Mamadou Alimou SOW

Lettre de Paris à un ami de Conakry

Mon cher ami,

Ma décision est prise. Mon sac est prêt. Je rentre au bled !  D’ici, j’entends ta réaction : « Il est fou lui ; revenir ici après avoir foulé Fötéta (Occident) ! ». Non, je ne suis pas fou mais je comprends ton choc. A  la fin de cette lettre, tu comprendras mes motivations.

Cher ami, que les choses soient claires, mon intention n’est pas de gâcher ta soirée ou de te décourager de tenter ta chance pour le visa. Encore moins de faire des révélations sur des « secrets de vie » de nos compatriotes vivant ici. Je voudrais juste te livrer un témoignage à travers le regard neuf de quelqu’un qui avait longtemps rêvé de l’Europe, de Paris, de sa Tour, de ses banlieues, de l’accent de ses habitants.

Je « chökhö »

Tiens, en parlant d’accent, tu remarqueras sans doute que je Chökhö (imiter l’accent parisien) davantage.  On m’accusait d’jà de le faire un peu au pays, alors après cinq mois passés à Paris et dans sa banlieue, autant t’avertir que les choses ont empiré. Tu l’as sans doute remarqué quand j’ai écrit « d’jà » au lieu de « déjà ».

Eh ben, tu m’entendras désormais marquer mes surprises et étonnements par un gros « Putain », souligner mes négations par un « Bah non ! », les affirmations par un « Bah oui ! ». Je m’exclamerai en te disant « Tu m’étonnes » au lieu de « Exactement ». Pour te redemander ce que tu viens de dire, je ne dirai plus « quoi ? », mais « comment ? », pour apprécier les délicieux plats de riz au mafé Haako (feuilles) que ta maman sait si bien faire je dirai « c’est très bon » au lieu de « c’est très doux ». Désormais, le « R » dans « Paris », mourra, étouffé dans ma gorge !

Tu sais mon pote, j’ai même découvert une autre dimension pour les notions de « s’il vous plait », « pardon » et « merci ». Pour un rien dans le métro, on te dégaine un « pardon » pendant qu’on se méfie de toi. Une phrase comme « Je prendrais un verre d’eau », commence quasi-systématiquement par un « s’il vous plait » et se termine par un « merci » ! Quelqu’un qui vient de te dépasser sans t’adresser le moindre « Bonjour » ô combien indispensable chez nous, est capable de se planter à te tenir une porte ouverte 15 secondes durant, en signe de politesse !

Des pratiques sociales françaises difficiles à décrypter pour le Guinéen que je suis, comme cette manie qu’ont les gens de se moucher bruyamment pendant que tu manges ou de renifler les aliments. Ta grand-mère te tuerait rien que pour ça !

J’ai compris donc que nos compatriotes qui retournent au bled avec cet accent français, et qu’on raille souvent, ne font pas exprès de l’afficher. Du moins, pour la plupart d’entre eux. Car pour te faire comprendre par les gens d’ici, il faut imiter leur façon de parler. Sinon, t’as droit à des regards livides, des écarquillements d’yeux horrifiés. Et c’est réciproque je pense.

Ne dit-on pas que le milieu fait l’homme ? Vantardises d’un Mbénguiste (celui qui vient de la France) me rétorqueras-tu. Soit.

Les potes et toi, je vous entends déjà dire  « Le Parisien ou le Français est de retour» lorsque je me pointerai sous le manguier où nous nous gavons d’Attaya (thé) à longueur de journée. Quand je tournerai le dos, les plus gentils diront « Il n’a même pas grossi, on dirait qu’il n’était pas en Europe. En plus, il est fringué comme un blédard». Pour d’autres, plus tranchants, je serai un « maudit » d’être rentré. Je comprendrai tout le monde, sans en vouloir à personne. Car depuis la Guinée, il est très facile de juger. Juger sans savoir.

Juste un « petit 100 euros »

Il faut venir pour comprendre. Comprendre pourquoi ton cousin, ton frère, ta sœur, ton beau-frère de Fötéta, ne t’appelle pas si souvent, pourquoi il ne t’envoie pas un « petit 100 euros » ; même pas » un « iPhone », un Blackberry ou un laptop. Tu penses que ton cousin t’a oublié « comme  il est dans le beurre maintenant ». Tu devrais pourtant savoir que malgré la galère de chez nous, c’est probablement toi qui es dans le beurre avec les « petits cent euros » que ta sœur te balance de temps en temps.

Ta soeur, elle, est souvent dans la merde ici, empêtrée dans les couches d’insupportables gosses dont elle n’ose même pas crier dessus, ou occupée à briquer chaque soir une pile d’assiettes de ta taille dans un resto où elle est forcée de toujours sourire aux clients, malgré l’angoisse des appels intempestifs des parents au pays. Ici, ton cousin sort à six heures du mat’ pour aller à la fac, pendant que tu pionces paisiblement à Conakry sous une moustiquaire. Il rentre tard le soir dans son studio parisien loué à 600 euros le mois pour prendre un bain vite fait et continuer au centre commercial où il assure la sécurité, si ce n’est pas pour livrer des pizzas par moins huit degrés la nuit.

Cher ami, quand tu viendras, tu comprendras la formule « métro, boulot, dodo ». Tu sauras mieux ce que signifie « le temps, c’est de l’argent ». Tu arrêteras de te plaindre qu’on ne t’appelle pas assez, car pendant que toi tu guettes la moindre sonnerie ou SMS qui tombe sur ton téléphone, ici ton frère n’a même pas le temps de décrocher le sien.

Puisque tu ignores même la notion de répondeur pour lui laisser un message quand tu le harcèles, la prochaine fois que tu réussiras à le joindre pour qu’il t’envoie 50 euros pour tes frais de scolarité (en réalité pour emmener ta nouvelle go en boite), c’est pour lui dire « j’ai essayé plusieurs fois de te joindre, je tombe toujours sur ton répondeur » !

Tu ignores qu’à chaque fois que le code 224 s’affiche sur  son simple Nokia, c’est une source d’angoisse pour ton frère : un parent malade ? Un décès ? Non, c’est encore son Vieux (le père) qui n’arrête pas de lui dire « Mamadou, tu sais que ton copain qui est en Suisse là va envoyer ses parents à la Mecque cette année ? Tu sais qu’il a couvert sa maison de Yattaya, qu’il a acheté une nouvelle parcelle à Coyah, que… ». Ta gueule Vieux ! Mais il se retient  et dit : « Oui papa, ne vous en faites pas, vous irez à la Mecque ».

