Où vas-tu donc, étudiant guinéen ?*

C’est ton jour. Celui que tu attends depuis bien longtemps. Depuis deux mois. Depuis trois ans. C’est le jour de la proclamation des résultats du Baccalauréat. Tu es déclaré admis !
Tu t’en fous de la mention, encore moins de ton rang. T’as vu ton nom, ton PV, ton école d’origine. C’est bien toi. Le reste n’est pas important. La joie t’envahit. Tu souris, tu ris. Tu sursautes, cries, passes des coups de fil de gauche à droite, distribues des SMS à tout va. T’en reçois. Amis et parents te complimentent, te congratulent. Tu en es ravi. Fier.
Passera ? Passera pas ? Deux longs mois, depuis la tenue du Bac., que tu te poses ces questions. Des nuits blanches que tu repenses à la manière dont tu as traité telle ou t elle épreuve. Des jours entiers que tu pries, implores le Tout Puissant d’exaucer ton vœu : celui de te donner le Bac. Tu l’as, ton bac. Tu dis Alhamdoulillahi. Bien que t’avais jeté un furtif coup d’œil sur la copie de ton voisin. Mais ce n’est pas ça tricher, tu n’avais pas d’antisèche sur toi. Ils ont dit «tolérance zéro», t’as respecté. Zéro faute.
Tu repenses à l’année scolaire qui a été longue et mouvementée, comme toutes les années en Guinée. Dirigeants et Opposants, qui se détestent cordialement, ayant définitivement pris en otage la vie sociale du pays avec leur maudite politique. Tu revois le long chemin parcouru, les tonnes d’exos traités, les révisions, les séances de lecture au bord de la mer, sous les lampadaires de la station-service du coin, à la lumière blafarde d’une lampe chinoise ou d’une bougie tueuse.
Tu te repasses le film de tes longues journées de lycéen paumé. Obligé parfois de taper le Kanda (jeu) pour compléter le transport, d’aider la Vieille à écouler ses beignets ou ses haricots pour trouver le prix des cahiers, du table-banc. Pour assister le prof qui se marie, celui qui a un baptême, celui-dont la femme est malade, la directrice qui part encore «en mission». Tu revois tout cela, tu souris. Tu te dis que c’est fini. T’as relevé le défi, franchi le cap. Contrairement à certains potes, pleins de remords, d’amertume que le Bac. a malheureusement laissés.
Tu es désormais un étudiant. Adieu, le bleu-blanc. T’es devenu un grand. Bientôt on t’orientera. L’université. Là où les potes sont plus cools, les profs plus pro, les filles plus sexy, vu qu’elles ne sont pas en tenue. Tu jubiles. Si t’es lauréat, t’iras au Maroc : Casa, Rabat, Mohamedia ou Marrakech. Ce sera chouette. Si t’es pas lauréat, c’est pas grave. Dans un an ou deux, tu t’inscriras sur Campusfrance pour aller étudier en France. Là-bas ça bosse bien. Tu le sais, on te l’a dit. Tes frères partis, ne sont pas encore revenus, mais leur profil Facebook parle pour eux. C’est tentant.
Mais décevants, risquent d’être tes rêves jeune frère. Chiant ton quotidien.
Ça commencera quand on t’orientera à l’intérieur du pays si tu bossais à Conakry. Faranah, Kindia, Kankan, Boké, Labé, ou N’zérékoré. Mais t’avais déjà entendu parler de ces coins où les étudiants ont pour fidèles compagnes la faim et la mangue. Tu entres en rébellion, mets en branle tes relations. Tu recours à la corruption pour désorienter ton orientation. C’est Conakry ou rien. Après quelques remous, des va-et-vient, beaucoup de billets de banque, tu obtiens gain de cause. Tu restes à Conakry, la capitale. T’iras à Gamal ou Sonfonia, à défaut d’une université privée comme Ghandi ou Kofi.
Bonjour la galère, la chaleur, les embouteillages, les cafouillages, les amphis pléthoriques. Tu découvres le système LMD pour lequel tes amis te traduiront : Laisse-moi Me Débrouiller. Tu plonges dans les petites combines pour avoir des notes, pour éviter la seconde session. Tu redécouvres également les NTS, les Notes Sexuellement Transmissibles. Tu pénètres le monde des pécules impayés, des programmes bâclés, jetés par la fenêtre par des profs incompétents, des encadreurs arrogants et méprisants. Tu expérimentes les grèves étudiantes, t’encaisses les mesquineries, les jalousies, les hypocrisies et les délations de tes propres potes. Tu troques ton plat de «Lafidy» matinal contre du gaz lacrymal que viendront vous distribuer régulièrement les chacals de la police et de la gendarmerie. Tu goûtes aux délices de la matraque et du brodequin.
Là t’es devenu étudiant. Un vrai. Mais un matin tu dis «assez» ! Et tu décides de tenter ta chance sur Campusfrance. Deux mois de galère à entrer des notes sur un site rebelle, à photocopier, légaliser, téléphoner, t’aligner, te bousculer au CCFG pour déposer ton dossier et passer un entretien. Tu gardes dans un coin de la tête que ton oncle ou ta tante vont te prêter les 7.000 euros exigés comme caution pour la première année d’études. Ils te l’ont promis. Admission et rendez-vous à l’Ambassade obtenus, on t’apprend que «nous ne pouvons pas te payer tout cet argent» ! Tu déchantes, redescends sur terre et entre en rogne. T’iras pas en France, pas cette année.
Retour à la case départ. Gamal. T’auras perdu la moitié de l’année, t’es en session dans au moins trois matières, t’auras surtout contribué à gonfler le compte bancaire de Moustapha Naïté, en réactualisant tes pauvres 5.000 GNF durement gagnés dans son cybercafé poussif de Mouna.
T’en veux à tout le monde. Tu te démerdes maintenant pour obtenir ton diplôme de fin d’études pour foutre le camp d’ici. Quatre ans pour un carton de Licence qu’on te balancera à la figure. Que les entreprises te refourgueront à leur tour. «Formation inadéquate» qu’on te signifiera.
Après avoir griffonné des tonnes de lettres de motivation et CV, envisagé l’aventure, essayé le marché Madina (Bordeaux), tenu un télé-centre de quartier, déterré tes anciens talents de coiffeur, crié ta colère dans la Grogne Matinale sur Soleil Fm, tu reprendras ton souffle sous le manguier pour chercher une certification à la préparation du thé. Tu deviendras un inconditionnel de GuinéeGames ou replongeras dans le Kanda pour gérer le quotidien stressant. Les gos te fuiront, te trouvant radin et pas «classe». C’est le clash.
Véritable desperado des temps modernes, tu deviendras «bambétocosable», «autoroutable», proie à toutes les tentations politiques. C’est pas grave, tu cherches encore ta voie, Etudiant guinéen.
* Cet article été préalablement publié en juin 2012 sur mon autre blog.
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