Gorée : émouvant et triste souvenir !
« Chaque heure dans cette maison ouvrait une tombe et faisait couler des larmes ». Bureau du Conservateur de la Maison des Esclaves de l’Ile de Gorée, au Sénégal. Cette citation, punaisée au mur, est tracée sur une simple feuille de papier de la main du regretté Joseph N’DIAYE, Ancien Conservateur de la Maison. On ne se rend pas au Sénégal pour une première fois sans faire le détour à Gorée. Et l’on ne sort pas indemne d’une visite de Gorée, symbole de « l’une des pages les plus douloureuses de l’histoire de l’Humanité ». Je rentre d’un « pèlerinage » de ce lieu chargé de mémoire, ému aux larmes. Comme bien d’autres, de ma mémoire ne sortiront jamais ces images.
Les voiliers dans lesquels étaient entassés des hommes et des femmes, la Porte du voyage sans retour, les chaines,… Des images que j’avais toujours vues dans un manuel d’histoire ou à la télé. En foulant le sol de Gorée, j’ai pu mesurer l’étendue des dégâts. De la tragédie. Comme sur un écran, j’ai vu défiler en quelques minutes, quatre siècles d’Esclavage : Kunta Kinteh, Toussaint Louverture, mais aussi Victor Schœlcher. J’ai révisé et compris tous mes anciens cours d’Histoire-Géographie en palpant les murs de la Maison des Esclave. C’est par ici que commence la visite après la fixation du cadre.
Longue de 900 m sur 300 de large, l’île de Gorée est distante de seulement 4 km de Dakar. Avec une population d’un millier d’habitants environ, elle est l’une des communes d’arrondissement de la ville de Dakar. Le guide, rompu dans l’art de la narration, nous explique que le navigateur portugais Dinis DIAS, fut le premier Européen à arriver en 1444 sur l’île, alors appelée Bêer par les autochtones. Elle sera reconquise par les Hollandais en 1627, puis par les Français en 1667.
La Maison des Esclaves elle-même est un bâtiment à étage avec un double escalier en arc de cercle qui orne la façade (voir photo). Au centre, la fameuse Porte du Voyage sans retour. De chaque côté du minuscule couloir qui mène à cette porte, des cellules exigües dans lesquelles étaient entassés les esclaves. Les murs sont épais et froids. A l’entrée d’une espèce de labyrinthe, c’est marqué « Cellule des récalcitrants ». Là, m’explique-t-on, étaient maintenus enchainés des jours durant les esclaves qui se révoltaient face aux conditions de vie inhumaines. Il me semble entendre, venu d’outre-tombe, l’écho de leurs hurlements lugubres à travers les murs sombres.
A l’étage supérieur sont conservés, intacts, des éléments qui témoignent de la barbarie. Des fers qui servaient à entraver pieds et mains, de lourdes chaines horriblement « noires », de longs et hideux fusils de traite. Sur une longue affiche, je lis : « […] Entassés dans l’entrepont, cale aménagée entre les deux ponts du navire, véritable boite à sardines dont la hauteur permet rarement la station débout (1 m à 1 m 80), les esclaves sont enchainés les uns contre les autres. Hors les moments de rassemblement sur le pont supérieur pour les exercices de dégourdissement et le lavage à l’eau de mer, ils sont enfermés et subissent la claustration, la puanteur, et les effets des maladies. La nourriture, à base de céréales et de haricot, est pauvre, insipide et monotone. Elle est uniquement destinée à assurer la survie des esclaves». Sur une autre : « […] Enchainé, à moitié nu, marqué au fer rouge, l’esclave devient un être anonyme, sans famille ni nom propre. Identifié par un numéro, il porte, tel un fardeau, les signes extérieurs de sa condition servile […] ». Asservissement, servitude, déshumanisation… Les mots ne sont pas assez forts pour décrire l’horreur qu’ont pu vivre ces hommes et femmes, victimes de la couleur de leur peau.
Envahis par l’émotion, nous décidons de sortir de la Maison des Esclaves. Mes superbes accompagnatrices, Hadiatou et Sory Binta DIALLO me conduisent au Mémorial de Gorée, situé sur la crête de l’île. Dans l’allé pavée qui nous y mène sont exposées des toiles, des tableaux peints de figurines et de scènes retraçant la culture des habitants de Gorée et du Sénégal en général. Nous croisons des touristes, un tableau sous un bras, un appareil photo sous l’autre. Le Mémorial de Gorée du Castel, inauguré par l’ex Président Abdou Diouf le 31 décembre 1999, représente un voilier renversé. Il symbolise ainsi l’abolition de la traite négrière.
Plus loin, deux énormes canons rouillés pointent vers Dakar où le soleil se couche dans une mare de métal fondu. Il faut vite redescendre pour ne pas louper le départ de la chaloupe qui effectue la navette Dakar-Gorée. Nous finissons par nous embarquer à 19 heures. Une fois à bord, je jette un dernier regard sur l’île et me rappelle de cette autre affiche signée Joseph N’DIAYE: « Béni ! Soit ce lieu qui me renvoie si souvent à mes ancêtres martyrs».
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