• Education
  • Vie rurale
  • Vie urbaine
  • À propos
    Ma guinée plurielle
      Article : Guinée, un an d’Ebola : la cata !
      Santé
      4
      31 décembre 2014

      Guinée, un an d’Ebola : la cata !

      Centre de traitement Ebola à Donka - crédit photo: Alimou Sow
      Centre de traitement Ebola à Donka – crédit photo: Alimou Sow

      A l’heure des bilans et des rétrospective des faits marquants de l’année écoulée, je voudrais revenir sur l’évènement qui m’a le plus sonné au cours des 12 derniers mois. Il s’agit, sans suspense, de la tragédie Ebola.

      2014 aura été l’année la plus désastreuse dans l’histoire de la Guinée indépendante. C’est un peu notre année zéro. Personne, ici, ne risque de regretter ce millésime durant lequel un malheur nommé Ebola s’est abattu sur le pays, faisant de ses habitants, du jour au lendemain, d’indésirables pestiférés dans les quatre coins du globe.

      Tout est parti du sud du pays. En début d’année, la presse locale rapporte des cas de décès attribués à « une maladie mystérieuse » en Guinée forestière, notamment à Guéckédou et à Macenta. Cela dure environ deux mois (janvier et février). Le 21 mars, les autorités annoncent que la « maladie mystérieuse » en question n’est autre que la fièvre hémorragique à virus Ebola. Stupeur. Puis interrogations. Qu’est-ce qu’Ebola ? Quels sont ses modes des transmission ? Peut-on en guérir ? Comment la maladie est-elle arrivée en Guinée ? Face à l’absence ou au retard des réponses à ces questions, que chacun se posait dans son for intérieur, les populations ont fini par tomber dans le déni.

      Des rumeurs, relayées par téléphone arabe, ont commencé à courir niant l’existence d’Ebola en Guinée. Certains analystes de bar-cafés de Conakry ont vite fait d’attribuer l’origine de la rumeur au pouvoir en place pour des « fins politiques » selon eux. Vérités et contrevérités se mêlent et s’entrechoquent. De la cacophonie, commence à naitre le doute. Tergiversations jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Quelle attitude faut-il adopter ? On nage dans le flou total.

      Médecins Sans Frontières (MSF) est la première organisation à sonner le tocsin. Elle déclare que la maladie est très dangereuse et que si rien n’est fait, elle pourrait se propager et causer d’énormes dégâts. Une sorte de prémonition, puisque c’est ce qui est arrivé finalement après que le Libéria et la Sierra Léone aient déclaré des cas. Panique générale. La presse étrangère se mêle dans la danse et réoriente ses projecteurs sur les trois pays « ébolatés » après la guerre de Gaza. Le 13 aout, l’état d’urgence sanitaire est décrété après moult hésitations.

      La Guinée devient ostracisée. Les expatriés plient bagages, laissant derrière eux des hôtels déserts. Les Etats voisins, pris de frilosité, ferment leurs frontières en cascade. L’isolement culmine quand l’Arabie Saoudite déclare les pèlerins guinéens indésirables pour le Hadj 2014. C’est l’apocalypse chez les candidats au départ. Jamais cela n’était arrivé en Guinée, pays à nette dominance musulmane. Même avant la naissance de l’aviation, nos fidèles musulmans avaient accompli ce pilier de l’islam en se rendant aux Lieux Saints de l’Islam à pieds ou à dos de cheval…

      Les réticences d’admettre la maladie et l’hostilité contre les personnels soignants se multiplient à la vitesse de propagation de l’épidémie qui touche désormais l’ensemble des quatre régions naturelles du pays. Un pas est franchi mi-septembre avec le massacre d’une équipe de huit personnes parties sensibiliser à Womey, un village de N’Zérékoré perdu dans la forêt. L’indignation et la honte dépassent les frontières guinéennes.

      Fin septembre, les fêtes de l’indépendance prévues à Mamou, le 2 octobre, sont reportées sans surprise au mois de décembre. La rentrée scolaire et universitaire, elle, est renvoyée sine die. Ebola fait comprendre qu’elle ne joue pas. Ce que confirment les économistes de la Banque mondiale qui annoncent une baisse  de 2,1% du PIB de la Guinée en 2014.

