Mamadou Alimou SOW

Mon premier voyage en avion !

Un Boeing de Sénégal Airlines à Conakry

« Tu vas voir, Dakar c’est beau et  grand » ! « L’aéroport international Lépold Sédar Senghor est impressionnant. C’est tout le contraire de Gbessia » ! « Oh, tu pars pour  Dakar ? non mais c’est magnifique la capitale sénégalaise» ! Et encore et encore… Aujourd’hui j’ai un mal de chien à me remémorer du nombre de fois qu’on m’a bassiné les oreilles avec de telles phrases. Du coup, avant mon départ de Conakry,  l’image idyllique de Dakar que je me suis construite dans la tête était à faire pâlir Manhattan de jalousie. Une vision que Sénégal Airlines a réussi  à émousser au bout de 1H 25 minutes de vol.

Déjà, à deux jours de mon départ, l’excitation était maxi. D’abord pour la grande retrouvaille et la formation avec RFI Mondoblog, mais aussi et surtout pour le voyage lui-même. Je me disais « voilà, enfin, ta première occasion de monter dans un avion ». Oui, pour certains, ça peut paraitre banal, voire puéril de parler de mon premier voyage en avion. Mais, après tout ce temps que je me suis tapé les Magbanas et taxis jaunes de Conakry, les Peugeot 505 interurbaines, embarquer dans un avion, que j’ai toujours vu à distance, mérite réellement ce billet. Et comment !

Le jour J, le dimanche 03 avril donc, fallait se pointer à l’aéroport International Conakry-Gbessia à l’heure. Sur le billet c’était marqué 15 H 25 pour le départ. Pour des mesures de sécurité, et tel que suggéré par l’équipe d’encadrement de RFI Mondoblog, il fallait venir 2 heures en avance pour ceux qui ont l’habitude des avions, et 3 heures pour nous autres. J’ai rajouté 2 heures supplémentaire aux trois conseillées ! Histoire d’éviter « Maman, j’ai raté l’avion ». En fait, ce dimanche coïncidait au retour en Guinée de l’opposant Cellou Dalein Diallo. Alors pour éviter toute tracasserie, il fallait vraiment venir tôt ; quitte à passer toute la journée à l’aéroport, mais à l’intérieur.  Ah, j’oubliais de préciser que je voyageais avec mon compatriote Mondoblogueur Fodé Kouayaté, également bleu en matière d’avion. Une paire parfaite, pire que Sidiki et Souké !

A 10 heures pétantes nous voici à Conakry-Gbessia. Fodé en chemise, pantalon jean et souliers. Pareil que moi, sauf pour mon pantalon qui était en tissu et la veste pendante au bras gauche. Deux heures trente minutes d’attente et les formalités d’embarquement commencent. Ça se déroule sans encombre et très vite. Après, il faut prendre un escalier, passer les bagages aux rayons X avant de rejoindre le hall d’attente. Pour monter dans le hall, on a le choix entre un escalier ordinaire et un autre roulant. Je choisis ce dernier. Ah oui, avec tous les commentaires sur l’aéroport de Dakar,  l’escalier roulant est un test opportun. Pour le passage aux rayons X : RAS, tout se passe nickel. On prend place, les bras en ailes de vautour, sur les nouveaux sièges du hall relooké de l’aéroport. A un moment, j’ai eu un sourire de fierté lorsque j’ai vu d’autres voyageurs novices se prendre en pleine gueule la vitre des portiques d’entrée du hall !

Entre temps arrive le Ministre de la Sécurité, Mamadouba Toto Camara.  Inspection et distribution des ordres aux agents présents sur les lieux. Je pense que c’est lié au retour de Cellou. Et puis, je le surprends faire une confidence à  un accompagnateur : « nous allons bientôt renouveler tous  les passeports guinéens ». Ne le répétez à personne, c’est confidentiel… Aux environs de 14 H 30, le vol DN 022 de la compagnie Sénégal Airlines en provenance de Dakar se pose sur le tarmac. Passagers et fret débarquent. Quarante minutes plus tard, la speakerine, à découvert,  qui se répétait anxieusement son texte devant moi, annonce d’une voix chevrotante «…embarquement immédiat… ». Une stagiaire, sans doute. J’ai le siège 14 B, juste à côté de Fodé. Avant le décollage, chacun passe le dernier appel ou SMS pour annoncer qu’on a pris place. P’tite démo pour la sécurité par le  personnel navigant, puis l’avion vrombit et tourne pour prendre son élan. Quand il a lâché le sol, j’ai eu une drôle sensation : crampes d’estomac accompagnées de brefs spasmes ! Pareil pour mon ami.

Dans l'avion

Une heure vingt cinq minutes de vol, un repas sommaire, nous atterrissons à l’Aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar Yof ! Je suis tout de suite étonné par mon manque d’étonnement. L’image féérique que j’avais de l’Aéroport et de « Dakar la magnifique » s’évapore instantanément !  C’est vrai que Yof est plus grand que Gbessia, mais où sont les escaliers roulants et complexes qui alternent ? Où sont les gratte-ciels et les rues clean de la ville ? J’espère qu’à côté de la « Terranga » sénégalaise (hospitalité) que je commence déjà à sentir à l’Espace Thialy où nous résidons, je découvrirai, durant mon séjour, le côté  « magnifique » de Dakar. En tout cas, ce nouveau voyage a été « BONNE», comme on dit chez moi.

