Les «brouteurs» ivoiriens dans la prairie guinéenne
A Abidjan, mon pote serait passé pour un «Gawou». A Conakry, c’est quelqu’un qui a failli ruiner sa mère.
Mon ami est chômeur. Il cumule déjà près de cinq ans d’ancienneté dans ce métier qu’il a embrassé dès sa sortie d’université, affublé d’un diplôme de gestionnaire d’entreprise qui est en train de jaunir sous le matelas de son lit grinçant.
Le plancher de sa chambre est jonché de photocopies de son CV et des lettres de motivations qu’il ne cesse d’inonder les rares entreprises qui publient des annonces de recrutement. Même si ce recrutement concerne des plombiers ou des manutentionnaires, mon pote gestionnaire, veut tenter sa chance. Il «dépose», comme on dit ici. Son seul objectif est de changer de statut : passer de chômeur à salarié, même payé au lance-pierre.
En cinq ans d’expérience de recherche, il a fignolé son CV, répondu aux annonces dans la presse écrite, expérimenté les recommandations, usité les tuyaux (les fameux « bras longs »), investi les réseaux souterrains pour entrer dans la fonction publique, etc., mais que dalle. Mon pote reste chômeur usant le fond de sa culotte sur des bancs en bois et noyant ses soucis dans du thé sous le manguier.
Alors il décide de se moderniser et de passer ainsi de chercheur de job ordinaire à chercheur de job 2.0. On lui a soufflé qu’en la matière, internet et les réseaux sociaux surtout, constituent un piédestal pour atteindre le graal : décrocher un taf ! Il file tout droit ouvrir une adresse mail et crée, dans la foulée, un profil Facebook. De toutes les manières, à défaut de trouver un job, c’est un moyen pour se faire des amis et échanger.
Mon ami sera servi.
Quelques mois après l’ouverture de son compte Facebook, il se fait des amis, naturellement. Parmi eux, UNE amie, Angélina dont il a accepté la demande d’amitié la bouche entrouverte, le cœur battant la chamade. La photo de profil d’Angelina montre une débauche de beauté et d’élégance à l’état pur. Rien que pour chater avec elle, mon pote était capable de lécher les bottes du gérant du cybercafé de son quartier devenu son nouveau QG qu’il ne quitte que pour aller manger, prier ou pisser.
Un jour la «go» lui demande s’il taffe, il répond que NON !!! «Elle» lui révèle qu’elle bosse pour une institution internationale qui était, justement, en train de recruter des jeunes gens à envoyer d’abord à Londres pour formation, tous frais payés. Elle promet, en tant que chef de service du département ressources humaines, qu’elle donnera un coup de pouce à sa candidature. Mon pote jubile et jure que son heure de gloire est arrivée et que son étoile va bientôt briller dans le ciel lugubre du désespoir.
Son amie Facebook lui balance l’avis de recrutement sur son mail qu’il télécharge et imprime dans le plus grand secret. Il remplit tous les formulaires avec le plus grand soin et applique une nouvelle cure d’esthétique à son CV déjà joli.
Il s’apprête à tout renvoyer par mail à sa bienfaitrice d’amie, quand il reçoit un message de celle-ci précisant que le dossier doit être acheminé non pas par mail, mais par la poste, accompagné d’un billet de… 100 euros !!! Un petit doute veut s’incruster dans son esprit. Il le chasse très vite devant la perspective de révéler à ses potos du carré, et surtout à sa copine, qu’il doit aller à Londres pour une formation assortie d’un CDI dans une institution internationale.
Cent euros c’est une fortune pour un chômeur patenté comme lui, mais il va les trouver.
Il rentre à la maison en haletant : « Maman, je sais que tu ne me crois plus mais cette fois-ci ton fils a une occasion en or pour voyager et surtout trouver un bon emploi. Mais j’ai besoin de l’équivalent de 100 euros, c’est-à-dire neuf cent mille francs guinéens. Prête-les moi, s’il te plait maman».
La vieille cède, voyant les diamants qui brillent dans les yeux de son fils chômeur, fumeur, et buveur de thé, etc. Véritable calamité pour sa porte-monnaie.
Il convertit les neuf cent mille francs de la maman en un billet brillant de 100 euros qu’il entend poster à une certaine Angélina, rencontrée sur Facebook mais directrice de ressources humaines dans une institution internationale.
C’est pile au moment où il achetait les timbres postes pour affranchir le dossier, qu’il reçoit un appel affolé du seul ami qu’il avait tenu à informer de son coup de chance.
Arrête tout, c’est une grosse arnaque.
Je venais de me rendre compte, en effet, que le fameux avis de recrutement que j’avais demandé à mon ami de m’envoyer pour étude, était une grossière imitation cousue de fautes de français. Un vrai faux avis comme j’en trouve des dizaines dans le dossier Spam de ma boite électronique.
Une semaine après ce sauvetage in extremis, une voisine m’appelait matinalement pour m’annoncer qu’elle pensait avoir remporté le jackpot du loto d’un opérateur local de téléphonie mobile. Je n’ai pas eu de la peine de découvrir l’arnaque dès qu’elle m’a narré le procédé de son interlocuteur : envoyer les numéros de série de plusieurs cartes de recharge pour récupérer son cadeau.
Deux cas sur des centaines de procédés d’arnaque, devenus des banalités ailleurs, que mes compatriotes guinéens expérimentent depuis quelque temps. L’internet mobile et les plans promotionnels d’entreprises de jeux et de téléphonie commencent à arriver dans les foyers. Les «brouteurs» ivoiriens, ces fameux arnaqueurs sur le web, en profitent pour débarquer dans la prairie guinéenne encore toute fraîche.
Pour vous en premunir, voici le site ivoirien de la Plateforme de Lutte Contre la Cybercriminalité – PLCC
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