Conakry – Labé – Conakry : retour sur un voyage éreintant !
Du trajet Conakry-Labé-Conakry que je viens de boucler au bout d’un voyage de cinq jours, j’en connais un rayon. Je le pratique en moyenne une fois par an depuis douze ans; depuis mon premier voyage à Labé en février 2004 à la faveur d’un cycle universitaire qui aura duré cinq ans…
J’ai parcouru ce trajet, de jour comme de nuit, des dizaines de fois en Peugeot 505 – mulets de nos routes déglinguées -, une fois en autocar (caprice d’une ex-copine d’université qui a failli nous expédier six pieds sous terre sur la montagne de Yombokhouré) et une fois par avion, en 2015, dans le cadre d’un voyage professionnel.
Quel que soit le type de véhicule utilisé, le voyageur Conakry-Labé s’en sort toujours avec un sentiment mitigé : la beauté d’un paysage à couper le souffle sur une route chaotique qui flanque à vos reins un formidable coup de vieux.
Cette fois, c’est moi qui suis aux commandes. Ma troisième expérience de « long voyage » après un « Conakry-Télimélé » et un « Conakry-Boké » réussis au volant du même tacot: une Nissan Almera 2006, « occasion Bruxelles », plutôt correcte. Mais, comme « qui voyage loin ménage sa monture », je la soumets à un check-up complet la veille du départ. Les récits épiques, quelquefois tragiques, sur cette route de 400 km au bout de l’enfer, laissent peu de place à l’improvisation pour s’y engager.
Je suis débout dès potron-minet pour affronter, en solitaire, le tronçon jugé le plus difficile, Conakry-Kindia. 135 km que l’on accomplissait, il y a quelques années, en un peu moins de deux heures montre en main. Maintenant, il faut rajouter deux heures supplémentaires pour crapahuter sur la même distance devenue un parcours de rêve pour un rallye raid de type « Paris-Dakar », tant la route est en piteux état.
Sous le poids de l’âge et surtout des poids lourds chargés à tout casser, le goudron s’est effrité au fil des saisons, formant des nids de poule devenus progressivement de larges cratères qu’on aurait dit provoquées par un puissant séisme. Des bulldozers s’activent à niveler ces trous géants dans un nuage de poussière permanent, interrompant intempestivement le trafic. Le capharnaüm ressemble à un paysage lunaire balayé par une puissante tempête extraterrestre.
C’est dans ce chaos indescriptible qu’on tente d’appliquer les règles de la sécurité routière. Entre rigueur et excès de zèle.
En plus de l’inamovible barrage de Kaka, à la sortie de Coyah, des checkpoints filtrants sont érigés tout le long de la route jusqu’à Labé. Les gendarmes veillent au grain. Pour passer, il faut montrer patte blanche. Les documents classiques du véhicule : permis de conduire, carte-grise, certificat d’assurance, vignette (Taxe Unique sur les Véhicules) sont passés au peigne fin. Fait nouveau : il faut également disposer du triangle de pré-signalisation (triangle rouge), la trousse médicale de secours et un extincteur, décliné en « essinter » ou « egzinter » par certains agents, y compris à l’écrit sur les PV de contravention (100. 000 GNF pour une pièce manquante) ! Il faut donc tendre l’oreille et être bon en …anagrammes pour s’en tirer !
En règle sur toute la ligne, je franchis les chekcpoints sans coup férir. A l’aller comme au retour, aucun agent ne m’a sorti « on est là pour vous » ou bien « levée de barrage », les fameuses formules pour abouler le bakchich de la corruption. A mon grand étonnement …et soulagement !
En dépit de cette attitude correcte (même si certains gendarmes me prenaient de haut), ce contrôle strict se heurte à un triple paradoxe.
Premièrement, il est partial. Il concerne, paradoxalement, les véhicules personnels relativement en bon état et qui offrent plus de sécurité ; tandis qu’on ferme les yeux sur les défaillances des poids lourds et les véhicules de transport en commun (taxi-brousses, bus et minibus), des épaves en mouvement, dangereusement surchargées au point d’être flanquées de porte-bagages en extension, non prévus par le constructeur.
Deuxièmement, dans une situation normale, il est indispensable de disposer des documents légaux du véhicule et les autres accessoires pour la sécurité des voyageurs. Mais, ici, la situation est tout sauf normale avec une route complètement défoncée et muette (pas l’ombre d’un panneau de signalisation), constituant le plus grand danger pour les usagers. En attestent les innombrables carcasses de véhicules gisant sur le bas-côtés de la route, témoins d’autant d’accidents de circulation mortels.
