membres la famille ont dû soutenir le toit de la maison par la force de leurs bras pour l’empêcher de tomber…

Si la magnitude du séisme est encore inconnue, l’onde de choc produit sur Facebook doit être de 9,5 degrés sur l’échelle de Richter !  La petite secousse de Conakry a produit un vrai tremblement sur ce réseau social dont les Guinéens sont particulièrement friands.

Quelques secondes ont suffi pour que les murs soient inondés de messages annonçant la nouvelle ; et surtout les conséquences de celle-ci. Et c’est  ce qui m’intéresse ici.

C’est connu : un tremblement de terre est loin d’être un fait anodin. Et quand celui-ci se produit en Guinée, il prend les couleurs nationales. Surtout le rouge, synonyme de sang, de catastrophe, de mort. Celle du grand Chef !

La secousse de ce samedi nuit n’a pas échappé à la règle. Passés la frayeur, les jurons et la réaffirmation de la foi en Dieu le Tout Puissant (qu’est ce que les gens sont pieux dans le malheur !), les interprétations ont suivi. Elles convergeaient toutes vers un épicentre convenu : un séisme est un signe prémonitoire infaillible de la mort d’un chef, du Grand Chef en l’occurrence. La rumeur a voyagé à la vitesse des SMS et appels téléphoniques ayant suivi la secousse.

Dans les quartiers de Conakry comme sur Facebook, les géophysiciens spécialistes des interprétations sismiques ont, en un temps deux mouvements, tracé un maléfique triangle équilatéral : le tremblement de terre du samedi, les affrontements interethniques de N’Zérékoré, et le fait que la fête l’Aïd-el Fitr qui marque la fin du mois de ramadan 2013 tombe un vendredi. La conclusion est sans appel : un grand quelqu’un va mourir cette année !

Les vieilles personnes, sur le visage desquelles on peut lire une certaine inquiétude, ont la certitude de cette issue maléfique. On les comprend quand on regard dans le rétroviseur.

Le 22 décembre 1983 un tremblement de terre de magnitude 6° a secoué la partie Nord-Ouest de la Guinée,  notamment à Gaoual à 400 km de Conakry. 143 morts autour de l’épicentre situé dans la localité de Koumbia et d’énormes dégâts matériels avaient été enregistrés, les cases en banco s’étant effondrés comme un château de carte. La cata.

Je devais avoir deux ou trois ans à l’époque. Mais ce n’est que 18 ans plus tard, au lycée, que j’ai compris, et fini par admettre, que ce n’était pas la Terre entière qui avait tremblé en 1984 ! Car ceux qui avaient vécu cet épisode sismique en parlaient (en parlent encore) comme une apocalypse en y mettant des effets spéciaux à faire pâlir de jalousie les scénaristes du film Volcano !

Et le verdict tomba comme un couperet trois mois plus tard : le 26 mars 1984, le président de la République socialiste et Révolutionnaire de Guinée, Ahmed Sékou Touré, meurt aux Etats-Unis ! Les médecins de l’hôpital de Cleveland où il rendit l’âme concluent à une crise cardiaque. Les Guinéens, dans leur écrasante majorité, savaient que c’est le tremblement de terre de Koumbia qui avait eu raison du dictateur Sékou Touré. Ou, en tout cas, l’avait prédit.

Mon esprit cartésien cimenté par 17 ans de formation à l’école occidentale souffre assez souvent des superstitions de certains compatriotes. Récemment, une amie s’évertuait à me convaincre que sa copine a un mari de nuit qui l’habite et qui la fait délirer. Mon amie connait le nom du diable, ses intentions, ses capacités de nuisance, etc. Bref, ses moindres faits et gestes. Le tout, dans un monde métaphysique insaisissable pour moi.

Elle est autant convaincue de tenir la vérité sur l’origine des problèmes psychiques de sa copine, que moi de son immense erreur. Question de conviction.

Mais ceci n’est qu’un simple exemple de l’interminable série de signes annonciateurs de bonne ou de mauvaise nouvelles auxquels les Africains, les Guinéens en particulier, croient foncièrement : un oiseau qui chante une belle mélodie à l’orée du village signifie un ressortissant qui rentre de l’aventure ; un hibou qui ulule sur le toit d’une maison = un malheur proche ; une couronne se forme autour de la lune = un chef va mourir ;  la paume de la main qui démange = signe d’un gain d’argent rapide (équivaut à rêver de caca) !

Vous avez dit superstition ? 


Où vas-tu donc, étudiant guinéen ?*

Étudiant guinéen - Crédit photo: Alimou Sow
Étudiant guinéen – Crédit photo: Alimou Sow

C’est ton jour. Celui que tu attends depuis bien longtemps. Depuis deux  mois. Depuis trois ans. C’est le jour de la proclamation des résultats du Baccalauréat. Tu es déclaré admis !

Tu t’en fous de la mention, encore moins de ton rang. T’as vu ton nom, ton PV, ton école d’origine. C’est bien toi. Le reste n’est pas important. La joie t’envahit. Tu souris, tu ris. Tu sursautes, cries, passes des coups de fil de gauche à droite, distribues des SMS à tout va. T’en reçois.  Amis et parents te complimentent, te congratulent. Tu en es ravi. Fier.

