Conakry, le calvaire du locataire

Me voici jeté en pâture ! Je suis à la merci des démarcheurs qui, après m’avoir méthodiquement désossé, refileront bientôt ma malheureuse carcasse aux concessionnaires pour le festin final. J’irai me reposer dans le caveau familial de la communauté des locataires indignés mais résignés de la capitale Conakry.
Arès vingt-un ans de vie tranquille à Conakry, me voilà en quête d’un nouveau gîte – changement d’état civil oblige. Presque un quart de siècle gracieusement coulé chez un oncle au cœur en or. J’ai déjà dit qu’en Guinée, il n’y a pas d’âge pour quitter ses parents : il y a juste un moment. Celui-ci est arrivé pour moi. Je dois m’en aller. Tanguy quitte sa famille.
Contrairement au personnage du film éponyme, je ne vais pas à Pékin. Je reste à Conakry pour chercher un logement. Un appartement.
Chemin de croix !
A Conakry, deux notions sont devenues indissociables : logement et démarcheur. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Le Yin et le Yang. L’un ne va pas sans l’autre. Qui veut un logement a recours au service d’un démarcheur ; l’incontournable intermédiaire entre concessionnaires de maison et locataires.
Le démarcheur est un personnage sorti tout droit d’un roman de Ferdinand Oyono. Ces quinquas brulés par la chaleur humide de Conakry sont reconnaissables à leur Borsalino trentenaire et à leurs souliers éculés qui prouvent qu’ils ont foulé chaque centimètre carré de terre des quartiers de la capitale. Organisés parfois en réseau informel, ils ont le plan directeur de la ville en tête : ils connaissent tous les bâtiments, leur surface, leurs propriétaires, leur statut, et éventuellement leur prix de location.
Le démarcheur se rémunère sur une commission versée par le locataire et le propriétaire correspondant à un mois de location pour chaque partie. Mais c’est le locataire qui casque ses honoraires de déplacement journaliers (25.000 GNF en moyenne) pour la quête de l’appartement à louer. Et c’est là qu’il devient un véritable Bernard Madoff.
Le démarcheur connait toujours où se trouve un appartement libre. C’est à la dernière minute qu’il vous sort : « ouuuups, quelqu’un vient juste de le prendre ». Vous venez de perdre 25.000 francs pour la énième tentative. Parfois, il indexe un bâtiment au hasard et vous dit « là, bientôt un locataire va libérer deux-chambres-salon-cuisine-douche-interne ». Il se crée un nouveau marché de déplacement. Et ça dure une éternité.
Quand il vous aura sucé jusqu’aux os et se rend compte qu’il ne peut plus rien tirer de vous, il finit par trouver un appartement et vous refile au propriétaire.
Commence une nouvelle aventure.
Le manque d’encadrement juridique du loyer à Conakry, fait que les propriétaires de maisons fixent le prix à la tête du client. Et ça varie d’une zone géographique à une autre. Les quartiers les plus convoités sont Kaloum (centre-ville), Camayenne, La Minière, Kipé, Nongo, Lambanyi, et une partie de Kobayah au nord-est. Pour leur calme et leur confort relatifs. Il commence à s’y développer le phénomène de la gentrification. Il faut compter en moyenne 1.500.000 francs par mois pour un appart’ de trois-chambres-salon-douches-internes. Dérisoire comparé à d’autres pays de la sous-région pensez-vous ? Eh bien, il ne faut pas oublier une donnée importante : en Guinée, le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) est de 400.000 GNF (42 euros).
La fameuse caution d’acquisition de l’appartement est fixée en termes de mois de location au bon vouloir du propriétaire. Ici, on l’appelle « l’avance ». Ça varie en général entre 3 et 12 mois.
Le contrat de location étant conclu verbalement, le prix du loyer suit toujours une courbe ascendante. Quand le propriétaire ou le concessionnaire (dans le cas d’une sous-location) se sent coincé, il augmente unilatéralement le prix. Pareil lorsque s’annonce la saison de pluies. Son seul argument : «tu paies ou tu te casses».
Résigné, tu restes. Obligé. En dépit des conditions de vie spartiates : bâtiment pas aux normes de sécurité, fourniture aléatoire du courant et d’eau obligeant les femmes à se lever au milieu de la nuit, quand le robinet coule, pour remplir tout ce qui est creux comme récipient.
Il y a aussi la promiscuité engendrée par la cohabitation difficile entre familles de locataire et de propriétaire. Jalousie entre les femmes qui se querellent pour un rien, transformant la concession en champ de bataille et leurs maris en Israéliens-Palestiniens. Tu rentres du boulot, courbaturé par les embouteillages et la chaleur, tu trouves ta femme et celle du concessionnaire aux prises parce que l’enfant de l’une a volé les billes de celui de l’autre. Bonjour le stress !
Un stress à l’échelle d’une ville. Cette crise du logement à Conakry est l’une des conséquences du développement déséquilibré du pays. La pauvreté en zone rurale a jeté des milliers de Guinéens sur les routes de l’exode ces trois dernières décennies. Les grandes villes ont servi d’aimant pour happer ces paysans miséreux en quête du mieux-être. Miroir aux alouettes. Conakry la capitale a été littéralement envahie. Résultat : une explosion démographique soudaine, suivie d’une urbanisation chaotique dépassant largement les capacités de fourniture de service de base : routes, eau, électricité, sécurité.
La crise du loyer a entraîné une crise du foncier. C’est la ruée ver la terre. Chacun veut bâtir sa propre maison pour sortir de la spirale du logement. Dans la zone de Conakry, les lopins de terre sont devenus hors de prix. Jusqu’à un milliard GNF (plus de 100.000 euros) pour une parcelle de quelques mètres-carrés.
Maintenant, c’est Coyah et Dubréka, les deux préfectures voisines de Conakry, qui sont en train d’être charcutées à coup de millions de francs guinéens. On ouvre un nouveau front dans la guerre d’usure propriétaire – locataire. David contre Goliath.
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