Mamadou Alimou SOW

Back to my village

une case

Mercredi, 23 février 2011. Me revoilà à Pountougouré! Le village qui m’a vu naître et grandir. Je respire un grand coup. Perché à plus de 1500 m d’altitude sur les contreforts du Foutah Occdidental, le voyageur en provenance de Conakry qui arrive ici réalise une véritable bouffée d’oxygène ! La pureté de l’air, quoique un peu sec à cause de l’harmattan, vous donne une sensation de bien-être. Le chant mélodieux des oiseux remplace le vacarme des rues perpétuellement embouteillées de la capitale. La fraicheur du climat « foutanien » vous fait oublier, l’espace d’une nuit, la chaleur moite et les moustiques de Conakry. La nature vous envahit ; vous faites corps avec elle. La première nuit de mon arrivée, j’ai dormi comme une souche.

Pountougouré, mon village natal ! Ici, sont enfouies mes toutes premières dents. Ici, j’ai usé mes petites culottes sur les troncs des manguiers et orangers, tous disparus. J’adis, pour franchir la haie en bois qui délimite le village, je grimpais. Cette fois-ci, j’ai poussé une petite porte fixée à un grillage. Beaucoup de cases au toit de chaume ont fait place à des « pentes américaines ». Le ballon en caoutchouc que nous fabriquions artisanalement, mes amis d’enfance et moi, est devenu un ballon industriel qu’on joue sur « guichets ».    Quelques puits çà et là. Les vieilles personnes qui peuplent le village ne tarissent pas d’éloges à l’endroit des « fils ressortissants » à l’origine de toutes ces mutations.

"pente américaine"

Les habitants de ce coin perdu de la sous- préfecture de Brouwal Sounki, préfecture de Télimélé, vivent d’une agriculture itinérante et un élevage domestique très rudimentaires. Des habitants qui portent le courage en bandoulière avec l’humilité chevillée à l’âme. Ce qui ne les met pas pour autant, à l’abri des exactions des autorités locales qui s’érigent en véritables potentats ruraux. Les seuls rapports qui existent entre les citoyens de Brouwal et l’Administration, se résument en : impôts, intimidations, exactions et rançons. Le moindre pépin entre deux personnes et le sous-préfet se transforme en juge pour trancher l’affaire en sa faveur ! L’accusé et la victime sont tous sommés de verser une amende dont le plus petit montant équivaut à un chargement de sable ici : 1 300 000 GNF. Aucune infrastructure étatique. Le personnel des écoles et dispensaires construits par les citoyens, sont la plupart du temps entretenus à leurs propres frais.

Pour couvrir, en voiture, les 35 km de piste montagneuse qui séparent Pountougouré de Télimélé ville, il faut 3 à 4 heures ! 35 km qu’un ex-puissantissime ministre du CNDD (Conseil National pour la Démocratie et le Développement), ressortissant de Brouwal et actuel ministre de l’Elevage, préfère se taper en safari à bord de grosses cylindrées. Tant pis pour les pauvres qui n’ont que leurs frêles jambes pour affronter poussière, pierres et crevasses !

l'impraticable piste

Je quitte Pountougouré, toujours avec un pincement au cœur. Comme à chaque fois, je fonde l’espoir que la prochaine fois que je reviendrai, l’impôt et les taxes payés par mes parents auront servi à quelque chose localement. Je fonde l’espoir que les autorités se seront humanisées un tant soit peu, qu’il y aura plus de puits, plus de dispensaires, plus de latrines, moins de crevasses sur la route.  J’espère que les écoliers seront plus nombreux, plus brillants, les enseignants compétents et  en nombre suffisant. Enfin, je souhaite  que les bénédictions des parents du village pour le succès des ressortissants, soient exaucées par Allah. Car Pountougouré, je t’aime !

paysage du Foutah

Alimou Sow

 


« Qui n’a pas une lampe électrique chinoise chez lui en ce moment, est avare pour lui-même »!