Alors, mon cher ami difficile de grossir dans ces conditions. Même si on mange bien ici et pas très cher. Ok, je serai mal fringué puisque je ne porte pas un jean Levi’s de 150 euros, une chemise Pierre Cardin à 200 balles décrochée aux Galeries Lafayette. Pour le phone, je me contenterai d’un Samsung d’entrée de gamme négocié à Château Rouge ou Barbès.

Je rentre même si…

Je rentre donc au pays. Je sais pourtant que sur place, tu continues à jouer au PMU et au Loto en espérant décrocher, un jour, le jackpot faute d’un emploi, même indécent. Je n’ignore pas l’existence de l’insupportable épreuve de trouver un taxi pour aller déposer un CV En-Ville (Kaloum) le matin où pour rentrer à la maison le soir. J’ai appris que les Chinois nous ont offert 100 bus, mais je ne me fais aucune illusion quant à l’amélioration du transport urbain dans notre capitale au bord de l’AVC.

Enfin, je sais que la malédiction politique continue à hanter le pays, que Bambéo reste Bambéto, que les militaires guinéens restent égaux à eux-mêmes, que pour un téléphone portable tu peux passer de vie à trépas, que le chômage a encore un bel avenir chez nous …

En dépit de tout, je reviens. Une perspective envisagée par beaucoup de nos compatriotes de la diaspora. Ils sont justes angoissés par l’instabilité politique du pays,  l’épreuve du retour, les regards et les langues des proches parents, les lamentations d’une épouse qui passe son temps à claquer les « petits 100 euros », péniblement réunis, dans des mariages pompeux et des basins Bamako fringants.

En attendant mon arrivée, je te souhaite bonne chance pour tes démarches pour le visa, si tu en as engagées cette année encore. Le mien expire dans moins d’un mois et je n’ai aucune envie pour l’instant de caraméliser mon identité dans du « Sukkar bruxellois » !

A très bientôt.

Amicalement.

PS: Toute ressemblance de cette lettre imaginaire avec une situation réelle est purement fortuite.


Thierno Diallo, arbitre guinéen à 18 ans

Il kiffe le rap, aime les croque-monsieur au saumon, adore le marketing. Mais sa passion reste le foot. Ses copains tapent dans le ballon, lui applique les règles du jeu. Il correspond à la loi N° 5 : Arbitre.

Il a potassé un bouquin de 400 pages compilant les dix-sept règles et articles qui régissent le football, accompli un stage d’un mois sanctionnée par un examen théorique et pratique. Il a ferraillé dur pour obtenir le sésame. L’effort a payé. Thierno Diallo, 18 ans, détient une licence d’arbitre de football depuis trois ans. Aujourd’hui, il dirige des matchs des moins des 17 ans (U-17) dans tout le district des Yvelines (France).

Inscrit en classe de 1ère, Sciences et technologies de gestion (STG) au lycée Jean-Baptiste Poquelin de Saint Germain-en- Laye (Yvelines), Thierno est un bosseur. Il partage ses weekends entre révision des cours, travaux domestiques et sa passion d’arbitre, en passe de devenir une profession.

Il est 10 heures ce dimanche matin. « Lettre à mon public » de Kerry James entre les deux oreilles, il prépare son sac. Cartons (Jaune et Rouge), un sifflet, une montre, un maillot, une fiche de paie et l’indispensable licence. Direction Houilles-Carrières, à 10 minutes de chez lui (Vernouillet). Son ancienne équipe Houilles, affronte Château, deux formations des moins de17 ans. C’est donc avec une certaine émotion qu’il officiera le match cette après-midi. « Ça va être un peu dur, mais faut que je le fasse », sourit-il, dans un accent de jeune banlieusard de Paris. Sa « M’man », comme il appelle sa mère avec qui il habite, le dépose en voiture.  Elle ne cache pas sa fierté pour son fils. « Il apprend à se prendre en main », se réjouit-elle.

Thierno perçoit une rémunération qui varie entre 65 (pour les 14-15 ans) et 76 euros (16-17 ans) par match ; avec un minimum de quatre matchs par mois. De quoi se faire un peu d’argent de poche « pour me coiffer, m’acheter des chaussures et économiser pour les études post-bac » explique-t-il ; avant de se reprendre : « mais aussi d’envoyer un peu de sous au pays». Bosseur, mais aussi généreux envers les siens. Lui qui dit pouvoir s’habiller avec 50 euros au Marché à Puces de Clignancourt (quartier de Paris), raille « des gens qui dépensent de fortes sommes dans de vieux habits ». Bosseur, généreux et modeste donc. Le gendre parfait !

Quand Thierno parle du pays, il fait référence au sien, la Guinée. Cet enfant peulh taillé dans du roc (1m 75, 68 kilos) est né à Conakry des parents originaires de la préfecture de Pita (350 km de Conakry). Il y fait ses premiers pas d’écolier, notamment à Wanidara (quartier nord Conakry), puis au village à l’école primaire de N’diré (Timbi-Madina, Pita).

Fin 2002 il débarque à Paris au côté de sa mère. Ils habitent Saint Germain-en-Laye, quartier général du club éponyme (PSG). Ils ont même le privilège singulier d’être à un jet de pierre de « Château-Vieux » et du stade d’entrainement des Parisiens ! Une baraka pour le poussin, amoureux du ballon rond et des croque-monsieur au saumon qu’il prépare lui-même.

Le petit Thierno intègre le club US Lepecq (Yvelines) au poste de milieu de terrain (N° 6), il se fait vite remarquer. Mais au fil du temps la passion de l’arbitrage prend le dessus. La raison ? « J’avais envie de connaitre les règles du jeu. J’aime l’autonomie que donne le métier d’arbitre ». Ça lui permet tout aussi de bourlinguer et de découvrir des contrées lointaines.  « Parfois on me demande d’aller arbitrer un match dans un coin que je ne connais pas, je regarde juste sur une carte et j’y vais ».

Aujourd’hui le rêve de Thierno est d’intégrer le prestigieux Centre Régional de Formation Jeunes Arbitres – Pôle espoirs de Paris et d’embrasser une carrière internationale. « Arbitrer les matchs de la CAN se serait bien hein » rêve-t-il. Son cœur balance tout aussi pour un BTS en Marketing, pourquoi pas un Master. Car devant sa passion de l’arbitrage la lucidité lui rappelle qu’une « carrière d’arbitre dure 10 ans. Il faut avoir un métier ». Préfère-t-il vivre en France ou en Guinée après ses études ? Choix cornélien. « J’aimerais vivre en Guinée, sans être coupé de la France, cette dernière m’a beaucoup donné », répond-il  après une longue hésitation.

