Que faut-il savoir et retenir de #ParlerCommeElie ?
On a beau avoir les étoiles du grade de Général d’armée qui scintillent sur les épaules, en bataille numérique le combat est loin d’être gagné d’avance. Elie Kamano, reggaeman guinéen autoproclamé « Général », puis « Maréchal » (sans troupe) l’aura appris à ses dépens !
Un peu plus de 72H après sa bourde commise à l’occasion de la commémoration de l’an 34 de la disparition du président Ahmed Sékou Touré, les soufflets alimentant les braises qui incendient Elie à travers le mot-clé #ParlerCommeElie ne sont toujours pas retombés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les attaques ne se font pas à fleurets mouchetés.
Genèse
Il n’est pas futile, pour ceux qui n’ont pas suivi l’affaire, de revenir brièvement sur comment un simple message commémoratif s’est transformé en un fulgurant « bad buzz » qui a déjà franchi les frontières guinéennes. Le scénario s’est déroulé en trois actes.
Acte 1 : Nous sommes lundi 26 mars, jour de commémoration du 34ème anniversaire de la mort de Sékou Touré, premier président controversé de la Guinée. Les réseaux sociaux guinéens, Facebook en particulier, sont en ébullition. Les uns voient en Sékou un héros qui a délivré la Guinée du joug colonial, les autres un tyran sanguinaire et redoutable. On s’affronte à coup de commentaires éruptifs. Elie Kamano, artiste engagé, fan de Thomas Sankara et affidé de l’activiste polémiste Kémi Séba récemment empêché d’entrer en Guinée, est sans surprise dans le camp des soutiens de l’ancien Responsable Suprême de la révolution socialiste guinéenne. A 17H, il le fait savoir sur sa page Facebook à travers une publication qui ne s’embarrasse pas beaucoup des règles de la langue de Molière. Le reggaeman affirme en substance que, « petit », il avait eu le privilège de parler au téléphone quelques fois avec Sékou Touré, rappelant que son père fut le pilote d’hélicoptère du défunt président pendant 22 ans. Jusqu’ici, tout va bien.
Acte 2 : Un blogueur avisé, Thierno Diallo, connaissant l’âge officiel de d’Elie Kamano, a la bonne idée de « fact-checker » cette « news » à 19H. Problème : Djéliman Kamano à l’état civil, alias Elie, est né officiellement en 1984, c’est-à-dire l’année exacte de la mort de Sékou Touré, le 26 mars plus précisément. C’est vrai que, nourrisson de quelques mois, on peut monter à bord d’un hélicoptère avec un président mais lui parler au téléphone et pouvoir s’en souvenir 34 ans plus tard relève de la science-fiction à la « Black Panther ». S’apercevant de la supercherie, le blogueur s’en émeut sur son mur Facebook en postant la toute première publication avec le mot-clé #ParlerCommeElie. Le bal de l’ironie et de la parodie était ainsi lancé et ne tardera pas à se propager sur Twitter.
Acte 3 : Mardi matin, face à l’avalanche de tweets et publications Facebook ravageurs, le Général Elie risque une explication non pas sur les réseaux sociaux, mais dans l’émission « Œil de Lynx » de la radio Lynx FM. Cela permettrait à tout le monde de voir clair comme un lynx dans cette affaire, pensait-il sans doute. Mal lui en a pris. Ignorant l’adage peul selon lequel « la saison de la parole dure trois jours », Elie choisit de parler au lieu de se taire et de laisser la campagne numérique s’éteindre d’elle-même. Il confirme qu’il a bien parlé au président Sékou Touré et qu’à cette époque il avait 7 ans. Donc, mathématiquement, Djéliman est né vers 1977. Mis sous pression, il révèle que c’est en 2006 qu’il a modifié sa date de naissance pour se présenter comme le « plus jeune espoir reggaeman africain » au concours du Prix Découverte RFI. On pensait que, comme tout le monde, un Général pouvait se tirer une balle dans les pieds par erreur, mais pas couler son propre vaisseau amiral. Hélas, il ne reste plus qu’à prier qu’Elie sache nager au milieu de cet océan agité infesté de squales voraces.
Un buzz thérapeutique
La première leçon à tirer de ce « bad buzz » est qu’autant ils sont des vecteurs de diffusion de fausses informations, les réseaux sociaux constituent également de formidables outils de lutte contre les « fake news ». On peut s’en servir pour contrecarrer des contre-vérités en les confrontant à l’épreuve de vérification des faits. Dans cet exercice, plus on est nombreux et de bonne foi, plus c’est rapide et efficace. Dans un pays ravagé par des rumeurs assassines et où les coups en dessous de la ceinture sont légion, le réflexe du jeune blogueur Thierno devrait se généraliser et se pérenniser.
Cette affaire confirme également la règle selon laquelle le droit à l’oubli n’existe pas sur internet. Tout ce que vous publiez sera retenu contre vous. C’est une vérité implacable qui a visiblement du mal à se faire accepter au pays de Sékou Touré si l’on en juge par les séries de « sextapes » qui agitent régulièrement le web guinéen.
Ce « bad buzz », plus drôle que méchant en réalité, a eu surtout le mérite d’apaiser les tensions tribales et politiques sur les réseaux sociaux. Tout le monde y a pris part sans distinction d’ethnie, de région ou de religion. Ce qui n’arrive malheureusement pas tous les jours en Guinée où les clivages ethniques, notamment entre Peuls et Malinkés, sont caractérisés par des discours haineux alimentés par des politiciens qui ont placé l’ethnie au centre de leur stratégie de conquête du pouvoir politique.
Le buzz a agi telle une catharsis sur la jeunesse puisque survenant dans un contexte socio-politique guinéen phosphorescent marqué par une fin de grève syndicale qui failli se transformer en soulèvement insurrectionnel et une crise politique mortifère. A cela s’ajoute, un néo-anti-impérialisme et un panafricanisme nostalgique du passé que revendiquent de plus en plus de jeunes gens. La commémoration dans ce contexte de la disparition de Sékou Touré, l’un des hommes les plus emblématiques et controversés des « Indépendances africaines », ne pouvait que rallumer la mèche de la division.
Enfin, il faut également souligner que si #ParlerCommeElie a fait l’unanimité des internautes, c’est peut-être parce que la personne concernée, Elie Kamano, n’est pas Peul ou Malinké, les deux groupes ethniques dont les rivalités sont en ce moment exacerbées par la crise politique. Sinon, il est fort probable que ça aurait débouché sur une prétendue « attaque ciblée » contre un Malinké ou un Peul. Il en était ainsi, là aussi heureusement, de #BobodiChallenge, cette campagne de parodie qui avait enflammé les réseaux sociaux en avril 2017. La personne au centre de la polémique, Aboubacar Camara dit Bobodi, était Soussou.
En tout état de cause, on préfère ce buzz drôle et ludique aux messages de haine dramatiques et divisionnistes sur les réseaux sociaux et dans les landerneaux politiques. En cela, Elie Kamano nous a gratifiés d’un single exceptionnel. Si par prudence, on ne peut parler comme lui, on peut #ChanterCommeElie que c’est « La Main de Dieu » ! #PeaceInGuinea
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