Inquiétante coagulation de crises en Guinée
En saison hivernale, le climat caractéristique de Conakry est bien connu : pluvieux, chaud et humide. Le visage de la ville également : moche !
Mais en ce début juillet 2018, ce ne sont pas seulement l’humidité envahissante, la folle montée du mercure et l’abondante pluviométrie qui rendent la capitale invivable. C’est aussi les manifestations violentes, les routes barrées, les pneus brûlés à même la chaussée, la montée de la délinquance urbaine et les fossés qui débordent des déchets non ramassés. La situation est emblématique d’une crise à l’échelle nationale.
Ces dernières années, la Guinée est connue pour être non pas une simple cocotte-minute, mais un volcan actif avec des mini-éruptions régulières. Cette fois, la conjonction de plusieurs facteurs fait craindre une plus grande explosion avec des coulées de lave dévastatrice. Mais je touche du bois.
C’est que la coupe est pleine ! Le pays se retrouve sous les feux croisés de plusieurs crises, conjoncturelles pour certaines, structurelles pour d’autres, mais toujours avec le même effet sur la population : elles sont exaspérantes.
Pour prendre la température de la situation, il suffit de consulter les réseaux sociaux. Sur Twitter et surtout Facebook, les habituelles photos de mariages clinquants et les selfies dégoulinant de narcissisme compulsif ont fait place à des publications plus engagées. Chacun y va de son commentaire sanguin pour dénoncer la crise du moment : l’augmentation du prix du carburant.
Le 30 juin, le nouveau gouvernement a jeté de… l’essence sur le feu d’un front social en ébullition depuis pratiquement le début de l’année. Il a augmenté le prix du litre de carburant à la pompe de 25%, le faisant passer de 8 000 à 10 000 francs guinéens. Le sang des syndicats et de la société civile n’a fait qu’un tour. Le 4 juillet, les premiers ont lancé un mot d’ordre de grève générale, la seconde a appelé à plusieurs journées villes mortes et à une manifestation, le mardi 10 juillet. A Conakry où l’atmosphère était déjà phosphorescente, la rue s’est rapidement embrasée.
Cette mesure d’augmentation suscite la colère au-delà des organisations syndicales et de la société civile. A quelques rares exceptions près (à trouver dans le sérail du régime), elle est rejetée par toute la population, y compris dans les rangs du parti au pouvoir.
Son rejet massif vient du fait qu’elle a été décidée de manière unilatérale, sans concertation avec les syndicats, en violation du protocole d’accord gouvernement-syndicat-patronat signé en février 2016 qui évoquait explicitement une concertation tripartite sur un éventuel réajustement du prix des produits pétroliers. L’augmentation est également rejetée parce qu’elle est assimilée à du deux poids, deux mesures.
En effet, l’accord de 2016 laissait entendre que le prix du litre de carburant serait flexible suivant celui du baril de pétrole. Or, c’est seulement quand le cour du baril monte comme en ce moment que ce principe de flexibilité est appliqué, et pas quand il baisse.
Pourtant, même si cette augmentation est arrivée très vite, elle était prévisible. En mars dernier, l’ancien ministre du Budget l’avait évoquée à demi-mot au lendemain de la signature d’un accord avec le syndicat des enseignants qui avait déclenché une grève émaillée des violences meurtrières. Poussé dans ses derniers retranchements, le gouvernement avait concédé au syndicat les 40% d’augmentation salariale exigés pour calmer les manifestations quasi-insurrectionnelles qui s’étaient propagées jusqu’aux portes du palais présidentiel.
Il fallait bien que quelqu’un paye la note salée. Eh bien, depuis le 1er juillet dernier, on sait qui va casquer. Ce que l’on ignore par contre, c’est quelle sera l’issue du mouvement de protestations en cours qui prend de l’ampleur et paralyse tout le pays. J’espère un dénouement heureux pour ma part.
Mais la paralysie du pays ne résulte malheureusement pas seulement de la grève syndicale. Elle est également due à une véritable épidémie de rupture de ponts en cascade sur les principaux axes routiers. Pas moins de quatre ouvrages de franchissement stratégiques se sont affaissés en moins de deux mois.
Linsan est le cas le plus emblématique. Depuis le 20 juin dernier, les voyageurs sur la route nationale N°1 ne s’arrêtent plus seulement à cette célèbre bourgade à la limite des préfectures de Kindia et Mamou pour manger du fonio et de gros morceaux de viande. Ils y dorment par centaines à la belle étoile, sous la pluie et dans la boue, contraints et forcés à cause de l’effondrement total du pont colonial vieux de plus de 60 ans qui enjambait le fleuve Konkouré séparant les deux préfectures.