En mars prochain, Thierno Diallo espère enregistrer un morceau de rap avec son pote Hatim, vainqueur d’un concours initié par le rappeur français Mister U (Younes Latifi). Une perspective qui l’enchante : « ça va être cool ».

Avec un bon niveau d’anglais, une maitrise quasi-parfaite de l’allemand (il a passé six mois à  Hanovre), ce garçon a plus d’une corde dans son arc. Pour son bien et probablement celui de son pays de naissance, la Guinée. Prrrrrrrrrrrrr!!!!

 


« Bambéto », laboratoire de la démocratie guinéenne

Longtemps abandonnés, souvent instrumentalisés, toujours violentés mais plus que jamais déterminés. « Voyous » et « suicidaires » pour les uns, « révoltés » et « assoiffés de démocratie » pour les autres. Depuis 2006, les jeunes de Bambéto, quartier populaire de la banlieue nord de Conakry, expriment leur colère dans une Guinée qui se cherche plus d’un demi-siècle après son indépendance. D’où vient  la rage de ces acteurs du changement en Guinée ?

Dimanche, 19 février 2012 plateau de Koloma au cœur de Bambéto. Sur un terrain de football couleur ocre entouré de ruines, le tourbillon qui charrie la poussière faisant voltiger des sacs plastiques en l’air ne démonte pas le jeune Hady Barry.

« Nous disons que la jeunesse de Bambéto est une et indivisible, malgré les tentatives de déstabilisation que nous constatons par les spécialistes de la  division », proclame-t-il.

Le porte-parole « circonstanciel », martèle que Bambéto n’est « pas à vendre, encore moins à corrompre ». Les jeunes du quartier recevaient Cellou Dalein Diallo, président de l’UFDG (principal parti de l’opposition).

Leur cinglant message s’adressait au gouvernement d’Alpha Condé. A deux jours  de la « journée ville morte » du 13 février organisée par l’opposition pour «exprimer le ras-le-bol des Guinéens face aux violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales», le président Condé avait convié les jeunes de Bambéto, et uniquement les jeunes de Bambéto, dans son palais  Sékoutouréyah à Kaloum pour dit-on « maintenir la paix ». En réalité, une manœuvre visant à couper l’herber sous le pied des opposants qui s’est transformée en pétard mouillé.

Car non seulement Alpha Condé s’est retrouvé devant une assemblée hétéroclite, désorganisée et composée de jeunes chômeurs péchés un peu partout dans les quartiers de Conakry par des ministres capables de réunir autour d’un banquet activistes du Hamas et agents du Mossad, mais aussi le mot d’ordre de la  « journée ville morte » a été observé  à …Gaza.

Bande de Gaza

Oui, la zone occupée par les quartiers de Bambéto, Hamdallaye, Cosa, Cité, Wanindara dans la commune de Ratoma,  porte les sobriquets de bande de Gaza, Bagdad ou encore le Golfe. Dans les médias, ce sont les quartiers « chauds de Conakry », le  « fief de l’opposition »  «l’Axe » (sous-entendu du mal). Une métaphore qui en dit long sur les violences et la tension quasi-permanente qui y règnent.

Les jeunes de ces quartiers dont les parents sont majoritairement originaires du Foutah Djallon (Bambéto serait le nom d’un village de Pita) sont de simples élèves, de petits cireurs de chaussures, des marchands de textile ou pour la plupart des chômeurs qui, à longueur de journée autour d’un thé, montent et démontent des plans pour sortir de la galère qui les étrangle. Des quartiers dépourvus d’infrastructures de base où le temps d’un jeu,  la chaussée se transforme en terrain de football.

Foyer de multiples contestations qui ont secoué la Guinée ces dernières années, la zone est malheureusement plus connue pour être un champ de bataille qu’un lieu de distraction. C’est de là qu’est partie l’insurrection de janvier-février 2007 qui a failli avoir raison du pouvoir de Lansana Conté. Ce sont les jeunes de Bambéto qui ont, le 28 septembre 2009, bravé la junte de Dadis Camara avec les conséquences qu’on connait. Eux qui ont tenu tête à son successeur Sékouba Konaté en 2010. C’est grâce à eux que Jean-Marie Doré sera nommé Premier Ministre de la transition à l’issue des accords de Ouagadougou. Le même Jean-Marie Doré qui les traitera de « voyous » en 2010, promettant de nettoyer la zone « coûte que coûte ».

Et comme chez nous les forces de sécurité ne font ni usage de balai encore moins de canaux à eau, le nettoyage se fait à la mitraillette qui arrose, les baïonnettes qui transpercent les corps, les matraques et brodequins qui brisent les côtes et renversent des marmites bouillantes. A Bambéto on humilie, violente, vole, viole et tue. Impunément. Gratuitement. Depuis longtemps.

Ils s’appellent Ibrahima Bah, Mamadou Barry, Zakaria Diallo, etc., plus de 400 jeunes de la zone de Bambéto ont perdu la vie depuis 2006, tués pour la plupart par balles réelles. Des milliers de blessés, des portés disparus et d’autres qui croupissent en prison ou qui continuent à faire des aller-retour dans les violons crasseux des gendarmeries qui poussent dans la zone comme des champignons. A  la place de jardins publics, de terrains de foot et de maisons de jeunes, on militarise les quartiers pour mieux faire passer la pilule du « changement».

Le Changement ! Un concept né dans le cœur des jeunes de Bambéto, rôdé sur le macadam da la route Le Prince à coups de matraques, pierres et gaz lacrymo depuis six ans. Un concept qu’on leur a volé en 2010 et qu’on veut leur imposer maintenant, avec la politique de la carotte et du bâton.

Kaporo-Rails, à l’origine du mal

Mais pourquoi cette colère, ce sempiternel esprit rebelle, cette témérité à toute épreuve de leur part ?

« Les jeunes de Bambéto ont grandi avec un sentiment d’injustice à cause de la casse du quartier de Kaporo-Rails. Ils sont habités par une volonté de changement d’autant plus grande que cette casse a été opérée par un ressortissant du Foutah », répond Solo Niaré, web-activiste et fin observateur de la politique guinéenne.

