Tayaki, un village de Conakry écartelé entre beauté et précarité

La pression écrasante que Conakry exerce sur ses habitants pris en étau entre des déchets éternels, des embouteillages légendaires, des moustiques mutants et une chaleur de fournaise, pousse les Conakrykas hors les murs à la quête d’air pur et d’un peu d’exotisme.
Les weekends, il n’est pas rare de croiser de petites bandes de copains en partance pour les îles de Loos, au large de la capitale, pour aller recycler l’air de leurs poumons pollués. Au point qu’un micro-phénomène de tourisme de proximité est en train de se mettre doucement en place autour de Conakry dans un rayon de 150 km.
Ce dimanche, j’ai sauté le pas pour suivre un groupe de 13 filles dont 10 de l’Association Africaine des Professionnelles de la Communication (APAC). Destination ? Tayaki !
Son nom à six lettres évoque une île perdue sur l’archipel du Japon, y compris pour les habitants de la capitale dont la plupart n’ont jamais entendu parler de Tayaki. Pourtant, ce village relève de Kobaya, l’un des quartiers nord de la commune urbaine de Ratoma dans l’agglomération de Conakry.
Pour se rendre à Tayaki, il faut mouiller le maillot, au sens propre comme au figuré. Aucun moyen de déplacements hormis la marche à pieds !
Tayaki n’est pas une île à vrai dire. C’est une espèce d’immense radeau flottant au milieu des marécages à près de quatre kilomètres des côtes de Kobaya. On y a accède en suivant un chemin fait des digues de protections de carrés rizicoles formant un vaste réseau de boyaux à travers les marais.
Bien que nous soyons à la fin de la saison des pluies, il vaut mieux être chaussé de bottes, le pantalon retroussé au-dessus des genoux, pour patauger dans la boue. A défaut, se mettre carrément pieds nus. Attention aux chutes ! La terre dégorgeant d’eau est particulièrement glissante.
C’est la saison de la moisson. Armés des faucilles, des paysans récoltent le riz en coupant les tiges d’un geste vif. A notre passage, l’un d’eux se redresse pour se plaindre d’une mauvaise récolte, l’eau de mer ayant franchi les digues et envahi les rizières. Un autre, travaillant en solo, enchaîne des refrains de reggae pour se donner du courage.
La senteur du riz mûr embaume les champs tout le long de notre chemin. Un instant, je me sens transporté dans mon enfance villageoise à Télimélé…
Après une heure de marche et plusieurs bouteilles d’eau vidées, surgit Tayaki. Une poignée de maisons rustiques négligemment disloquées sur une langue de sable : murs en banco, toitures en tôle ou en chaume. La plage, bande de sable d’une dizaine de mètres de large, s’étire en ligne droite à perte de vue. Une flopée de pirogues mouille au large, bercée par le clapotis des vagues. C’est le port de pêche de Tayaki.
Assis dans une pirogue, un groupe de pêcheurs brûlés par le soleil et l’eau de mer démêle un filet, tandis que des gamins jouent dans le sable à attraper des crabes vivants aux pinces acérées.
Premier constat : la plage est sale près du village. Pour dénicher un endroit propre et ombragé, il faut pousser un à deux kilomètres plus loin.
Nous installons notre camp de base à l’ombre bénie d’un palmier isolé. L’endroit est magnifique. Les filles font la cuisine, je les berce avec des blagues plus ou moins inspirées.
13H. Les gros morceaux de viande du barbecue sont charriés par des litres de jus de fruit en brique. Je me fais même damer le pion par les… dames en matière de rapidité pour avaler ! Petit tour de… sable pour recueillir les avis sur la sortie. Toutes les 13 filles se montrent élogieuses et en redemandent, tressant des lauriers à l’initiatrice de la sortie, Asmaou Barry, présidente d’APAC.
15H. Partie de jeux, puis marée basse qui laisse découvrir un sol noir, boueux. On aurait dit des pierres volcaniques disposées régulièrement. C’est l’heure du retour.
Mais Tayaki ce n’est pas seulement la plage au sable fin. C’est aussi et surtout une population à dominance Baga qui lutte pour sa survie et à qui il faut parler. Le village, de près d’un millier d’habitants, est dépourvu de tout. Aucune infrastructure digne de ce nom : pas de route (on l’a vu), pas d’eau, pas d’électricité, pas de service de santé, pas même une école sérieuse.
C’est en pirogue que les villageois partent à Lambanyi ou à Kobaya pour chercher de l’eau potable. Pour l’école, ce sont deux âmes charitables (dont une femme expatriée) qui se battent pour les enfants : déjà un hangar couvert de tôles et protégé par des bâches, deux tableaux noirs, quelques tables-bancs pour un effectif total de 42 élèves de la première à la troisième année. M. Camara, le seul instituteur du village, fait comme il peut.
Les parents d’élèves également. Ils cultivent le riz pour nourrir la famille, pêchent et revendent une partie du produit afin de subvenir aux autres besoins. Ce sont eux qui rémunèrent le maître d’école à hauteur de 5.000 francs par enfant le mois.
A côté de ces deux activités principales, il y a la production de vin de palme, une filière tenue visiblement par d’anciens réfugiés sierra léonais. Des gaillards qui ravitaillent Conakry du liquide blanc laiteux qu’ils transportent en packs de trois bidons de 10 et 20 litres accrochés à chaque extrémité d’un bâton calé entre les deux épaules. Sur 4km de marche, voire plus. Un boulot de malade !
Au coucher du soleil, un petit marché forain de vin de palme se crée à l’orée du quartier Kobaya. Un vin que l’on soupçonne frelaté si l’on en juge par le nombre de sachets de bières vides qui jonchent le chemin de Tayaki. Un cocktail qui rougit les yeux et échauffe les esprits.
De par la beauté de sa plage et son emplacement idéal, Tayaki possède tous les atouts pour être un village touristique non pollué, soupape de la capitale. En attendant, Tayaki est une bourgade à la marge de Conakry, perdue dans des marécages aux eaux troubles !
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