Fötéta, ma foi !

20 décembre 2011

Fötéta, ma foi !

On me l’avait pourtant dit, mais je n’y avais pas cru. A mon départ de Conakry pour Paris, quelqu’un m’avait discrètement soufflé qu’« une fois en Europe, tu seras obligé de tempérer ta ferveur religieuse ». Sa sentence me parut énigmatique, mais l’intéressé se borna à esquisser un sourire pudibond lorsque je lui demandai comment et pourquoi. En deux mois de séjour en France, j’ai largement pu vérifier la véracité de la confidence.

J’ai perdu le nord. Au figuré comme au propre. L’assiduité et surtout la ponctualité dans l’accomplissement des cinq prières quotidiennes obligatoires (un des cinq piliers de l’Islam) que j’observais au pays, ont pris un sacré coup de rabot ici. A Conakry où je mène une vie de blogueur-chômeur-CDDiste-à-l’occasion, seul l’appel du muezzin pouvait nous extirper, mes amis et moi, des interminables discussions au tour du thé où on tuait le temps, assassinait et ressuscitait Ben Laden, défendait où vilipendait Kadhafi, pourfendait ou soutenait le pouvoir d’Alpha Condé à longueur de journée.

Il n’y a pas plus fidèle qu’un diplômé chômeur guinéen. La fin de chaque prière est une occasion en or pour lui de se rapprocher d’Allah pour l’implorer à trouver un job. Un boulot rémunéré pour arrêter de se taper le matin un bol Big Max de Bandé-Khita (riz rassis) ou une tartine d’un demi Tappa-Lappa (pain local) rempli à ras bord de haricots préparés à grand renfort de bicarbonate de sodium. C’est le Togué, ou Kosovo pour les inconditionnels. L’élection d’Alpha Condé n’a pas changé la donne. Le chômage et la précarité sévissent de plus belle. Ils sont célébrés dans une belle formule moqueuse en langue Soussou : « Mangué Nènè, Khamé Nènè » (traduisez : Nouveau président, nouvelle famine).

Trouver donc un job ou se casser. « Flyer » comme on dit à Conakry. S’envoler pour Fötéta (Occident). Et me voilà à Fötéta, mais pas pour l’aventure bien sûr. En deux mois de séjour, la piété que je portais en bandoulière dans ma petite mosquée de quartier est devenue une courbe qui évolue en dents de scie. Dieu Sait que la foi et la volonté sont présentes. Mais la rareté des mosquées et lieux de prière dans Paris, le rythme de vie infernal, l’insuffisance de l’hygiène dans les toilettes pour le musulman (papier toilettes à la place de nos traditionnelles bouilloires en plastique) obligent à faire du Sonni Ali Ber en cumulant les prières le soir avec une bonne dose de courage et des décalitres de café.

« Ô vous qui avez cru ! Quand on appelle à la Salât du jour du Vendredi, accourez à l’invocation d’Allah et laissez tout négoce. Cela est bien meilleur pour vous, si vous saviez ! ». C’est écrit noir sur blanc dans le Saint Coran (Sourate 62 – Verset 9). Et de deux ! Ce vendredi, c’est avec joie que j’ai répondu à l’appel. J’ai pu accomplir la prière collective, hebdomadaire et obligatoire à la grande mosquée de Paris. C’était le deuxième. Oui, le deuxième vendredi en deux mois.  Soubouhânallahi ! Ne me blâmez pas, vous savez pourquoi.

La première fois que j’y suis allé, je venais d’arriver et j’étais porté par cette excitation touristique de découvrir les monuments emblématiques de Paris dont la grande mosquée. C’était l’époque où je me déplaçais dans trois zones parisiennes à l’aide de mon Passe Navigo (carte de transport électronique). Après trois semaines de rechargement à raison de près de 25 euros par semaine, je me suis aperçu que mon maigre budget était en train de fondre comme neige au soleil. Comme beaucoup d’autres resquilleurs, j’ai vite fait de niquer les tourniquets d’accès aux gares, jouant au chat et à la souris avec les contrôleurs de la SNCF, me moquant des formules poétiques tracées à l’intérieur des bus du genre « Qui saute par-dessus un tourniquet, risque de tomber sur un contrôle à quai ». Que celui qui ne l’a jamais fait me jette la première pierre.

Pour la bouffe, je fais le maxi pour éviter le porc et l’alcool. Sans être sûr de réussir. En fait, l’alcool rentre dans la composition de plusieurs aliments dont certains chocolats, à ma grande surprise. Dans la cuisine française, il est aussi à la base de préparation de certaines sauces aux noms bizarres : sauce à l’oseille, cuisse de grenouille à la crème. Beurk ! Avec ça, la gastronomie française est classée patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Allez en parler à ma grand-mère.

Amoureux de la viande devant l’éternel, je vise les menus comportant les mots « bœuf » et « volaille »  à la cantine de RFI sans me soucier de l’étiquette Halal. Depuis que j’ai visionné cette vidéo m’apprenant que l’entreprise française DOUX censée produire de la viande Halal a réussi à vendre des poulets électrocutés et égorgés à la chaine en Arabie Saoudite (à la Mecque !) et qu’une autre, FINI, fabrique et commercialise en France des bonbons estampillés « Halal » avec du porc, c’est avec suspicion que je regarde ces cinq lettres. Halal est une simple étiquette qu’on peut coller sur du jambon charentais.

Pour ma part, je me sers de la belle formule Bismillahi (Au nom d’Allah) pour « halaler » les aliments que j’ingurgite.  De la modération avec obligation. Dieu comprendra, Inch’Allah.

 

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Commentaires

manon
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Hahahaha! ton article est tellement drôle... je comprends tes mésaventures, mon pauvre cher Alimou... courage

Mamadou Alimou SOW
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Merci ma pauvre chère Manon. Je me joins à la coalition formée par toi et ta pelisse pour narguer les Berlinois jaloux.

tahirou
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Ainsi va la vie ici à l'hexagone et ailleurs sur le vieux continent! comme on aime à le dire souvent <>ici tout est prêt pour être un "laïque" qui pourrait dire peut être "païens" !

Mamadou Alimou SOW
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Bien vu Tahirou. Amitiés.

barry
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Mon Dieu Alimou suis mdrr!!!
Voilà le vrais visage de l'occident,alors qu'en Afrique mm si on à rien on est quand même proche de Dieu

David Kpelly
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Hi hi hi! Beau-frère, tu sais que je t'aime beaucoup hein? Je veux te voir, toujours, pieux muslim. Quitte donc Mbingué et viens ici chez ton beau-frère qui t'accueillera les bras ouverts, à Bamako, Bamcity, je veux dire. Y a des mosquées à gogo, et j'en ai même une juste derrière ma maison. C'est d'ailleurs elle qui me réveille chaque matin à quatre heures après mes deux ou trois heures de sommeil. Viens, beau frère viens... Peut-être que nous irons ensemble à la mosquée, comme mon impertinence me vaut ces temps-ci trop de flèches des chrétiens!
Amitiés!

Mamadou Alimou SOW
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J'aimerais bien aller à Bamcity, au près de toi, mais je crains que tu ne me fasses manger de viande de porc que j'essaie d'éviter ici autant que je peux. Et là, ce serait un gros, très gros scandale entre beaufs! Amitiés

Diaraye
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Haha très drôle mais c'est la réalité à l'hexagone.