Mamadou Alimou SOW

Salons de coiffure de Conakry, fragments « d’ailleurs »

Salon de coiffure crédit photo - Alimou Sow
Salon de coiffure crédit photo – Alimou Sow

Poussez la porte d’un salon de coiffure de Conakry : vous entrez dans la troisième dimension ! Un monde fascinant où les frontières s’effacent, une sorte de grotte d’Ali Baba qui recèle des trésors insoupçonnés. Sésame, ouvre-toi.

On tombe sur une scène à s’arracher les cheveux. Lionel Messi en sueur décoche un sourire candide à un Oussama Ben Laden impassible, lui-même occupé à reluquer la poitrine ensorcelante de la star  Nicky Minaj !  Non, ce n’est ni un cauchemar, ni un film au scénario pourri. C’est le chef d’œuvre d’une mise en scène qu’on ne peut trouver que sur les murs d’un salon de coiffure de ma capitale.

Précision de taille avant d’aller plus loin : il s’agit ici des salons de coiffure pour hommes. Je ne sais pas si un jour j’aurai le courage de franchir la porte d’un salon pour dames, une de ces mini-industries dont le produit fini est un concentré personnifié de la Chine!  Je m’égare…

Disons qu’un salon de coiffure (homme) remplit, certes, sa  fonction première : celle d’être un lieu où l’on peut vous refaire la beauté. Une gamme de mille et un modèles de coiffures des plus loufoques aux plus artistiques à votre disposition: ras congolais, Craig David, Singleton, Snoop Dog, Livio, zèbre, tête de mort, etc. Une lame et un simple peigne fin (Pour la tondeuse électrique, revenez quand le courant rebelle de Conakry décidera de pointer le nez). Avec ce matériel rustique, un gars s’attaque à votre tête qu’il tord, tond et sculpte en moins de vingt minutes. Pour une misère (moins de 0,5 euro) et dans des conditions d’hygiène souvent douteuses.

En contrepartie, l’ambiance d’un salon est toujours fun. Si le courant est de «tour», une chaine musicale ou un écran télé crachent de la musique en permanence. Sinon la conversation bat son plein entre clients, gérant et désœuvrés qui cherchent à tuer le temps. Les ragots et les potins du quartier sont passés au crible, l’actu sportive et politique est disséquée, commentée, passée au …peigne fin. Les rumeurs se ramassent à la pelle.

A Conakry, c’est dans les bars-cafés et les salons de coiffure que les footballeurs des championnats européens sont recrutés et formés, là que les ministres de la République sont nommés et destitués, que les coups de d’Etat sont orchestrés, là que les  élections sont organisées et validées ou non,  là que les président tombent malades, guérissent ou meurent. Ce sont des parlements en miniature dont le pouvoir est renforcé par l’absence d’une vraie Assemblée nationale dans le pays depuis décembre 2008.

Les salons, c’est  aussi et avant tout un business. Dans un pays où le secteur informel tient l’économie par la bride, les salons de coiffure constituent autant de points de chute pour de nombreux chômeurs dont des sortants d’université qui ont fini par ranger leurs diplômes sous le matelas, à force d’écumer la ville à la recherche d’un emploi introuvable. On arrête de couper les cheveux en quatre pour prendre le peigne et la lame rasoir. Il faut vivre.

Mais, de tous les aspects d’un salon de coiffure guinéen, le plus fascinant reste le décor. Celui-ci est pensé. Les propriétaires y accordent une importance capitale. Mi-salle d’exposition photos, mi-tableau d’affichage de cinéma, les salons de coiffure croulent sous le poids des affiches et autres posters dont ils sont tapissés dans une logique que ne comprennent que les auteurs. Des stars du showbiz d’Hollywood côtoient des icones de l’islam wahhabite, des gros poissons de la jet-set du football européen posent un regard rieur sur la coiffure des modèles ghanéens ou nigérians.  Tout le monde y trouve sa place. Dans la tolérance la plus complète. Un véritable cas d’école.

Coiffeur an action - (c) Alimou Sow
Coiffeur en action – (c) Alimou Sow

Ces posters ne sont pas uniquement destinés à cacher la misère des murs décrépis et la tôle mangée par la rouille d’un studio de quatre mètres carrés chauffé à blanc. Ces fragments d’ailleurs traduisent aussi l’expression d’une génération à l’écoute du monde extérieur par la bénédiction d’une mondialisation débridée. L’expertise de la Chine et du Nigéria en matière de fabrication de posters pacotilles est mise à contribution à grande échelle. Le résultat est une photothèque du monde reconstituée entre quatre murs.

Cette espèce de syncrétisme culturel illogique est également perçue comme un dérivatif pour s’échapper, du moins spirituellement, à la dure réalité du quotidien de Conakry la capitale. Une façon de partager la vie des célébrités à travers leur image.

Ça s’appelle vivre le bonheur par procuration même si, comme le disait le poète Senhgor, «on ne peut pas se désaltérer au seul souvenir d’une eau déjà bue».


Dakar-Mondoblog 2013 : blogs, blagues et blues

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Mondoblogueurs – Crédit photo: Alimou

Mon premier billet depuis Dakar était censé faire une immersion au  cœur de la Médina, la vieille ville de la capitale sénégalaise  devenue, au fil des ans, le «little Guinea» de Dakar. Pour arpenter, avenue Blaise Diagne, les travées du marché Tilène à la rencontre de mes compatriotes guinéens, incontestables marchands de quatre saisons  mais aussi légendaires tenanciers d’échoppes dans les ruelles sablonneuses du quartier où, sur le toit des habitations, fleurissent des antennes paraboliques pour capter les images de la télévision guinéenne, passerelle entre un Sénégal adoptif et une Guinée natale régulièrement secouées par des remous politiques suivis à la loupe.