Lampes chinoises et transo d'EDG

L’homme qui venait de monter à côté de moi semblait agité. D’habitude, quand à Conakry, après une heure sous le soleil, les doigts en l’air pour indiquer aux taximen quelle route on emprunte, l’on parvient, enfin, à monter dans un taxi, une espèce de bien-être vous envahit. Vous prenez au moins une minute de silence pour savourer votre « victoire ». Mais, non, cet homme était, lui, agité. Quelque chose le démangeait. Décidément, il voulait se confier.

Dans un premier temps, il a voulu engager la conversation avec moi. Ça, je l’ai su à travers le « Bonjour » plein d’amabilité qu’il m’a lancé et cette rengaine qu’il n’arrêtait pas de ressortir : « problèmes sur problèmes. Eh Allah… ». Calé à la banquette arrière du taxi près de la portière, je restais coi. Oui, dans les taxis, j’aime bien me mettre – quand je peux – à la portière, du côté de la voie qui circule. De ce fait, je suis moins importuné par les « montées-descentes » intempestives, le chauffeur exigeant que l’on descende ou monte par l’autre portière pour éviter les accidents. Cela lui évite aussi de mettre à chaque fois la tête dehors pour indiquer aux passagers si c’est bon ou pas de descendre, étant donné que son rétroviseur a foutu le camp depuis des lustres.  Donc, pour mieux souligner que je ne voulais aucunement échanger avec l’homme agité, j’ai carrément mis les écouteurs de mon téléphone et feint d’écouter le journal à la radio.  Toujours surfant sur son refrain « problèmes sur problèmes. Eh Allah… », son voisin et le conducteur ont alors daigné s’enquérir, presque en chœur : « Qu’est-ce qui se passe, Monsieur ? ».

Visiblement aux anges de trouver enfin un interlocuteur, que dis-je, des interlocuteurs, l’homme enchaine sans transition : « je vais comme ça à l’hôpital Ignace Deen pour refaire mes radiographies… ». Silence. Il ajoute : « l’idiot a brûlé tous nos bagages dans la chambre que nous partagions à quatre. Il ne me reste plus rien… ».

–          « Qui ça l’idiot, comment cela est arrivé ? », interroge le chauffeur.

–          « C’est un jeune qui a laissé une bougie allumée dans notre chambre pour aller faire ses ablutions. Il a continué à la mosquée et la chambre a pris feu. Tout a brûlé, tout! même mes radiographies que je vais refaire comme ça à l’hôpital. Problèmes sur problèmes. Eh Allah… ».

–           « Encore un problème de bougie », renchérit le taximan.

–          Le voisin de l’homme-agité, ajoute sentencieusement : « en plus d’être idiot, celui qui a commis cet acte est pingre. Aujourd’hui, tout le monde possède une lampe électrique chinoise. Qui n’a pas une lampe électrique chinoise chez lui en ce moment, est avare pour lui-même ! Ces lampes sont extraordinaires. On les trouve partout. Elles ne coûtent pas cher, en plus elles sont économes. Avec une ou deux piles, ça te donne de la lumière, sans aucun risque pendant plus d’un mois.

–          « C’est bien vrai », approuve l’homme-agité-sinistré.

–          «…puisqu’il semble que nous, notre génération je veux dire, nous n’aurons jamais de vrai courant électrique en Guinée », continue le voisin. « ….quand c’est le courant de EDG [NDLR : Electricité de Guinée, société qui gère le courant] il tue les gens et brûle leurs maisons à travers des courts-circuits, les bougies quant à elles causent des incendies, comme c’est le cas cette fois. Combien des familles ont été endeuillées par ces deux phénomènes à Conakry et à l’intérieur du pays ? Moi je crois que nous les guinéens sommes mauvais et donc maudits… »

J’écoutais attentivement.  Mais, j’étais malheureusement arrivé à destination. La conversation, véritable procès d’EDG avec la bougie et les lampes chinoises comme pièces à conviction, continuait de plus belle et commençait à prendre une tournure philosophico-religieuse. Car au moment où je descendais, celui qui avait la parole disait :

–          « …puisque Dieu a dit dans le Saint Coran… »

« Piiiiiiiiiiiiiiiii !!!! » Et j’ai perdu la fin de sa phrase, noyée par le klaxon d’un autre taxi qui protestait contre l’arrêt brusque du mien. C’était un peu de ma faute. Absorbé que j’étais par le débat auquel je regrettais presque de n’avoir pas participé, je n’ai pas prévenu le chauffeur à temps.