      Sur le plan humain, l’épidémie continue à faire des ravages : 1.697 décès sur 2.695 cas au 29 décembre 2014, selon l’Organisation mondiale de la santé ! Et l’on continue à égrainer les macabres statistiques.

      Mais satané Ebola n’a pas que refroidi les relations avec nos voisins, détruit l’économie et surtout enlevé de précieuses vies humaines. La maladie nous oblige également à modifier nos comportements, les plus naturels : serrer la main du voisin, accueillir et prendre soin d’un proche malade, laver et enterrer nos morts selon nos traditions et religion.

      Personnellement, Ebola a rendu dingue l’hypocondriaque qui m’habite. Un mal de tête passager, la moindre fièvre, un léger gargouillement ventral me font systématiquement penser à Ebola, sans raison. Impossible de tomber normalement malade à cause de ce maudit virus.

      Pourtant, nous vivions presque harmonieusement avec notre cher paludisme, notre fidèle fièvre typhoïde et nos inséparables dysenteries amibiennes.  Ebola est venu casser tous ces liens d’affection séculaires. En 2014, il nous a même privés du choléra saisonnier de l’hivernage à Conakry. Avant, nous amenions ces maladies dans nos centres de santé pour les tuer. Maintenant, elles nous tuent à la maison de peur d’aller choper Ebola dans les hôpitaux délabrés. Voyez combien ce virus est sadique…

      Ebola nous a également prouvé nos carences en matière d’organisation et d’équipement. On pensait pouvoir venir à bout de l’épidémie en six mois. Un an plus tard, on ne voit toujours pas le bout du tunnel ; et sans l’aide de la communauté internationale, les ravages auraient été sans doute plus catastrophiques.

      2015 est une année pleine d’espoir pour nous donc même si l’horizon est loin d’être dégagé: rentrée scolaire et universitaire incertaine, menace de grève générale des syndicats, meeting à hauts risques de l’opposition, élections locales et présidentielle, en principe, et bien sûr la cata Ebola et son cortège de dégâts. Dieu sauve nous !

      Lire la suite
      Article : La Case de l’oncle … Touré*
      Portrait
      9
      19 décembre 2014

      La Case de l’oncle … Touré*

      Case de naissance de Sékou Touré, à Sidakoro - crédit photo: Alimou Sow
      Case de naissance de Sékou Touré, à Sidakoro – crédit photo: Alimou Sow

      Question pour un champion : où se trouve la tombe de Sékou Touré ? Trente ans après la disparition de l’ancien président guinéen, ses compatriotes ne savent toujours pas avec certitude où il est enterré. Nos historiens contemporains n’ont jamais réussi à se mettre d’accord pour nous prouver de façon irréfutable que la dépouille mortelle du président Touré repose bien au cimetière de Camayenne, à Conakry, comme le prétend la version officielle.

      Le 26 mars 1984, le premier président de la Guinée indépendante, Ahmed Sékou Touré (AST), meurt d’une crise cardiaque dans une clinique de la ville de Cleveland, aux Etats-Unis. Le 28 mars, ce qui est présenté comme son « corps » est rapatrié à Conakry pour des funérailles grandioses, mobilisant des dizaines de chefs d’Etat et de gouvernement venus du monde entier pour assister à l’inhumation le 30 mars.

      A peine les délégations réparties qu’une folle rumeur s’empare du pays. Ce ne serait pas la dépouille mortelle du président Sékou Touré qui a été enterrée à Conakry ! Les tenants de cette version s’appuient sur plusieurs hypothèses, des plus crédibles (AST serait enterré à  Médine, en Arabie) aux plus farfelues (les médecins américains l’auraient décapité pour étudier son crâne…).