En effet, sous la direction d’Alpha Ousmane Diallo, ministre de l’urbanisme d’alors, le quartier de Kaporo-Rails situé dans la commune de Ratoma, a été rasé le 23 mars 1998. Dix mille maisons et magasins détruits, jetant dans la rue plus de 120.000 hommes, femmes et enfants. Aucun recasement, aucune indemnisation. Une décision du gouvernement Conté motivée pour dit-on, la « construction d’une autoroute et une cité administrative ». Quinze ans après, sur les ruines des duplex bâtis à la sueur du front, bandits de tout acabit se défoncent la tête à coups de haschisch pour mieux enfoncer les portes de citoyens à la nuit tombée.

Les sinistrés de Kaporo-Rails ont migré vers les quartiers plus proches de Cosa, Hamdallaye, Kobaya, Wanindara et Bambéto. Certains sont tout simplement rentrés au bercail, dans leur Foutah natal. D’autres ont pris le chemin de l’exil. Ce sont ceux-là qui, parfois par solidarité, souvent par affinité, transforment les réseaux sociaux, notamment Facebook, en Bambéto à chaque évènement politique en Guinée.

Kaporo-Rails bis?

Avec ce lourd héritage, Bambéto est devenu au fil du temps un terreau fertile pour les politiciens cherchant à expérimenter des idées réchauffées, sans aucune stratégie viable. Le terreau devenant un labo pour les forces de sécurité (sic) pour tester de nouvelles minutions et aguerrir les tirs de nouvelles recrues sur de « vraies cibles ».

Si la zone est habitée par les Peulhs, majoritairement rangés derrière l’opposant Cellou Dalein Diallo, « les jeunes de Bambéto ne se battent [pourtant] pas pour un leader, mais pour un idéal », soutient Solo. Pour lui, cet idéal est une soif de démocratie et  de justice.

En juin 2011, le gouvernement actuel a jeté un véritable pavé dans la mare, en lançant un ultimatum à une partie des habitants de Wanindara pour déguerpir. Les bulldozers devraient y faire un petit tour pour récupérer des « domaines de l’Eta », vendus aux populations par le même Etat. Les rappeurs de Bounkaya Faya apprécieront.

Avec les législatives qui refusent de se faire organiser depuis dix ans (les dernières remontent à juin 2002), la démocratie guinéenne peut toujours se faire tester dans les éprouvettes du laboratoire qu’est Bambéo. La question est juste de savoir quelle quantité de sang a-t-on encore besoin.


Fötéta, ma foi !

On me l’avait pourtant dit, mais je n’y avais pas cru. A mon départ de Conakry pour Paris, quelqu’un m’avait discrètement soufflé qu’« une fois en Europe, tu seras obligé de tempérer ta ferveur religieuse ». Sa sentence me parut énigmatique, mais l’intéressé se borna à esquisser un sourire pudibond lorsque je lui demandai comment et pourquoi. En deux mois de séjour en France, j’ai largement pu vérifier la véracité de la confidence.

J’ai perdu le nord. Au figuré comme au propre. L’assiduité et surtout la ponctualité dans l’accomplissement des cinq prières quotidiennes obligatoires (un des cinq piliers de l’Islam) que j’observais au pays, ont pris un sacré coup de rabot ici. A Conakry où je mène une vie de blogueur-chômeur-CDDiste-à-l’occasion, seul l’appel du muezzin pouvait nous extirper, mes amis et moi, des interminables discussions au tour du thé où on tuait le temps, assassinait et ressuscitait Ben Laden, défendait où vilipendait Kadhafi, pourfendait ou soutenait le pouvoir d’Alpha Condé à longueur de journée.

Il n’y a pas plus fidèle qu’un diplômé chômeur guinéen. La fin de chaque prière est une occasion en or pour lui de se rapprocher d’Allah pour l’implorer à trouver un job. Un boulot rémunéré pour arrêter de se taper le matin un bol Big Max de Bandé-Khita (riz rassis) ou une tartine d’un demi Tappa-Lappa (pain local) rempli à ras bord de haricots préparés à grand renfort de bicarbonate de sodium. C’est le Togué, ou Kosovo pour les inconditionnels. L’élection d’Alpha Condé n’a pas changé la donne. Le chômage et la précarité sévissent de plus belle. Ils sont célébrés dans une belle formule moqueuse en langue Soussou : « Mangué Nènè, Khamé Nènè » (traduisez : Nouveau président, nouvelle famine).

Trouver donc un job ou se casser. « Flyer » comme on dit à Conakry. S’envoler pour Fötéta (Occident). Et me voilà à Fötéta, mais pas pour l’aventure bien sûr. En deux mois de séjour, la piété que je portais en bandoulière dans ma petite mosquée de quartier est devenue une courbe qui évolue en dents de scie. Dieu Sait que la foi et la volonté sont présentes. Mais la rareté des mosquées et lieux de prière dans Paris, le rythme de vie infernal, l’insuffisance de l’hygiène dans les toilettes pour le musulman (papier toilettes à la place de nos traditionnelles bouilloires en plastique) obligent à faire du Sonni Ali Ber en cumulant les prières le soir avec une bonne dose de courage et des décalitres de café.

« Ô vous qui avez cru ! Quand on appelle à la Salât du jour du Vendredi, accourez à l’invocation d’Allah et laissez tout négoce. Cela est bien meilleur pour vous, si vous saviez ! ». C’est écrit noir sur blanc dans le Saint Coran (Sourate 62 – Verset 9). Et de deux ! Ce vendredi, c’est avec joie que j’ai répondu à l’appel. J’ai pu accomplir la prière collective, hebdomadaire et obligatoire à la grande mosquée de Paris. C’était le deuxième. Oui, le deuxième vendredi en deux mois.  Soubouhânallahi ! Ne me blâmez pas, vous savez pourquoi.

La première fois que j’y suis allé, je venais d’arriver et j’étais porté par cette excitation touristique de découvrir les monuments emblématiques de Paris dont la grande mosquée. C’était l’époque où je me déplaçais dans trois zones parisiennes à l’aide de mon Passe Navigo (carte de transport électronique). Après trois semaines de rechargement à raison de près de 25 euros par semaine, je me suis aperçu que mon maigre budget était en train de fondre comme neige au soleil. Comme beaucoup d’autres resquilleurs, j’ai vite fait de niquer les tourniquets d’accès aux gares, jouant au chat et à la souris avec les contrôleurs de la SNCF, me moquant des formules poétiques tracées à l’intérieur des bus du genre « Qui saute par-dessus un tourniquet, risque de tomber sur un contrôle à quai ». Que celui qui ne l’a jamais fait me jette la première pierre.