Je pensais intérieurement que si j’avais pris part au débat, j’allais, moi aussi, citer de nombreux exemples d’incendies, provoqués par le courant ou la bougie. Comme à Labé en 2009 où la chute d’un câble Moyenne Tension au marché central avait carbonisé une jeune fille et brûlé gravement une vingtaine d’autres personnes. Ou encore à Matoto, en 2001 où une bougie avait décimé tout une famille, etc. Des exemples pareils, j’en ai à gogo.

A quelques mètres de l’arrêt du taxi, j’aperçois un vendeur de lampes électriques chinoises. Et cette phrase m’est revenue : « Qui n’a pas une lampe électrique chinoise chez lui en ce moment, est avare pour lui-même ! »

Alimou Sow


Le Maouloud 2011 au clair de la lune…, comme au village!

lecteur du coran

« …des ampoules qui scintillent partout. Des lampadaires autour de la mosquée, dans la rue ; des guirlandes accrochées dans ma chambre, mon lit est inondé de lumière…. » ! Je me réveille brusquement, interrompant le rêve ! Il est 9 heures en ce mercredi, 16 février 2011. C’est jour férié. Dans ma tête, résonnent encore le bruit du moteur et les refrains des cantiques chantés la veille à la gloire du Prophète Mohamed (Paix et Salut sur Lui). Cette nuit, c’était le Maouloud célébrant sa naissance. Chez nous, avec 95% des musulmans de la population, le Maouloud est tout un  évènement pour certains. Comme pour tout évènement, on s’y prépare. Et en ce début 2011, même en pleine capitale Conakry, le Maouloud se fête au clair de la lune, comme au village !

La veille, le Conseil de Mosquée de mon quartier avait multiplié les réunions pour régler les derniers détails. Les contributions des fidèles et une part puisée dans la caisse du Conseil ont permis de dégager une coquette somme en guise de Budget. Au menu : du riz, des colas, des rafraichissants, du thé pour tenir les « Malokos » éveillés,  et un solide taureau devait mordre la poussière. Et puis quelqu’un a eu la sagesse d’évoquer le problème du carburant pour le petit groupe électrogène. « Même en ce jour de Maouloud, je ne pense pas que le courant viendra » ; sa phrase s’est avérée prémonitoire par la suite !

« Incha Allah, on se retrouvera ici à 22H 00 pour commencer la lecture du Saint Coran. Après, nous ferons une pause pour  prendre une collation, ensuite, commenceront les cantiques jusqu’à l’aube et, enfin, nous clôturerons la nuit par des bénédictions et le Khatm », décrète le deuxième imam de notre mosquée, après la prière de Icha’a. Exit, la biographie du Prophète. Pourquoi ? Allez savoir. Moi, je me pointe à la mosquée à 23 heures 5, un coran sous le bras gauche, le bras droit occupé à égrainer un long chapelet, mon appareil photo numérique en bandoulière. Je m’installe près d’une poutre, position idéale quand, vers 1H du matin, la tête commence à s’alourdir sous l’effet de la fatigue et de la chaleur.

Je profitais souvent pour sortir me rafraichir. Dehors, la lune, comme pour se venger de l’Electricité de Guinée (EDG), voguait nonchalamment  dans le ciel, baignant de son bel éclat les quartiers de Conakry. Devant un tel spectacle, je me suis mis à me rappeler de la fête au village. Je devais avoir 8-9 ans. J’ai revu ces scènes de joie, où en groupe, mes amis et moi nous nous rendions à Missidé (où se trouve la mosquée) pour fêter le Maouloud ou le Laylatoul Ghadr (la nuit du Destin). Le paysage de carte postale que nous traversions était enveloppé du clair de lune. Au loin, la sublime voix des chanteurs de cantiques à la gloire de Mohamed (PSL) nous parvenait en écho, à travers la forêt. J’ai revu ce pain blanc qu’on nous distribuait à la volée, le riz local que nous mangions avec la sauce qui dégoulinait des nos coudes…Une piqûre de moustique me sort violemment des mes rêveries !