Enfin, la présence de ces nombreux barrages de contrôle contraste fort bien avec l’insécurité qui règne sur les axes routiers en province où des coupeurs de route sèment la terreur à la nuit tombée. On ne compte plus le nombre d’attaques à main armée souvent fatales aux voyageurs nocturnes.
Première conséquence de la baisse du trafic la nuit : l’économie de la petite localité de Tamagali, sur l’axe Kindia – Mamou, est à terre. Cette espèce de caravansérail naguère prospère où l’on s’arrêtait manger de la chèvre au milieu de la nuit, affiche une image pâle en cette fin décembre 2016. Contrairement à sa sœur, Linsan, où l’on continue de faire halte la journée pour manger : lait caillé, fonio, riz, brochettes de viande, tarot… C’est au choix.
C’est ce magnifique exemple d’entente et de solidarité entre deux localités voisines sur le fonctionnement de leur économie que les bandits sont en train de démolir, au nez et à la barbe des autorités …
Ma Nissan ne bronche pas pour la montée harassante de Yombokhouré, dernier rempart avant d’accéder aux hauts plateaux du Fouta Djallon. Les villes défilent. Kindia est déjà loin derrière.
Voici Mamou, ville-carrefour, bâtie sur un confettis de petites collines abruptes que dévalent des moto-taxis à tombeau ouvert.
Puis Dalaba, haut perchée sur le massif montagneux de Tamgué. Au loin, les minarets de la majestueuses mosquée de la ville se détachent dans la brume qui enveloppe la cité surnommée « la Suisse de l’Afrique » du fait d’un climat frais, particulièrement en cette fin d’année où l’harmattan sévit. Plus près, des pins verdoyants défilent à gauche dans un virage serré avant d’arriver au centre-ville qui n’a rien d’extraordinaire. Mais Dalaba reste cet exceptionnel mirador pour contempler, par beau temps, des magnifiques paysages aux plateaux encaissés.
Pita est à une cinquantaine de kilomètres de là. Des virages en épingle de cheveux. Sébhory, Mitty, … Brouwal Tappé pour, enfin, entrer à Pita-centre. Moins de 5 minutes pour traverser la ville. Toujours la « Tappa-lappa », la fameuse miche de pain locale proposée sur des planches alignées sur le trottoir de la route principale. Je franchis le Koubiwol, la rivière qui ceint le côté ouest de la ville pour entrer dans « le Labé ».
Pour railler la ruse supposée (ou réelle) des gens de Labé, la légende raconte que pour fixer la frontière entre Pita et Labé, les habitants des deux cités rivales s’étaient entendus de se lever aux aurores pour marcher les uns en direction des autres. La frontière serait établie pile au point de leur rencontre. Les habitants de Pita ont eu la désagréable surprise de rencontrer ceux de Labé juste à la sortie de leur ville. Comme convenu, ils s’étaient levés tôt le matin alors que les Labékas avaient marché toute la nuit !
Au bout de 12 heures de voyage (avec une pause d’une heure et demie), je fais mon entrée dans la cité de Karmoko Alpha Mo Labé, du nom de son fondateur. La ville est en pleine expansion où poussent des buildings élancés et des demeures cossues. La voirie urbaine en lambeaux, – comme à Conakry – la ville est écrasée par une chape de poussière ocre et salissante qui irrite les voies respiratoires. C’est à croire qu’un astéroïde est tombé sur la ville !
Quatre jours de séjour pour revoir de vieilles connaissances, parents et anciens amis de l’Université de Labé.
Beaucoup de nouveautés pour le loisir et la gastronomie comme le dîner « Chez Kamal », un restaurant sympa où l’on mange bien au quartier Safatou. Mais aussi des adresses intactes comme l’éternel petit déjeuner au rond-point Tinkisso chez Dian Kadiatou. Au menu : riz ou fonio à la soupe de poulet/ viande, ou au velouté « mafé nama ». ça ne désemplit jamais le matin, surtout en ce matin frisquet de décembre, la rigueur de l’harmattan se lisant sur la peau squamée et les lèvres gercées des clients, écharpes autour du cou, les mains dans les poches des jackets.
Au bout de quatre jours, je reprends le chemin inverse pour rentrer à Conakry avec une halte à Dalaba, pour une nuit au somptueux hôtel du Foutah, fondé dans les années 1930. Les bâtons de frites qu’on y mange ont des allures de pilons vigoureux. La pomme de terre sent la fraicheur locale.
Une fraicheur que distribue également à l’état naturel le fameux « Kouratier » de l’hôtel du Foutah, le figuier sauvage de Guinée devenu carte postale de Dalaba.
Je rentre à Conakry éreinté, mais plein de bons souvenirs foutaniens. Comme à chaque fois. Depuis 12 ans !
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