Passera ? Passera pas ? Deux longs mois, depuis la tenue du Bac., que tu te poses ces questions. Des nuits blanches que tu repenses à la manière dont tu as traité telle ou t elle épreuve. Des jours entiers que tu pries, implores le Tout Puissant d’exaucer ton vœu : celui de te donner le Bac. Tu l’as, ton bac. Tu dis Alhamdoulillahi. Bien que t’avais jeté un furtif coup d’œil sur la copie de ton voisin. Mais ce n’est pas ça tricher, tu  n’avais pas d’antisèche sur toi. Ils ont dit «tolérance zéro», t’as respecté. Zéro faute.

Tu repenses à l’année scolaire qui a été longue et mouvementée, comme toutes les années  en Guinée. Dirigeants et Opposants, qui se détestent cordialement, ayant définitivement pris en otage la vie sociale du pays avec leur maudite politique. Tu revois le long chemin parcouru, les tonnes d’exos traités, les révisions, les séances de lecture au bord de la mer, sous les lampadaires de la station-service du coin, à la lumière blafarde d’une lampe chinoise ou d’une bougie tueuse.

Tu te repasses le film de tes longues journées de lycéen paumé. Obligé parfois de taper le Kanda (jeu) pour compléter le transport, d’aider la Vieille à écouler ses beignets ou ses haricots pour trouver le prix des cahiers, du table-banc. Pour assister le prof qui se marie, celui qui a un baptême, celui-dont la femme est malade, la directrice qui part encore «en mission». Tu revois tout cela, tu souris. Tu te dis que c’est fini. T’as relevé le défi, franchi le cap. Contrairement à certains potes, pleins de remords, d’amertume que le Bac. a malheureusement laissés.

Tu es désormais un étudiant. Adieu, le bleu-blanc. T’es devenu un grand. Bientôt on t’orientera. L’université. Là où les potes sont plus cools, les profs plus pro, les filles plus sexy, vu qu’elles ne sont pas en tenue. Tu jubiles. Si t’es lauréat, t’iras au Maroc : Casa, Rabat, Mohamedia ou Marrakech. Ce sera chouette. Si t’es pas lauréat, c’est pas grave. Dans un an ou deux, tu t’inscriras sur Campusfrance pour aller étudier en France. Là-bas ça bosse bien. Tu le sais, on te l’a dit. Tes frères partis, ne sont pas encore revenus, mais leur profil Facebook parle pour eux. C’est tentant.

Mais décevants, risquent d’être tes rêves jeune frère. Chiant ton quotidien.

Ça commencera quand on t’orientera à l’intérieur du pays si tu bossais à Conakry. Faranah, Kindia, Kankan, Boké, Labé, ou N’zérékoré. Mais t’avais déjà entendu parler de ces coins où les étudiants ont pour fidèles compagnes la faim et la mangue. Tu entres en rébellion, mets en branle tes relations. Tu recours à la corruption pour désorienter ton orientation. C’est Conakry ou rien. Après quelques remous, des va-et-vient, beaucoup de billets de banque, tu obtiens gain de cause. Tu restes à Conakry, la capitale. T’iras à Gamal ou Sonfonia, à défaut d’une université privée comme Ghandi ou Kofi.

Bonjour la galère, la chaleur, les embouteillages, les cafouillages, les amphis pléthoriques. Tu découvres le système LMD pour lequel tes amis te traduiront : Laisse-moi Me Débrouiller. Tu plonges dans les petites combines pour avoir des notes, pour éviter la seconde session. Tu redécouvres également les NTS, les Notes Sexuellement Transmissibles. Tu pénètres le monde des pécules impayés, des programmes bâclés, jetés par la fenêtre par des profs incompétents, des encadreurs arrogants et méprisants. Tu expérimentes les grèves étudiantes, t’encaisses les mesquineries, les jalousies, les hypocrisies et les délations de tes propres potes. Tu troques ton plat de «Lafidy» matinal contre du gaz lacrymal que viendront vous distribuer régulièrement les chacals de la police et de la gendarmerie. Tu goûtes aux délices de la matraque et du brodequin.

Là t’es devenu étudiant. Un vrai. Mais un matin tu dis «assez» ! Et tu décides de tenter ta chance sur Campusfrance. Deux mois de galère à entrer des notes sur un site rebelle, à photocopier, légaliser, téléphoner, t’aligner, te bousculer au CCFG pour déposer ton dossier et passer un entretien. Tu gardes dans un coin de la tête que ton oncle ou ta tante vont te prêter les 7.000 euros exigés comme caution pour la première année d’études.  Ils te l’ont promis. Admission et rendez-vous à l’Ambassade obtenus, on t’apprend que «nous ne pouvons pas te payer tout cet argent» ! Tu déchantes, redescends sur terre et entre en rogne. T’iras pas en France, pas cette année.