A 1H 10, l’imam annonce que le coran a été lu 5 fois. Les fidèles prennent une pause pour la collation. Les intraitables gamins du quartier bondissent sur les aliments comme des vautours sur un cadavre. Je me résous à prendre un sandwich dans un café d’à coté. Au retour, gagné par le sommeil, je titubais plus que je ne marchais. Les cantiques que l’on débitait sonnaient faux, comparés à mes souvenirs d’enfance. Je range mes cliques et claques et regagne la maison en tâtant les murs obscurs.

Pendant ce temps, la lune, l’astre de Dieu, brillait encore de toute sa clarté dans le ciel de Conakry. Au loin, les aboiements des chiens couvraient la voix nue de ceux qui faisaient les présentations des parrains et marraines de  leur « Maouloud ». Attitude dont se désolent les adeptes du courant Wahabite, qui sans doute, dormaient tous à poings fermés durant cette fête qu’ils qualifient de « Bid’a » (pure invention). A peine couché, je suis immédiatement plongé dans un rêve où apparaissent « …des ampoules qui scintillent partout. Des lampadaires autour de la mosquée, dans la rue… » !

Alimou


La sape à la Fac: Etudiantes ou top-modèles?

Avant de promener mes doigts sur mon QWERTY pour matérialiser cet article, j’ai longtemps cogité pour savoir par où commencer. Tant mes yeux ont été éblouis par ce qui leur a été donné de voir dans les Universités de Conakry en matière de sape. Faites-y un tour, et vous reviendrez suffisamment outillé pour lancer votre propre marque de vêtements pour femmes ! Entre farce, fripe, frime et bling-bling, bienvenue dans le monde estudiantin de la gent féminine de Conakry.

Dans votre imagination représentez-vous n’importe laquelle des 67 institutions d’enseignement supérieur, publiques et privées, du pays. Mais faites un effort pour vous concentrer dans la zone de Conakry. Il est 8 heures dans la matinée, le prof a déjà débuté son cours. Soudain, toute l’attention de la classe est retenue par une arrivée. Celle d’une étudiante.

Défavorisée par la taille, elle chausse des talons vertigineux dont le contact avec le carrelage génère un bruit caractéristique. Ses jambes sont moulées dans un pantalon genre « Slim » faisant ressortir avantageusement ses formes. Un body, gravé d’un anglais injurieux dont elle ignore sans doute le sens, emprisonne ostensiblement sa poitrine généreuse. Une grosse paire de lunettes « Soleil » est plantée sur sa tête dont les mèches forment un chignon terminé en queue de cheval. D’innombrables bracelets aux poignets, des boucles d’oreilles en cerceau, une chainette à la cheville gauche et un maquillage aphrodisiaque complètent le décor. Elle file s’asseoir en Colombie (fond de la salle), accompagnée du regard des garçons humant son NIVEA Active Fresh sur son passage. Ce n’est qu’après avoir pris place que l’étudiante dévisse les écouteurs de son Smartphone, interrompant ainsi le beat de « Juste une photo de toi » de Matt Pokora qui matraquait ses oreilles. Le prof, qui avait momentanément suspendu le cours normal de son cours pour cette entrée princière, relance : « à la ligne, chapitre I… » ; en attendant la prochaine arrivée !

La sape à la fac, c’est tout un programme.  Les étudiantes « top-modèles » de Conakry ne parlent que de ça. Elles en font une préoccupation quotidienne. A la cantine de l’école, c’est le principal sujet de conversations. Chacune révèle ses nouvelles trouvailles : « l’autre jour à Madina, j’ai acheté de jolies chaussures. Attends, tu vas les voir lundi, ma copine ». Et pititi et patata ! Entre petits groupes aux allures de clans, elles se brocardent copieusement, traitant de « Gawa » ou de « Balla » celles qui sont jugées « mal habillées ».

