Le Consul M’A TUER*!
Immergé dans le rythme de vie parisienne, un poil stressant, et victime du syndrome de la page blanche, je partage avec vous ce texte écrit après le refus de visa que m’a opposé le Consulat de l’ambassade de France à Conakry en aout. Je m’étais défendu de le publier à l’époque. Trois mois après, le voici déclassifié.
« Oh non, tu plaisantes » ! « Merde alors » ! « Incroyable, pourquoi ? » « C’est vraiment rageant »… Ah, qu’on peut en recevoir des réactions d’indignation des amis et des connaissances quand on se fait larguer pour un visa, même de court séjour !
Mercredi, 24 aout 2011 en début d’après-midi devant la grille d’entrée de l’Ambassade de France à Conakry. Une petite foule s’agglutine sur des bancs en bois vissés sur le carrelage pour échapper aux maraudeurs nocturnes de Kaloum (quartier administratif). Deux jeunes étudiantes trépignent. Près de moi, l’une d’elles, coiffée d’un mouchoir négligemment noué sur la tête, tremblote de la main gauche. Une autre, plus loin, prie dans le silence. La tension est palpable. Une angoisse à couper au couteau. Chacun redoute le moment fatidique d’ouvrir son passeport.
A l’intérieur, la minuscule salle qui accueille les demandeurs de visa venus retirer leur passeport affiche plein. Calme total. Tout se passe dans la tête et les cœurs. Le silence n’est interrompu que par les « au suivant » d’un vigile baraqué qui collecte les quittances du versement des 60 euros des frais non remboursables de demande du visa. Mon tour arrive. A travers une vitre, par un passe-billets, on me glisse mon passeport et une fiche à signer. « Youpi, je l’ai », me dis-je intérieurement. Dehors, j’avais ouï dire que « quand on t’invite à signer un papier, c’est que tu as le visa ». Je signe donc. Sans lire. Vous comprenez pourquoi. Le passeport en main, je le feuillette frénétiquement. Il n’est défloré que par un cachet qui indique : « visa demandé le 24/08/11 à Conakry ». Merde ! C’est le mot que je lâche. Machinalement.
Une fois hors des locaux de l’Ambassade, je déchiffre la fiche signée. C’est la notification de refus de visa. Sur une enfilade de neuf cases, la deuxième est cochée : « l’objet et les conditions du séjour envisagé n’ont pas été justifiés ». Un deuxième « Merde » s’en va, suivi d’une poussée d’adrénaline!
Pourtant, en recevant quelques jours plus tôt une lettre d’invitation de Radio France Internationale (RFI), j’étais aux anges. Deux mois de stage à la Radio du monde ! J’ai mis toutes les chances de mon côté. Pas de temps à perdre. Il faut vite mobiliser tous les dossiers nécessaires.
Je commence par renouveler ma connexion Internet mobile qui me coûte déjà une fortune que je n’ai pas (450 000 francs (46 €) par mois) ! Mais ça vaut le coup, il ne faut pas perdre contact avec Paris. Ou risquer une demi-journée de combat avec Internet Explorer 6 pour ouvrir son mail dans un cyber poussif de banlieue où le verbe « réactualiser » à l’impératif bat tous les records de conjugaison. J’écume les sites de l’Ambassade de France et de la diplomatie française. Je télécharge tout ce qui a trait à un séjour en France : fiche de renseignements, formulaires de demande de visa Schengen, tutoriels de remplissage du formulaire, etc. J’installe même sur mon Galaxy l’application Conseils aux Voyageurs, destinée pourtant aux expats français ! On ne sait jamais.
J’acquiers une assurance voyage à 453 000 GNF couvrant trois mois. Mais le gros problème, c’est comment mobiliser les ressources financières pour le voyage et le séjour. Je découvre le site ulule.fr sur lequel je m’empresse de monter un projet. Celui-ci est mis en orbite mais fait du surplace. Le système de versement des contributions via PayPal est un handicap. Les contributeurs redoutent de lier leur compte bancaire à un site Internet. Normal. Je ramène le projet donc sur le terrain familial et médiatique. Là c’est la joie. En quelques jours les promesses de dons explosent, surtout du côté des USA grâce à Guineeview et Médias d’Afrique. Je peux dormir sur mes deux oreilles. Pas pour longtemps !
Reste un autre obstacle de taille. Une attestation d’hébergement à Paris, signée par la Mairie de l’hébergeur. Je balance des messages à tour des bras. Un pote m’avait dit « fais n’importe quoi, mais ne laisse pas cette chance t’échapper ». Ça a été un super carburant pour moi. Je finis par avoir un engagement d’hébergement via mail. Ce n’était pas mieux, mais c’était moins que rien.
Après avoir photocopié, légalisé, photocopié les légalisés à coups de dix mille, vingt mille, trente mille francs, le tout pendant l’hivernage et le ramadan dans une ville de Conakry aux allures de capharnaüm, j’étais à peu près prêt pour déposer mon dossier de demande de visa. Mais là aussi il faut prendre rendez-vous. Un véritable casse-tête chinois. Pour se décharger des appels téléphoniques qui faisaient exploser son répondeur, le service des visas de l’Ambassade a sous-traité la fixation des rendez-vous avec une startup, Africatel AVS, basée du côté de Dakar. Pour prendre rendez-vous il faut acheter pour 75 000 GNF une carte (un simple papier en réalité) comportant un numéro de téléphone dans l’une des deux agences bancaires agréées. Partout c’est la queue. C’est à croire que tous les Guinéens veulent émigrer !
Bref, je parviens, in extremis, à trouver un rendez-vous pour la comparution. Le jour J, j’ai le malheur de tomber sur une femme pas très sympa pour réceptionner mon dossier. Verbe haut, regard incandescent. « Pourquoi partez-vous en France » m’assène – t – elle avec condescendance. Pas le temps de répondre avant qu’elle enchaine : « ne me montrez pas ça, je n’en ai pas besoin » quand je veux exhiber un justificatif.
La rage au ventre, j’encaissais, stoïque, sa façon de m’infantiliser. A la sortie de l’entretien, j’ai vite fait de rétrograder ma chance d’obtenir le visa de triple « A » à un simple « A » bancal! Réflexe prémonitoire puisque, une semaine plus tard, je retirais le passeport sans visa ! Une bérézina qui enterre deux mois d’espoir déçu et de galère. Me voilà réduit à collectionner des réactions d’indignation. Aie, le consul des Français m’a tuer*!
*Cette faute d’accord (TUER), admise, est issue d’une célèbre formule, OMAR M’A TUER, suite à une affaire de meurtre à Mougins en France en 1991. Les gendarmes avaient retrouvé cette formule tracée sur les murs avec le sang de la victime.
Commentaires