Retour à la case départ. Gamal. T’auras perdu la moitié de l’année, t’es en session dans au moins trois matières, t’auras surtout contribué à gonfler le compte bancaire de Moustapha Naïté, en réactualisant tes pauvres 5.000 GNF durement gagnés dans son cybercafé poussif de Mouna.

T’en veux à tout le monde.  Tu te démerdes maintenant pour obtenir ton diplôme de fin d’études pour foutre le camp d’ici. Quatre ans pour un carton de Licence qu’on te balancera à la figure. Que les entreprises te refourgueront à leur tour. «Formation inadéquate» qu’on te signifiera.

Après avoir griffonné des tonnes de lettres de motivation et CV, envisagé l’aventure, essayé le marché Madina (Bordeaux), tenu un télé-centre de quartier, déterré tes anciens talents de coiffeur, crié ta colère dans la Grogne Matinale sur Soleil Fm, tu reprendras ton souffle sous le manguier pour chercher une certification à la préparation du thé. Tu deviendras un inconditionnel de GuinéeGames ou replongeras dans le Kanda pour gérer le quotidien stressant. Les gos te fuiront, te trouvant radin et pas «classe». C’est le clash.

Véritable desperado des temps modernes, tu deviendras «bambétocosable», «autoroutable», proie à toutes les tentations politiques. C’est pas grave, tu cherches encore ta voie, Etudiant guinéen.

* Cet article été préalablement publié en juin 2012 sur mon autre blog.


Le Prix du «Meilleur blog francophone» expliqué aux Guinéens

Certificat du Meilleur blog francophone - Crédit photo: Alimou Sow
Certificat du Meilleur blog francophone – Crédit photo: Alimou Sow

Depuis le 7 mai 2013, je suis devenu un homme riche. Très riche. Immensément riche ! Je pèse combien ? Cinq mille, dix mille, cent mille, peut-être même … un million d’euros ! Merci à la Deutsche Welle. Que dis-je, merci à la calculette magique.

Le 7 mai dernier, le blog que vous lisez a été désigné « Meilleur blog francophone» 2013 du concours des Best of Blogs de la Deutsche Welle à l’issue du vote du public. L’annonce de cette victoire m’a fait passer instantanément, dans la tête de certaines personnes, du statut de blogueur à celui de «démarreur» et, à Conakry quand on dit de quelqu’un qu’il démarre, n’allez pas croire qu’il fonctionne au diesel hein; comprenez que l’intéressé est plein aux as.

La calculette interne de certains compatriotes m’a hissé au prestigieux rang de ceux qui ne connaissent pas la boue hivernale, la chaleur et les moustiques-drones de Conakry ; de ceux pour qui les taxis-fours, les petits déj’ au pain farci de haricot noir, les longues journées sans eau et les interminables nuits sans électricité ne sont que des légendes urbaines des temps modernes.

Je peux donc renouveler ma garde-robe aux Galeries Lafayette à Paris, me taper des grasses mat’ à la chaine, niquer mon boulot pour aller racheter des actions à la bourse de New York, me faire une Bentley et drainer un harem des plus belles nanas du pays. Puisque je suis devenu un Crésus local, dans leur imagination.

Les calculs estimatifs sournois ont commencé bien avant l’annonce des résultats du vote du public. Y en a qui ont fait recours à l’allusion :

Jeune homme, on a appris la bonne nouvelle, on va voter pour toi. Si tu gagnes, puisque tu gagneras, j’imagine que tu n’iras pas en Allemagne pour rien ?  Sous entendu : Combien s’élève le montant que tu iras chercher en Allemagne ? J’ai esquivé.

Quand les résultats sont tombés, les enchères ont monté d’un cran. Mes titres aussi. « Le boss », « Le Grand », « Le Big » me gratifie-t-on. A chaque fois, je formule une prière : « ne me vendez pas aux bandits armés de Conakry, please » !

Puis sont arrivées les mises en garde à peine voilées :

Tu fais notre fierté Alimou, mais petit on est là  hein, et on t’a vu grandir. Traduisez : «nous avons participé à ton éducation, nous attendons notre part de ce que tu vas percevoir». Je me fends d’un sourire gêné.

La médiatisation de la victoire ne m’a pas servi sur toute la ligne. En rentrant du boulot, je croise un vieux dans mon quartier, transistor collé à l’oreille. Il fonce sur moi comme une rapace, se plie en deux et décrète à mon intention en faisant de grands gestes :

Mon fils, j’ai entendu ton nom ici, dans ma radio! Je te bénis, tous les sages d’ici te bénissent. Vraiment, tu fais notre fierté. Mais cherche à augmenter les bénédictions hein ?

D’accord papa.  Mais ne croyez pas que ce prix soit….. Il me coupe court:

Laisse tomber « Mignan » (petit-frère)! Quand le Blanc parle de Prix, ce qu’il y a de quoi. On connait, on a tout entendu, tu as gagné le meilleur Prix, alors n’essaye pas de brouiller les pistes.

Je ravale mon explication.

A vrai dire, le mot « Prix » qui accompagne ce titre de meilleur blog francophone est une épine dans mon pied.

