Quand l’affaire DSK ravive les relents ethno des Guinéens
Bullshit ! Ai-je dit en découvrant cette satanée interview d’une certaine Doussou Condé sur YouTube, brocardant comme une possédée Nafissatou Diallo, à grand renfort de supputations. Bullshit, ai-je lancé en parcourant la ribambelle de commentaires qui accompagnent la vidéo vue plus de 8000 fois ! Bullshit, ai-je dégainé quand, au détour d’une conversation dans les rues dégueu de Conakry, des piques du genre « ah, c’est une p…celle-là, elle l’a bien mérité » ont ricoché dans mes oreilles. Du coup, mon « Bullshitomètre » est en passe d’imploser à force de répéter le mot de Cambronne à l’américaine.
En plus de faire entrer pour la postérité l’étrange mot de « Tchakoulé » ainsi que le nom « Nafissatou Diallo » dans les serveurs de Google, l’autre effet collatéral de l’affaire DSK est de réveiller les vieux-jeunes démons de l’ethnocentrisme des Guinéens. Depuis le 14 mai dernier – date de l’éclatement de l’affaire – et surtout depuis qu’il est établi que Nafissatou Diallo est une Peule de Guinée, ses compatriotes d’ici et d’ailleurs ont renoué avec les réflexes communautaristes.
Je vous le dit tout de go : il s’agit des Peuls et des Malinkés, les deux plus grandes ethnies de la Guinée. Respectivement 40 et 30 % du reste de la population (1996). Ils s’en veulent depuis les premières heures de notre pseudo-indépendance. Sékou Touré, le Premier Président (Malinké) a zigouillé des milliers de personnes au camp Mamadou Boiro de Conakry (on parle de 50 000). Des Peuls pour la plupart avec notamment une velléité de décapiter leur élite comme l’assassinat de Diallo Tély, premier Secrétaire Général de l’OUA. La dernière élection présidentielle opposant au second tour Cellou Dalein Diallo (Peul) et Alpha Condé (Malinké) a complètement déchiqueté le tissu social déjà fissuré. Maintenant, les deux communautés se regardent en chiens de faïence, se balancent des quolibets à chaque occasion. L’affaire DSK en est, malheureusement, une autre !
Même s’il y a des incertitudes dans les deux camps concernant cette affaire, ce que je constate surtout est que l’on supporte ou vilipende Nafissatou selon qu’on est Peul ou Malinké dans la plupart des cas. Dans les marchés, au bureau, à l’école, dans les transports publics, on ne parle que de ça. Bonjour les supputations, les accusations, les menaces et les insultes. Analphabètes et intellectuels jouent le même jeu, fument le même calumet, bouffent dans la même gamelle ethno.
Comme avant et après l’élection présidentielle, la guerre s’est propagée sur Internet. En première lignes, les réseaux sociaux. Sur le front Facebook, les murs sont inondés des propos malsains. Les Condé et les Diallo s’envoient des obus par Nafissatou interposée. Les uns (pas tous) la discréditent à cause de son origine ethnique, les autres (pas tous non plus), essaient de la défendre par affinité, que dis-je, par parenté. Le tout avec Cellou Dalein et Alpha Condé en filigrane. Purée !
Avec 383 amis sur Facebook, dont un groupe politique sulfureux, et un compte Twitter où je suis la plupart des médias internationaux, je prends le tout en pleine gueule. Depuis que j’ai découvert et installé TweetDeck sur mon Galaxy, rien ne m’échappe, le matraquage devient plus intensif, plus violent. C’est un peu comme se positionner sur une guérite pour observer des prisonniers qui s’étripent en bas.
La Justice américaine, libre et indépendante n’a pas hésité de mettre aux arrêts, puis d’inculper l’une des personnalités les plus influentes de la planète, soupçonnée d’agression sexuelle. Vu d’ici, cela est d’autant plus ahurissant que des dizaines de femmes, publiquement et horriblement violées le 28 septembre 2009, se murent dans le silence en attendant une hypothétique justice. Ici, personne ne moufte alors que des Associations féminines françaises ont manifesté la semaine dernière pour dénoncer les dérives sexistes de certains hommes politiques. Plus près de chez nous, au Sénégal, la société civile et les défenseurs des droits de l’homme prennent fait et cause de l’affaire DSK pour soutenir Nafissatou. Pendant ce temps, mes compatriotes se cyber-attaquent à propos d’une de leur compatriote sous le silence coupable des autorités pour qui la « réconciliation » est une farce.
Ainsi va la Guinée, pays immensément riche mais réduit à tendre la sébile à cause de l’incapacité de ses dirigeants à faire taire les rancœurs en rendant justice, à extirper les mesquineries et les bassesses ethniques pour amorcer le développement tant espéré. On est descendus trop bas. Bullshit!
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