Alimou Sow


Radio Rurale de Labé, un média de proximité


Située dans le quartier de Kouroula dans la Commune Urbaine de Labé, la Radio Rurale Régionale Moyenne Guinée est indissociable du quotidien de la population de cette région. Emettant sur 104.3 en Modulation de Fréquence, elle a réussi, en l’espace de deux décennies, à s’imposer comme un média incontournable au service d’une population foncièrement rurale. Son Directeur, M. Bhoye Barry « Colonel », m’a reçu dans ses locaux et m’a accordé l’entretien qui suit.

Bhoye Barry "colonel" dans son bureau

Ma Guinée Plurielle (MGP) : bonjour Monsieur, veuillez vous présenter.

Bhoye Barry « Colonel » : bonjour. Je m’appelle Bhoye Barry, communément appelé « Colonel ». Je suis le Chef de la Station Régionale Moyenne Guinée Labé.

MGP : depuis combien de temps êtes-vous Chef de cette station ?

Bhoye Barry « Colonel » : Je suis chef de cette Station depuis six mois.

MGP : à quel moment cette radio a commencé à émettre ?

Bhoye Barry « Colonel » : cette radio a commencé à émettre le 14 mai 1990.

MGP : dans quel rayon ?

Bhoye Barry « Colonel » : au début, elle couvrait tout l’Ouest africain et même certains pays européens grâce à un puissant émetteur MW. C’était l’émetteur de Dianyaabhé (un quartier de Labé, NDLR). Mais, depuis six ans maintenant cet émetteur est en panne.  Désormais nous  émettons en FM avec un émetteur de 500 KW. Donc nous ne couvrons que les préfectures de la Moyenne Guinée ainsi qu’une partie du Sénégal et du Mali.

MGP : vous émettez dans quelle langue ?

Bhoye Barry « Colonel » : nous émettons en langue nationale Pular.

MGP : exclusivement ?

Bhoye Barry « Colonel » : quasi exclusivement en Pular. On a bien sûr quelques émissions en français, comme « le rendez-vous de l’encadreur » où nous faisons appel à un technicien dans le domaine de l’agriculture ou de l’élevage mais que nous traduisons par la suite en Pular. On a aussi des émissions interactives qui peuvent passer en français, sur commande.

MGP : vous touchez le public rural comme son nom l’indique je suppose ?

Bhoye Barry « Colonel » : oui, le public rural : les éleveurs, les agriculteurs, les forestiers, les paysans en un mot.

MGP : quel est le feedback que vous recevez ? L’impact de la radio sur cette population paysanne ?

Bhoye Barry « Colonel » : vous savez que la Radio Rurale de Labé, comme vous le soulignez, n’est plus à présenter. Elle est vraiment bien écoutée. Il y a des vieilles personnes dans les villages qui, depuis des années, ne tournent jamais l’aiguille de leur transistor calée sur une seule fréquence : celle de la radio rurale de Labé. Nous recevons quotidiennement des appréciations positives ou négatives.

MGP : est-ce que vous émettez 24H/24 ?

Bhoye Barry « Colonel » : non. Nous émettons le matin de 6H à 9H et le soir de 19H à 23 H, compte tenu de l’énergie car nous utilisons un petit groupe.

MGP : quel est votre grille de programmes ?

Bhoye Barry « Colonel » : nous avons un programme purement « rural ».  C’est l’agriculture, l’élevage, la santé, l’éducation, l’environnement. C’est le fondamental de notre grille. Nous parlons des techniques culturales, de la protection de l’environnement, de l’éducation et de la santé en collaboration avec des structures décentralisées de ces secteurs.

MGP : j’aimerais savoir les problèmes que vous rencontrez pour faire fonctionner cette radio.

Bhoye Barry « Colonel » : le problème fondamental actuellement c’est l’énergie, le courant électrique. Ensuite, le problème d’émetteur ; parce qu’on avait un émetteur puissant qui nous permettait d’être écouté dans un vaste rayon. Se pose ensuite le problème de la logistique. Figurez-vous que nous travaillons encore à  l’analogique. Le matériel est inadapté, nous manquons de formation pour le numérique. De ce fait, nous dépensons trop pour produire peu.

MGP : alors sur le plan du personnel, combien des journalistes et techniciens avez-vous ?

Bhoye Barry « Colonel » : nous avons 3 journalistes professionnels, dont moi-même qui ait étudié le journalisme au Canada ainsi que des animateurs qu’on a formés dans le tas. Nous avons des techniciens sortants d’université, notamment le chef de maintenance,  et des techniciens professionnels sortis des  écoles professionnelles.

MGP : quel est le statut de vos journalistes, est-ce que c’est la Radio Rurale qui les paye ?

Bhoye Barry « Colonel » : ce sont des fonctionnaires de l’Etat pour certains. Y a aussi des contractuels que la radio paye.

MGP : est-ce que cette radio est une structure décentralisée de la Radio Nationale ?

Bhoye Barry « Colonel » : non, nous avons une Direction Générale qui ne dépend pas de la radio nationale. Les radios rurales sont de type régional ou communautaire. Nous avons donc une Direction Générale à part entière.