Revirement donc. Pour vous convier à l’arrière-cuisine de la formation Mondoblog saison 2 organisée à Dakar au Sénégal sous la houlette de l’émission l’Atelier des médias de RFI, avec une flopée de partenaires.

  • Blogs

Prenez 52 blogueurs francophones (d’âge et de profils différents) venus d’une vingtaine de pays. Armez-les de smartphones et d’appareils photos numériques, puis lâchez-les dans une ville que la plupart découvrent pour la première fois. Vous obtenez une véritable agence de presse.

En quelques jours de séjour à Dakar, ce sont des dizaines de billets de blog mis en ligne et des centaines de photos postées sur Facebook et Twitter pour raconter au présent Dakar ce que Oumar Ndao, écrivain contemporain sénégalais, qualifie d’«ineffable» dans sa fresque consacrée à la capitale du pays de la Teranga (hospitalité).

Si Dakar est ineffable, le Camerounais René Jackson Nkowa, littéralement tombé sous le charme de la ville, peut la chanter dans une ode pleine de mélancolie. Sous «Le Mandat» d’Ousmane Sembene, autre écrivain sénégalais, le compatriote de René, William Bayhia, jette un regard historique sur le Dakar contemporain.  Son billet de blog enchante France Inter au point d’être lu, in extension, dans l’émission… « l’Afrique enchantée» enregistrée en public mardi 9 avril à la galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar.  Enfin, la startup Nalam Services remet une couche en lançant, le même mardi, au même endroit, l’application N’Dakarou qui invite à une visite virtuelle de Dakar, l’ineffable.

Ineffable  est aussi ma joie pour le franc soutien des Mondoblogueurs à la candidature de mon blog aux Bobs 2013. On vote tous les jours, certains font la promotion. Comme le polyvalent Gaïus Kowene et le Guinéen vivant en Ukraine, Mamady Keïta, qui m’ont consacré un article. La  blogueuse béninoise Sinathou, elle, s’est carrément autoproclamée Communauty Manager de la candidature de Ma Guinée Plurielle. Sur son Twitter, elle s’emballe parfois. Pourvu que ça dure jusqu’au 7 mai prochain…

  •  Blagues

Dakar-Mondoblog ce sont les billets de blogs, la formation, les ateliers, certes,  mais c’est aussi les moments de détente. Les blagues. On se réveille avec les vannes qui partent le matin au petit déjeuner à l’Espace Thialy, une auberge devenue petite pour la soixantaine de blogueurs et encadreurs, et presque espagnole, par conséquent…

L’humour ivoirien étant indétrônable, les blogueurs ivoiriens, emmenés par Suy Kahofi et Cyriac Gbogou, tiennent le pavé. Et le jettent souvent dans la … mer, comme lors de l’excursion sur l’île de Gorée organisée dimanche 7 avril au bord de la chaloupe Coumba Castel où l’ambiance était fun, à l’aller comme au retour.

Ambiance aussi le matin, à l’aller, et le soir, au retour, dans les minibus qui font la navette entre Thialy et l’Agence universitaire de la francophonie où se déroule la formation. William Bayiha, encore lui, a le bagout et porte la philosophie en bandoulière. Que ce soit sur la civilisation noire aux Amériques ou bien sur la question freudienne du viol, William est imbattable. Et ça, tout le monde en est convaincu. Sauf, manifestement, Nicolas Dagenais le Québécois philosophant sur son blog depuis Berlin et Daye Diallo, le Guinéen de Montréal qui traite de politique internationale avec pédagogie. Daye se mesure souvent à William sous le regard du sage Nicolas. Au grand désespoir de Manon Heugel, sensible à la pollution sonore. C’est d’un minibus écolo qu’il lui faut, Manon.

  • Blues

Moins d’une semaine hors de leur pays, y en a qui commencent à avoir le blues. La faute au… riz. Céréale décliné en plusieurs versions de Thiep, plat mythique sénégalais, le riz est omniprésent et s’impose aux Mondoblogueurs. On le mange matin, midi et soir. Au grand désespoir d’Axelle Kaulanjan, venue de la Caraïbe et habituée à d’autres spécialités culinaires. Cette «dictature du riz», a même inspiré de jolis textes ce jeudi matin à l’atelier d’écriture animé par l’auteur Khady Hane.

Entre le Sénégal où il séjourne et la France où il vit, Adjmaël se sent comme dans un no man’s land. Il veut rentrer dans son pays natal, les Comores. Ce que vont faire ce weekend des dizaines d’autres Mondoblogueurs après un séjour sans doute inoubliable au pays de la Teranga. Bon vent.


Respirez, c’est la Basse-Guinée !

Lac de Koba
Lac de Koba. Crédit Lims.

Sortir. Sortir la tête des dossiers, ranger souris et clavier pour se refaire les idées le temps d’une journée. Sortir surtout de Conakry, ville surdimensionnée, ville-élastique, ville-capharnaüm avec ses rues étriquées et encombrées, ses quartiers surpeuplés, ses habitants pressés et indisciplinés, son air irrespirable, empesté d’odeur de détritus brûlés à même la chaussée. S’échapper de ce chaudron de cité pour aller humer l’air pur de l’intérieur du pays, pour communier avec la nature qu’on a réussi à mutiler et à transformer dans la capitale.

Mes collègues et moi avons réussi ce pari, un fameux jeudi 14 mars, en 2013.