      Dans le troisième tome du hors-série de Jeune Afrique, « Dossiers secrets de l’Afrique contemporaine », publié en 1991, l’historien guinéen, Ibrahima Baba Kaké, conclut l’enquête qu’il consacre à cette mystérieuse affaire par la phrase suivante : « Espérons qu’un gouvernement prendra un jour la décision courageuse d’ouvrir le cercueil de la Camayenne pour résoudre définitivement l’énigme que nous a léguée le grand Syli ».

      Aucun gouvernement n’a encore eu ce courage et le « grand Syli » reste endormi probablement dans son sarcophage. Y songe-t-on d’ailleurs ?

      Bref, les Guinéens ignorent où est enterré leur premier président. Mais pas où est né celui-ci.  

      Sur la page Wikipédia consacrée au très controversé Sékou Touré, il est mentionné qu’il est né dans la préfecture de Faranah, sans plus de détails. A la faveur d’une récente virée dans cette localité, j’ai pu  mettre pied à l’intérieur de la case de naissance de l’ancien Responsable suprême de la Révolution, au village de Sidakoro.

      Pour arriver à Sidakoro, il est préférable de se lever de bon matin. A l’est de la ville de Faranah,  au centre de la Guinée, une piste poussiéreuse s’enfonce dans la savane qui devient forêt au fur et à mesure que l’on s’avance. Le paysage est agréable, quoique brumeux en cette fin d’année. De gros baobabs chauves dominent la végétation et servent des repères aux voyageurs étrangers. Des rizières de mi-décembre jaunissent la campagne aux mille senteurs. Les vaches paissent tranquillement au milieu des champs. Nous sommes dans la vallée du Djoliba (Niger).

      Au bout d’une heure et trente minutes en 4×4 pour parcourir la cinquantaine de kilomètres, surgit Sidakoro. Le village, qui ne paie pas de mine, se dresse à la lisière de l’immense Parc du Haut-Niger (1,2 million d’hectares) abritant diverses espèces animales et végétales. Des jeunes garçons vêtus de haillons et couverts de poussière accourent pour intercepter notre cortège de véhicules. Quelques vieilles personnes à la démarche soutenue par une canne nous souhaitent la bienvenue. Un vieil homme s’avance et tend l’index vers une case qui attire l’attention : « C’est la maison de Sékou » annonce-t-il, laissant découvrir des dents jaunies par la noix de cola.

      La maison en question est une case dans la case ! (voir photo). Une construction en ciment surmontée d’un toit conique de tôle ondulée protège un muret en banco d’environ deux mètres de hauteur. Le mur circulaire est ouvert de deux portes opposées. A l’intérieur, on distingue un rebord qui devait servir de lit en terre. C’est en ce lieu rustique qu’est né Sékou Touré, premier président de Guinée, le lundi 9 janvier 1922. Son portrait est accroché à l’entrée, à droite, aux côtés de celui de Sékouba Konaté, ancien président de la transition (2009-2010), auteur de la construction de protection de la case en ruine.

      Le vieil homme improvisé guide demande à chaque visiteur de faire des invocations à l’intérieur de la case. Il est le seul à se déchausser avant d’y pénétrer avec déférence.

      Un majestueux baobab (Sida en langue locale malinké) se dresse devant la maison de naissance. Il est à l’origine du nom du village Sidakoro qui signifie littéralement « sous le baobab ». Les sages de Sidakoro, intarissables d’anecdotes, racontent à qui veut les entendre qu’à sa naissance, le bébé Sékou a été lavé non pas à l’eau de canari, mais à celle puisée dans le creux du baobab d’en face. Pas de creux visible sur le tronc de l’arbre, mais on veut bien les croire sur parole…

      Ce que l’on sait avec certitude c’est que Sékou Touré est l’aîné des trois fils d’Alpha Touré, boucher à Sidakoro. Il est également descendant de Samory Touré par la lignée de sa mère, Aminata Fadiga, fille de Bagbè Ramata Touré elle-même fille du grand Almamy Samory Touré (1830-1900).

      L’enfance de Sékou Touré à Faranah et à Kissidougou est caractérisée par des défis envers l’autorité, y compris pendant ses études. Devenu syndicaliste, puis président de la République à l’indépendance du pays, en 1958, Sékou Touré, « le père de l’indépendance », se mue peu à peu en un redoutable dictateur et fait périr des milliers de Guinéens, notamment dans le tristement célèbre Camp Boiro de Conakry (rebaptisé camp Camayenne).