Pour la bouffe, je fais le maxi pour éviter le porc et l’alcool. Sans être sûr de réussir. En fait, l’alcool rentre dans la composition de plusieurs aliments dont certains chocolats, à ma grande surprise. Dans la cuisine française, il est aussi à la base de préparation de certaines sauces aux noms bizarres : sauce à l’oseille, cuisse de grenouille à la crème. Beurk ! Avec ça, la gastronomie française est classée patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Allez en parler à ma grand-mère.

Amoureux de la viande devant l’éternel, je vise les menus comportant les mots « bœuf » et « volaille »  à la cantine de RFI sans me soucier de l’étiquette Halal. Depuis que j’ai visionné cette vidéo m’apprenant que l’entreprise française DOUX censée produire de la viande Halal a réussi à vendre des poulets électrocutés et égorgés à la chaine en Arabie Saoudite (à la Mecque !) et qu’une autre, FINI, fabrique et commercialise en France des bonbons estampillés « Halal » avec du porc, c’est avec suspicion que je regarde ces cinq lettres. Halal est une simple étiquette qu’on peut coller sur du jambon charentais.

Pour ma part, je me sers de la belle formule Bismillahi (Au nom d’Allah) pour « halaler » les aliments que j’ingurgite.  De la modération avec obligation. Dieu comprendra, Inch’Allah.

 


Paris, en mode Noël

Retenez-le bien : ne jamais permettre l’accès à Internet, sans surveillance, pour un blogueur guinéen qui découvre le haut débit pour la première fois ! Vous risquez d’en faire un infirme. Relever la tête de cet écran de 10 pouces sur lequel je m’use la vue tous les jours, quitter ce clavier bruyant qui laisse des meurtrissures sur le bout de mes doigts, abandonner, le temps d’une soirée, ce canapé qui risque de me flanquer une lombalgie, n’a pas été une sinécure. Habitué en Guinée à un Internet haut-débile avec lequel je livre quotidiennement un Mortal Kombat pour bloguer, je me retrouve face à une connexion qui me permet de télécharger le logiciel VLC Playeren 30 secondes (contre 2 heures à Conakry, si la connexion est en fête). C’est le pied ! En 54 jours de séjour, je suis repu d’Internet.

Dieu merci, ce soir je vais pouvoir passer offline . Me déconnecte pour sortir. Sortir admirer Paris. Le jeu en vaut la chandelle. « Paris, ville lumière » ! La capitale française n’a jamais si bien porté ce slogan qu’en ce mois de décembre de l’an 2011 finissant. En prélude aux fêtes de fin d’année, Paris se pare. Telle une jeune femme guinéenne qui accueille son diaspo de mari de retour au bercail, la ville a revêtu ses plus jolis habits, mis ses plus beaux atours, endossé ses plus belles perles pour souhaiter la bienvenue à 2012.

Ici et là, des guirlandes lumineuses accrochées sur la façade des habitations, des magasins, des boutiques et autres épiceries scintillent de mille feux. Des arbres de Noël, naturels ou synthétiques, et des effigies miniaturisées du Père Noël se vendent déjà comme des petits pains dans les magasins. Les parcs municipaux de Paris et périphérie cèdent leur place à des marchés forains où vendeurs d’oignon Pakistanais côtoient des négociants Sénégalais qui proposent à des Occidentales de troisième âge (parait qu’il ne faut pas les appeler vieilles) des produits low cost. Crise oblige, les prix ont pris l’ascenseur rendant nostalgique du franc français ce couple des septuagénaires que j’ai croisé l’autre jour à l’arrêt de bus de Charenton-Wattignies (12ème Arr.) « Quand tu évalue ça en franc, tu réalises qu’ils sont fous », expliquait la mémé à son ratatiné de golden boy…

Ce soir donc je suis sorti. Une balade en compagnie de mon ami Souleymane sur lesChamps-Elysées, la plus belle avenue du monde, me laisse sur le carreau. Je suis subjugué devant le déluge de lumières. 200 arbres habillés de 600 anneaux en LED illuminent le parcours qui va de la place de la Concorde à l’Arc de Triomphe. De part et d’autre de l’Avenue ce sont 170 stands qui sont installés et proposent aux dizaines de milliers de visiteurs des vins chauds, des gâteaux, du chocolat, des sandwichs aux noms bizarres, des Tour Eiffel en miniature et autres babioles à deux pièces. L’Arc de triomphe, image de carte postale de mes années d’enfant rêveur à Télimélé, se matérialise devant moi, sublime et majestueux. Des touristes font la ronde, appareils photos en bandoulière mitraillant tout ce qui est monument. Sur la place de la Concorde, une longue queue se forme devant la Roue de Paris, qui du haut de ses 60 mètres, amène voltiger en l’air des couples qui se roulent des pelles à la …pelle.

Plus en retrait les magasins des grandes enseignes affichent un luxe insolent pour le Guinéen que je suis. Louis Vuiton, J.M Weston, Marc and Spencer,… Ils sont envahis par des chasseurs de cadeau de Noël. Attirés comme des abeilles par la senteur des parfums, mon ami et moi osons franchir les portiques de Channel, Dolce & Gabana et Hugo Boss. Les prix flanquent le tournis. Un flacon Hugo Boss d’à peine 100 ml à 67 euros me fouette. Un Allure Homme de chez Chanel me gifle avec 102 euros ! Mentalement, comme la mémé de Charenton, je procède à une rapide conversion : 102 € = 1 020 000 francs guinéens ! Soit près du double du salaire, officiel, d’un fonctionnaire. « Je me contenterais bien d’un déodorant Nivea Homme négocié de haute lutte pour 25 000 GNF (2,5 euros) au marché de Madina », me disais-je intérieurement.

De cette lèche-vitrine, envieuse par moments, on se contentera tout simplement de l’éclairage, de la fragrance des Parfumeries, de belles images des montres Swatch et des berlines allemandes exposées sur les stands. Des grandes marques qui ont participé au façonnement d’une société de consommation engluée dans un système capitaliste vorace mondialisé…

De Paris à Conakry, on se prépare à célébrer les fêtes de fin d’année dans la crise. Malgré tout, d’un côté et de l’autre l’alcool coulera à flots, des accidents il y en aura, des pétards résonneront, et… la comparaison s’arrête là. Les uns fêteront dans une lumière éblouissante, les autres dans une insondable obscurité. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.

Bonne année, par anticipation.