Au début du phénomène, les filles s’habillaient pour impressionner les mecs, parait-il. Mais maintenant c’est pour tenir tête aux autres filles. Du coup, la concurrence fait rage. C’est devenu même un casse-tête pour certaines. Qu’est-ce qu’il faut mettre demain ?  Au détour d’une causerie, y en a qui disent : « moi, c’est pas mon problème. Le matin en venant, je mets le premier pantalon que je trouve dans l’armoire ». La réalité est tout autre quand elles se pointent au School le lendemain.

Avec les « filles à papa » qui viennent dans leur propre voiture ou celles qui se font déposer chaque matin dans des 4×4 rutilantes, la frime est encore poussée à fond. A la pause, on exhibe les téléphones dernier cri. Celles qui possèdent des BlackBerry et autres iPhone, les brandissent comme des trophées de guerre. On déplace sa caisse juste pour faire savoir qu’on est « véhiculée » ou qu’on a changé celle d’hier. Si vous êtes un étudiant ordinaire et vous saluez cette catégorie d’étudiantes, elles vous dévisagent de la tête aux pieds avant de répondre. Et dans le « Bonjour » qu’elles dégainent, le « R » meurt étouffé dans leur gorge. Des vraies parisiennes quoi !

Longtemps obligées d’être en uniforme, ces étudiantes semblent vouloir se venger de toutes ces années du secondaire où elles portaient le kaki au collège et bleu-blanc au lycée. Le résultat fait que chaque université ressemble aujourd’hui à une discothèque ou accueille le Festival International de la Mode Africaine (FIMA) avec son Alfadi. Ce qui inspire le surnom de « Podium » à une ruelle reliant deux universités proches dans la commune de Ratoma.

Peut-être qu’en créant une filière « stylisme » ou « mannequinat » dans les facultés, les autorités de ces universités limiteraient ainsi les nombreux échecs liés à ce phénomène.

Alimou


Les filles de Conakry et Facebook : virtuellement-vôtre

« T’as un compte Facebook ? T’as vu mes nouvelles photos sur Facebook ? Je t’ai vue l’autre jour en ligne sur Facebook. Dans les lycées, collèges, universités, les places publiques, un peu partout, les jeunes filles de Conakry se balancent Facebook à tout va ». Facebook à gauche, Facebook à droite. C’est le buzz. Le plus souvent, on s’adresse moins à l’interlocutrice directe qu’à l’entourage.  Eh oui, ici comme ailleurs, le phénomène de ce réseau social a bel et bien fait son entrée. Et, sur le coup, les filles semblent avoir coiffé les garçons au poteau ; contre toute attente. Mais le plus souvent c’est pour frimer, pour amuser la galerie !

A Conakry, par les temps qui courent, pour être «IN » et ne pas passer pour une ringarde, un « Balla », il faut avoir un compte sur Facebook. Ou faire semblant d’en avoir. Chez les jeunes filles de la tranche d’âge 15-25 ans, accomplir ce rituel est obligatoire pour entrer dans le cercle. C’est le ticket pour participer aux conversations à la récré ou au resto. Avec à la clé, la maîtrise du jargon : chatter, commenter, partager, être online, etc. Dans les cercles plus fermés, le nombre d’amis sur le réseau est un signe de célébrité. On s’inscrit pour « retrouver des amis, chatter,  partager, surtout des photos ». Et parfois pour chercher des mecs en surfant sur leurs albums en ligne. Même si pour cela, personne ne le reconnaît. Peut-être à cause d’un préjugé qui taxe les gos de mater à longueur de journée des tofs des faces de boucs sur fesses-bouc pour dénicher un Prince ou…un Don Juan.

Ce sont les guinéens de la diaspora qui ont  contribué à populariser le phénomène Facebook à Conakry. Une sœur, un cousin ou une copine qui a réussi à s’expatrier, garde le contact avec les amis restés au « pays » par le biais des réseaux sociaux, et Facebook en particulier. Les nouvelles photos prises sur Le Champs de Mars au pied de la Tour Eiffel, devant la Basilique de Rome ou encore devant un quelconque monument de New York, se retrouvent  immédiatement sur le réseau des réseaux. Seulement voilà : pour avoir accès à Internet à Conakry, il faut être courageux ou fortuné, voire les deux. Le manque de courant électrique et une connexion des plus ringardes font que Internet reste presque…virtuel.