Il a fallu trois semaines au Ministère des travaux publics pour construire une petite voie provisoire de contournement en attendant la réhabilitation du pont effondré. Cela donne une idée du niveau de patience dont les usagers de cette route doivent s’armer. Le calvaire qui se déroule à Linsan a déjà fait une victime : une femme enceinte malade et bloquée sur place durant plusieurs heures est décédée le 1er juillet dans le bus qui la transportait pour Conakry selon des informations de presse.
Un drame humain plus grave s’est produit tout près de Conakry, à Kassonyah (Coyah). Le 4 juillet dernier, deux barques transportant de passagers sont entrées en collision sur un bras de mer faisant au moins quatre morts. Le pont reliant les deux rives du quartier est hors d’usage depuis plusieurs semaines, obligeant les populations riveraines à faire un contournement d’une dizaine de km ou à emprunter des pirogues pour la traversée.
Les vœux du ministre des travaux publics n’ont pas été exaucés. Le 9 juin il avait fait le déplacement et ordonné la fermeture de cet autre ouvrage datant de la période coloniale pour, dit-il « éviter un drame » en attendant la reconstruction du pont. Là également, on se blinde de patience et on attend.
Les populations de Kérouané attendent elles aussi de sortir de l’enclavement complet dans lequel elles sont confinées. Dans la première semaine de juillet, les pluies diluviennes qui se sont abattues dans cette préfecture située à l’est, au diable vauvert, ont littéralement emporté un pont et détruit partiellement un autre sur la route de Kankan. Comme si cela ne suffisait pas, un bac situé sur la rivière Milo permettant de rallier la sous-préfecture de Banankoro, plus au sud, a coulé, isolant presque totalement Kérouané du reste du pays.
La liste de problèmes est longue. Dans ce pays au relief accidenté et où la surcharge à l’essieu est presque la règle, chaque ouvrage de franchissement représente un risque potentiel. L’effondrement de ces différents ponts est le symbole non seulement de l’état désastreux dans lequel se trouve notre réseau routier (dont seulement 2 261 km de routes nationales revêtues sur un total de 7 637 km), mais également de la déliquescence du pays en matière de gouvernance infrastructurelle. Ou de gouvernance tout court.
Car malgré l’acuité de ces deux crises liées au carburant et à l’infrastructure routière, elles masquent mal la crise politique qui mine le pays depuis plusieurs années et qui fait régulièrement des dégâts. Elle couve toujours.
Des élections municipales sans cesse repoussées, et après des manifestations qui ont fait des dizaines de morts et de blessés, ont été organisées le 4 février dernier, 13 ans après les dernières qui datent de 2005. Cinq mois plus tard, les nouveaux élus ne sont toujours pas installés, pouvoir et opposition n’ayant pas réussi à se mettre d’accord sur les résultats. Ces deux bords politiques continuent à s’écharper, confisquant ainsi les voix du peuple souverainement exprimées dans les urnes.
Pendant ce temps, la quasi-totalité des pays voisins ont réussi à organiser des élections parfois générales, comme en Sierra Léone, et à installer les élus sans que cela ne prenne un temps interminable, sans que cela ne paralyse le pays sur une si longue période, sans que cela n’accentue les clivages tribaux, sans que cela ne se solde, comme chez nous, par des morts, des blessés et des dégâts matériels considérables.
Crise sociale, crise politique mais aussi crise infrastructurelle comme on l’a vu concernant les ponts qui s’étend également aux services de l’eau, de l’électricité, de la santé, de l’hygiène et de l’assainissement dont toutes les grandes villes sont déficitaires. La capitale Conakry, jadis « perle de l’Afrique occidentale, est devenue une immense poubelle urbaine, véritable pandémonium qui fout la honte à tous les Guinéens pour peu qu’ils soient lucides et informés de ce qui se sa passe ailleurs.
Toutes ces crises qui étranglent la Guinée se résument en une seule : la crise de confiance à tous les niveaux. Crise de confiance entre la classe politique, entre mouvance et opposition, entre gouvernants et gouvernés, entre présidence et gouvernement, entre militants et leaders, entre patrons et employés, entre élèves et maitres, entre chanteurs et mélomanes, entre chauffeurs et passagers, entre vendeurs et acheteurs, entre père et fils, entre mari et femme, entre copain et copine…
Il y a également une constance dans tout ça : la Guinée est certes pauvre et en proie à des crises permanentes, mais nous l’aimons profondément et ne l’échangerons pas contre tout l’or du monde. Peace in Guinea !
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