 


Un Conakryka chez les Gaulois

Au 2 rue Cherubini (2ème Arr.), pour un déjeuner, je me retrouve à bouffer du japonais dans un resto (Zenzoo). Une pincée de riz avec de mystérieux petits grains noirs, des émincés de bœuf nageant dans une soupe (Satay) faite d’un patchwork de légumes, le tout servi dans une petite marmite chaude déposée sur une feuille de laitue. Le couvert est simple : deux baguettes ! Un instrument que je n’avais vu jusqu’ici que dans des films où l’acteur principal est souvent Jet ou Bruce Lee.  Je vous épargne le mauvais quart d’heure que j’ai passé à me torturer pour ingurgiter cette nourriture – pourtant bonne – à l’aide de ces deux tiges métalliques !

Plus d’un mois après mon atterrissage à Paris, mon séjour prend des allures de virée touristique. Le stage à RFI tire à sa fin. Je profite pour rouler ma bosse dans Panam. Une capitale que j’avais déjà visitée, revisitée, dont j’avais arpenté les rues, comme l’Avenue des Champs-Elysées, fréquenté les grands monuments tels la Tour Eiffel ou le Louvre, reluqué les belles nanas croisées dans le métro en…rêves. Des fantasmes amplifiés par des photos postées sur Facebook de ceux qui avaient déjà fait le pèlerinage, en vrai, de ces lieux mythiques de Paris.

Un mois loin de Conakry, ça dépayse grave.  Le calvaire pour emprunter le taxi, la chaleur et les moustiques, la gaité dans les cafés et gargotes, etc. Mais des multiples particularités qui caractérisent le quotidien de ma capitale, trois choses me manquent et me marquent singulièrement.

C’est d’abord, le chant du coq au lever du soleil. Je n’en ai jamais entendu ici. Dans mon petit village de montagne, c’est pourtant la Rolex des vieux. Fidèles à l’adage qui dit « qui veut vivre cent ans aux cris du coq se lève », ils sont sur pied dès le premier cocorico.  A Conakry, la capitale, c’est pareil.  Le chant du coq est un réveil dans de nombreuses concessions qui perpétuent en milieu urbain l’élevage des oiseaux de la basse-cour. A la différence du village, le chant du coq à Conakry est étouffé par le brouhaha de la ville grouillante de Magbanas vétustes et autres Peugeots vieillots, des « au revoir la France », comme on les appelle à Ouaga (Burkina Faso).

La deuxième chose, c’est l’appel du muezzin. Chez moi, il rythme la journée. A Paris, la première fois que je l’ai entendu, c’est en allant faire le vendredi à la Grande Mosquée de Paris. J’avoue que je n’y vais pas souvent. Même ma ponctualité dans les cinq prières quotidiennes a pris un sacré coup ici.  Le train de vie, le manque d’hygiène requise pour le musulman dans les toilettes, l’extrême rareté des lieux de prière sont des facteurs explicatifs. Du coup, je fais comme le roi Sonni Ali Ber en me rattrapant par un cumul le soir après le boulot. Il l faut dire que les mosquées, ça ne court pas les rues par ici. Encore que c’est l’UMP (Union pour la Majorité Présidentielle) qui est au pouvoir. Si le Front National prend les commandes, ça risque de se raréfier davantage. Quoi que les appels de pied entre les deux partis ces derniers temps sont hallucinants… Chez moi donc, l’appel du muezzin qui annonce la prière complète le chant du coq dans une belle harmonie pour aiguillonner fidèles et travailleurs.

Le troisième élément qui me manque concerne cette fameuse rengaine de Wéé Té faa(Youpi, la lumière !) criée dans une clameur bluffante par les marmots pour annoncer le retour du courant dans les foyers. A Conakry, pas besoin d’actionner l’interrupteur pour vérifier la disponibilité du courant ; les enfants se chargent d’annoncer votre « tour » du jus servi au compte-gouttes. Les délestages sont si fréquents qu’ils sont célébrés par une chanson, « Conakry électricité » devenue tube, du reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly.  A Paris, tu es certain qu’en appuyant sur l’interrupteur, à tout moment, ton ampoule va s’allumer. Seulement, on ne le fait que quand c’est vraiment indispensable. A Conakry, lorsqu’il y a le courant dans la journée (ce qui n’arrive que les jours de fête) les Conakrykas ont le malin plaisir de laisser allumées toutes les ampoules de la maison dans un élan de célébration et de défi à l’Electricité de Guinée (EDG). Ici, les factures d’EDF (Electricité de France) sont si budgétivores pour les ménages qu’on n’ose se le permettre.

Enfin, si je ne regrette pas les sprints éreintants que je me tapais pour rattraper un taxi à Conakry, le manque de convivialité dans les transports parisiens me déprime un brin. Dans le métro, RER, tramway et bus, chacun a les yeux rivés sur 20 minutes (quotidien gratuit), sur un livre ou sur un Smartphone. Le calme n’est interrompu que par les speakers de la SNCF qui régulent le trafic ou par le bruit des bottes qui courent sur le plancher. Le langage du regard remplace la parole. Les regards furtifs intéressés échangés sur les quais se retrouvent poétisés dans la rubrique « Courrier du cœur » de Métro (autre gratuit).

A mon tour, sur la ligne C, j’ai accroché le regard d’une jeune et jolie fille armée d’un gros appareil photo ! « Vous êtes photographe », osais-je. « No, I’m a tourist », me répondit-elle. J’ai juste eu le temps d’apprendre qu’elle vient de Seattle (USA), avant que le train ne me dépose à la gare des Invalides. Je revois encore, à travers la vitre, ses yeux brillants et ses longs cheveux seyants.

 


Le Consul M’A TUER*!

cibletrade.com

Immergé dans le rythme de vie parisienne, un poil stressant, et victime du syndrome de la page blanche, je partage avec vous ce texte écrit après le refus de visa que m’a opposé le Consulat de l’ambassade de France à Conakry en aout. Je m’étais défendu de le publier à l’époque. Trois mois après, le voici déclassifié.

« Oh non, tu plaisantes » ! « Merde alors » ! « Incroyable, pourquoi ? » « C’est vraiment rageant »… Ah, qu’on peut en recevoir des réactions d’indignation des amis et des connaissances quand on se fait larguer pour un visa, même de court séjour !

Mercredi, 24 aout 2011 en début d’après-midi devant la grille d’entrée de l’Ambassade de France à Conakry. Une petite foule s’agglutine sur des bancs en bois vissés sur le carrelage pour échapper aux maraudeurs nocturnes de Kaloum (quartier administratif). Deux jeunes étudiantes trépignent. Près de moi, l’une d’elles, coiffée d’un mouchoir négligemment noué sur la tête, tremblote de la main gauche. Une autre, plus loin, prie dans le silence. La tension est palpable. Une angoisse à couper au couteau. Chacun redoute le moment fatidique d’ouvrir son passeport.