Les rares cybercafés qui existent sont souvent bondés ou boudés (selon qu’il y a connexion ou pas) avec des tarifs exorbitants. Leur espérance de vie dépasse rarement les 12 mois. Du coup, des notions  comme  « wi-fi », « fibre optique », « Blog » restent l’apanage d’une poignée d’initiés. Qu’à cela ne tienne, pour les filles de Conakry, Facebook est et reste un phénomène à la mode, Internet ou pas. S’il y a connexion, elles s’inscrivent et chattent ; s’il n’y en a pas, elles en parlent, elles font comme si c’était vrai. Ça s’appelle faire du Facebook sans Facebook. En toute virtualité !

Alimou


CampusFrance ou le calvaire de l’étudiant guinéen !

Samedi 29 janvier 2011, esplanade du Centre Culturel Franco-guinéen à Conakry. Il est 12 heures. A l’entrée, une vingtaine de jeunes filles, la mine défaite et le regard perdu, s’abritent du cuisant soleil sous une bâche de fortune. Plus loin, devant une petite porte, sont agglutinés de jeunes gens, une chemise sous le bras. Certains sont là depuis 4 heures du matin. D’autres ont carrément passé la nuit devant la grille de l’entrée pour être les premiers sur la liste.  Ils veulent tous déposer leur dossier et passer un entretien, avant la deadline fixé au 31 janvier.

Soudain, la tension monte. La porte s’ouvre et la minuscule salle où se déroulent les entretiens est envahie. Ceux-ci sont immédiatement interrompus et tout le monde est sommé de vider les lieux. Le temps de savourer l’agréable micro-climat qui règne à l’intérieur, les étudiants, la mort dans l’âme, sont obligés de sortir.  Banal épisode d’une longue série de tracasseries que rencontrent les étudiants guinéens désireux de poursuivre leurs études supérieures en France.

En effet, entre décembre et fin juin de chaque année, le Centre Culturel Franco-guinéen devient la Mecque des élèves et étudiants. Il abrite l’Espace CampusFrance, étape obligatoire du circuit dans la recherche d’un visa étudiant pour la France. Mais, en amont, il y a une procédure dématérialisée consistant à s’inscrire sur un site (www.guinee.campusfrance.org) et y loger une foule d’informations personnelles, allant du cursus suivi, en passant par le CV, une photo numérique et moult motivations du postulant. Le site est réputé pour sa lenteur et sa complexité. De nombreux postulants se font aider par des habitués  qui s’y sont maintes fois cassé les dents auparavant. Certains monnayent leur service, créant ainsi un petit marché saisonnier.

Se pose ensuite le problème de la constitution d’un dossier papier qu’il faut acheminer aux différentes écoles choisies par le candidat, moyennant un montant non remboursable de 70 €. Dans la foulée, le postulant passe un entretien pour, dit-on, « préciser ses motivations ». Selon que l’on s’est inscrit suivant la démarche dite DAP (Demande d’Amission Préalable), ou Hors-DAP, le candidat est soumis à un calendrier. C’est justement la modification inattendue de ce calendrier par les responsables de CampusFrance qui pousse les « DAPistes » à vouloir déposer leur dossier, coûte que coûte. Bonjour la pagaille, le trafic d’influence, les passe-droits et… l’humiliation.

Enfin, l’Ambassade. Etape ultime du processus en cas de sélection du postulant par une Université.  Il faut constituer un autre dossier avec 50 € non remboursables, et une caution de 7000 € pour la première année d’études ! Pour obtenir cette somme de 7 000 €, on utilise tous les stratagèmes : oncles, tantes, cousins et cousines, etc., tous ceux qui sont susceptibles de donner un coup de main sont sollicités.  Certains parents vont jusqu’à liquider l’unique parcelle de la famille.

