Bienvenue à Pounthioun où tradition et modernité se côtoient
La voix du muezzin, portée par des haut-parleurs perchés sur les minarets de la coquette mosquée, déchire l’aube naissante se perdant au loin dans l’horizon qui se moire. Plus près, un coq donne la réplique. Des tisserins nichés dans le feuillage des manguiers se joignent au concert. Peu à peu, Pounthioun se réveille.
Moi aussi. Je sors du lit au moment même où un timide rayon du soleil échappé de la montagne de Kolima tente d’entrer par l’embrasure de la fenêtre. Hadja Mariama, elle, est débout depuis 5 heures du matin. Peut être même bien plus tôt. A son âge, on dort peu.
Cette grand-mère de 75 ans, la démarche traînante, le physique marqué par la rigueur de la vieillesse, s’apprête à accomplir ce qui est devenu un rituel pour elle depuis près de 50 ans : chaque matin, elle fait la ronde de Pounthioun pour dire bonjour aux voisins et savoir s’ils ont passé la nuit en paix.
Je décide de l’accompagner dans cette quête de nouvelles ; véritable travail du facteur. Un moyen pour moi de me rattraper. En trois ans d’absence, beaucoup d’évènements, heureux et malheureux, se sont accomplis à Pounthioun, un quartier où j’ai coulé cinq ans de vie d’étudiant au Centre universitaire de Labé. Je connais tous les recoins et presque chaque concession.
Je note quelques nouvelles naissances et beaucoup de décès. Des notables du quartier, parmi les plus respectés et influents, s’en sont allés à jamais. Dans l’enceinte de la petite mosquée jaune, le mausolée s’est agrandi d’une nouvelle pierre tombale surmontée d’un magnifique dôme. Hadja Mariama y jette un regard triste et secoue la tête de chagrin et de mélancolie. Elle se désole que « tous les sages sont en train de partir laissant derrière eux des maisons vides ».
L’architecture de Pounthioun est en constante évolution. Parmi les maisons au style ancien, poussent désormais des étages carrelés et vitrés. Signe de prospérité des fils ressortissants du quartier. Les habitations sont parfois délimitées par de simples haies faites de tiges de bois. Ici, on partage tout, jusqu’au sel de cuisine.
Les ruelles étroites qui faufilent entre les pâtés de maison sont parsemées de graviers couleur ocre qui crissent sous nos pas traînants. Des herbes sauvages colonisent les terrains vagues, les vaches, repues de mousse, continuent à être les reines de la route où elles s’affalent et ruminent en toute tranquillité. Pounthioun, un des 28 quartiers de Labé, est écartelé entre tradition et modernité.
Jusque dans un passé récent, cette sorte de village-quartier était constitué de pâturages autour desquels fumaient des cases rondes au toit de chaume. Le bétail s’abreuvait dans le Pounthiounwöl, la petite rivière qui ceint le côté ouest du quartier et dont il tire son nom. Image qui s’est considérablement effritée ces trente dernières années. L’exode a drainé les bras valides ailleurs.
Dans certaines concessions la pratique de l’élevage de bovins subsiste encore, matérialisée par de minuscules enclos accolés à des maisons modernes. Juste pour le symbole. Jadis signe de richesse pour les pasteurs peuls musulmans, la vache est devenue un simple moyen de perpétuer la tradition à laquelle s’accrochent désespérément les personnes du troisième âge de Pounthioun.
Les petits-enfants, eux, ont la tête ailleurs. Dans une maison aux carreaux couleur grise, un groupe d’une demi-douzaine de jeunes garçons est plongé dans un jeu vidéo projeté sur un écran de télé. Au-dessus de leurs têtes, sur le mur du salon, pendent des clichés jaunis par le temps de leurs grands-parents et arrière-grands-parents vêtus de Leppi (tissu local) et enturbannés. C’est à peine si les gamins lèvent la tête en nous voyant entrer.
Nous les laissons jouer pour aller dire bonjour à une vieille femme qui a reçu la visite d’un serpent la nuit précédente. Le reptile a été massacré par les jeunes nous explique la vieille sans afficher la moindre émotion. Elle est plutôt préoccupée par un rhumatisme qui la cloue au lit en ce matin frisquet. Un thermomètre accroché au-dessus d’une jarre en terre cuite affiche 20 degrés Celsius.
Les deux vieilles dames échangent des amabilités, s’en remettent à Dieu et Lui rendent grâce de tout ce qui arrive, en bien comme en mal. Elles me couvrent d’interminables bénédictions pour un simple billet de banque. J’imagine que leurs fils ressortissants qui pourvoient le matériel et qui les ont emmenées aux lieux saints de la Mecque doivent être blindés de bénédictions.
On termine la ronde en rendant visite à une autre vieille Hadja dont la concession fait face à un pylône de téléphonie mobile. Le ronronnement du groupe électrogène qui alimente le poteau n’est pas de son goût… Encore du gravier ocre, beaucoup de gravier qui tapisse la cour intérieure de sa maison. Des arbres fruitiers à foison : manguiers, avocatiers, orangers, papayers, citronniers forment un véritable verger. Tout près, quelqu’un élève des pigeons qui roucoulent et partent dans de lourds vols planés au-dessus des maisons.
Les yeux rongés par un glaucome, la vieille Hadja perd progressivement la vue mais garde la mémoire sur ses origines qui correspondent aux miennes. Elle me raconte comment la jeune fille de 18 ans native de Télimélé est arrivée à Labé au moment où presque toutes les maisons de Pounthioun étaient des cases rondes. Son visage est ravagé par une profonde expression de mélancolie. La nostalgie prend le dessus, elle écrase une larme.
Hadja Mariama met fin à sa traditionnelle ronde. Nous rentrons à la maison, elle satisfaite d’avoir pris des nouvelles, moi profondément ému et abreuvé des valeurs ancestrales qui cimentent les liens des habitants paisibles de cette localité depuis des années.
Dans un monde quasi déshumanisé, cette belle balade m’a servi d’exorcisme et de ressourcement.
Que vive Pounthioun, où tradition et modernité se conjuguent au pluriel.
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