Sous nos cieux, «Prix», comme dans prix du pain, prix du sucre, prix du Cola, évoque directement des espèces sonnantes et trébuchantes. Alors n’essayez pas d’expliquer à un analphabète que gagner un prix ce n’est pas gagner de l’argent liquide. Que c’est juste un titre honorifique, un carton, un papier. Mieux, une simple dénomination. Vous passerez pour un menteur patenté. Pire, un radin qui ne veut pas partager !

D’ailleurs chez nous, les policiers sont les premiers à vous signifier que «c’est pas papiers qu’on mange». Et les vendeuses de beignets, elles, savent que c’est DANS papiers qu’on mange… leurs beignets ! Franchement, je n’aimerais pas être un livre en Guinée…

Dans ce cas, comment faire comprendre que ce prix du meilleur blog francophone n’est pas le Mo Ibrahim ? Qu’il n’y a aucune rémunération pécuniaire qui s’y rattache et que la seule chose qui le matérialise est un certificat accompagné d’un mini-lecteur MP3 offerts par la Deutsche Welle (innovation 2013) ? Comment convaincre que le voyage de douze jours que j’ai effectué en France et en Allemagne, mi-juin, a été entièrement pris en charge par l’Institut Français de Paris et non pas par la Deutsche Welle qui ne convie pas les gagnants de la catégorie langue ? Tout un programme…

Je suis conscient que partager reste une valeur cardinale sous les tropiques et que créer une fondation, quand on est riche, pour défendre une cause ou lutter contre un fléau est une action hautement gratifiante. Mais nous n’en sommes pas là avec ce Prix. Peut-être un autre dans un futur proche. Qui sait? Celui-ci récompense près de trois ans d’efforts accomplis dans des conditions pas souvent optimales. Il est comme il est: nu, modeste et simple comme un clic! Et je l’aime ainsi.

Sa particularité réside cependant dans le fait que c’est VOUS, chers (é)lecteurs, qui me l’avez offert. La Deutsche Welle n’a fait qu’entériner votre choix. Alors vous savez de quoi il est fait, pas besoin d’explication (sic).


Cologne: l’eau, les trains et les… poubelles

Un Thalys en gare du Nord - Crédit photo: Alimou Sow
Un Thalys en gare du Nord – Crédit photo: Alimou Sow

De Cologne, je ne connaissais que la fameuse eau éponyme. Maintenant j’en sais un peu plus sur ses trains et ses… poubelles.

Cologne, cette ville allemande de fondation romaine que j’ai traversée dans un premier temps et visitée pendant quelques heures ensuite, me laisse une impression mitigée. J’adore sa majestueuse cathédrale au style gothique, les ruelles de la vieille ville aux pavés centenaires; mais aussi et surtout son parfum mythique à la senteur exquise. Par contre, je déteste ses trains parfois bondés et pas toujours (ou trop) à l’heure (en tout cas pour les miens).

 Pour les poubelles de la gare centrale c’est plutôt tragi-comique.

En provenance de Paris, j’atterris pour la première fois à Köln HBF (Gare centrale de Cologne) ce lundi, 17 juin 2013. Je suis en route pour Bonn où je dois recevoir mon certificat de « Meilleur blog francophone » des Bobs 2013, grâce à l’Institut Français de Paris. Mon train de correspondance est en retard de 35 minutes, temps que je consacre à admirer le sublime tableau qu’offre l’été allemand en termes d’habillement pour les filles! Tennis, T-shirts et petites culottes ou collants transparents qui laissent découvrir des cuisses partiellement bronzées.

Je détourne mon regard de musulman pour le plonger dans… les poubelles installée sur les quais de la gare. Une espèce de borne futuriste en forme de frigo (oubliez le maudit frigo) sur laquelle des inscriptions invitent à classer les déchets selon leur nature dans des compartiments prévus à cet effet. Plutôt pratique, mais rien de révolutionnaire en soi (voir photo ci-dessous).

Le truc révolutionnaire c’est qu’en moins de cinq minutes j’ai vu trois mecs mal fagotés visiter successivement une poubelle, non pas pour y déposer des ordures mais pour en prélever! Ils sont munis de petites torches pour lorgner les coins sombres de la poubelle à la recherche des restes d’aliments ou de quelques centilitres d’alcool dans les bouteilles jetées. Un choc pour moi! Avec ça quand je pense qu’en Afrique (pas seulement) il existe des suicidaires prêts à affronter la Méditerranée à la nage pour rejoindre l’Europe… Je chasse rapidement l’idée de ma tête. De toutes façons, à chacun ses oignons.

Pour l’instant, les miens sont les trains. Je rattrape ma correspondance pour Bonn aux forceps. C’est un peu la cohue pour monter. On se marche dessus. Debout, j’arrive à me caser entre une blonde et un jeune hippie zébré de tatouages. Collé-serré. La chaleur est étouffante. Ça me rappelle un peu Conakry Express, le seul et unique train de transport que compte ma capitale (l’insigne « Siemens » en moins dans les wagons). Attention, avec celui-là 35 minutes de retard c’est pile à l’heure! Oubliez le mot « Express ». Et si vous râlez, allez prendre un Magbana.