Cap sur Koba, dans la zone de Boffa. Un écrin de beauté à l’état pur niché au cœur de la Basse-Guinée, l’une des quatre régions naturelles du pays à l’origine du nom de « Rivières du Sud » de la Guinée d’antan. Nos 4×4 avalent les quelque 150 kilomètres d’asphalte en un rien de temps. Le nez collé à la vitre, l’œil rivé à l’horizon, appareil photo dégainé, je redécouvre la beauté de mon pays, en mode touriste.

La ville de Dubréka franchie, les montagnes imposantes de la dorsale guinéenne défilent rapidement à ma droite, faisant place à un pays plat au paysage époustouflant. Des cocotiers élancés, des palmiers symétriquement rangés alternent avec des plaines verdoyantes et encaissées. L’habitat est dispersé. Les gamins couverts de poussière courent les ruelles, l’air insouciant. Des femmes lavent le linge dans les cours d’eau sous les ponts. Des cases en banco et des maisons aux tôles rouillées rappellent le classement PNUD 2012 de la Guinée au rang de 178ème pays le plus pauvre au monde. Le grincement des quatre ponts métalliques de Tanènè, construits sur le Konkouré à la faveur du projet de l’usine d’alumine de Friguia, à Fria (première en Afrique, aujourd’hui à l’arrêt), confirme tristement ce classement.

«Qu’avons-nous fait de nos 54 ans d’indépendance ? »

J’ai failli poser la question au feu Général Lansana Conté dont la statue est figée pour l’éternité à la sortie de Tanènè. Virage à gauche, nous entrons sur les terres de l’ancien président de la République, mort le 22 décembre 2008 et enterré ici. Une belle palmeraie, quelques routes bitumées et des coquettes mosquées. C’est l’héritage qu’il a laissé à «ses parents» qui continuent à le bénir. Aucune infrastructure impressionnante. Je suis un peu déçu par rapport aux légendes qu’on entendait du temps de Conté, et qui faisaient de Koba un pays de cocagne.

Encore quelques kilomètres, cette fois sur une piste rurale poussiéreuse, avant d’arriver à Filaya où nous visitons un projet agricole. Quarante-cinq hectares de plaine de mangrove aménagés grâce au financement de l’Agence Française de Développement (AFD) dans le cadre d’un vaste projet de rizière. Des digues à perte de vue pour maîtriser l’eau salée d’un bras de mer. Le rendement est de 2,5 tonne de riz à l’hectare, explique le coordinateur du projet qui emprisonne dans sa main une carte en couleur de la zone. Du riz 100% bio, obtenu grâce à des techniques d’irrigation simples. On n’a pas les chiffres exacts sur le nombre de personnes impactées par le projet, mais des paysans dépenaillés, visiblement impressionnés par les visiteurs, se disent «satisfaits».

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Crédit Lims.

Je me dis qu’avec une politique agricole cohérente, la Guinée pourrait assurer son autosuffisance alimentaire et exporter ses excédents de production, surtout en riz. L’idée est géniale mais reste un rêve pour l’instant. D’ailleurs, je ne puis m’empêcher de sourire en pensant à ces tonnes de riz blanc insipide en provenance d’Asie dont on nous gave…

Le soleil est au zénith, l’air devient chaud et sec. Un bon repas et une petite sieste s’imposent. Pour ça, il existe un endroit idéal situé à un jet de pierre de là : l’Auberge du lac.

C’est un hôtel rustique installé sur un domaine de quatre hectares (dont un et demi exploité) situé en bordure d’un lac artificiel d’eau douce. Des bungalows en cases rondes au mur en béton et à la toiture de chaume. Savant mélange de tradition et de modernité qui se ressent jusque dans les 14 chambres disponibles de l’auberge. Clim, toilette moderne avec eau chaude, décoration sobre, propreté impeccable sur laquelle veille en permanence la charmante Laou Buée, la patronne du coin. J’imagine que le client ne regrettera pas les 500.000 GNF (55 euros) la nuitée.

Au restaurant de la paillotte, vous pouvez siroter au choix, un Coca frais ou un verre de jus d’hibiscus fait maison et manger des brochettes de capitaine et du couscous … marocain. Le tout les pieds dans l’eau, les oreilles bercées par le chatouillant clapotis de l’eau bleue du lac. On respire la nature à plein poumons. Un havre de paix dans lequel repose à tout jamais l’ancien président Lansana Conté dont aperçoit, de l’autre côté du lac, le mausolée qui se détache au milieu de la verdure. On ne sent pas le soleil qui glisse doucement à l’horizon. L’endroit fait rêver et donne envie de rester.

Mais il faut vite rentrer à Conakry en faisant, si possible, un crochet sur les Cascades de la Soumba, site touristique situé près de Dubréka. On y arrive en début de soirée. Un peu déçus je l’avoue. Nous sommes en plein mois de mars, c’est l’étiage. L’eau a déserté les cascades et l’endroit est un peu tristounet. Caprices de la nature, folies de l’être humain qui détruit son environnement immédiat et éprouve l’envie d’aller chercher ses bienfaits ailleurs…

Je regagne Conakry, les poumons chargés d’air pur, l’esprit léger comme une plume avec l’envie de retourner si souvent d’où je viens. Pour respirer la Basse-Guinée!


Le surnom, l’autre identité du Guinéen

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Portrait de moi par Oscar

A.O.B, ça vous dit ? Forcément oui si, comme des milliers de Guinéens en ce moment, vous terminez la soirée scotché devant la RTG (Radiotélévisions guinéenne) pour mater le procès dit de «l’attaque de la résidence présidentielle, procès devenu le Koh-Lanta guinéen, notre téléréalité de début d’année. De l’eau bénite pour la RTG depuis les fameux Dadis-shows de 2009 qui explosaient l’audimat de la télévision nationale récemment qualifiée de télé-Mamaya par le premier magistrat du pays

Qu’on ne s’égare point. Ce n’est pas le sort (de plus en plus évident) réservé aux accusés de ce procès qui m’intéresse ici. Encore moins le spectacle humiliant auquel se livrent urbi et orbi nos magistrats au vocabulaire pathétiquement pauvre.