MGP : alors comment faites-vous pour fonctionner ? Existe-t-il une entité qui vous subventionne ?

Studio de production

Bhoye Barry « Colonel » : non, pas vraiment. Les radios rurales en Guinée ne sont pas subventionnées. Elles sont le fruit de la coopération avec  certains pays comme la Suisse et la Hollande. Au départ, il n’y avait que les quatre radios rurales correspondant aux quatre régions naturelles du pays, financées par la « Coopération Suisse ». Maintenant avec la « Coopération Hollandaise », on a des radios locales communautaires dans beaucoup de préfectures.

MGP : alors comment les travailleurs sont-ils traités ?

Bhoye Barry « Colonel » : comme je l’ai dit, certains journalistes sont des fonctionnaires de l’Etat, les autres, à savoir les chauffeurs, les plantons, les gardiens,  c’est nous qui les payons.

MGP : oui, mais comment ?

Bhoye Barry « Colonel » : nous faisons de la publicité et organisons des tables-rondes pour des ONG. Nous avons également des émissions interactives sur commande. C’est grâce à ces recettes que nous fonctionnons.

MGP : tout récemment une radio commerciale s’est installée ici, Espace FM. Comment ça se passe entre vous, est-ce qu’elle n’a pas grignoté sur votre part de marché publicitaire ?

Bhoye Barry « Colonel » : Je ne dirai pas non, mais c’est à relativiser. Cela n’a pas empêché ceux qui venaient chez nous de venir. En fait on n’a pas le même programme. Nous, nous émettons en langue nationale Pular, directement perçue par le paysan, tandis que eux, ils parlent français.

MGP : Monsieur Barry, avez-vous un fait marquant dans cette radio ?

Bhoye Barry « Colonel » : je rappelle tout d’abord qu’avant d’être Chef de station, j’ai gravi les escaliers comme il le faut. Je suis venu ici en tant que simple animateur avant d’être nommée chef des programmes pour devenir, enfin, chef de station. Pour le fait marquant, ce que cette radio est la radio de la population, la radio des sans voix. Quand on a par exemple une panne qui nous empêche d’émettre un ou deux jours, on a des reproches un peu partout. C’est vraiment une radio de proximité.

MGP : dernière question. Qu’avez besoin en ce moment pour mieux faire fonctionner cette radio ?

Bhoye Barry « Colonel » : c’est la modernisation. Quitter  l’analogique  pour le numérique. Ensuite la formation pour que nous aussi soyons à l’ère du temps. Enfin, l’énergie électrique. C’est vrai que nous continuons à travailler avec les moyens du bord en sillonnant les villages pour enregistrer sur bandes magnétiques. Ça marche, mais nous voudrions vraiment nous passer de cela maintenant.

MGP : Merci.

Studio de diffusion


Conakry-Labé : bienvenue à bord

L'Arche à l'entrée de Labé, à Safatou

Mercredi 23 mars, il est pile 6H du mat ! Nous arrivons, enfin, à Labé. A part les courbatures, dues à la surcharge sur les 400 km Conakry-Labé, le voyage s’est globalement bien déroulé. Il a été « bonne », le  voyage. Si, si vous avez bien lu « b.o.n.n.e ». « Bonne Voyage », m’avait-on souhaité au départ de Conakry ! En Guinée,  un voyage commence souvent,  très souvent, par une faute grammaticale. Bizarrement !  Allez savoir pourquoi. Quoi qu’il en soit, personne ne s’en plaint. Pour ma part, je ne pouvais répondre que par un « merci ».

Dix heures plus tôt, je m’embarquais à la gare routière de Bambéto. A l’entrée de la gare, des rabatteurs en embuscade m’avaient assailli des questions pour s’enquérir de ma destination : Labé ? Kindia ? Mamou ? Kankan ?… « Labé », ai-je répondu. Des mains habiles se proposent alors de m’aider à transporter mes bagages. Ce que je décline, sans aucune forme de politesse. « C’est premier  Gaou qui est Gaou »…Je saute dans une Nissan, « clando ». Sans raison particulière, bien qu’avec les clandos, on peut parfois négocier le transport. Avec mon physique d’athlète, j’étais dangereusement comprimé dans la petite Nissan. Tout le monde peste. Le chauffeur reste de marbre. On finit par s’extirper des embouteillages nocturnes de Conakry. Cap sur Coyah, la première ville sur le trajet après le KM 36.

« EXIT », le fameux « Barrage km 36 » ! Les nouvelles autorités l’ont supprimé, comme tous les autres barrages interurbains d’ailleurs. Une véritable révolution. De tout temps, au « Barrage km 36 », des militaires, policiers, gendarmes et douaniers ont racketté, intimidé et humilié chauffeurs et voyageurs. Ils rivalisaient en cela par des voleurs à la tire et des gangsters. Je me réjouis donc de sa suppression. Sans pour autant tomber dans l’angélisme. Combien de fois ce barrage a été supprimé, puis rétabli quelques temps après ? Sans « 36 », Coyah est à portée de…roue.

