Parlez-vous le « guinéen » ? top 10 des mots et expressions français aux couleurs locales
D’emblée, je préfère lever tout équivoque : de manière générale, les Guinéens s’expriment très bien en français. Certains intellectuels ont un niveau irréprochable, surtout les fonctionnaires à la retraite vivant en zone rurale, qui parlent encore un français raffiné d’inspiration coloniale. Ce constat m’a été confirmé par de nombreux amis étrangers qui séjournent ou ont séjourné en Guinée.
Mais comme partout ailleurs où le français, langue étrangère, s’est imposé comme langue officielle au détriment des dialectes locaux, les Guinéens, au fil des générations, ont acquis leurs « tics » de langage, leur façon de parler. Le résultat est éloquent. Des mots ordinaires ont fini par revêtir un sens qui peut soit dérouter, choquer ou faire sourire l’expatrié qui débarque pour la première fois à Conakry et qui engage la conversation.
Voici, en toute subjectivité, un « top 10 » des mots et expressions français du jargon guinéen.
- Chose : Le mot qui choque l’étranger. Dans la bouche d’un Guinéen ayant un mot au bout de la langue, « chose » est l’équivalent de « truc » ou « machin ». Quelqu’un qui a un trou de mémoire et qui cherche à se rappeler le nom de quelque chose voire de quelqu’un, utilise « chose ». Les plus embêtés les alignent comme des perles qu’on enfile en se donnant de violents coups de poing à la tête : « euh … chose, chose » Pan ! « euh … chose-là » tchipp. Ceux-là ont poussé l’audace jusqu’à créer le verbe « choser » qui ne veut absolument rien dire !
- L’autre-là : C’est la version de « chose » se rapportant au nom d’une personne. Un individu dont on oublie le nom ou le prénom devient « l’autre-là ». Ce qui a le don d’agacer certains expatriés qui peuvent l’assimiler à du mépris, pire : à la chosification. Alors qu’il n’en est rien. C’est juste une panne sèche de vocabulaire qu’on essaie de compenser par une traduction directe d’un concept de sa langue maternelle en français. Évitez donc de blâmer l’autre.
- C’est mesquin : Dans le dictionnaire français, le mesquin est celui qui manque de générosité, l’avare. En Guinée, on dit souvent d’un travail qu’il est mesquin lorsqu’il demande de la concentration et de beaucoup de temps. C’est-à-dire un travail complexe, voire compliqué. Un problème mathématique : « c’est mesquin ». Un tableau croisé dynamique en Excel : c’est mesquin ». Pour souligner la complexité de la tâche, on tire sur la dernière syllabe du mot : « c’est mesquiiinnn » !
- Escroc : Le Larousse définit l’escroc comme quelqu’un qui commet une escroquerie, c’est-à-dire qui trompe la confiance de quelqu’un en vue de le voler. Chez nous, dans le langage courant, un escroc c’est quelqu’un qui manque de franchise, qui rapporte, c’est-à-dire un hypocrite, un fourbe, un menteur. Et le pire des hypocrites est appelé ici par le nom bizarre de « Escroc-di-menteur ». Allez savoir d’où ça vient.
- En cas de cas : Cette expression guinéo – guinéenne signifie en bon français « le cas échéant », c’est-à-dire si le cas se présente. Je m’excuse d’être aussi simpliste mais il faut préciser également que dans l’entendement de beaucoup de mes compatriotes l’expression « le cas échéant » signifie « le cas contraire » ! Vous ne trouvez pas que c’est mesquin tout ça ?
- Moins un / moins cinq : Chez nous, ces deux expression servent à souligner la très forte probabilité de la survenue d’un évènement ou d’une action. Elles sont l’équivalent de « il a fallu de peu », « in extrémis », etc. Un joueur qui rate un penalty, c’est moins un il n’a pas marqué. Un camion qui manque d’écraser un piéton, c’est moins cinq le camion ne l’a pas tué. J’ignore si ces deux entiers négatifs sont utilisés puisque se rapprochant de zéro. D’ailleurs pourquoi ne dit-on pas par exemple moins trois ou moins sept… ?
- Missionnaire : En réalité, nous ne donnons pas un sens très différent de ce mot de celui qu’il a dans le dictionnaire. Mais son emploi est si galvaudé en Guinée qu’il rappelle les Missions évangéliques en Afrique dans la période pré-coloniale. Il est très courant et désigne quelqu’un investi d’une mission officielle. Ainsi, un professeur qui se rend dans une université de province pour dispenser un cours en quelque temps est un missionnaire (Étudiants, nous disions que le prof balance le cours par la fenêtre). Des hôtes venus de l’étranger en mission dans le pays sont des missionnaires. Ce sens du mot est sans doute une survivance d’un vieux vocabulaire colonial.
- C’est doux : Pour apprécier la saveur d’un mets, les Français s’exclament : « c’est bon » ! En Guinée, nous disons « c’est doux ». Le riz est doux, la sauce est douce, etc. En stage dans une rédaction parisienne fin 2011, cette expression faisait marrer mes collègues stagiaires qui ont fini par l’adopter pour me vanner régulièrement.
- (Petit) plat : Attention, dans les foyers en Guinée, préparer un plat signifie faire la cuisine à l’occidentale. Ou en tout cas, cuisiner un aliment autre que ce qu’on mange habituellement à la maison, à savoir le riz et ses différentes variétés de sauces dont la débauche de couleurs rivaliserait un arc-en-ciel de fin de saison. Donc, un plat ou un petit plat c’est soit du poulet rôti, de la grillade, des spaghettis façon-façon ou quelque chose dans le genre un peu exotique. Dans les couples analphabètes, les possibles déclinaisons de l’expression sont « petit pilâ », chez les femmes peules, ou « petit pilan » chez les Soussou.
- Pagaille : C’est bizarre, mais pagaille n’a pas toujours le sens de « désordre » ou de « confusion » dans la bouche de nos élèves et étudiants. Au contraire. En milieu scolaire, pagaille est assimilée à la plaisanterie. Le verbe « pagailler » made in Guinea désigne donc le fait de s’amuser, de faire de plaisanteries ou de se moquer gentiment.
Bon, j’arrête de pagailler. Mais j’ai une question: vous retrouvez-vous dans cette belle pagaille de mots et expressions ? En connaissez-vous d’autres ? En cas de cas, partagez-les ci-dessous dans les commentaires. Ce n’est vraiment pas mesquin ça !
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