      Devant sa case de naissance, dans le paisible village de Sidakoro, on imagine mal comment le fils prodige de la contrée a pu devenir un président si impitoyable et à la fin si énigmatique.

      Arrière-petit fils du sanguinaire Samory Touré et fils de boucher, n’était-il pas naïf de s’attendre à ce que Sékou Touré soit un enfant de chœur ?  

      * parodie du titre « la Case de l’oncle Tom »,  roman de l’écrivaine américaine Harriet Beecher Stowe. 

      Lire la suite
      Article : Conakry-Boké : les écueils d’un voyage de deuil
      Voyage
      7
      29 novembre 2014

      Conakry-Boké : les écueils d’un voyage de deuil

      Pont de Tanéné - Crédit photo: Alimou Sow
      Pont de Tanéné – Crédit photo: Alimou Sow

      J’ai de la famille, en deuil, du côté de Boké. Au siècle dernier, un arrière-grand-père maternel qui en avait marre de vivre de l’agriculture sur brûlis et d’un rudimentaire élevage domestique, dévala les montagnes de son Télimélé occidental pour s’essayer au petit commerce de noix de colas sur les terres de la Basse-Guinée. Les pérégrinations du vieux Sinny l’amenèrent à Boké où il déposa son baluchon au lieu-dit Kolia Sanamato, à une soixantaine de km du centre-ville, sur la Nationale Boffa-Boké. Il y fonda une grande famille. Un descendant de cet aïeul, un cousin, vient de mourir m’obligeant à effectuer le déplacement depuis Conakry pour présenter les condoléances.

      Une semaine entière je tente de savoir, discrètement, de quoi est mort mon cousin. Satané Ebola n’est pas que mortel, il souille également l’intimité des morts. Bref, je finis par me rassurer sur la cause de son décès. Paré au voyage.

      J’ai beau chasser l’idée superstitieuse de mon esprit cartésien – de plus en plus poreux -, elle persiste. En Guinée, il se raconte qu’un voyage de présentation de condoléances est périlleux, puisque comportant de graves risques d’accidents de circulation. Ou au mieux, à de nombreuses tracasseries sur la route. Aucune explication rationnelle, mais les sinistres exemples sont légion.

      Durant mes cinq années d’études universitaires à Labé, j’ai pu compter, sur la route de Conakry, des dizaines d’accidents graves impliquant des personnes en voyage de présentation de condoléances ou qui transportaient une dépouille mortelle. Je l’ai moi-même échappé belle en septembre 2013 de retour de cette même ville où je m’étais rendu avec des amis pour saluer la mère de mon regretté ami, Boubacar Diallo. Un dérapage nous avait violemment projetés dans le décor. Plus de peur que de mal, mais ma malheureuse Peugeot 306 ne s’en est jamais remise m’obligeant à m’en débarrasser.

      Je refuse évidemment de croire à cette superstition mettant tous ces accidents sur le dos du mauvais état des véhicules et des routes, ainsi que sur la conduite plus que suicidaire des chauffeurs.

      Pour le présent voyage, trois éléments jouent en ma faveur : ma voiture est en parfait état (ce qui ne m’empêche pas de faire un checkup la veille), je serai au volant (bien que novice sur les longues distances) et surtout j’emprunterai la meilleure route actuellement en Guinée : la Route Nationale N°3 (RN3).

      Cap sur Boké, à quelque 300 km au nord-ouest de Conakry, en compagnie de trois proches.

      Je m’extirpe du capharnaüm de la capitale à grand renfort de klaxons et de furieux coups de volant. Contrairement à ce safari de mars 2013 sur Koba, sur la même route, j’ai le regard rivé sur la bande d’asphalte qui serpente à travers la végétation. Je ne puis profiter de toute la splendeur de la nature de la Basse-Guinée en ce mois de novembre finissant.