Coyah : 4500 mm de pluie par an, une usine d’eau minérale et le sel de cuisine. C’est tout ce que Coyah possède. On aurait cru que le centre-ville a subi un séisme de 8.9, tant le délabrement des infrastructures est frappant.  Au bord de la route, sont alignés symétriquement, des petits sacs de sel et d’innombrables sachets d’eau minérale. Des vendeurs à la sauvette nous assaillent avec  une panoplie d’articles : cartes de recharge, biscuit, torches, jus, sardines, « Malé » gâteau, … Notre chauffeur les ignore et manœuvre habilement pour passer. Kaka, Kouria, Mambia, puis Friaguiagbé aux portes de Kindia. Sur les camions qu’on dépassait ou croisait je lisais des inscriptions très originales : « Bonne chance à tous », « Merci Maman », « Grâce à mon oncle », et même « Bonne chance Jack Boer » ! Le chauffeur ralentissait toujours à la vue des rameaux qu’on jette sur la chaussée. Ils représentent les triangles rouges qu’on déploie en cas de panne ou d’accident.

Kindia, la ville aux agrumes.  Depuis que cette corniche qu’on appelle «La Contournante » a été réalisée, le voyageur en partance pour Labé ne voit presque plus les fameux agrumes. Nous contournons donc le centre  de Kindia et mettons le cap sur Mamou. Après la montée vertigineuse de Yombokouré, nous zappons Linsan qui dormait déjà, pour arriver à Tamagaali, la localité rivale. Linsan et Tamagaali, sont comme le Yin et le Yang, éternelles rivales sans qu’aucune ne puisse exister sans l’autre. Comme c’est la nuit, nous faisons une brève halte à Tamagaali pour manger. Café, omelette façon-façon, pomme de terre-hier-soir, Lathiri-et-Kossan, viande. J’opte pour de la viande chaude pour éviter de choper un truc méchant, du genre fièvre typhoïde. J’ai eu tort. Le gars m’a servi de la carne que j’ai refilée à un petit « tablier », au risque de me casser les dents. On rembarque, direction Mamou.

Mamou, la ville-carrefour. Ici, on ne dort pas. Deux heures du matin, la ville est plongée dans  le noir. Seul l’hôtel « Ballys » apparait comme un îlot dans cet océan d’obscurité. On remarquait, au bord de la route, des jeunes filles et garçons, juchés sur des motos « Safari » dans une position douteuse. Les sages secouent la tête dans la Nissan. Nous passons. Avant d’arriver à Dalaba, nous étions quasi étourdis tant le chauffeur a zigzagué pour feinter les nids de poule du goudron, vieux d’un demi-siècle.

Dalaba,  « la Suisse de l’Afrique » ! Après la colline qui donne sur la ville, nous sommes accueillis par la fraicheur de l’air à l’origine de ce surnom panafricaniste. Au loin, les minarets de la mosquée majestueuse se détachent dans le clair de lune. Nous dévalons la pente, laissant à gauche les sapins de Dalaba, jadis luxuriants. Comme Mamou, Dalaba est également obscure. De l’autre côté, à la sortie de la ville, un « School Bus » renversé sur le bas-côté de la route. Notre chauffeur explique qu’il a tué 17 personnes dans un accident ! Des « Soubouhanallahi » fusent dans notre voiture. A partir de là, le chauffeur est supplié de faire « doucement » toutes les fois qu’il veut doubler un camion.

Pita, dernière étape avant Labé. Comme Mamou et Dalaba, pas d’électricité non plus à Pita. Cela m’étonne tout de même. D’habitude, Pita est éclairée par le barrage de Kinkon. Au centre ville, des « 505 » venues de Conakry débarquent des passagers. Des planches chargées du pain qui n’a pas trouvé de client sont désespérément exposées au bord de la route. Une voix de muezzin nous rappelle qu’il est 5H du matin. On traverse la rivière Koubiwol qui ceinture la vile ; cap sur Labé 40 km plus loin.

C’est à 6 heures pétantes qu’on franchit l’arche souhaitant la « Bienvenue à Labé ». Je file directement à la maison et tombe dans les bras de Morphée. C’est parti pour de longues heures de récupération pour un voyage qui a été « BONNE ».

Alimou Sow


Pétoye : SOS pour un village assoiffé !

Village de Pétoye en arrière-plan, à gauche

« L’EAU, C’EST LA VIE » ! Formule bien célèbre.  Formule que j’ai apprise dans ma vie d’écolier au village où, les dimanches matin, j’affrontais la rosée sur le chemin des champs. « L’eau, c’est la vie ». Cette formule cardinale, certains se la répètent machinalement, mécaniquement. Ils l’admettent ainsi, parce que le prof l’a dit en classe dans le cours de biologie. Ce sont souvent ceux qui, à la fin de chaque repas, se désaltèrent d’un grand verre d’eau minérale glacée. Ceux qui ont grandi dans une maison, avec piscine, où ils n’ont pas besoin de faire plus de trois mètres pour prendre leur douche. Ceux qui ont le choix de tourner le robinet d’un côté ou l’autre pour avoir de l’eau chaude ou tiède.  Eux, ils boivent pour ne pas avoir soif. Pour ceux-ci donc, « l’eau c’est la vie » est une banale évidence.

