Non «Petit futé», Télimélé n’est pas un village !
Dans le jargon journalistique, ça s’appelle faire du «desk». Une bombe pète à Bagdad (c’est quasi quotidien malheureusement). Depuis son bureau aseptisé d’une rédaction parisienne, à des milliers de kilomètres de là, un journaliste, cigarette au coin du bec, y consacre une double page. L’attentat a fait 7 morts, il arrondit le chiffre à 10 et désigne un « cerveau ». L’article est publié.
Double gain pour le journal : il a fait l’économie de l’envoyé spécial et écarté le risque pour son journaliste de se faire kidnapper ou dézinguer. C’est une pratique courante que le regain du business de prise d’otage au Sahel et au Moyen-Orient est en train de nourrir au biberon par les temps qui courent.
Ça, je le savais. Ce que j’ignorais, c’est que des guides touristiques, réputés de haute facture, se livrent également à la pratique du « desk ». Impossible pensez-vous ? Alors sortons de Bagdad pour feuilleter « Le Petit Futé ».
Dans son édition d’octobre 2012 consacrée à la Guinée, le célèbre guide touristique « Le Petit Futé » écrit à propos de Télimélé, page 103 :
- Le village fait partie actuellement de la région administrative Guinée maritime, mais historiquement est lié au Fouta Djalon. Télimélé est une tranquille bourgade endormie au sommet d’une colline, qu’il faut gravir après quelques virages en épingle à cheveux, dans lesquels de nombreux camions ou taxis sont souvent stationnés, le temps de refroidir leur moteur fatigué. Ce petit village de 13 000 habitants offre peu d’intérêt en lui-même, mais les pistes qui en rayonnent sont de toute beauté.
J’ai lu et relu. Je me suis dit que les rédacteurs de ce Petit guide sont vraiment futés ! Donc, Télimélé, ma préfecture natale, est un petit village inintéressant ?
Passé mon étonnement – et ma frustration – j’ai décidé, à travers ce billet, de servir de correspondant résidant au « Petit Futé » pour mettre à jour ses connaissances sur Télimélé.
Lexique du Petit Futé
Petit village de 13 000 habitants : ah oui, un petit village de 13 000 habitants c’est courant ça ? Alors un grand village lui en compte combien, hein Petit Futé ?
Télimélé est, en réalité, l’une des 33 préfectures que compte la Guinée, située à 260 km au nord-est de la capitale Conakry. D’une superficie de 9 000 km2 (soit 3 fois et demie la superficie du Luxembourg !), elle fait frontières avec pas moins de 8 préfectures : Pita et Lélouma à l’est, Boké et Boffa à l’ouest, Gaoual au nord, Fria, Dubréka et Kindia au sud. Cette situation exceptionnelle fait de Télimélé un véritable «hub» entre la Guinée maritime à laquelle elle appartient, la Moyenne Guinée et les pays limitrophes que sont la Guinée-Bissau et le Sénégal, dans la partie septentrionale.
Télimélé est subdivisée en 13 sous-préfectures, dont la plus éloignée, Daramagnaki, se trouve à 145 km du centre urbain. Des statistiques de la mairie indiquent que, la commune urbaine, qui comprend six quartiers et six districts, est peuplée de 56 000 habitants, soit près de deux fois la population de la principauté de Monaco (37 500 habitants).
… une bourgade endormie au sommet d’une colline : la colline en question est le célèbre col du mont Loubha que serpente une piste latéritique formant des virages en épingle. Et il faut arriver à Télimélé un samedi soir pour comprendre qu’elle est loin d’être une « bourgade endormie » avec ses discothèques comme « Janet » et « Africa », ou encore les abords de la rivière Samankou qui prennent des allures de villégiature en période de fête.
Ce petit village (…) offre peu d’intérêt : cette affirmation pourrait déclencher une attaque cardiaque chez pas mal d’artistes guinéens, surtout les ressortissants de Télimélé comme Binta Laly Sow, Léga Bah ou encore Abdoulaye Breveté qui ont tous magnifié la beauté de la localité dans leur inépuisable discographie.
Au-delà des notes musicales, Télimélé est un véritable écrin de beauté pour touristes. Le climat de type foutanien, y est chaud et humide. La sous-préfecture de Brouwal Sounki – la mienne – est perchée à plus de 1 000 m d’altitude sur un plateau qui offre une vue panoramique époustouflante sur les gorges creusées par la rivière Kakirima, à l’est, et les plaines encaissées qu’irrigue le fleuve Tominé à l’ouest, dans le Gaoual. Dans le district de Kansaghi, à Pètè Baala, on retrouve une « valise naturelle » et de mystérieux pas d’un géant imprimés à jamais dans le granit. Au pied des falaises de Sogoroyah, prodigieusement sculptées par l’érosion éolienne, s’étale sur plusieurs kilomètres le village éponyme, l’un des plus grands de la Guinée.
Plus loin dans la commune rurale de Sinta, sur les sites de Guémé-Sangan et de Pètè-Bonôdji, on retrouve encore des vestiges de l’empire païen de Koly Tenguéla (16e siècle).
… historiquement lié au Foutah Djalon : sur ce point, Le Petit Futé n’a pas tort. Télimélé, étymologiquement de « Téli» (nom d’une essence végétale réputée pour sa rigidité et sa longévité) et « Méli » ou « Mélé » qui est toxique, appartient à la Région administrative de Kindia au même titre que Coyah, Forécariah, Dubréka, et Kindia. Mais pendant la période coloniale, le cercle de Télimélé relevait de Pita, au Fouta.
Selon le site Telimele.org, c’est après la bataille de Porédaka (Mamou) et le traité du 6 février 1897 que les Français ont installé un poste colonial à Koussy, un village situé au bord de la rivière Kakirima qui sert de frontière naturelle entre Pita et Télimélé. Poste transféré à Télimélé-centre en 1903. Sept ans plus tard, en 1910, Télimélé est érigé en circonscription administrative. A partir de 1984, avec le changement de régime, elle devient une préfecture composée de 13 communautés rurales de développement.
La localité, habitée naguère par les Djallonkés, est majoritairement peule. Les premiers Peuls musulmans sont originaires de Timbi (Pita), de Timbo (Mamou) et de Labé. On y retrouve également une importante communauté soussou.
Comme la quasi-totalité des villes intérieures de Guinée, Télimélé est confrontée aux défis du développement. La préfecture manque d’infrastructures, notamment routières, et les services publics d’eau et d’électricité sont à créer ou à améliorer. La population composée majoritairement d’agriculteurs et d’éleveurs est très dynamique. Sa diaspora est très active à l’image des associations des ressortissants et amis de Télimélé en Europe qui s’investissent dans le développement local, notamment dans les domaines de la santé, en équipant l’hôpital préfectoral, et l’éducation avec le projet de réhabilitation du lycée public de Ley-weindhou dans la commune urbaine.
Comme toutes les villes de Guinée également, Télimélé a ses mythes et ses légendes et suscite beaucoup de fantasmes. On attribue à ses habitants (principalement ceux de Bowé) des pouvoirs mystiques et une tradition assumée de marabout. Nous serions capables de cracher des abeilles ou de suspendre un village entre ciel et terre en cas de danger! Info ou intox? Allez savoir…
Mais tout cela concourt à dire que, contrairement aux allégations « deskées » du « Petit Futé », Télimélé n’est pas un petit village. CQFD
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