Ce qui m’intéresse donc, ce sont ces trois lettres devenues célèbres qui sonnent comme un nom de code: A.O.B, abréviation d’Alpha Oumar Boffa Diallo, surnom de l’un des prévenus du procès. Une banalité chez un Guinéen, de surcroit militaire dans le cas présent.

Il existe, en effet, un lien quasi ombilical entre le surnom et mes compatriotes. Une sorte d’hérédité qui nous colle à la peau et constitue une marque de fabrique. Le phénomène est déroutant. Tout adulte Guinéen a un sobriquet ou en a eu à un moment donné de sa vie ! Contrairement à l’eau et à l’électricité, le surnom est la chose la plus équitablement partagée dans ce pays. Grand ou petit, riche ou pauvre, gouvernant ou gouverné, civil ou militaire chacun traine, comme son ombre, un sobriquet. Si l’on s’appelle Mamadou ou Albert c’est toujours «dit» ou «alias» quelque chose. Un complément qui fait «trash» que l’on s’est choisi ou que les potes d’enfance ou de l’école vous ont affublé à vie.

Lorsqu’on est l’auteur de son propre surnom, c’est souvent par identification à un héros ou à une héroïne. D’abord du cinéma avec les classiques du western américain où, hier, le célèbre bandit Fernando Sancho était une référence pour bon nombre de respectables Elhadj d’aujourd’hui. Suivent les Jacky Chan, Bruce et Jet Lee, James Bond, Dolf et autres Rambo, Nico et Commando. Dans le domaine de la musique, Michael  Jackson et Céline Dion semblent avoir plus d’homonymes pour la génération 70-80. Pour celle de 90, les Mamadouba sont des Chris Brown, Ne-Yo, Soprano, Booba ou La Fouine. Dalanda et Fanta se font appeler Chakira, Rihanna ou Nicky Minaj. L’identification rime des fois avec imitation sur le plan vestimentaire, surtout pour les jeunes filles qui prennent la rue pour des podiums.

Mais de tous les domaines, le sport reste le principal réservoir à sobriquets. Le football en tête. De la génération de Pelé à celle de Messi, du championnat local au mercato, les stars du foot sont adulées. Impossible de quantifier le nombre de Zidane, Ronaldo, Cristiano, Eto’o, Droba et Messi que nous possédons. Les héros du basketball aussi ont leurs admirateurs. Surtout la NBA américaine. Dans tout lycée ayant un terrain de basket, il existe un Thierno Mamadou BARRY ou un Fodé KEÏTA qui se fait appeler «Jordan» et qui est convaincu d’être une idole pour toutes les filles de son bahut.

C’est dans l’armée que le phénomène prend toute son ampleur. Pour connaitre le vrai nom d’un soldat guinéen, il faut carrément retrouver son acte de naissance. L’armée symbolisant force et puissance, les surnoms militaires sont hautement évocateurs. Après les films de guerre et d’horreur, ils font appel à la faune sauvage (lion, cobra, tigre, scorpion, aigle), à la flore (baobab, ébène), à la géographie (suivant les terrains de combat), la géologie (volcan, lave, sommet) et même les catastrophes naturelles (ouragan, tsunami, cyclone). On retrouve aussi des noms de code comme «lieutenant AC», «capitaine 43», «colonel Delta2», «commandant A.O.B». L’armée israélienne pourrait même s’en inspirer pour baptiser leurs opérations «humanitaires» à Gaza et en Cisjordanie…

Si vous n’avez pas choisi votre surnom de plein gré, on vous le colle d’office. Dans la vie courante, on fait recours à la géographie. Vous êtes confondu au nom de votre quartier, secteur, village, sous-préfecture ou préfecture. A l’école, ça se passe avec les potes ou un rival. Dans ce dernier cas, le sobriquet est loin d’être novateur. On te colle le nom d’un animal (cochon,  singe, sauterelle), d’une notion d’étude (pi, valence, théorème), d’une simple idée (vecteur), ou d’un personnage de roman (Toto, Maloko, Barré Koulé, Gosier d’Oiseau, Jacques le fataliste), etc. Tout peut être surnom à l’école. Encadreurs et enseignants sont les premiers visés. Je me souviens de deux cas.

Le premier, c’était au collège où on avait un surveillant général réputé impitoyable. Le mec, grand de taille, était aussi maigre et effilé qu’un Paul Kagamé en grève de la faim. On aurait dit qu’il était porté par le vent quand il marchait. Les élèves lui ont attribué le surnom de «Gombo Sec». Si tu as le malheur de prononcer ça devant lui, tu étais soumis au supplice de curer et de récurer les latrines du collège. Un  cloaque à te faire gerber les poumons.

Le second cas, c’était à l’université. L’un de nos vice-doyens de faculté avait un physique trapu, une taille qui rappelle celle d’un pygmée d’Afrique centrale, la démarche trainante, les yeux perpétuellement injectés de sang. Les étudiants ont conclu qu’il était le portrait craché de l’ancien footballeur camerounais, Pius N’Diéfi ! Si tu veux prendre des sessions (crédits) dans au moins cinq matières, hasarde-toi de l’appeler ainsi.

Dans les quartiers de la capitale Conakry, on retrouve les présidents célèbres du monde entier. Dans les villages les plus reculés du pays, les anciens combattants et les troubadours ont des surnoms au goût de la langue du terroir. Au Fouta par exemple on retrouve les Sarsan Manga, Kapourané Bhoye (comprendre sergent et caporal), ou Foula Niama Yawta (Foula qui mange et enjambe le reste), etc.