A l’intérieur, la minuscule salle qui accueille les demandeurs de visa venus retirer leur passeport affiche plein. Calme total. Tout se passe dans la tête et les cœurs. Le silence n’est interrompu que par les « au suivant » d’un vigile baraqué qui collecte les quittances du versement des 60 euros des frais non remboursables de demande du visa. Mon tour arrive. A travers une vitre, par un passe-billets, on me glisse mon passeport et une fiche à signer. « Youpi, je l’ai », me dis-je intérieurement. Dehors, j’avais ouï dire que « quand on t’invite à signer un papier, c’est que tu as le visa ». Je signe donc. Sans lire. Vous comprenez pourquoi. Le passeport en main, je le feuillette frénétiquement. Il n’est défloré que par un cachet qui indique : « visa demandé le 24/08/11 à Conakry ». Merde ! C’est le mot que je lâche. Machinalement.

Une fois hors des locaux de l’Ambassade, je déchiffre la fiche signée. C’est la notification de refus de visa. Sur une enfilade de neuf cases, la deuxième est cochée : « l’objet et les conditions du séjour envisagé n’ont pas été justifiés ». Un deuxième « Merde » s’en va, suivi d’une poussée d’adrénaline!

Pourtant, en recevant quelques jours plus tôt une lettre d’invitation de Radio France Internationale (RFI), j’étais aux anges. Deux mois de stage à la Radio du monde ! J’ai mis toutes les chances de mon côté. Pas de temps à perdre. Il faut vite mobiliser tous les dossiers nécessaires.

Je commence par renouveler ma connexion Internet mobile qui me coûte déjà une fortune que je n’ai pas (450 000 francs (46 €) par mois) ! Mais ça vaut le coup, il ne faut pas perdre contact avec Paris. Ou risquer une demi-journée de combat avec Internet Explorer 6 pour ouvrir son mail dans un cyber poussif de banlieue où le verbe « réactualiser » à l’impératif bat tous les records de conjugaison. J’écume les sites de l’Ambassade de France et de la diplomatie française. Je télécharge tout ce qui a trait à un séjour en France : fiche de renseignements, formulaires de demande de visa Schengen, tutoriels de remplissage du formulaire, etc. J’installe même sur mon Galaxy l’application Conseils aux Voyageurs, destinée pourtant aux expats français ! On ne sait jamais.

J’acquiers une assurance voyage à 453 000 GNF couvrant trois mois. Mais le gros problème, c’est comment mobiliser les ressources financières pour le voyage et le séjour. Je découvre le site ulule.fr sur lequel je m’empresse de monter un projet. Celui-ci est mis en orbite mais fait du surplace. Le système de versement des contributions via PayPal est un handicap. Les contributeurs redoutent de lier leur compte bancaire à un site Internet. Normal. Je ramène le projet donc sur le terrain familial et médiatique. Là c’est la joie. En quelques jours les promesses de dons explosent, surtout du côté des USA grâce à Guineeview et Médias d’Afrique. Je peux dormir sur mes deux oreilles. Pas pour longtemps !

Reste un autre obstacle de taille. Une attestation d’hébergement à Paris, signée par la Mairie de l’hébergeur. Je balance des messages à tour des bras. Un pote m’avait dit « fais n’importe quoi, mais ne laisse pas cette chance t’échapper ». Ça a été un super carburant pour moi. Je finis par avoir un engagement d’hébergement via mail. Ce n’était  pas mieux, mais c’était moins que rien.

Après avoir photocopié, légalisé, photocopié les légalisés à coups de dix mille, vingt mille, trente mille francs, le tout pendant l’hivernage et le ramadan dans une ville de Conakry aux allures de capharnaüm, j’étais à peu près prêt pour déposer mon dossier de demande de visa. Mais là aussi il faut prendre rendez-vous. Un véritable casse-tête chinois. Pour se décharger des appels téléphoniques qui faisaient exploser son répondeur, le service des visas de l’Ambassade a sous-traité la fixation des rendez-vous avec une startup, Africatel AVS, basée du côté de Dakar. Pour prendre rendez-vous il faut acheter pour 75 000 GNF une carte (un simple papier en réalité) comportant un numéro de téléphone dans l’une des deux agences bancaires agréées. Partout c’est la queue. C’est à croire que tous les Guinéens veulent émigrer !

Bref, je parviens, in extremis, à trouver un rendez-vous pour la comparution. Le jour J, j’ai le malheur de tomber sur une femme pas très sympa pour réceptionner mon dossier. Verbe haut, regard incandescent. « Pourquoi partez-vous en France » m’assène – t – elle avec condescendance. Pas le temps de répondre avant qu’elle enchaine : « ne me montrez pas ça, je n’en ai pas besoin » quand je veux exhiber un justificatif.

La rage au ventre, j’encaissais, stoïque, sa façon de m’infantiliser. A la sortie de l’entretien, j’ai vite fait de rétrograder ma chance d’obtenir le visa de triple « A » à un simple « A » bancal! Réflexe prémonitoire puisque, une semaine plus tard, je retirais le passeport sans visa ! Une bérézina qui enterre deux mois d’espoir déçu et de galère. Me voilà réduit à collectionner des réactions d’indignation. Aie, le consul des Français m’a tuer*!


*Cette faute d’accord (TUER), admise, est issue d’une célèbre formule, OMAR M’A TUER, suite à une affaire de meurtre à Mougins en France en 1991. Les gendarmes avaient retrouvé cette formule tracée sur les murs avec le sang de la victime.

 

 

 


Lettre ouverte à Alpha Condé

Monsieur le Président,

J’avais pris sur moi la décision de n’aborder ici que des sujets sociaux avec humour et autodérision. Je le dis sous le contrôle des habitué(e)s de cette page. Mais, comme cet autre fouineur, depuis que j’ai fait cette découverte, objet de la présente lettre, ça me démange de vous en parler. Vous excuserez donc de cette digression…politico-diplomatique !