Après trois jours de conférence à Bonn couronnés par la remise des prix aux lauréats des Bobs, une amie me fait visiter Cologne sur le chemin de retour pour Paris. Comme tout étranger, c’est l’eau de Cologne, la célèbre marque de parfum qui porte le nom de la ville, que je veux renifler en premier. Beaucoup de voyageurs se rabattraient sur la célèbre bouteille N°4711 dont l’enseigne est estampée sur le toit de la gare centrale.

Mais mon guide connaît mieux: Farina 1709.

On fait une descente dans l’antre de Farina, la plus vieille Maison de parfum au monde. La beauté du décor est à tomber par terre. Du parfum. Des bouteilles. De toutes les formes, de toutes les tailles, de toutes les bourses. Je me ravitaille, je m’enivre et je voyage dans le temps.

J’apprends, en effet, que c’est en 1709 que le parfumeur italien Jean Marie Farina s’installa à Cologne pour distiller de l’eau de vie à la senteur incomparable, appelée ainsi « Eau de Cologne » par les soldats français qui revenaient de guerre et qui contribuèrent à populariser la marque de l’Italien. Trois-cent quatre ans plus tard, un blogueur guinéen de passage à Cologne rapporte plusieurs fioles dans sa Guinée natale. Farina ne se l’imaginait probablement pas.

Moi non plus, pour la suite de mon voyage pour Paris au quai N° 8 de la gare. Enivré d’eau de Cologne, je mets à profit l’heure d’avance sur mon train pour faire du lèche-vitrines sur la principale artère commerçante de la ville. Je suis bluffé par la différence des prix avec Paris. C’est nettement moins cher ici de façon générale. La beauté des articles, la lumière et les vitrines aseptisées donnent envie de casser sa tirelire. Le consumérisme a pris le dessus par ici, me disais-je.

Plongé dans ces réflexions mercantilistes, je ne vois pas le temps passer, ni l’orage qui éclate soudain. Valse des parapluies. Je rejoins la gare au sprint et rate mon train pour Paris de deux minutes seulement! Le prochain est dans un peu plus de deux heures m’annonce le service de train Thalys. Patience. Impatience. Sur le maudit quai N° 8, je croise un trio de musiciens burkinabé en partance pour Bruxelles. Ils se mettent à me raconter leur participation au festival Africologne. Agglutinés au bout de la ligne, on ne voit pas le Thalys qui vient s’arrêter dans la section « B-C », embarquer et repartir sans nous! « Anne, j’ai encore raté le train! « 

Ma déconfiture laisse de marbre les agents du Thalys. « Monsieur vous payez un nouveau billet, c’est tout ». Je casque 121 euros, le cœur gros comme ça. Je finis par embarquer à bord du train en toute fin de journée.

Quelques minutes de repos, les relents de trois jours de bonheur à Bonn et la sympathie des journalistes de la Deutsche Welle me font vite oublier le déconvenue de la gare de Cologne. Je rentre à Paris, le cœur léger comme une plume. Cologne, je ne t’oublierai pas de si tôt.

Poubelle en gare de Cologne - Crédit photo: Alimou Sow
Poubelle en gare de Cologne – Crédit photo: Alimou Sow


Lettre à mon frigo !

Mon frigo - Photo - Alimou Sow
Mon frigo  (Crédit Photo : Alimou Sow)

Mon «cher» frigo,

C’est à la lumière blafarde d’une lampe chinoise agonisante que je t’écris cette lettre. J’espère qu’elle te trouvera en l’état, c’est-à-dire  en un morceaux. Dans le cas contraire, ton destin en terre africaine de Guinée était, de toute façon, de finir à la casse, en pièces détachées ou, pire, dans une décharge à ciel ouvert.

Voilà près d’une semaine que nous nous sommes séparés après huit mois de cohabitation pas franchement amicale. Aucun service rendu ! Je ne te regrette point. Je ne te cache pas que j’en avais marre de ta présence futile et qu’il fallait donc mettre un terme à cette désagréable promiscuité. Tu m’encombrais inutilement. Quel désenchantement !

Octobre 2012. Sentant mon niveau de vie emprunter, enfin, une courbe ascendante après avoir côtoyé, durant de longues années, les valeurs négatives (à mon corps défendant), je pris sur moi la décision de mettre un peu de fraicheur dans ma vie en t’achetant. Tu venais de Bruxelles et tu étais présenté par le revendeur, véritable marchand de tapis, comme une «occasion en or». Je t’acquérais avec grande espérance.

Espérance de pouvoir étancher ma soif avec de l’eau fraîche, de manger en deux jours quelques lasagnes de bœuf (et non de cheval, je tiens à le préciser) en conserve, de prendre un yaourt en dessert, de mordre dans une pomme non ratatinée ou encore de pouvoir siroter un rafraîchissant verre de jus d’hibiscus tropical.