Cette «surnominalisation» qui caractérise la société guinéenne a pris des proportions allant jusqu’au sommet de l’Etat. L’hebdomadaire satirique Le Lynx en fait son fond de commerce. Tous les présidents et les ministres de la République sont affublés d’un sobriquet. Soit par déformation de leur nom, soit par référence à un fait historique les concernant. Ainsi, le premier président Ahmed Sékou Touré est appelé «Sékou le Tyran», son successeur général Lansana Conté surnommé «Fory Coco», le capitaine Dadis Camara «El-dadis», le général Sékouba Konaté «El-Tigre» et l’actuel président Alpha Condé «Alpha Grimpeur» pour avoir, au moment où il était opposant, escaladé le mur d’enceinte d’un stade suite à l’interruption d’un meeting par la police.

Véritable quête de valeur et d’identité ou simple phénomène de société ? Vaste chantier pour les sociologues guinéens.


Le fatal baiser de «Madame Sassé» !

crédit photo: worldblue
crédit photo: worldblue

Il y a des baisers dont on devrait se passer. Fussent-ils offerts nuitamment et librement par une princesse à la beauté angélique. Cela peut faire sourire un fieffé coureur de jupons au sommet de son prestige. Et pourtant…

Réjouissons-nous d’abord de leur fourberie. Le 21 décembre 2012 est passé, nous sommes toujours vivants. Les Mayas et leur maléfique calendrier se sont lamentablement plantés en prédisant la fin du monde. La Terre continue de tourner, les hommes et leurs conneries avec.

Nous sommes à Labé, principale ville de la Région du Fouta Djallon, à quelque 400 km de Conakry la capitale guinéenne. Près de 300.000 âmes peuplant 28 quartiers perchés à 1500 mètres d’altitude sur des collines abruptes entre lesquelles se faufilaient, jadis, quatre marigots d’eau douce (Doghora, Dombi, Pounthioun et Sassé). Température moyenne : 25 degrés Celsius.

C’est dans ce paysage de carte postale qu’en 1755, un certain Alpha Mamadou Cellou (dit Karamökö Alpha) déposa sa canne et sa besace pour jeter les bases d’une petite mosquée, fondement de ce qui allait devenir le royaume du Fouta théocratique. Une véritable oasis de démocratie en terre africaine où l’alternance au pouvoir entre deux grandes Familles, Sorya et Alphaya, se faisait en douceur tous les deux ans. L’islam pouvait se propager jusque dans la côte pendant que les bœufs paissent aux flancs des collines et dans les bowés verdoyants. Le Peulh et la vache ? C’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule. Labé reste une ville-pâturage !

Elle garde aussi intacts les secrets mystiques d’une cité naguère habitée par des païens (Peulhs et Djallonkés) reconvertis à l’islam. Rites, interdits, mythes, légendes et croyances font partie de la vie sociale et animent celle-ci. A ce sujet, les Mayas n’ont rien inventé. Et comment !

Sassé est donc l’une des quatre rivières qui irriguaient la ville de Labé jusque dans un passé récent. Telle une mère nourricière, elle roulait ses eaux à travers la cité de Karamökö Alpha  abreuvant ses habitants et leurs bêtes d’une eau douce, rafraichissante et vivifiante. Ses berges étaient jalonnées de magnifiques jardins maraichers parfaitement incrustés dans le milieu naturel. Lointain souvenir.

Aujourd’hui, ce cours d’eau est presque inexistant, totalement enseveli par l’urbanisation sauvage doublée d’une pollution à grande échelle. A certains endroits, le lit de la rivière est devenu un marché ; une place qui marque la limite entre le quartier administratif de Kouroula et celui de Mosquée. Sassé n’est plus qu’un grand bazar noyé dans le vacarme de pots d’échappement, des cris de vendeuses de condiments, négociants de fripes, réparateurs de motos et autres charretiers impénitents. Au grand dam de «Madame Sassé» !

Qui est «Madame Sassé» ?

Une femme au visage modelé avec une infinie harmonie au milieu duquel sont délicatement posés deux yeux d’ambre dont le bleu azur vous donne l’impression de vous noyer. Les contours de sa bouche, rehaussée par un nez aquilin, sont dessinés par des lèvres couleur mauve à la pulpe tendre et charnue. Du haut de son mètre soixante-douze trône une tête à la chevelure abondante retombant sur deux obus plantés sur sa poitrine recouverte d’une peau veloutée. Voilà le portrait robot que dressent ceux qui prétendent avoir vu «Madame Sassé», la gardienne de la rivière éponyme. Quel homme ne voudrait pas embrasser une telle créature ? Malheur à celui qui oserait !

Les dépositaires du récit fabuleux jurent que Madame Sassé était une diablesse aguichante qui, sous les traits d’un être humain, s’habillait légèrement la nuit pour tendre un piège aux coureurs de jupon. Elle se laissait facilement embarquer par les dragueurs enivrés par son élégance et son charme. Quelle désagréable surprise de se retrouver ensuite dans sa voiture ou dans sa chambre avec une tête de femme sur le corps d’un animal hérissé de poils ! Des fois, elle disparaissait comme par enchantement alors que vous la teniez entre vos bras, prêt à déposer un tendre baiser sur ses lèvres mauves. Ceux qui y parvenaient, toujours selon les narrateurs, perdaient immédiatement la tête, s’arrachant les cheveux et poussant des cris démoniaques.