Monsieur le Président, je vous sais occupé. Quarante ans de vie d’opposant c’est éreintant. Se retrouver après sur le fauteuil présidentiel tant rêvé à gérer les récriminations, jérémiades et cris d’orfraie des politiciens, comme vous le faisiez avec ceux qui ont précédemment occupé ce même fauteuil, doit être édifiant. J’imagine qu’en un an au pouvoir, vous en savez quelque chose. Si en plus de tout cela on doit surveiller les « manœuvres »  des voisins, tel ce Wade sénile (85 ans. Tiens, tiens) et amnésique au point d’imputer à Hitler le déclenchement de la Première Guerre Mondiale, l’agenda doit être vachement corsé…

C’est pourquoi j’ai choisi de décacheter cette lettre. Je fonde l’espoir que vous tomberez dessus. Ou dans la cinquantaine de ministres de votre gouvernement, un d’entre eux va se retrouver sur ce blog en googlisant « conseils » ou « Alpha ».  Si ça devait arriver, je prie pour que ce soit le Ministre des Affaires Etrangères ! Pourquoi lui ? C’est tout bête.

Monsieur le Président, en aout dernier, alors que j’écumais les sites Internet de la diplomatie française pour la constitution d’un dossier de demande de visa Schengen, je suis tombé sur une application: Conseils aux Voyageurs. Je précise que je surfais à partir d’un Smartphone (téléphone intelligent). Ce qui est, vous conviendrez avec moi, peu courant dans notre pays. Et surtout risqué en public. J’y reviendrai plus longuement.

L’application, labélisée, conçue par le Ministère Français des Affaires Etrangères est destinée aux expatriés français. Je l’avais tout de même installée sur mon téléphone. Curiosité de blogueur-apprenti-Geek oblige ! En explorant son contenu, je suis tout simplement tombé des nues face à la crudité des propos. C’est loin, très loin de l’habituel langage diplomatique hypocrite. Sur la fiche pays de l’appli, voici ce qu’on peut lire sur la Guinée que vous présidez, « Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest », « Scandale géologique »:

Sécurité: « A Conakry et dans sa banlieue, les conditions de sécurité sont sensiblement dégradées avec une augmentation du nombre d’attaques à main armée. » Difficile, Monsieur le Président, de nier cette affirmation quand on vit dans notre capitale qui prend des allures de champ de tirs certaines nuits. Après ce qui s’est passé dans votre propre résidence de Kipé le 19 juillet, vous ne direz pas le contraire. Enfin…Tenez, on lève même un coin de voile sur l’identité des bandits: « Les agresseurs sont armés, souvent porteurs d’uniformes kaki ou noir type treillis, et parfois cagoulés. » Moi je vois de qui il s’agit, pas vous ?

C’est à cause d’eux que l’ambassade recommande à ses ressortissants « d’éviter de circuler la nuit ». Plus loin on conseille « de ne pas ouvrir sa porte à des policiers ou militaires qui se présenteraient à l’impromptu »! Oui, Monsieur le Président, vous avez bien lu. Pour la journée, il est écrit: « La sécurité est globalement assurée dans le centre-ville de Conakry. Il est cependant recommandé d’être très attentif dans les marchés (Niger, Madina, Taouyah) où harcèlements et vols à la tire sont fréquents ».

Pour le harcèlement, je ne sais pas. Mais pour les vols, j’ajouterai aussi dans les taxis et les…mosquées! Le taxi c’est pour moi, la mosquée pour vous, Président !

Le 4 octobre passé je circulais dans un taxi surchauffé en haute banlieue de Conakry. A la faveur d’un bouchon au niveau du quartier d’ENCO5 (à l’endroit même où, le 19 janvier 2005, votre prédécesseur, le Général Lansana Conté avait échappé à un “attentat” mené par un “commando” amateur), un voleur à la tire m’a arraché, par la portière, mon inséparable (?) Smartphone sur lequel je me rinçais l’œil depuis avril! Il s’est éclipsé dans les dédales obscurs du coin, sans aucune possibilité pour moi de le rattraper. Adieu  Samsung Galaxy!

Pour vous, c’est arrivé à l’occasion de la prière inaugurale de la mosquée de Tafory à Kindia le 11 mars dernier, n’est-ce pas? J’ignore si le vôtre était un Smartphone ou un « deux-puces » acheté à Madina, comme de mauvaises langues le supputaient…Si j’ai été impressionné par la promptitude de mon voleur, la ruse et surtout l’audace employées par le vôtre pour vous piquer votre téléphone entre tous les services de sécurité m’avaient atomisé ! Avant de revenir à nos moutons, je voudrais savoir : l’avez-vous retrouvé, le téléphone ? J’avais lu quelque part qu’un ultimatum avait été lancé au pickpocket pour qu’il le ramène, faute de quoi il allait subir un mauvais sort. Dans mon cas, il court toujours. Si le coup du mauvais sort a fonctionné chez vous, veuillez penser à moi, Monsieur le Président.

Transports : On annonce que l’infrastructure routière est en « nette amélioration ».  Mais que « Le 4×4 est indispensable pour circuler dans le pays (prévoir deux roues de secours) ». Que faire en cas d’accident ? «… La prudence invite à quitter le lieu du sinistre sans sortir de son véhicule pour éviter toute réaction agressive éventuelle de la population ». Celui qui a écrit ça devait avoir vidé deux casiers de Skol (bière locale), coup sur coup. S’asseyant sur notre moralité, il poursuit : « Disposer toujours d’au moins 50 000 FG sur soi pour proposer une compensation à l’accidenté, même s’il est responsable » ! Celle-là, par contre, me fait le même effet que le message : « Il est mort, Jim ! » que me renvoie Google Chrome quand il se plante. Horripilant !

Santé et Hygiène : pour éviter la diarrhée, « Il est conseillé de ne pas boire l’eau du robinet: préférez les eaux en bouteilles capsulées ». J’ai envie de demander : que faire de notre « Château d’eau » ? Les expats sont invités à « Evite [r] l’ingestion de glaçons, de jus de fruits frais, de légumes crus et de fruits non pelés ». En réalité de ne pas se rendre à Kindia quoi, notre ville des agrumes.

Monsieur le Président, y en a encore et encore. Je vous invite à y jeter un coup d’œil. Si certains de ces conseils apparaissent totalement farfelus, il faut reconnaitre que la plupart collent à la réalité. La triste réalité. Comme on dit chez nous, la vérité rougit les yeux mais ne les crève pas. Le contenu de cette application est à lui seul un programme de développement pour la Guinée. J’aurais aimé que vous le fassiez réécrire par ses auteurs en résolvant les tares citées. Mais j’avoue que l’orientation de votre politique de développement depuis votre accession au pouvoir en décembre 2010 manque de lisibilité pour moi. Mais ça, c’est une autre paire de manches…

En vous souhaitant bonne année 2012 par anticipation, veuillez recevoir, Monsieur le Président, les salutations d’un citoyen soucieux de l’image de son pays.