Eh bien pour d’autres, la compréhension, la perception du sens cette formule est radicalement différente. C’est le cas des femmes du village de Pétoye (Télimélé). Pour ces femmes-là, le sens de cette célèbre citation a une dimension existentielle. Lors de mon récent séjour au village, j’ai été, une nouvelle fois, particulièrement frappé par la problématique de l’eau en zone rurale. A ce propos, le village de Pétoye (sous-préfecture de Brouwal) est un exemple vivant. Un véritable laboratoire de la souffrance pour se procurer de l’eau potable.  Dans ce coin reculé, avoir de l’eau simple est une corvée quotidienne. Une corvée à laquelle sont astreintes les femmes.

Perché sur une colline, ce village d’environ 200 habitants est dépourvu de toute infrastructure  d’adduction d’eau. Aucun forage. Les tentatives de  creusage des puits traditionnels se heurtent à la topographie du terrain. Un rocher granitique sert de plancher au sol. Du coup, le village tire son eau d’un marigot situé en contre bas, dans une cuvette. En saison sèche, le marigot tarit. Ce qui oblige les femmes et le bétail à parcourir plusieurs kilomètres pour atteindre la source du marigot, située en amont. Dès l’aube, les femmes, munies de divers récipients, dévalent des vallées entières pour se procurer de quelques gouttes d’eau de marigot.

Source du marigot (Thiangui)

Pour les habitants de Pétoye, la notion d’eau « potable » est un néologisme. Ici, quand on prend une calebasse d’eau après s’être tapé une montagne de près de sept km, on comprend autrement le sens de la formule : « l’eau, c’est la vie ». Ici, la vie c’est d’abord l’eau. Et l’eau, c’est vraiment la vie.  Ici, on ne boit pas pour ne pas avoir soif, on boit pour ne pas mourir de soif.

Jeune femme franchissant un grillage, bidon d'eau sur la tête

Chaque 22 mars est  célébrée la journée mondiale de l’eau. Je crains que les échos de la célébration de cette journée, comme les précédentes,  ne parviennent aux femmes de ce petit village perdu. Des femmes qui n’ont besoin que d’un petit forage. N’ayant pas un forage à leur offrir, je leur dédie ce billet ; ainsi qu’à toutes ces femmes rurales de Guinée qui se lèvent chaque jour les premières et se couchent les dernières. A chaque fois que vous prendrez une gorgée d’eau potable et fraiche,  pensez au calvaire de cette population qui vit pourtant dans un pays qualifié de « Château d’eau de l’Afrique Occidentale ». SOS pour Pétoye.

Alimou Sow
sowalimou@yahoo.fr
Tél. : (+224) 68 48 15 00 begin_of_the_skype_highlighting (+224) 68 48 15 00 end_of_the_skype_highlighting


« Sunshine » ou le riz de la discorde

Riz "Sunshine" ©Gadirou

Vendredi, 18 mars 2011. Il est 16 heures. Nous sommes dans le quartier de Sangoyah. Un commerçant du marché local s’active pour transférer son stock de riz à la maison. Il juge la sécurité de son magasin mal assurée. Soudain, un groupe de jeunes surgit. Ils exigent de contrôler la nature du riz que le commerçant est entrain de faire transférer.  Celui-ci refuse d’obtempérer. Un autre groupe de jeunes vient défendre le commerçant. Le ton monte. Les esprits s’échauffent. Le commerçant parvient à convaincre que son riz n’est pas le «Sunshine du Président ». Il s’en tire à bon compte et continue à transbahuter son riz. L’affrontement a été évité de justesse !

Depuis quelques semaines, des scènes comme celle-ci se multiplient un peu partout dans les marchés de Conakry. En cause, le riz de marque « Sunshine » appelé le « riz du Président » ou  « riz du Gouvernement ». En effet, après son Investiture, le 21 décembre 2010, le nouveau Président Alpha Condé a lancé une opération d’importation de 30 mille tonnes de riz à bas prix pour « soulager la population », dit-on. Ce riz est vendu à 160 000 francs guinéens le sac de 50 kg, contre 280 à 300 000GNF sur le marché. Pour s’en procurer, il faut obtenir une carte de ravitaillement et se battre pour trouver ce fameux riz. Bonjour la pagaille, les accusations de détournement, les délations, les extorsions et des actes de vandalisme.

Les commerçants Peulh sont accusés de trafiquer ce riz.  On les taxe ainsi de sabotage du nouveau pouvoir. Des individus agissant au nom de l’Etat, sillonnent quotidiennement les marchés, munis d’un mandat du RPG (Rassemblement du Peuple de Guinée, parti qui a porté Alpha Condé au pouvoir) pour identifier et confisquer le  « riz du Président ». En milieu de semaine,  ces gens sont arrivés au marché de Concasseur (Hamdallaye). Ils ont obligé des femmes à vendre leur riz à 3 500GNF le kg. L’une d’elles témoigne : « quand ils sont arrivés, ils ont arraché mon riz qu’ils ont bazardé à 3 500 et empoché l’argent. Ils ont renversé le reste par terre avant de partir. Pourtant, moi j’ai acheté mon riz à Madina à 280 000GNG le sac. Je leur ai dit que je ne vends pas le riz du président. Ils m’ont dit que je fais partie de ceux qui sabotent le Pouvoir. J’ai répondu que moi, je ne m’occupe que de mon petit commerce, l’affaire du président me dépasse».