      Tout baigne jusqu’à l’entrée de la localité de Tanéné, près de Boffa, où la fameuse superstition me flanque un premier frisson. A Tanéné, quatre ponts métalliques successifs, hauts d’une quinzaine de mètres, enjambent le fleuve Konkouré en forme de nœud à ce niveau. Les ouvrages datent des années 1960 à la faveur de la construction de la première usine d’alumine en Afrique dans la ville de Fria, aujourd’hui à l’agonie à cause de l’arrêt de l’unité industrielle.

      Quelques jours plus tôt, un poids lourd fou chargé de fer à béton et de ciment s’est fracassé sur le premier pont ébranlant dangereusement sa structure. Le conducteur du camion-remorque aurait été coupé en deux par la violence de l’impact qui a réduit sa cabine en une bouillie de métal. A l’aide d’énormes barres de fer, des ouvriers s’échinent à remettre le pont en état. Aucun camion ne passe. Un énorme bouchon s’est formé en travers et de part et d’autre des trois autres ponts. Des vendeuses de Mâalé Gâteau sillonnent la file de véhicules usant leurs cordes vocales pour écouler leurs beignets.

      L’arrêt forcé me permet de faire un terrible constat : les messages de prévention et de sensibilisation contre Ebola s’arrêtent aux portes de Conakry ! Ici, on se mêle et s’entremêle dans des étreintes insouciantes, aux antipodes des mesures préventives ressassées à travers les médias dans la capitale. Femmes et enfants, jeunes et vieux sont entassés avec des poules et autres ballots dans des cadavres de minibus qui ahanent sur les pistes rurales. Pourtant Boffa a connu Ebola ! Devant un tel spectacle, mon tube de gel antibactérien parait bien dérisoire…

      Après une heure et demie d’embouteillage, nous réussissons à traverser. La route est de plus en plus rectiligne. Je me permets même un 120km/h au compteur avant que, tel un radar, l’image d’une carcasse de véhicule quatre roues en l’air sur le bas-côté de la chaussée ne vienne me rappeler à l’ordre.

      Quelques kilomètres après Boffa, un panneau indique, à gauche, la direction de la magnifique plage de Bel-air. Au beau milieu de l’embranchement, le cadavre d’une biche balance en l’air sur un piquet. Elle est à vendre. Un de mes compagnons, l’eau dans la bouche, veut l’acheter contre vents et marées. J’oppose un refus catégorique. Tout le monde dans la voiture m’en veut et dément l’explication selon laquelle la viande de brousse pourrait véhiculer le virus Ebola. A court d’argument sur ce point précis, je fais observer que de toutes les façons j’entends respecter la mesure interdisant la vente, l’achat et la consommation de viande de brousse. On maugrée que je suis compliqué, que je me prends pour un Blanc. J’encaisse, mais pas de gibier dans ma bagnole. On passe.

      Sur le chemin de retour après la furtive présentation des condoléances, plus de biche au carrefour. Un voyageur l’a emportée. Je pousse un discret ouf de soulagement.

      A Tanéné, le bouchon s’est allongé sur près de 6 kilomètres. Une véritable opération escargot a lieu sur les ponts métalliques alors que le soleil décline à l’horizon. Des voyageurs harassés pestent sans succès.  « C’est quoi ce bordel ? Comment peut-on laisser perdurer une situation si désastreuse depuis près d’une semaine ? » lance une femme visiblement hors d’elle.

      Les vendeurs à la criée et les conducteurs de taxis-motos, qui font le relais, profitent pleinement du marché improvisé qui s’est créé. Nous faisons la queue pendant trois heures d’horloge. Un chauffard nerveux vient heurter mon pare-chocs de plein fouet, y imprimant une horrible éraflure. Brusque montée d’adrénaline. J’enrage. Il s’excuse platement. On parvient à me calmer au bout de quelques minutes.

      La nuit est déjà tombée depuis deux heures. La conduite devient de plus en plus dangereuse sur la route de la capitale avec les camions qui roulent à tombeau ouvert aux virages en épingle. Concentration maximale en dépit du petit énervement de tout à l’heure. Sans incident majeur, nous atteignons Conakry aux routes cahoteuses.

