Ces quartiers de Conakry où l’on ne crie pas «wéé té fa»
Ce soir-là, elle n’en revenait presque pas! Venue passer le weekend en famille, ma cousine était tout baba de voir nos gamins du quartier sautiller, gambader, taper des mains et pousser des stridents «wéé té fa» (youpi, la lumière) pour saluer l’arrivée de la fée électricité dans nos foyers. Tout aussi hébétée de constater, 10 minutes après, les visages qui s’empourprent et les quolibets qui fusent à l’endroit d’Electricité de Guinée (EDG) après le délestage. Ma cousine a perdu l’habitude du yo-yo de notre courant rebelle. Et nous, on était effarés de son étonnement!
Ma cousine a du bol. Elle habite Cimenterie, un quartier de la banlieue-est de Conakry qui abrite un centre émetteur et une usine (Ciments de Guinée) grâce auxquels le courant ne manque quasiment jamais dans le coin.
Elle se la raconte en nous expliquant qu’elle a toujours du lait frais, de l’eau glacée, du jus, des légumes et des fruits dans son frigo. Que sont ventilo est toujours sur «ON», qu’elle peut préparer une sauce pour 2-3 jours, repasser ses habits au fer électrique, chauffer de l’eau au thermoplongeur si ça lui chante. Elle explique, avec force détails, les séries et films qu’elle s’est tapés ou qu’elle peut mater à tout moment de la journée ou de la nuit. Bref, ma cousine nous prouve qu’elle a de la lumière, qu’elle baigne dans la lumière.
Un moment on se demandait si elle disait vrai, si elle vivait réellement à Conakry, tant son monde illuminé est féerique. Irréaliste à nos yeux.
Eh oui, en dépit de l’obscurité légendaire dans laquelle est plongée notre capitale Conakry à tout moment de l’année, ce depuis plus de 50 ans, il y a des quartiers bénis dans la banlieue. Des quartiers où les enfants de crient pas «wéé té fa» le soir ; cette rengaine qui célèbre le retour du courant dans les foyers un jour sur deux, un jour sur trois, quatre, cinq, etc. Ou une heure sur 48. Impossible de le prévoir. Ceux qui sont chargés du dispatching, ou plutôt les délestages, doivent avoir été des gamins qui ont raté leur vie à force de jouer au Nintindo ou à la Tetris. Tant ils aiment appuyer sur les boutons. Un moment, c’est «courant fa», un moment c’est «ä siga» par leur volonté.
A place des carrés qu’ils agençaient sur leur Game Boy d’enfance, c’est du matériel électroménager chèrement acquis que ces pyromanes EDGistes font péter à longueur de journée. S’ils ne s’amusent tout simplement pas à déclencher des incendies meurtriers à distance, comme dans Super Fireman!
Il existe donc à Conakry des quartiers ou des secteurs éclairés en permanence. Des rares coins qui, à la nuit tombée, se détachent et forment, à travers leurs villas cossues, des ilots de lumière dans notre océan d’obscurité. Cimenterie, Kipé, Bellevue, Dixinn-Landréyah, Kountiyah, Camp Alpha Yaya Diallo. Des endroits célèbres dont les habitants se plaisent à prononcer le nom avec emphase quand ils indiquent à quelqu’un où ils habitent. Récemment, un collègue m’a demandé dans un chat Facebook comment ça allait à Conakry. Je le supposais être à Dakar ou New-York avant qu’il ne me révèle qu’il vit à Kipé !
Cela m’a immédiatement rappelé ce spot publicitaire, devenu populaire, qui passait à la RTG comparant deux marques de tôle. Ça se terminait par la phrase : «vraiment, tôle c’est pas tôle». Vraiment, quartier c’est pas quartier !
Ici, l’on ne se réveille pas à 1H du mat’ pour brancher son téléphone. Ici, il y a longtemps que la crise immobilière a explosé. Il faut être un «grand quelqu’un» pour loger dans ce «Tanga Nord» de Conakry, ville cruelle par ses extrêmes. Pas de classe moyenne dans la capitale guinéenne. Il y a d’un côté les extrêmement riches, snobes et peu nombreux, de l’autre les extrêmement pauvres, plus denses, affables et hypocrites.
Ces endroits sont en général favorisés par des installations qui requièrent une présence permanente du courant électrique (Cimenterie, Camp Alpha Diallo) ou accueillent un hôte de grande marque. C’est le cas de Kipé qui avait l’honneur d’héberger le plus grand suzerain du royaume. Jusqu’à une nuit de fin juillet 2011, quand des soldats fêlés sont venus défoncer la hacienda présidentielle au lance-roquettes. Echaudée, Sa Majesté a fini par rejoindre le palais Sékoutouréyah, plus sûr, au cœur de Tanga Nord (Kaloum) où le courant ne coupe pas, ou rarement. Le prési parti, le jus est resté. Au grand bonheur des ex-voisins.
C’est ça aussi Conakry où le développement se fait par affinité ou par bon voisinage. Un bon matin ton voisin, simple Directeur, dont le groupe électrogène qu’il allume chaque soir t’empêche de dormir, est bombardé ministre ou ambassadeur. Quelques jours après, ton coin enclavé sent l’odeur du bitume. Avec un peu de chance, il fait disparaitre le refrain «wéé té fa» du répertoiremusical discordant des gamins de ton ghetto.
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