Le Capitaine Moussa Dadis Camara a-t-il embrassé «Madame Sassé» ? Question démoniaque pourriez-vous penser. Pourtant…

Le 26 septembre 2009, l’ex-chef de la junte militaire qui a pris le pouvoir à la mort du président Lansana Conté, en décembre 2008, débarque à Labé en véritable chef de guerre. Pour «défier» ses détracteurs avait-il martelé au stade Saïfoulaye Diallo de la ville. Son impressionnant cortège composé des centaines de véhicules militaires transportant tout type d’armes traverse la ville noyée dans un immense nuage de poussière. Il passe par Sassé. Une erreur monumentale. Un chef ne passe jamais par Sassé dans un cortège, dit-ton. La punition est immédiate.

Au moment de faire le plein pour le retour, Dadis lui-même arrache le pistolet à essence d’un pompiste pour remplir le réservoir d’un véhicule diesel ! Deux jours plus tard, le 28 septembre 2009, ce sont 150 personnes qui se faisaient violées et tuées au stade de Conakry par les hommes du capitaine Camara !  «Madame Sassé» n’avait visiblement pas apprécié la visite. On connait la suite.

Mythe ou réalité ? Allez-y comprendre quelque chose.


31 décembre à Conakry, vices et vertus d’une fête

31-conakry

Le 31 décembre 2012  a vécu. J’en garderai un souvenir désopilant.  Et c’est tant mieux, eu égard au drame enregistré au stade Houphouët-Boigny d’Abidjan en Côte d’Ivoire…

A Conakry, l’ambiance était au rendez-vous. Partout.  En dépit de tout. Beaucoup de parents auront été  tour à tour persuasifs, conciliants, menaçants et même agressifs ; les imams, dans leurs sermons du vendredi, ont prévenu, défendu, maudit, invoquant la Géhennes et tous les supplices du Purgatoire contre les musulmans contrevenants. Rien n’y a fait. Comme par le passé, le réveillon du 31 décembre 2012 a été célébré dans la joie et l’allégresse, à l’unisson.

En Guinée, les fêtes ont cela de vertueux qu’elles sont fédératrices. Les différences religieuses et surtout les clivages ethniques instrumentalisés par des discours politiques sectaires sont toujours mis de côté pour casser la baraque. Dans l’équité, l’égalité, la fraternité et la laïcité. Et qui dit que nous ne respectons pas notre Constitution qui prône ces valeurs inspirées par la Bible?

En tout cas, pas Nicki Minaj !

Cette pimpante star d’origine Trinidadienne au nom bizarre et dont les décolletés laissent apercevoir une poitrine capable de provoquer un infarctus du myocarde même chez un activiste d’Ansar-dine, a vu sa côte de popularité monter en flèche à l’aube de 2013 à Conakry. Par imitation. Il se raconte qu’elle est à l’origine d’une espèce de chainette fixée aux sourcils en signe de beauté. C’est devenu ici un véritable phénomène de mode à l’occasion des dernières fêtes de fin d’année. Pour un résultat franchement effrayant. Les commerçants ont inondé le marché de répliques chinoises d’autocollants de la chainette de Nicki Minaj, contribuant à créer des personnages de films d’horreur dans les rues de notre capitale. La nuit, sous l’effet de la lumière, les filles ont carrément une allure de clown !

Ce qui a donné le ton pour la sape du «31». Sape à l’occidentale, du moins pour les garçons. Souliers, chemise, veste et cravate. Ça été plus au moins respecté, plus ou moins élégant. C’est une question de goût, mais c’est surtout une question de moyens. Certains se sont saignés des quatre veines pour acheter à prix d’or (pour une qualité chinoise) leur smoking de soirée. D’autres ont marchandé, essayé et finalement acheté les «costumes-occasions» du légendaire marché à fripes de Bordeaux à Madina (longue vie à Bordeaux) ; les plus fauchés ont tout simplement appliqué le système «Yéfoussé» (emprunter). Les partisans de cette dernière catégorie étaient reconnaissables à leur tenue serrée ou – surtout – ample, la veste du grand frère banquier faisant office de peignoir pour eux !

Pour les filles, c’était en veux-tu en voilà. Tous les goûts, toutes les couleurs. Il y avait certes des élégantes dans une tenue impeccable, belles à marier et parfumées comme une fleur. Puis, il y avait les autres : les Nicki Minaj, les Rihana, les Koumba mais aussi les Léopoldina. Certaines étaient fagotées comme pour entrer dans une scène de théâtre : longue robe en polyester, escarpins plastiques, boucles d’oreilles en cerceau, chainette au pied, Nicki Minaj  à l’œil, maquillage à outrance, le tout dans un accident de couleur à faire pâlir de jalousie un arc-en-ciel ! Avec ça, tu leur adresses un «bonsoir» normal, et c’est dans la gorge qu’elles partent chercher le «R» de leur «bonsoir» de réponse, après t’avoir dévisagé de la tête aux pieds. Attention hein, c’est de l’intégration culturelle universelle vous dira-t-ton ! Et puis des goûts et des couleurs…

Mais de cette culture de masse qui nous vient d’ailleurs, c’est la coiffure qui a battu tous les records de représentativité le 31 décembre à Conakry. Hommes et dames. Mais les dames plus que les hommes. Perruques et mèches ont valsé sur quasiment toutes les têtes, formant des chignons et des tresses plus originales les unes que les autres. Maquillages made in China, ongles en provenance de Dubaï ont complété le décor. Pour le plus grand bonheur de vendeurs de pacotilles et de patronnes des salons de coiffure.