      Sur les hauteurs du quartier de la Cimenterie, un embouteillage pire que celui de Tanéné s’est formé. Des conducteurs indisciplinés sont sortis de la file pour aller s’agglutiner sur une colline bloquant tout passage. On inhale des volutes de poussières mélangées aux gaz des pots d’échappement des heures durant avant qu’une âme charitable ne nous montre une échappatoire inespérée.

      Je rentre à la maison en un morceau, certes, mais encore plus hanté par la fameuse croyance sur les voyages de condoléances.

      Repose en paix cousin.

      Lire la suite
      Article : Conakry, manger une pizza par temps d’Ebola
      Santé
      8
      26 septembre 2014

      Conakry, manger une pizza par temps d’Ebola

      Pizza - crédit photo: CSMB
      Pizza – crédit photo: CSMB

      Conakry, samedi après-midi. Accoudé à la balustrade d’un balcon, je contemple et écoute les pulsions de la ville, vaste puzzle aux pièces violemment disloquées. Loin là-bas, dans le ciel pourpre de Kaloum, le soleil, d’un pas hésitant, s’en va se coucher dans une mare de métal fondu. L’ombre des cocotiers qui bordent la côte s’étire et ondoie sous l’effet de la brise marine chargée d’odeur saline. Peu à peu, un voile noir recouvre les quartiers de la capitale qui retrouvent progressivement un calme inquiétant. Le ciel gronde, un chien aboie au loin, le klaxon tympanisant du train minéralier retentit. Pourtant, c’est décidé, ce soir j’irai manger une pizza.

      Ce n’est pas tant le goût tropicalisé de cette spécialité d’origine italienne qui me manque, mais l’envie de mettre le nez dehors et rompre avec ce quotidien de plus en plus monotone se résumant en auto-boulot-dodo. C’est aussi l’occasion de briser les chaînes de ce confinement physique et mental que la tragédie Ebola nous a imposé depuis six mois, à notre corps défendant.

      Justement, sur le front Ebola, les nouvelles ne sont pas bonnes. Les statistiques grimpent. L’épidémie se répand, les foyers se multiplient à travers le pays. La fièvre monte gravement. Au Sud, l’obscurantisme a pris le dessus par endroits. A N’Zérékoré, un village jusque-là inconnu du grand public, Womey, est tristement entré dans l’Histoire. Huit membres d’une équipe de sensibilisation y ont payé de leur vie l’ignorance et la bêtise humaines. Mon indignation est sans nom.

      Vu de l’intérieur, le pays est comme ostracisé. Le vrombissement des avions dans le ciel de Conakry a considérablement diminué. Les étrangers ont fait leurs bagages, désertant les zones minières, les hôtels, les restos et … la bande passante sur Internet ! Depuis quelque temps, la connexion est devenue étonnamment fluide. Les téléchargements sont lénifiants.

      Vu de l’extérieur, sous le prisme des médias – nouveaux et anciens – toute la Guinée n’est qu’un océan d’Ebola. Beaucoup se sont barricadés de peur d’être contaminés. L’amitié, la solidarité et la convivialité ont laissé place à la suspicion et à la stigmatisation. Ebola va certainement faire son entrée dans les cursus de formation en relations internationales. L’épidémie a ouvert un nouveau chapitre pour cette discipline.

      Pourtant, nous vivons. Le cœur de Conakry palpite. Toujours le même chaos sur les deux principaux axes routiers : les mêmes taxis jaunes indélicats, les mêmes cadavres de Magbana chargés à ras bord, le même joli vacarme qui rythme la vie des habitants de ma capitale avec les klaxons qu’on pousse à fond, les invectives, les aboiements des Coxeurs qui arrondissent leur fin de journée par de petits larcins sur les passagers. Les marchés sont bondés, les cafés animés. Les rumeurs et les ragots, l’essence même des Conakrykas, vont bon train.

