Je suis Guinéen, j’aime «consulter»

Même avec un 9 millimètres collé sur la tempe, je ne ferais pas ça ! De quoi s’agit-t-il ?
De deux jeunes filles belles comme des miss mais plus cancres qu’un Toto éméché. Deux fois recalées au Brevet d’Etudes du Premier Cycle, deux fois au Bac. La honte de la famille ! Fallait trouver une solution. Comme tout bon Guinéen confronté à un problème insoluble, elles partent consulter un… marabout. Un mec d’une soixante de piges : crane dégarni, peau ridée façon vieux lézard. Sur les trente deux dents qu’il avait à l’âge adulte, il ne lui restait que deux molaires ensevelies sous une épaisse couche de plaques dentaires infestées de bactérie de plusieurs générations. Ses ongles n’avaient rien à envier à des dents de râteau d’un éboueur de fosse sceptique…
Bref, le marabout consulta à son tour les « forces invisibles », fit son tour de passe-passe et décréta aux deux demoiselles des sacrifices à offrir : il faut trouver un coq plus haut qu’un veau et plus rouge que la première couleur du drapeau guinéen. Tuer ce coq, le cuisiner avec un bon plat de riz qu’il faudra transporter chez le même marabout pour dégustation ! Qui est fou ? Normal tout cela. Pourtant, il doit toujours y avoir un truc paranormal dans une consultation maraboutique. Nos deux cancres l’auront dans la… gueule !
Le féticheur lava ses râteaux, pardon ses mains, dans une calebasse d’eau et avala le plat de riz en un rien de temps. Il désossa le coq et suça ses os, un à un. Il relava ses mains dans la même calebasse, mit de l’eau dans sa bouche édentée, se gargarisa se servant de son index comme un cure-dents pour désensabler ses molaires fossilisées. Il recracha la récolte gluante ainsi obtenue dans la calebasse, récita quelques incantations et tendit la calebasse aux deux filles : « Tenez, buvez ceci à tour de rôle » !
Les deux clientes s’échangèrent un regard douteux et répugnant ! « Allez-y, buvez c’est la clé de votre réussite », insista le marabout entre deux rots bruyants. La mort dans l’âme les filles se saisirent de la calebasse, inspirèrent profondément, fermèrent les yeux et vidèrent la culture bactérienne dans leur estomac à tour de rôle ! Burrrrrrrrrrrk !
Par la suite, elles ont été accusées dans leur quartier d’avoir contracté une grossesse non désirée tant elles vomissaient ! On ignorait ce que les malheureuses avaient dans le ventre. Aucune n’avait réussi à décroche son bac, préférant s’orienter, à la fin, vers des écoles professionnelles, réceptacles par excellence des recalés de l’enseignement pré-universitaire.
En Guinée, l’islam et le christianisme sont les deux plus grandes religions monothéistes auxquelles appartient plus de 95% de la population. Au-delà des manuels d’histoire, j’ai compris la conversion des populations autochtones à ces religions venues d’ailleurs. Au fait, je dois avouer que je suis totalement bluffé par la capacité de mes compatriotes à faire allégeance aux forces invisibles à travers des pratiques animistes. Une mort soudaine, un mauvais rêve, une maladie, une perte ou une réussite, un bonheur ou un malheur ont systématiquement une explication métaphysique. Rien n’arrive par hasard.
En campagne comme en ville, les pratiques occultes rythment la vie quotidienne. Pour conjurer le mauvais sort ou s’attirer des bienfaits, chaque entreprise, chaque initiative est précédée d’une consultation : se marier, se lancer dans une affaire, passer un test ou un examen, bâtir une maison, voyager, trouver l’âme sœur, se maintenir à un poste, etc. ne sont pas des actes anodins. Avant d’être exécutés, ils doivent au préalable recevoir le sceau d’un dépositaire des sciences occultes. Un occultisme qui vire carrément vers l’obscurantisme.
Je me souviens que, petit au village, je voyais, désemparé, des voyageurs au départ foncer tout droit dans une clôture ou dans la brousse, évitant expressément de suivre le chemin habituel. Plus tard, je découvris qu’ils suivaient ainsi la position d’une poule en couvée qu’ils consultaient avant le départ et « qui ne fait jamais face au malheur ».
En ville, notamment à Conakry la capitale, les femmes tiennent le monopole du marché des « consultations ». Pour ferrer un mec capable d’endiguer l’effritement dangereux de leur pouvoir d’achat, les meufs de Conakry sont capables de pactiser avec le diable pour marabouter le tourtereau. Il s’est même créé une espèce de dénicheuses de maris ou de copains fortunés qui sillonne le pays à la recherche du plus puissant marabout.
Tout le temps maquillées, empourprées et parfumées comme une fleur, ces femmes emportent, enfoui dans les entrailles de leur sac-à-main-ni-de-bactéries, un terrible arsenal d’orientation de cœur : noix de cola, fils rouge-jaune-vert, cauris, aiguilles, papier blanc, cendres, œufs frais, fragments de miroir, amulettes, etc. Pire qu’un lutteur sénégalais qui prépare un match de « lamb ». Il est fréquent d’enjamber ce salmigondis d’objets, nuitamment déposés dans les carrefours.
Parait que certaines femmes exploitent judicieusement le sens du dicton qui dit que « l’on n’est jamais mieux servi que par soi même ». Elles ont appris à jouer aux cauris et voient l’avenir comme leur propre reflet dans un miroir.
Cet écosystème propice apparait comme du pain béni pour des imposteurs de tout poil reconvertis en féticheurs, marabouts, joueuses de cauris, tradi-praticiens qui surfent sur la vague de la crise politico-socio-économique qui mine le pays pour pigeonner les crédules. Les femmes les premières, évidemment. Au nez et à la barbe des autorités, surtout sanitaires.
Il règne en ce moment à Conakry, une vraie guerre dans le secteur de l’occultisme pour le contrôle du marché. Marabouts traditionnels, charlatans, Donzos et tradi-praticien-super-médecins, venus parfois du Nigéria ou du Ghanda, rivalisent de charme à l’endroit des clients potentiels, y compris des très hauts-placés. Ils ont solution à tout problème, guérissent TOUTES les maladies, y compris le Sida (Nous aussi, on a nos Yayah Djammeh locaux). Ceci-sans la moindre injection s’il vous plait. Des simples décoctions (autre culture de bactéries) à boire, des baumes à s’enduire, un simple massage, une amulette à porter. Et votre mal s’évanouit comme par prestidigitation ou s’installe et finit par vous emporter.
Qu’importe! De toutes les façons, il y aura toujours quelqu’un pour boire les paroles, que dis-je, le crachat de quelqu’un d’autre ! Conakry life !
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