Le hic est que ce riz de marque « Sunshine » était déjà disponible sur le marché bien avant l’investiture du Président. Aujourd’hui, il est devenu une patate chaude. En disposer une grande quantité vaut suspicion. Les commerçants subissent des abus et extorsions de tout bord par des simples individus, au nom du crédo de « Changement » cher au Président. Certains, de peur d’être attaqués ou accusés de détournement, tentent de changer l’emballage de leur riz Sunshine. Alors, quand ils sont surpris dans cette manœuvre, c’est encore plus grave.

Cette opération de ravitaillement en riz, n’est pas sans précédent. En leur temps, les Présidents Sékou Touré et Lansana Conté avaient lancé des actions similaires avec, à chaque fois, des fiascos retentissants. Comme cette fois, à la différence que  ce riz « Sunshine » a fini par rendre le climat social, déjà délétère, phosphorescent.  Il contribue à exacerber le clivage ethnique né de l’élection présidentielle de 2010. Aujourd’hui, la méfiance s’est installée entre les communautés. Le fragile climat de paix qui régnait depuis la proclamation des résultats est entrain de s’effriter dangereusement. La crise socio-économique aiguë qui frappe le pays risque d’éclater en affrontements devant le mutisme et l’inertie des autorités. Honte à mon pays la Guinée, pays immensément riche, « scandale géologique », château de l’Afrique de l’Ouest, réduit à importer du riz des Etats aussi pauvres que le Bangladesh ou la Birmanie !

Alimou Sow


Le « Derby » de Conakry!

Symbole de la pornographie

Elle aurait été filmée  dans un quartier près de l’Aéroport International de Conakry-Gbessia.  Puis la nouvelle a fait le tour de la capitale. Par le bouche à oreille d’abord. Ensuite, via le Bluetooth. Quand, enfin, la presse s’y  est mêlée, ça a donné le buzz ces deux dernières semaines.

Elle, c’est une vidéo à caractère pornographique. Pour parler de façon diplomatique. Sinon,  en réalité, c’est une séance de jambes en l’air, digne d’un … « Calcio » ! Mais, s’il s’agissait seulement d’un « Calcio » importé, personne n’aurait trouvé  à redire. Mais, la scène, je vous le rappelle, aurait été filmée localement.  Et  elle implique une nana du coin ! Il n’en fallait pas plus pour que les Smartphones, made in china, entrent en action. Au grand dam des «   acteurs ».  A la grande joie des jeunots, friands de chair fraiche. Oui, à Conakry on adore mater les vidéos pornos. Et le phénomène ne date pas d’aujourd’hui.

Historiquement, le phénomène se repartit en trois âges. L’âge du cinéma (1990-2000). Pendant cette période, les bonnes vielles salles de cinéma détenaient, faute de concurrents, la « licence » de diffusion des films « X ». Dans les années 97 à Conakry, qui n’a pas vu, surtout les samedis, ces fameuses affiches portant un signe « X » assorti d’un texte explicatif : « à partir de 23 heures » ? Les plus pudiques daignaient ajouter : « interdit aux moins de 18 ans » ! Je me souviens encore, comme si c’était hier, de ces scènes ubuesques de fin de projection d’un film «X » au ciné de mon quartier. N’ayant pas 18 ans,  mes  amis et moi, venions regarder un autre film. Celui de la sortie de tous ces mecs tendus comme un arc, la main dans la poche du pantalon pour maitriser un roseau réfractaire.  A cette époque, il fallait être un « Grand Quelqu’un » de la capitale  pour posséder un magnétoscope et une cassette VHS érotique.

Puis, vint le deuxième âge. Celui des vidéos-clubs  (à partir de 2000). Une vraie révolution.  Avec  l’avènement du Vidéo CD et de son lecteur, la visualisation du « X » se libéralise dans les quartiers. Les vidéos-clubs pullulent. ». Les films pornos sur support VCD, se vendent comme des petits pains. Le Nigéria serait le principal fournisseur, d’abord des VCD. Ensuite, des DVD avec des techniques d’encodage permettant d’enregistrer une grande quantité de vidéos sur un seul DVD.

Les tenanciers de ces vidéos-clubs, pour attirer la clientèle, ramènent les  « 23 heures » d’antan à « 18 heures ». Puis, ils effacent définitivement l’inscription : « interdit au moins de 18 ans ». Ce serait insensé de la maintenir étant donné que les gérants eux-mêmes ont 18 ans, voire moins.  La programmation des matchs de foot alternent avec la projection des films « hard ». Cette alternance serait à l’origine des noms de code, empruntés à la métaphore footballistique,  pour désigner les films pornos à Conakry : « Championnat », « Derby milanais », « Calcio », « hindou »… Les novices s’y perdent complètement.

C’est aussi l’époque de « Canal ». Vous connaissez cette distribution d’images des télés occidentales dans les quartiers, à travers un réseau filaire détenu par un seul abonné ? Le distributeur, tard dans la nuit, synchronise son lecteur sur le réseau pour balancer un film « Derby ». Le topo est souvent ficelé en connivence avec des pères de famille abonnés, lassés des films érotiques trop « soft » de RTL 9.

