«Belgo», little Guinea à Bruxelles

Article : «Belgo», little Guinea à Bruxelles
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3 novembre 2013

«Belgo», little Guinea à Bruxelles

Plat de fonio - Crédit Photo: Alimou Sow
Plat de fonio – Crédit Photo: Alimou Sow

Vendredi après-midi, rue de Liverpool à Anderlecht. La prière hebdomadaire vient de se terminer dans la mosquée d’à côté. La place est noire de monde, au sens premier du terme. Ça discute partout, par petits groupes, entre Africains. Un léger vent automnal, prémisse de l’hiver bruxellois, oblige à garder les mains dans les poches. Dans la forêt des chéchias qui coiffent les têtes, émergent de nombreux Poutos, le très caractéristique bonnet traditionnel peul.

« Ici, c’est un peu comme Madina », me sourit un ami improvisé guide.

La comparaison avec Madina, le principal marché de la capitale guinéenne, est parfaite. A plusieurs milliers de kilomètres de Conakry, la communauté guinéenne de Belgique a reconstitué une petite Guinée à «Belgo» un carré coincé entre la commune d’Anderlecht et celle de Molenbeek-Saint-Jean, au cœur de Bruxelles.

Belgo est le diminutif de la Belgo Malienne nv, une société d’export installée à Anvers, en Belgique, et fondée en août 1975 par un certain Dedrie Willy. Progressivement, elle ouvre des bureaux à Paris et à Bruxelles. L’immense entrepôt de la société, situé rue de Liverpool à Anderlecht, finit par imposer le préfixe «Belgo» au quartier.

Belgo, paradis de l’occasion-Bruxelles. C’est la porte du voyage sans retour vers l’Afrique de tous ces articles de seconde main qui inondent de plus en plus les rues de la capitale guinéenne : voitures, matelas, pneumatique, mobilier de bureau, électroménager, pièces détachées … et tutti quanti. Des objets, parfois muséaux, amassés et expédiés au pays à tour de bras.

Au-delà de la question de respect des normes de sécurité qui entoure cette activité florissante, c’est avant tout un business qui emploie et qui nourrit de nombreuses familles installées en Belgique ou restées au pays. Directement ou indirectement. De multiples activités parallèles se sont peu à peu développées autour de Belgo. La plupart exercées par des compatriotes guinéens.

Dans un local exigu, se bousculent une vingtaine de personnes. Dans les rangs, désordonnés, on s’interpelle en langue soussou et surtout poular. Un homme assis derrière un comptoir bancal est pendu au téléphone. Il égraine des chiffres et des codes inintelligibles. Un autre compte frénétiquement des liasses d’euros et délivre des reçus. C’est un bureau de transfert d’argent, «le plus important du pays en direction de la Guinée ».

C’est en fait un tout en un. Au fond de la petite salle, s’étale une enfilade de cabines téléphoniques pour, éventuellement, prévenir le correspondant de l’envoi du mandat. Tout autour, des articles divers sont jetés en vrac allant des canettes Vimto aux copies DVD du théâtre ouest-africain, y compris le fameux « Pessé » de Guinée. «Ce bureau ne désemplit pas, même en période de crise» me souffle mon accompagnateur.

C’est la preuve de l’importance de la manne financière rapatriée par la diaspora guinéenne de Belgique, de loin la plus importante d’Europe. Une diaspora non dépaysée.

Un peu plus loin, à l’angle des deux rues, une petite faim nous conduit à pousser la porte d’un bistrot qui ne paie pas de mine vu de l’extérieur. Dedans, une dizaine de personnes attablées. Toutes des Guinéens, du serveur au dernier client. Au menu : riz sauce feuille (manioc), riz au gras, fonio avec son inséparable sauce veloutée. La cuisine foutanienne presque au grand complet. Ces Guinéens de Belgique, de retour au pays, devraient avoir un sourire en coin quand surplace on se préoccupe à leur trouver des plats européens…

Dans le petit resto, l’ambiance est joviale. Conviviale. Les discussions sont animées. Entre deux blagues et les affaires sociales, reviennent les législatives guinéennes et le processus de sortie de crise qui polarisent les débats. Un leitmotiv.

La solidarité de la communauté se lit sur les murs intérieurs. Des annonces, ici un coiffeur «professionnel», là un tailleur, sont punaisées au mur du bistrot.

Dans la rue, discrètement, les affaires vont bon train bien que ce soit la Toussaint, jour férié. Des affaires qui n’échappent pas à la vigilance des autorités locales. Sur la rue de Liverpool, truffée des caméras de surveillance, un poste de police veille sur la sécurité et la tranquillité du coin. Il est situé en face de l’entrepôt Belgo. Pourtant tout semble être normal et licite. Pas de problème, tant que les agents de police ne décèlent pas du désordre ou de l’encombrement des voies de circulation.

Je me projette à Madina qui accueille la plupart de ces «occasions Bruxelles». Les pièces détachées (pas forcément venues de Belgique) y sont revendues sur une partie du marché qui porte bien son nom : la casse. Des pièces souvent volées au port de Conakry sur les véhicules d’occasion importés, et refourguées par des petits malins aux propriétaires des mêmes véhicules des fois. L’astuce qui consiste à démonter les accessoires et les planquer dans un endroit caché de la voiture n’est plus une panacée…

Comme à Madina, rares sont les Guinéens qui habitent Belgo. Ils viennent ici pour travailler et regagnent, le soir, leurs logements situés dans les quartiers plus éloignés.

Finalement, je sors de Belgo pour retourner à mon hôtel situé rue de la Loi, le centre d’affaires de Bruxelles, avec le sentiment d’avoir effectué un saut dans une Guinée en miniature.

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Commentaires

Asma Dara Bah
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là, tu me fait découvrir ce monde d'occasion Bruxelles qui inonde notre ville Conakry, a tous les coin de rue ou se trouve un immeuble; tu trouvera forcement au rez de chaussé un magasin de trucs de second Hand!

Idrissa DIALLO
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Un billet bien traité à la fois à la Guinéenne à la Belgo comme tu le dis. Le seul trait que tu as homi est celle de la situation des sans papiers dans cette ville guinéo-européenne.
Merci pour tous ces détails!!!
BORN TO BE RICH

John
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Salut Alimou ! Bravo pour cet article, encore une fois très bien écrit et riche de fines observations. Es-tu encore à Bruxelles ou prévois-tu d'y revenir ? Je suis un lecteur bruxellois de ton blog, et ça aurait été avec plaisir que je t'aurais causé autour d'un verre :-)