Espérance aussi de vivre un fantasme d’adolescence

J’ai passé une bonne partie de mon adolescence dans une concession en banlieue de Conakry où, dans les années 1990, nous faisions partie des rares habitants du quartier à posséder une antenne parabolique pour capter les images des télévisons étrangères. Les transitions publicitaires entre les programmes télés montraient d’appétissantes friandises, des pommes fraîches et des surgelés qui nous faisaient baver d’envie, mes amis et moi.

« Dans quelques années nous aurons tout ça chez nous, dans nos congélateurs », se consolait-on entre potes envieux.

Dix-huit ans plus tard, en dépit d’un changement de statut (et une tentative pour l’habitude alimentaire :-p), je n’ai toujours pas ça chez moi, dans mon congélateur.

Par ta faute, maudit frigo ! Je ne t’ai quasiment jamais vu allumé. Jamais entendu. Aucun ronronnement. Toujours silencieux, nuit et jour. Muet comme une carpe. Avec ta carapace d’un blanc laiteux, tu étais sempiternellement recroquevillé sur toi-même dans ce coin de ma chambre que tu colonisais injustement. Pas parce que tu était en panne. Tu pétais la forme, mais tu refusais obstinément de t’allumer et de me rafraîchir.

Après les longues journées de travail, les embouteillages ankylosant de Conakry, je rentrais chez moi dégoulinant de sueur, haletant de soif. Déshydraté. Mon envie irrésistible de prendre un rafraîchissant n’avait d’égale que la déception et la colère qui m’envahissaient après avoir ouvert ta porte pour tomber sur une chaleur suffocante venue de tes entrailles.  Même déception le matin au réveil quand je caresse le désir de recharger mes batteries avec un verre de jus d’orange. Pourtant, un frigidaire, à ce que je sache, ça doit cool, dans le vrai sens du terme. Tu ne l’as jamais été, cadavre de frigo !

Combien de boites de conserves infectes, de plats de salade détériorés et des fruits pourris j’ai dû extraire de ton ventre pour la poubelle ? Salmonellose et fièvre typhoïde sont des cochonneries que tu as voulu me refiler à maintes reprises. J’ai résisté. Je voulais beurrer ma vie, tu t’acharnais à m’ôter celle-ci ou m’envoyer dans un lit d’hôpital-mouroir de Conakry. Tu es cynique, petit frigo.

Un frigo, un bureau ou… une armoire à chaussures ?

Malgré cette relation pour le moins … glaciale entre nous, j’ai vainement essayé d’être tolérant et même conciliant avec toi. J’ai voulu te garder, te rendre utile en te trouvant un autre job, une autre utilisation par substitution. D’abord je t’ai essayé comme table à manger : tu étais trop haut, donc inadapté.  Plan de travail : ta surface glissante rendait improbable toute stabilité. Armoire pour ranger les habits et chaussures : exigu et trop humide, tu pourrais foutre en l’air mes falzars new-look de nouveau Chargé de communication.

Alors j’ai préféré te foutre hors de ma vue pour respirer la chaleur à pleins poumons et remâcher tranquillement ma soif inextinguible. Un sort que partageront très bientôt tes anciens voisins, notamment le téléviseur, qui me regarde plus que je ne le regarde, et le ventilo aux pâles immobiles. Tu as juste ouvert la voie.

Appareils électriques : sans pitié je vous foutrai à la porte un à un. Y compris ces ampoules-toujours-éteintes, ce PC et ces téléphones qui se croient invulnérables. J’arracherai prises et interrupteurs, rallonges et thermoplongeurs pour vous plonger dans les abysses des décharges obscures de Conakry, puisque vous ne servez quasiment à rien. Traîtres que vous êtes.

Mon souci est de trouver une remplaçante à ma chère bien-aimée lampe chinoise aujourd’hui à l’agonie. Car même sa lumière, quoique blafarde, m’est préférable à votre présence futile. Ça au moins c’est clair. A dieu « cher » frigo !

Glacialement.


Plage de Conakry, «the place to be»

Plage de Lambanyi - Photo Alimou Sow
Plage de Lambanyi – Photo Alimou Sow

A l’au-delà, au paradis comme en enfer des Conakrykas, l’ambiance sera de la partie ! J’en suis convaincu. Dieu que les habitants de ma  capitale aiment faire la fête ! Quadrillez la ville avec un bataillon militaire et décrétez l’état de siège le plus strict, les fêtards de Conakry le braveront pour faire la nouba. Tendance «beach» en ce moment.

Détente plage. Et hop, c’est la ruée vers la mer. Un, deux et trois. J’ai surfé sur la vague et j’enfile, comme des perles, mon troisième dimanche, successivement, à la plage. Celle de Lambanyi, dans la commune de Ratoma.

L’ambiance est fun. Les uns livrent une partie de foot avec les potes, les autres se pressent par grappes sur des bancs en bois à l’ombre des palétuviers. La musique à fond la caisse. Les gazelles sont belles dans leur accoutrement : pagnes au tissu translucide, mini-jupes, et même mini-mini-jupes qui étalent des projets (croupes) tantôt exubérants, tantôt modestes façon taille de guêpe ; bodys DVD (dos et ventre dehors) ou simples soutien-gorge emprisonnant des obus qui vous font déglutir ! La démarche est chaloupée. L’ombre de leurs silhouettes se détachant sous les rayons du soleil couchant laisse des sillons dans votre âme comme leurs pas sur le sable fin de la plage…

Elles évoluent en solo ou trainent avec des mecs armés des regards revolver, la jalousie à fleur de peau. Vous sentez le mâle marquer son territoire en lançant énergiquement des mégots de cigarette à tour de bras.