      Mais les habitudes se bouleversent. Dans les milieux intellectuels, on se serre de moins en moins la main privilégiant les salutations à distance. Le chlore, le savon, l’eau de javel et le gel antibactérien sont devenus des compagnons de tous les jours. A chaque endroit public son seau de solution chlorée. Jamais les Guinéens ne s’étaient autant lavé les mains. Résultat : Ebola a chassé le choléra. Pour l’instant.

      Dans les hôpitaux, la méfiance et la peur se sont installées. La résignation aussi, car tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.

      Quand, de passage au marché de Matoto, je vois chaque jour ces femmes pataugeant dans la fange, plus préoccupées à vendre leurs fruits et légumes pour nourrir leur famille qu’à l’application d’une quelconque mesure d’hygiène, ma conviction selon laquelle c’est « Dieu qui protège » se raffermit.  S’assoir sur un tas d’immondices et tremper ses doigts dans une solution chlorée pour manger des boulettes de poisson infectes est une scène ubuesque que j’observe presque tous les jours. Une scène de théâtre délirante jouée en temps réel.

      De toute façon, avec ça, on ne pouvait pas y échapper: c’était soit Ebola ou choléra. Dieu qu’on aurait préféré ce dernier si seulement on avait eu le choix …

      Je décide donc d’aller manger une pizza, en compagnie de madame et de quelques amis que j’ai réussi à embarquer dans mon bateau. Direction, un petit restaurant de la haute banlieue. Le voile noir qui recouvre la ville est de plus en plus épais. Le resto, alimenté par un groupe électrogène, apparaît comme un îlot de lumière au milieu de l’océan d’obscurité.

      L’endroit, fleuri, semble propret et même coquet. A l’entrée, trône le fameux seau d’eau chlorée. Lavage de mains obligatoire supervisé par un vigile baraqué. Sur des chaises en plastique, dans la pénombre des néons installés sur une terrasse, de jeunes couples murmurent au-dessus d’un poulet aux frites. Etonnamment, il y a du monde. Joyeux. En fond sonore, discrètement, des haut-parleurs distillent du zouk antillais et des airs locaux. On s’installe autour d’une longue table.

      J’esquive la carte que me tend le serveur ayant une idée préméditée de ce que je suis venu manger. Au bout de quelques minutes d’attente, notre table se remplit: assiette de charwarma, poulet aux frites, brochettes de viande, brochettes de lotte … et bien sûr ma pizza ronde. Une napolitaine réadaptée, délicatement posée sur une rondelle de bois emmanchée. Classe ! Je la dévore avec boulimie, me pourléchant même les doigts trempés de la petite sauce épicée qui l’accompagne.

      A côté, les cuisses de poulet sont désossées dans un macabre cliquetis de fourchettes et de couteaux. On se taille une bavette. J’évite soigneusement le sujet Ebola. On s’envoie une tonne de vannes sur des thèmes moins déprimants. Les filles rigolent aux larmes.

      Deux heures après que la pizza se soit reposée dans mon estomac, un crachin vient nous rappeler que nous sommes en saison de pluies. Avant la séparation, les filles tiennent à respecter la tradition des sorties : les mecs se partagent la douloureuse pendant qu’elles sortent les smartphones et se tapent des selfies à qui mieux mieux. Le résultat ce sera demain, sur Facebook. Bonne nuit et bonne digestion.

      Lire la suite
      Article : La Guinée ou le supplice de Tantale
      Politique
      14
      7 septembre 2014

      La Guinée ou le supplice de Tantale

      Supplice de Tantale - catimini
      Supplice de Tantale – catimini

      Tard dans la nuit quand nous veillions et que je me blottissais contre elle, glacé par les hululements du hibou perché dans les branchages du bois qui jouxtait notre village de montagne, feu ma mère me disait souvent : « Alimou, Dieu n’a pas dit que le maudit n’aura pas son basin, mais il ne le portera point ». Je mis du temps, beaucoup de temps à percer le sens de cette citation qui me paraissait à la fois énigmatique et si absurde.

      « Comment pourrait-on avoir un joli basin et ne pas pouvoir le porter, surtout pendant les jours de fête ?», était la question qui hantait mon esprit enfantin sans que ne je n’eusse le courage de la lui poser de peur de la contrarier ou de paraître idiot à ses yeux et de compromettre ainsi notre complicité cimentée par la haute estime qu’elle avait de moi.