Le troisième âge correspond à celui que nous vivons aujourd’hui. L’âge des Nouvelles Technologies. Bref, celui du porno 2.0. Libéralisée avec les vidéos-clubs, la consommation se démocratise cette fois. Fini le temps où l’on guettait l’arrivée du courant à zéro heure pour explorer son nouveau « film  hindou» dans le salon familial. Finie l’angoisse des ces  pères de famille pervers qui se lèvent nuitamment pour composer le numéro du distributeur de « Canal » en guise de rappel. Les téléphones intelligents, les laptops, les caméras vidéo, les baladeurs numériques et Internet ont inventé une nouvelle manière de mater du « hard » à Conakry. A ce sujet, les ados ont pris une sacrée longueur d’avance sur les adultes.

Désormais, les jeunes garçons constituent les principaux consommateurs des vidéos pornos. Talonnés de près par des adultes qui refusent de vieillir. Viennent ensuite les demoiselles. Eh oui, dans l’intimité du téléphone portable ou du laptop d’une fille, on découvre souvent une mine de vidéos pas catho !  Personne n’est totalement « vierge ». Parait que c’est pour noyer les soucis du désoeuvrement.

Jusque là, on se contentait de consommer. Mais depuis un passé récent, on « produit » avec des acteurs et actrices locaux ! Depuis qu’un Ministre du CNDD, haut en couleur, a pris la décision très controversée de fermer les maisons closes de Conakry, la prostitution s’est muée en pornographie dans les quartiers. Conséquences : on assiste de plus en plus à des agressions sexuelles sur mineures, des harcèlements, et des perversités de tournage des vidéos amateurs, comme celle de Gbessia. Un vrai festival !

Alimou Sow


Une vie de « récupérateur » !

Mohamed Diallo pelant du sable

« Il n’y a pas de sot métier », dit l’adage. Mohamed Diallo, ouvrier de son Etat, en sait quelque chose. Très tôt ce matin dans un quartier de Conakry, une pelle à la main, Mohamed s’affaire dans un chantier de construction situé en bordure de mer. L’air détendu et enjoué, il remplit avec frénésie une brouette de sable. Après quelques brouettées, il prend une petite pause, savourant la matinale brise marine. Mohamed aime son nouveau job qu’il qualifie de « gratifiant ».

Avant d’en arriver là, il a traversé le désert. Ce jeune homme de 26 ans au corps marqué par l’endurance, a grandi dans la précarité. Très tôt déscolarisé, « faute de moyens », dit-il, le garçon arpente les ruelles des quartiers sombres de la haute banlieue de Conakry à la recherche du quotidien. C’est l’école buissonnière avec ses réalités. Le jeu de billes, le « Kanda » et ses éternelles bagarres, le « gagné-perdu » avec la ceinture, qui finit souvent en  sauve-qui-peut, les bastonnades des grands, les « Koutou-Koutou » d’un plat de « Bandékhita », Mohamed en a connus et pratiqués ; avant de découvrir l’activité de « récupération » qu’il ne quittera plus.

Cette activité consiste à brûler des pneus usés afin de récupérer les fils de fer enfouis à l’intérieur.  Ces fils sont enroulés en forme ronde et aplatie, puis revendus sur le marché. Les femmes ménagères s’en servent pour économiser le charbon de bois. En fait, les fils jouent un double rôle : placés dans les fourneaux métalliques troués, ils empêchent ainsi les charbons de passer à travers. Une fois chauds, ces fils de fer emmagasinent aussi la chaleur, limitant ainsi le gaspillage des charbons.

pneu qui brûle

En 2005, avec un pneu de camion, Mohamed pouvait se faire jusqu’à 30 000 francs guinéens, en revendant un rouleau à 500 francs. « De quoi se taper une virée nocturne avec mes potes, ou s’acheter un pantalon jean », se souvient-il. Mais autre temps, autres mœurs. Aujourd’hui, la situation est devenue plus difficile. Les pneus qu’on pouvait ramasser un peu partout dans les quartiers, sont désormais revendus.

Rouleaux de fil de fer

A 26 ans avec 10 ans d’ancienneté dans le « métier », le jeune homme dit « être gêné » de transporter des vieux pneus. C’est pourquoi il a pris le soin de transmettre son  savoir  et son  savoir-faire  à ses « petits ». Mohamed Bangoura, collégien de 18 ans, en fait partie. Ce matin, en l’espace de deux heures,  il a cramé six pneus tout près du chantier de son « maître » Diallo.  «C’est pour payer l’APEAE » se borne-t-il à expliquer laconiquement. Ses parents au chômage, ne peuvent pas lui verser les 5000GNF réclamés par son école à l’Association des Parents d’élèves et Amis de l’Ecole (APEAE).

Mohamed Bangoura "disciple"

Cette pratique de récupération, au-delà des ressources – certes maigres – qu’elle peut procurer aux jeunes laissés-pour-compte, c’est avant tout un moyen original de recycler cette pneumatique très nocive à l’environnement. En limitant aussi la consommation du charbon de bois, principale source d’énergie en Guinée, l’environnement est doublement protégé.  En tout cas, avec la galère qui sévit actuellement dans la « téci » de Conakry, la « récupération » a encore des beaux jours devant elle. Surtout quand elle se transmet de génération en génération. Tout comme la galère d’ailleurs !

Pneu usé

Alimou SOW


Bienvenue à Télimélé!