Oubliez la planche. A Conakry on ne se rend pas à la plage pour faire du surf, ni même pour se baigner. Encore moins pour bronzer. Comme sur la plupart des plages de Conakry (Rogbané, Tokonko, Camayenne, Kipé etc.), la propreté de l’eau de mer reste douteuse à Lambanyi. La marée basse laisse découvrir un sol boueux et noirci par des algues hideuses. A part quelques gamins écervelés, pas de baignade donc ; les pagnes resteront solidement noués autour de la taille…

On y va juste pour le «fun», pour faire tendance. Pour l’air et le sable. Mais aussi pour la frime. Certaines meufs se la jouent Alicia Keys. Les iPhones , iPades et autres Smartphones sont brandis comme des trophées. Clic-clac. Séance photos à gogos pour … Facebook. On devine les commentaires qui suivront, plus assassins les uns que les autres contre la langue de Molière : « ont’ai a la plaaaaaaaaaaage et ct vrment trooooop kul » !

En réalité, on va  à la plage pour échapper au chaudron de la ville – peut-être même inconsciemment. L’urbanisation sauvage et une gestion catastrophique de l’espace public ont fini de transformer la capitale Conakry en une prison à ciel ouvert avec son cortège de chaleur et de moustiques plus forts que des drones américains ! Ajoutez-y la poubelle urbaine pour noircir le tableau. Ces lieux de loisir remis au goût du jour représentent ainsi un havre de paix que les habitants de la ville (re)découvrent en mode «touristes écologiques» !

C’est terrible ce que la ville de Conakry manque de lieux de loisir appropriés. La capitale possède, certes, quelques restos huppés au centre-ville et des boites de nuit dont aucune, ou presque, ne respecte une quelconque norme de sécurité. Une bousculade ou un incendie feraient une hécatombe (je touche du bois) ! Nous avons aussi le fameux, le légendaire Palais du peuple. Notre omni-palais qui abrite le siège de l’Assemblée nationale où les députés ne s’invectivent plus depuis 2008. Alors, des mélomanes (je devrais dire des pyromanes) viennent s’y caresser régulièrement à coups de tessons de bouteilles et des fragments de chaises cassées lors des concerts.

C’est tout. A part peut-être les Maisons des jeunes où s’en vont cramer des fous du foot sous une chaleur infernale.

Le malheur des funs faisant le bonheur des autres, des petits malins ont flairé l’affaire pour aller déblayer les rares langues de sable qu’on peut trouver ça et là sur les côtes de Conakry, majoritairement colonisées par une mangrove dense et inextricable. Résultat : toutes les plages sont devenues quasiment privées avec un accès payant le weekend! Parfois elles sont détenues par d’obscures «associations de jeunes», souvent par des libano-guinéens, non moins obscurs, qui ne reculent devant rien pour acheter et vendre tout ce qui tombe dans leurs mains.

A ce rythme, bientôt ils vont nous facturer l’air libre !!! Vous avez dit business?


Je suis Guinéen, j’aime «consulter»

cauris, cornes et colas
cauris, cornes et colas

Même avec un 9 millimètres collé sur la tempe, je ne ferais pas ça ! De quoi s’agit-t-il ?

De deux jeunes filles belles comme des miss mais plus cancres qu’un Toto éméché. Deux fois recalées au Brevet d’Etudes du Premier Cycle, deux fois au Bac. La honte de la famille ! Fallait trouver une solution. Comme tout bon Guinéen confronté à un problème insoluble, elles partent consulter un… marabout. Un mec d’une soixante de piges : crane dégarni, peau ridée façon vieux lézard. Sur les trente deux dents qu’il avait à l’âge adulte, il ne lui restait que deux molaires ensevelies sous une épaisse couche de plaques dentaires infestées de bactérie de plusieurs générations. Ses ongles n’avaient rien à envier à des dents de râteau d’un éboueur de fosse sceptique…

Bref, le marabout consulta à son tour les « forces invisibles », fit son tour de passe-passe et décréta aux deux demoiselles des sacrifices à offrir : il faut trouver un coq plus haut qu’un veau et plus rouge que la première couleur du drapeau guinéen. Tuer ce coq, le cuisiner avec un bon plat de riz qu’il faudra transporter chez le même marabout pour dégustation ! Qui est fou ? Normal tout cela. Pourtant, il doit toujours y avoir un truc paranormal dans une consultation maraboutique. Nos deux cancres l’auront dans la… gueule !

