Une vie de « récupérateur » !
« Il n’y a pas de sot métier », dit l’adage. Mohamed Diallo, ouvrier de son Etat, en sait quelque chose. Très tôt ce matin dans un quartier de Conakry, une pelle à la main, Mohamed s’affaire dans un chantier de construction situé en bordure de mer. L’air détendu et enjoué, il remplit avec frénésie une brouette de sable. Après quelques brouettées, il prend une petite pause, savourant la matinale brise marine. Mohamed aime son nouveau job qu’il qualifie de « gratifiant ».
Avant d’en arriver là, il a traversé le désert. Ce jeune homme de 26 ans au corps marqué par l’endurance, a grandi dans la précarité. Très tôt déscolarisé, « faute de moyens », dit-il, le garçon arpente les ruelles des quartiers sombres de la haute banlieue de Conakry à la recherche du quotidien. C’est l’école buissonnière avec ses réalités. Le jeu de billes, le « Kanda » et ses éternelles bagarres, le « gagné-perdu » avec la ceinture, qui finit souvent en sauve-qui-peut, les bastonnades des grands, les « Koutou-Koutou » d’un plat de « Bandékhita », Mohamed en a connus et pratiqués ; avant de découvrir l’activité de « récupération » qu’il ne quittera plus.
Cette activité consiste à brûler des pneus usés afin de récupérer les fils de fer enfouis à l’intérieur. Ces fils sont enroulés en forme ronde et aplatie, puis revendus sur le marché. Les femmes ménagères s’en servent pour économiser le charbon de bois. En fait, les fils jouent un double rôle : placés dans les fourneaux métalliques troués, ils empêchent ainsi les charbons de passer à travers. Une fois chauds, ces fils de fer emmagasinent aussi la chaleur, limitant ainsi le gaspillage des charbons.
En 2005, avec un pneu de camion, Mohamed pouvait se faire jusqu’à 30 000 francs guinéens, en revendant un rouleau à 500 francs. « De quoi se taper une virée nocturne avec mes potes, ou s’acheter un pantalon jean », se souvient-il. Mais autre temps, autres mœurs. Aujourd’hui, la situation est devenue plus difficile. Les pneus qu’on pouvait ramasser un peu partout dans les quartiers, sont désormais revendus.
A 26 ans avec 10 ans d’ancienneté dans le « métier », le jeune homme dit « être gêné » de transporter des vieux pneus. C’est pourquoi il a pris le soin de transmettre son savoir et son savoir-faire à ses « petits ». Mohamed Bangoura, collégien de 18 ans, en fait partie. Ce matin, en l’espace de deux heures, il a cramé six pneus tout près du chantier de son « maître » Diallo. «C’est pour payer l’APEAE » se borne-t-il à expliquer laconiquement. Ses parents au chômage, ne peuvent pas lui verser les 5000GNF réclamés par son école à l’Association des Parents d’élèves et Amis de l’Ecole (APEAE).
Cette pratique de récupération, au-delà des ressources – certes maigres – qu’elle peut procurer aux jeunes laissés-pour-compte, c’est avant tout un moyen original de recycler cette pneumatique très nocive à l’environnement. En limitant aussi la consommation du charbon de bois, principale source d’énergie en Guinée, l’environnement est doublement protégé. En tout cas, avec la galère qui sévit actuellement dans la « téci » de Conakry, la « récupération » a encore des beaux jours devant elle. Surtout quand elle se transmet de génération en génération. Tout comme la galère d’ailleurs !
Alimou SOW
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