Qu’il pleuve ou qu’il vente, chaque année ce sont ainsi des milliers de jeunes guinéens qui effectuent ce parcours du combattant dans la quête d’un visa étudiant pour  la France, devenue un eldorado. Au passage, ils encaissent le mépris du personnel de CampusFrance qui parfois pète les plombs sous la pression. Au bout du compte, nombreux sont ceux qui déchantent, soit à cause du refus de l’Ambassade pour l’octroi du visa, ou tout simplement à cause de la non obtention d’une admission. D’autres, les plus « chanceux » et infiniment moins nombreux, voient leur rêve se briser sur les flancs des dures réalités de l’eldorado, une fois surplace. Et l’année suivante, le cycle recommence !

Alimou Sow


Le châtiment corporel, vecteur d’éducation et du savoir-vivre ?

Un jeune homme puni de 100 pompes verticales

A l’école primaire, on enseigne aux écoliers qu’il faut regarder à gauche et à droite avant de traverser une route. Les adultes de Conakry vont devoir reformuler cette maxime en : « il faut regarder à gauche, à droite, devant et derrière avant de traverser une Autoroute » .En effet, depuis environ un mois, il se passe des scènes ubuesques le long de l’Autoroute Fidèle Castro de Conakry. Principalement au grand marché de Madina, entre la passerelle du marché Avaria et l’échangeur de Pharmaguinée.

Tôt le matin sur ce tronçon, débarquent chaque jour des agents de la Compagnie Mobile d’Intervention et de Sécurité (CMIS). Casqués, matraques bien serrés en main, menottes et bombes lacrymogènes accrochées à la ceinture, ils se déploient dans un mouvement impressionnant. Leur mission : réguler la circulation des automobilistes et des… piétons. Interdiction formelle de traverser l’autoroute sans emprunter les passerelles. Interdiction formelle aux automobilistes de stationner au niveau des carrefours de manière anarchique.

Le hic c’est que les passerelles sont distantes les unes des autres de 500 m environ. Et le marché de Madina brasse des dizaines de milliers de personnes par jour. Pour empêcher les gens de traverser l’Autoroute, une grille métallique avait été dressée le long de la chaussée. Par la suite, cette grille a été entaillée par des inconnus à plusieurs endroits, permettant ainsi les piétons de passer. Avec le stationnement anarchique des véhicules, bonjour les embouteillages et les accidents. C’est pour remédier à cette situation et épauler la police routière que cette mesure énergique a été instaurée.

vue sur l'échangeur de Pharmaguinée à partir de Avaria

Pour les chauffeurs, une infraction égale à dix coups de matraque bien assénés sur les fesses, le ventre étalé sur le chaud capot, bras et jambes tendus par des solides gaillards. Pour les piétons, c’est 100 pompes verticales (les bras en croix sur les oreilles) ou horizontales. Ce taximan quinquagénaire a eu le malheur de servir de cobaye. Mal garé, comme le font souvent les taxis, il n’a pas eu le temps de s’expliquer. C’est manu militari qu’il a été extirpé de son siège de chauffeur. Etalé sur le capot du véhicule, il a été copieusement rossé. Quand les policiers l’ont laissé, il n’avait plus l’équilibre, les yeux comme le coucher du soleil.

Pendant la première semaine de la mesure, personne n’y échappait : hommes, femmes, jeunes et adultes. Les agents, constamment sur le qui-vive, étaient imperméables à toute forme de négociation. Tu es fautif, tu es puni. Mais avec le temps et le nombre impressionnant de piétons réfractaires, les policiers sont devenus plus dociles. Même si la punition reste inchangée. Maintenant, on peut parlementer. Ceux qui ont le bagout et qui sont habillés « classe », peuvent s’en sortir. Pour les autres, c’est le matraquage ou la musculation forcée.