Pour le plus grand malheur des poches des mecs. Car il fallait non seulement s’habiller, mais aussi habiller, coiffer, maquiller, épiler et limer la cavalière! Tant pis si, sur le plan économique, le pays affiche toujours une inflation à deux chiffres, tant pis si à l’approche des fêtes les vendeurs de produits et services font emprunter une courbe ascendante à leurs prix. C’est ton problème si tu as dû implorer plusieurs fois le Seigneur pour gagner à Guinée-Games avant la fête. Ce n’est pas le problème de la cavalière. Et c’est là que je respecte l’homme guinéen. En dépit de la crise, non pas seulement conjoncturelle mais foncièrement structurelle qui nous prend à la gorge, les traditionnels bouchons de Conakry étaient de la partie en ce lundi 31 décembre 2012.  S’en fout : ce que femme veut, Dieu veut.

Pourtant, y a des filles qui ont les chichis chevillés à l’âme. Quoi que tu fasses, elles restent impossibles à combler.  La nuit du «31», j’ai vu un mec se plier en quatre pour tenter d’arracher un sourire à sa copine qui tirait la gueule tel un pélican, pour un rien. Des câlins qui ont manqué sans doute à cette autre «plaquée» (cocue) qui a fini par craquer, pleurant à chaudes larmes. Pathétique.

Face à la crise et aux embouteillages, beaucoup ont trouvé la parade en organisant des diners dansants chez un pote du quartier. Cela avait le double avantage de fêter cool et de minimiser les dépenses en cotisant. Des dîners qui peuvent comporter de mémorables surprises. Cette nuit, au cours d’un de ces dîners, j’ai fait une découverte qui m’a laissé sur le carreau : les serviettes de table pour s’essuyer les mains et la bouche étaient en fait des papiers toilettes ! Personne ne le savait, alors shuut, gardez ça pour vous.

Bonne et heureuse année 2013 !


Bordure de mer, cette autre poubelle urbaine

Bord de mer à Sangoyah (Conakry)
Bord de mer à Sangoyah (Conakry)

C’est sur un ton badin que par une fin de soirée ensoleillée, profitant des vacances de fin d’année à Conakry où l’ennui est amplifié par les légendaires délestages du courant électrique avec leurs corollaires de chaleur et de moustiques, que je lui lançai « Je t’invite à une promenade en bordure de mer ». Sans trop de conviction, je pensais tout de même trouver un endroit calme, une oasis de paix pour tailler la bavette avec une amie, loin du vacarme assourdissant des rues de la ville animées par les klaxons de taxis indélicats, les vociférations de vendeurs à la criée et des policiers armés de bâtons qui jouent les bergers, régulant la circulation routière à coups de cravaches. J’étais loin d’imaginer la sensation que peut procurer une promenade en bordure de mer dans ce quartier de la banlieue-est de Conakry.

« Mesdemoiselles, je vous souhaite la bienvenue à cette plage de sable fin, aux eaux turquoises où avec un peu de chance vous verrez bientôt nager des baleines bleues ! ». C’est la déroutante blague que j’ai servie à mon amie, accompagnée de sa cousine, à notre arrivée en bordure de mer. Elles étaient médusées ! Il y avait de quoi l’être.

Car en fait de plage, c’est une vaste étendue de mangrove constituée de palétuviers aux racines squelettiques et aériennes qui s’offrait à nos yeux. Pas une goutte d’eau de mer ! La marée basse laissait découvrir un sol tapissé d’un épais manteau de détritus charriés par les caniveaux, véritable tapis roulant d’ordures en saison de pluie à Conakry. Partout de vieux congélateurs, de pneus usés, des sacs plastiques accrochés aux arbres. Une désagréable odeur d’excréments empestait l’air.

On s’installa sous un … manguier, l’arbre de Conakry. Le manguier est à la capitale guinéenne ce qu’est le cèdre au Liban : une identité.

Dans un avion au dessus de Conakry on a souvent l’impression d’atterrir dans une ville aux rues embellies par des aménagements paysagers, des espaces verts à l’ombre gratifiante. C’est un miroir aux alouettes. En dehors de quelques acacias rabougris de la commune de Kaloum, vestiges d’un héritage colonial, à Conakry l’arbre n’est pas considéré comme un élément décoratif. Ce sont plutôt des plantes fruitières (orangers, goyaviers, palmiers, et surtout manguier) destinées à calmer la faim en période de disette. Un élément fondamental qui permet de comprendre que notre capitale, comme beaucoup de villes africaines, est une création coloniale, en tant que ville, mutation chaotique d’un village en espace urbain. D’où cet accident végétal dans un cet étrange décor ville-village. Chassez le naturel, il revient au galop.

Nous nous installâmes donc à l’ombre d’un manguier. Non pas pour apprécier le frétillement de mes baleines chimériques mais pour constater avec désolation les ravages infligés au littoral marin de notre espace urbain. Dépotoir d’ordures, mais aussi urbanisation sauvage : briqueteries de fortune, cabanes, fumoirs de poissons, crématoires de pneus usés, etc. La gestion calamiteuse du foncier a incité à une véritable ruée vers l’exploitation immobilière avec des constructions qui font fi des normes.

Je lisais le dépit sur le visage ovale de mon amie, étudiante guinéenne au Maroc qui vit à Rabat. Pour avoir visité cette magnifique ville aux attrayants aménagements paysagers, je pouvais deviner les rapprochements qu’elle faisait à l’instant avec sa ville d’accueil. Dans sa tête, les deux corniches exigües de Conakry devaient faire grise mine comparée à celles de Rabat, vastes et dégagées donnant directement accès à une mer d’une eau de bien meilleure qualité. Les plages touristiques de Casablanca ne sont pas comparables aux portions de sable jonchées de détritus de Rogbané, Lambanyi et Banarès dont s’enorgueillit Conakry. D’accord, je m’égare.