Downtown de Télimélé (28-02-2011)

Moi : Bonjour Monsieur. Y a-t-il un cyber à côté ?

L’inconnu : Un quoi ?

Moi : Un cybercafé, où je peux avoir accès à Internet.

L’inconnu : Mon frère, si vous voulez du café noir, c’est juste à côté. Pour le reste, je ne comprends vraiment pas ce que vous voulez dire !

C’est ma toute première conversation après avoir foulé le sol de Télimélé. Ma préfecture natale. Je reprenais peu à peu mes esprits. Oui, après les 135 km de piste poussiéreuse  Kiandia-Télimélé et la montée vertigineuse des virages tortueux des cols du mont Loubha, le voyageur qui débarque à Télimélé-ville à bord d’une Peugeot 505, est forcément sonné. Complètement couverts de poussière, nous émergeons de la 505, engourdis, comme des astronautes ayant longtemps séjourné dans un vaisseau spatial. Pour jauger la quantité de saleté avalée durant le parcours, faites comme Diak en compagnie de Rose sur le pont du Titanic : allez chercher au fond de votre gorge le crachat et examinez les dégâts sur un mouchoir blanc ! C’est alors que vous  comprendrez la nécessité de s’équiper d’un cache-nez avant de s’engager sur la route de Télimélé par les temps qui courent!

Commune urbaine de Télimélé: 13 507 habitants (2006) dispatchés dans six quartiers. Un hôpital préfectoral– certains, comme moi, diront un mouroir , une unique station service, un seul lycée public, une espèce de « stade » omnisport et les bâtiments administratifs rescapés des évènements de 2007. Voilà, schématiquement, ce que compte la préfecture de  Télimélé en termes d’infrastructures. Le courant électrique, tiré d’un micro-barrage sur la rivière Samankou qui ceinture le côté Nord de la ville, joue le yo-yo. Quand le débit monte, le courant refait surface, lorsqu’il baisse, il suit ou s’arrête tout simplement. Pour l’eau courante, on se contente des puits traditionnels, de quelques forages et les sources des marigots.

« Je suis de Télimélé ». Ma réponse à ceux qui me demandent d’où je viens. Souventes fois je me suis entendu dire : « ah, les gens de Télimélé sont malins », avec un brin de provocation dans la voix. Y en a qui rajoutent : « Et puis  vous aimez l’ambiance et les femmes». Progressivement, j’ai compris que « malins » est un euphémisme pour dire que nous sommes des « redoutables marabouts, capables de faire parler des pierres, de jeter des  mauvais sorts, etc. ». Souventes fois, je me suis retrouvé désarçonné devant de telles affirmations.  Aussi, il m’est arrivé de répliquer par une boutade ou une accusation plus grossière à l’endroit de la ville d’origine du provocateur.

Mais, quelle est cette préfecture de la Guinée qui n’a pas une étiquette ou un mythe expliquant la bravoure de ses fils ou retraçant son origine? Pour la mienne,  la légende – certains rétorqueront que c’est de l’Histoire –, dit que le nom « Télimélé » est composé de deux mots (Soussou ou Poular, eh oui !) : Téli qui désigne une variété d’arbres réputée pour sa rigidité, et Méli (ou Mélé) qui signifie vénéneux. Légende ou pas, cette essence végétale prolifère dans la ville, distribuant généreusement son ombre fraiche et son bois rigide. C’est le cas au quartier de Kolly où, lorsque le soleil est au zénith à la gare routière, animaux domestiques et voyageurs poussiéreux se bousculent sous un Téli majestueux et centenaire.

Pour l’amour de l’ambiance, difficile de nier. Le légendaire orchestre Télé-Jazz a fait swinguer plus d’un, sur des airs à la fois mélodieux et envoûtants qui ont, des années durant, fait la fierté des Télimélékas. La voix érayée de Abdoulaye « Breveté » ou de celles des rossignols Binta Laly Sow et Léga Bah, continuent encore de bercer les oreilles mélomanes. Enfin, des tubes en vogue comme « waka waka Baby », « Cellou Laamiké » font balancer les inconditionnels de « Janet » et « Africa », deux discothèques qui tiennent le pompon sur le plan local.

Si nous aimons les femmes ? Ben oui ! A commencer par moi, surtout si elles sont belles. Puisqu’elles sont belles, les femmes de chez moi. Une beauté authentique, originale, dont le regard charmant remplit le cœur de douceur. Sur le chemin de la rivière, en pilant le riz, le fonio ou le sorgho qui foisonnent, les femmes de chez nous savent fredonner de belles mélodies  pour se donner du courage et de la force morale. « Femmes noires, …», symboles de la beauté africaine, c’est elles que chante Senghor dans sa poésie.

Télimélé, certes pauvre, très pauvre, en infrastructures, mais oh combien riche en culture et agriculture. Nous n’avons ni le goudron, ni le robinet, ni Internet. Mais le sourire de nos femmes éclaire notre esprit et l’eau vivifiante de nos rivières apaisent nos cœurs. Vous venez de vous coltiner les cols du mont Loubha à bord d’une 505. Baignez-vous de l’ombre apaisante de nos Téli, en attendant de vous désaltérer d’une calebasse d’eau fraiche, servie par une beauté locale. Bienvenue à Hooré Wélia !

Alimou Sow