Le féticheur lava ses râteaux, pardon ses mains, dans une calebasse d’eau et avala le plat de riz en un rien de temps. Il désossa le coq et suça ses os, un à un. Il relava ses mains dans la même calebasse, mit de l’eau dans sa bouche édentée, se gargarisa se servant de son index comme un cure-dents pour désensabler ses molaires fossilisées. Il recracha la récolte gluante ainsi obtenue dans la  calebasse, récita quelques incantations et tendit la calebasse aux deux filles : « Tenez, buvez ceci à tour de rôle » !

Les deux clientes s’échangèrent un regard douteux et répugnant ! « Allez-y, buvez c’est la clé de votre réussite », insista le marabout entre deux rots bruyants. La mort dans l’âme les filles se saisirent de la calebasse, inspirèrent profondément, fermèrent les yeux et vidèrent la culture bactérienne dans leur estomac à tour de rôle ! Burrrrrrrrrrrk !

Par la suite, elles ont été accusées dans leur quartier d’avoir contracté une grossesse non désirée tant elles vomissaient ! On ignorait ce que les malheureuses avaient dans le ventre. Aucune n’avait réussi à décroche son bac, préférant s’orienter, à la fin, vers des écoles professionnelles, réceptacles par excellence des recalés de l’enseignement pré-universitaire.

En Guinée, l’islam et le christianisme sont les deux plus grandes religions monothéistes auxquelles appartient plus de 95% de la population. Au-delà des manuels d’histoire, j’ai compris la conversion des populations autochtones à ces religions venues d’ailleurs. Au fait, je dois avouer que je suis totalement bluffé par la capacité de mes compatriotes à faire allégeance aux forces invisibles à travers des pratiques animistes. Une mort soudaine, un mauvais rêve, une maladie, une perte ou une réussite, un bonheur ou un malheur ont systématiquement une explication métaphysique. Rien n’arrive par hasard.

En campagne comme en ville, les pratiques occultes rythment la vie quotidienne. Pour conjurer le mauvais sort ou s’attirer des bienfaits, chaque entreprise, chaque initiative est précédée d’une consultation : se marier, se lancer dans une affaire, passer un test ou un examen, bâtir une maison, voyager, trouver l’âme sœur, se maintenir à un poste, etc. ne sont pas des actes anodins. Avant d’être exécutés, ils doivent au préalable recevoir le sceau d’un dépositaire des sciences occultes. Un occultisme qui vire carrément vers l’obscurantisme.

Je me souviens que, petit au village, je voyais, désemparé, des voyageurs au départ foncer tout droit dans une clôture ou dans la brousse, évitant expressément de suivre le chemin habituel. Plus tard, je découvris qu’ils suivaient ainsi la position d’une poule en couvée qu’ils consultaient avant le départ et « qui ne fait jamais face au malheur ».

En ville, notamment à Conakry la capitale, les femmes tiennent le monopole du marché des « consultations ». Pour ferrer un mec capable d’endiguer l’effritement dangereux de leur pouvoir d’achat, les meufs de Conakry sont capables de pactiser avec le diable pour marabouter le tourtereau. Il s’est même créé une espèce de dénicheuses de maris ou de copains fortunés qui sillonne le pays à la recherche du plus puissant marabout.

Tout le temps maquillées, empourprées et parfumées comme une fleur, ces femmes emportent, enfoui dans les entrailles de leur sac-à-main-ni-de-bactéries, un terrible arsenal d’orientation de cœur : noix de cola, fils rouge-jaune-vert, cauris, aiguilles, papier blanc, cendres, œufs frais, fragments de miroir, amulettes, etc. Pire qu’un lutteur sénégalais qui prépare un match de « lamb ». Il est fréquent d’enjamber ce salmigondis d’objets, nuitamment déposés dans les carrefours.

Parait que certaines  femmes exploitent judicieusement le sens du dicton qui dit que « l’on n’est jamais mieux servi que par soi même ». Elles ont appris à jouer aux cauris et voient l’avenir comme leur propre reflet dans un miroir.

Cet écosystème propice apparait comme du pain béni pour des imposteurs de tout poil reconvertis en féticheurs, marabouts, joueuses de cauris, tradi-praticiens qui surfent sur la vague de la crise politico-socio-économique qui mine le pays pour pigeonner les crédules. Les femmes les premières, évidemment. Au nez et à la barbe des autorités, surtout sanitaires.

Il règne en ce moment à Conakry, une vraie guerre dans le secteur de l’occultisme pour le contrôle du marché. Marabouts traditionnels, charlatans, Donzos et tradi-praticien-super-médecins, venus parfois du Nigéria ou du Ghanda, rivalisent de charme à l’endroit des clients potentiels, y compris des très hauts-placés. Ils ont solution à tout problème, guérissent TOUTES les maladies, y compris le Sida (Nous aussi, on a nos Yayah Djammeh locaux). Ceci-sans la moindre injection s’il vous plait. Des simples décoctions (autre culture de bactéries) à boire, des baumes à s’enduire, un simple massage, une amulette à porter. Et votre mal s’évanouit comme par prestidigitation ou s’installe et finit par vous emporter.

Qu’importe! De toutes les façons, il y aura toujours quelqu’un pour boire les paroles, que dis-je, le crachat de quelqu’un d’autre ! Conakry life !