Lettre de chagrin à ma mère
Ma très chère petite maman,
En ce 21 mars, comme chaque 21 mars, j’aurais aimé avoir le talent du poète Senghor pour me souvenir de toi dans une ode aux vers perlés d’amour et de tendresse. J’aurais voulu posséder la prose de Camara Laye pour te décrire, en des mots si simples, l’irremplaçable vide que tu as laissé. Hélas ! Je me contenterai de ma plume effilochée de blogueur pour te griffonner ces quelques lignes empreintes de chagrin qui consume mon âme depuis 24 mois.
Maman, voilà deux ans que tu es partie. Tu reposes à jamais à Fârâto, en terre gambienne, où le 21 mars 2012, par une belle fin de journée ensoleillée, nous t’avons accompagnée à ta dernière demeure. Je n’oublierai jamais cet instant pathétique où, le tout dernier à quitter le cimetière, je jetai un dernier regard sur ta tombe recouverte de terre ocre sachant que je ne te reverrai plus.
Les voies du Seigneur sont vraiment impénétrables : naître dans les confins de Télimélé, en Guinée, et aller se reposer pour toujours au cœur de la Gambie.
J’ai séché mes larmes pour pleurer de l’intérieur. Mon cœur saigne. J’ai compris que rien, même pas la mort, ne peut entamer l’amour d’un fils pour sa mère et sans doute, vice-versa. La mort t’a ôté de mon regard pour te replacer dans le sarcophage de mon cœur où tu vivras tant qu’il palpite. Jamais nous n’avons été si proches Nênè!
J’ai compris aussi qu’une mère c’est comme le bonheur : on l’apprécie quand on l’a perdue. Je te regrette beaucoup maman même si, comme le recommande notre religion, je rends grâce à Allah qui m’a gratifié le bonheur de grandir aux côtés de ma mère, contrairement à toi qui a perdu la tienne dès la naissance. C’est dur de perdre une maman.
Dans cette épreuve du deuil, du chagrin et de la mélancolie, j’essaie d’avancer, de me rendre utile pour mériter ta confiance et ta fierté. A chaque fois que je lève les yeux dans le ciel, où tu te trouves dans la félicité de Dieu, j’ai peur de croiser ton regard réprobateur pour la moindre incartade.
Maman, je suis devenu un homme. Ton « taureau », comme tu te plaisais à me valoriser exagérément – mon aspect fluet me rapprochait plutôt d’un taurillon non ? –, se bat dans des corridas à la dimension de tes espérances. Je me porte bien, je travaille, je bouge, je blogue, je blague. Grâce à Dieu, par tes bénédictions.
Je suis devenu un homme, disais-je. Ton fils s’est marié maman ! Une petite princesse venue de Télimélé-ville. Elle s’appelle Ramatoulaye. C’est encore un petit poussin que je prendrai dans mon sein avec toute la délicatesse dont j’ai héritée de toi. T’inquiète.
Dommage que tu ne sois pas là pour orchestrer les préparatifs de la célébration du mariage civil qui pointe à l’horizon. Dommage que tu n’aies pas été là pour régler les détails du mariage religieux célébré au tout début de cette année. Je sais tout l’aura que tu aurais tenu à imprimer à ces évènements. Je vois ton empressement à diffuser la nouvelle auprès de tes amies qui me fendillent souvent le cœur en me rappelant vos meilleurs moments ensemble. Le plus dur pour moi, c’est de retourner à Pountougouré sachant que je ne vivrai plus l’instant magique d’être accueilli par toi; sentir ton odeur de femme rurale parfumée au cambouis et à la bouse de vache.
Maman, le jour où j’ai signé mon premier contrat à durée indéterminée, j’ai écrasé une larme. J’étais déchiré entre la joie du nouvel employé et le chagrin d’être orphelin de mère. Tu n’as pas pu profiter des fruits de l’arbre que tu as planté et arrosé de ton sang et de ta sueur. Tu t’imagines tout le bonheur que j’aurais éprouvé de te voir rentrer des lieux saints de la Mecque à mes frais ? Tu en rêvais, je voulais le réaliser mais le destin s’est interposé.
Loin de moi la volonté de te payer (pourrais-je jamais ?), mais ça aurait été une manière de te prouver que tes efforts n’ont pas été vains.
Je sais les conditions dans lesquelles tu nous as élevés. Comme toutes les mères de notre contrée, tu as trimé. Tu t’en es allée le dos voûté, non pas sous le poids de l’âge à 68 ans, mais sous l’effet du dur labeur des travaux champêtres et de la vie de femme au foyer. Les corvées d’eau aux aurores sous la rosée, les matins secs et frisquets de fin d’année, le potager à entretenir, la tapade à bichonner, la cuisine à faire, les gamins et les bêtes à nourrir et à surveiller… Bref, être femme au village c’est savoir être à la fois au four et au moulin. C’est consacrer tout son temps aux autres sans en avoir suffisamment pour soi-même. C’est de l’altruisme!
Je garde encore l’image de ces femmes rentrant des champs, trempées jusqu’aux os, un fagot de bois en équilibre sur la tête. Souvent la faim dans le ventre. Ce n’était pas que la fumée dans les cases qui rougissait vos yeux, mais aussi l’épreuve de la vie. Comment garder la ligne, être belle et raffinée dans ces conditions ? Votre beauté est interne, celle externe vous a été volée.
Je suis conscient que si ma peau est lisse aujourd’hui, c’est parce que la tienne a été rugueuse maman. Si la paume de mes mains est spongieuse, c’est parce que celle de tes mains était couverte de callosités au contact du pilon, de l’herbe et de la houe. Pour prouver aux autres ce que je sais faire, je leur fourbis un papier appelé CV. Toi, il te suffisait de tendre la main où étais écrit le livre d’une existence aguerrie sur le champ de bataille de la survie.
Tu nous as élevés dans la pauvreté matérielle mais dans le respect et la dignité. Tu n’imagines pas le bonheur et la fierté que je tire de mon éducation et de la ligne de conduite que tu nous as tracée, mes frères et sœurs et moi.
Nous te remercierons et te béniront jusqu’au jour où, Dieu dans sa mansuétude, nous réunira tous ensemble au Jardin d’Eden.
Repose en paix Nênan Adama Oury.
Je t’aime <3>
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