Ce jeudi matin 20 janvier, vers 10 heures, un jeune homme en jean et t-shirt rayé traverse. Il est immédiatement accueilli de l’autre côté par deux agents. Il essaie de négocier, impossible. On ne l’écoute pas. L’un des policiers mime à son intention l’exercice qu’il doit accomplir. Le jeune homme, la mort dans l’âme, s’exécute sous le regard moqueur des passants. Puis arrive un couple. Une demoiselle, les cheveux dans le vent, un pagne frappé de l’effigie de Bob Marley noué autour de la taille. Son compagnon est en chemise immaculée, pantalon tissu et souliers. Une casquette vissée sur le crâne. Comme le jeune homme en jean, ils sont interceptés par les agents. Au tout début, le gars fait l’innocent. Mais sous la menace de l’un des policiers, il mesure la gravité de la situation. Visiblement, il ne voulait pas perdre la face devant la go. Alors il entame de longs conciliabules. Il chatte pendent de longues minutes, dessinant de grands gestes dans le vide. Les agents impassibles, matraques en main, l’écoutent à peine. De temps en temps, la fille tente d’intervenir sans succès. Tout d’un coup, les agents décident de les…libérer. Le type se tire avec la meuf, en prenant un profond soupir.

Et le théâtre se déroule ainsi toute la journée durant. Dès que les agents lèvent le camp, les passants et les taximen reprennent les vielles habitudes. Diversement appréciée, cette mesure pour le moins insolite, est-elle viable ? Cette pédagogie de la matraque…ou plutôt, cette andragogie du châtiment corporel peut-elle être vectrice de l’éducation et du savoir-vivre ?

Wait and see !

Un policier surveille les piétons


L’harmattan, un vent méchant

Peau Harmat-tannée!

Rhume, bronchite, peaux rêches, lèvres gercées, cheveux cassants, …tel est le spectacle qu’il laisse dans son sillage à chacun de ses passages. Il, c’est l’harmattan. Ce vent chaud et sec, originaire du Sahara soufflant vers la côte, fait rage en ce moment dans bien de pays de l’Afrique occidentale.

De décembre à février, la Guinée est frappée de plein fouet. A des degrés différents, les quatre régions naturelles du pays sont affectées. La Guinée Forestière au Sud et La Basse Guinée à l’Ouest semblent être les moins touchées. En moyenne Guinée, au centre, pays de plaines et de plateaux escarpés, le thermomètre peut afficher jusqu’à cinq degrés dans les villes de Dalaba et de Mali au mois de janvier. La Haute Guinée à l’Est, aux portes du Sahara, sert de bouclier pour le reste du pays. Cette région à la végétation de savane, est la plus affectée par la rigueur de l’harmattan qui devient ici cinglant.

Cependant, les conséquences du passage de ce vent sec sont partout identiques : des lèvres gercées aux commissures, des peaux pâles et rêches, des cheveux qui cassent, une épidémie de rhume et de grippe…Plus grave, l’harmattan favorise la prolifération du bacille de Koch, responsable de la tuberculose, à cause de la poussière qui fait partie du décor de nos villes.

Les conséquences de ce méchant vent étant partout identiques, tout le monde n’est pas pour autant affecté de la même manière. Les personnes ayant une déficience immunitaire sont plus vulnérables. Leur peau pâle, vire vers un teint hâlé, terrain fertile pour la teigne et le pityriasis versicolore. Dans les villages, les enfants malnutris, aux ventres bedonnants, portent sur la peau des rayures disparates leur donnant un aspect de zèbre.

Pour les demoiselles, plus soucieuses de leur apparence, leurs sacs à main contiennent une véritable armada de produits cosmétiques : brillants-lèvres qu’on sort à tout bout de champ, crèmes à l’hydroquinone, miroirs, deo, kleenex, etc. Elles sont à l’origine du pic qu’atteint un certain nombre de produits saisonniers. En fait, si l’arrivée de l’harmattan surprend beaucoup de personnes, y en a par contre qui s’y préparent soigneusement : les vendeurs de pullovers et de produits cosmétiques. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, décembre-janvier-février constitue une période de traite pour cette catégorie de marchands. Dans les marchés locaux, le prix des pulls « Donka Félé » atteint des sommets et celui des crèmes pour corps devient parfois vertigineux.

Enfin, pour les riches, classe VVV (Villa, Voiture, Visa) la rigueur de l’harmattan est un lointain écho leur parvenant occasionnellement au détour d’une conversation. Le micro climat dans lequel ils baignent au quotidien à la maison, en avion, dans la voiture, ou au bureau leur fait oublier qu’il y a une alternance des saisons.

Comme quoi, l’harmattan, un méchant vent reste vain devant les « Vrais ».

Alimou Sow