Mais pas plus que les autorités en charge de la gestion de ce patrimoine national qui aurait dû être aménagé et protégé contre toute forme de souillure. De par sa position géographique, Conakry est une très belle ville, ou du moins devrait le redevenir. N’était-ce pas la «perle de l’Afrique» d’antan ?  Désormais pour respirer de l’air pur, il faut prendre le risque de la traversée pour les plages moins  polluées de Room au large de la presqu’île de Kaloum. Ou sortir carrément de l’agglomération de Conakry pour les splendides plages de Bel-air, à Boffa. Mais pour combien de temps ?

Les Conakrykas, par cupidité et au mépris de loi, se sont acharné sur la nature en lui infligeant les pires sévices. Redoutable est le jour où celle-ci prendra sa revanche. Je touche du bois.

SOW


Je suis Guinéenne, je suis naturellement belle

Souadou Dramé, miss Guinée North America 2012
Souadou Dramé, miss Guinée North America 2012

Anciennes Rivières du Sud, la Guinée actuelle indépendante depuis le 02 octobre 1958, est souvent présentée comme le « Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest » et surtout comme un « scandale géologique » à cause de ses nombreuses et multiples richesses  du sol et du sous-sol, richesses symbolisées par le minerai de bauxite dont le pays détient les deux tiers des réserves mondiales. D’accord, nous sommes classés 178ème de l’Indice de développement humain par le PNUD et 154ème (sur 176 pays) du classement 2012 de Transparency International. Ok, deux ans après notre première élection démocratique, nous sommes toujours  incapables de mettre en place le Parlement pour sortir de la transition. Pas donc de quoi se taper la poitrine côté démocratie et développement, même si l’on a de plus en plus tendance à verser dans le chauvinisme.

Par contre, ce qui donne envie de braquer une banque en plein jour ou de brader l’unique lopin de terre familial pour atterrir en Guinée tel un Roméo dopé de Viagra, c’est bien ce que nous avons de plus caractéristique, de plus esthétique, de plus magnifique, qui suscite des vertes jalousies et des envies libidinales compulsives : la beauté de nos femmes.  Je me répète : les femmes de Guinée sont belles. Belles, élégantes, gracieuses, splendides. Une beauté, une splendeur sculptée sur des corps angéliques disséminés dans les quatre Régions naturelles du pays. Gazelles à la pureté céleste, houris de… Stop ! Ma poésie à deux balles ne saurait décrire la beauté de la femme guinéenne. Alors chantons-la.

Mais pas avec ces troubadours modernes qui font de l’image de la femme leur fond de commerce, s’emparant du micro pour pérorer des conneries à la limite de l’obscénité. Non, je fais plutôt allusion à des tubes comme « Rewbhé » de Maïmouna Barry qui, par sa voix de rossignole, rehausse la beauté et le courage de la femme guinéenne dans toute sa diversité ethnique. Je parle de «Mariama », chanson culte du groupe de rap Fac-Alliance qui a dessiné un sourire de fierté sur la bouche de plus d’une Mariama en Guinée et bien au-delà. La talentueuse Oumou Dioubaté avait déjà donné le «la» en élargissant le spectre à travers «Moussolou» (Femmes d’Afrique) qui rappelle la condition féminine. Et bien d’autres. Le répertoire est inépuisable…

Un mâle camerounais, étourdi de jalousie, pourrait demander «et alors pourquoi vos femmes ne sont pas systématiquement des Miss Monde ?». D’abord, parce que c’est rarement les belles qui sont miss ! Les concours de beauté sont connus pour être un entrelacs de combines où des promoteurs véreux se sucrent sur le corps de pauvres jeunes  filles. Aussi, selon les critères de beauté dorénavant imposés dans ces mondanités, une fille analphabète n’est pas belle. Renversant ! En fin – c’est une donnée qu’on ignore souvent – en Guinée, le poids de la tradition et de la religion (le pays est croyant à presque 100%) fait que les élections miss ne sont pas toujours bien vues. N’empêche, miss CEDEAO 2012 est bien une Guinéenne et elle est belle tout comme, la sublime Souadou Dramé (voir photo), miss Guinée Amérique du Nord 2012…

Je souris quand je vois à la télé des filles empourprées, laides comme un pou, qu’on colle l’étiquette de «miss tel ou tel» au détriment des vraies. C’est là que tu piges toute l’industrie de la magouille développée autour de ce beauty-business. Faites un tour dans les lycées de Labé ou de Dalaba pour comprendre que la Guinée est une vaste pépinière de canons de beauté à l’état pur. Une beauté sans fard, irrésistible (DSK sait de quoi je parle). Si l’on n’est pas systématiquement Miss Univers, c’est simplement pour les raisons que vous savez. Bref, les miss ne sont pas forcément sur les podiums baignés de spotlights, mais souvent dans les foyers loin des paillettes et des cosmétiques.

J’ai toujours la rage au ventre quand je vois certaines de mes sœurs vouloir ressembler à Monica Bellucci en se dépigmentant la peau.  Simplement parce que des hommes, les chaines de télé, la presse People et maintenant Facebook leur ont vendu un modèle de beauté tout craché. Longue crinière, courtes paupières. Il faut être claire pour plaire. Miroir aux alouettes pour des mâles en rut. Progressivement, cheveux et ongles artificiels, hydroquinone, tatouages et piercing sont en train de devenir le fond de teint de cette image de la femme guinéenne à la beauté «bio». Un regret pour moi.

Pourtant, j’aimerais continuer à jubiler devant les hommes sénégalais, togolais, maliens, ivoiriens, béninois, camerounais, etc. qui se répandent goulument en éloges pour la beauté immaculée de nos fées. Mais avec la fierté d’entendre chacune de vous, mes chéries, affirmer : «Je suis Guinéenne, je suis naturellement belle». Je vous aime!