      Ce n’est que bien plus tard, quand mon esprit a commencé à se raffermir au contact des premières sourates du Saint Coran et que les leçons de géographie basiques de M. Diallo, notre maître d’école, balayèrent ma conviction selon laquelle les limites de la Terre s’arrêtaient à Sogoroyah – le plus lointain endroit que je connaissais à l’époque -, eh bien c’est à peu près à ce moment-là que je compris tout le sens de la parole proverbiale de ma mère. « Dieu n’a pas dit que le maudit n’aura pas son basin, mais il ne le portera point ».

      En personnifiant, je trouve que le pays que j’habite pourrait être ce « maudit » du dicton. Il est indéniable que la Guinée est une jolie femme à laquelle Dieu a donné un basin si riche que chaque millimètre carré de son tissu aurait été capable de faire baver d’envie Crésus en son temps. Des parures de toutes sortes qui sommeillent encore dans les tiroirs du Temps en attendant de trouver la bonne combinaison pour les ouvrir.

      Les plus éloquents ont puisé dans les tréfonds de la métaphore pour affubler de la Guinée les qualificatifs les plus flamboyants : « Rivières du Sud », « Scandale géologique », « Château d’eau de l’Afrique », « l’Afrique en miniature », etc. Des titres ronflants dont on se gargarise depuis plus de 50 ans et qui laissent un gout métallique dans nos grandes gueules affamées, aphteuses et baveuses.

      La réalité crève les yeux : la Guinée est tout simplement un scandale. Ni géologique, ni humain. Mais un scandale tout simple, au sens premier du terme.

      Nous, habitants de ce pays dit « béni des dieux » sommes à l’image de Tantale, ce personnage cannibale de la mythologie grecque puni à souffrir un triple supplice. Placé au milieu d’un fleuve, Tantale, malgré sa soif lancinante, ne peut boire son eau qui lui arrive pourtant jusqu’au menton. A chaque fois qu’il baisse la tête pour prendre une gorgée, le niveau de l’eau baisse. Affamé, des arbres aux fruits murs l’entourent. Dès qu’il étend son bras pour en cueillir un, le vent qui souffle et qui lui rapproche les branches s’arrête. Le comble est qu’un énorme rocher tenu en équilibre au-dessus de sa tête menace de se détacher et l’écraser à tout moment.

      Transposons ce mythe dans notre réalité quotidienne de Guinéens et constatons l’effroyable similitude des faits.

      Le bassin fluvial guinéen constitué d’une centaine de cours d’eau mis de côté, des spécialistes affirment que l’unique nappe phréatique située dans l’agglomération de Conakry suffirait à alimenter une bonne moitié du pays en eau potable.

      Pourtant certains habitants de la capitale, de moins de trois millions d’âmes selon les statistiques officielles, n’ont jamais accompli chez eux le simple geste de tourner un robinet pour faire couler de l’eau potable.

      Pourtant, la nuit, j’ai souvent peur qu’un avion n’atterrisse dans mon quartier prenant les lampes chinoises des vendeuses d’Attiéké dans la rue pour les balises de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Gbéssia.

      Pourtant, dans l’épave de taxi-brousse qui s’y rend de façon hebdomadaire, il me faut 12 heures d’horloge pour rallier mon village situé à moins de 300 km de la capitale.

      Depuis toujours, je vois le train minéralier transporter de la terre rouge au port de Conakry, pourtant je continue à boire la bouillie de maïs du mois de ramadan avec des louches en plastique. Le sandwich que j’achète chez l’épicier du coin est emballé dans du papier-ciment. Visiblement l’aluminium issu de notre bauxite, lui, sert à protéger les cigarettes qui défoncent les poumons de mes compatriotes fumeurs.

      Je pourrais multiplier les « Pourtant » à l’infini, mais ce serait enfoncer une porte ouverte et tomber dans la tautologie. Le diagnostic des maux qui minent la Guinée est fait, reste le remède miracle pour soigner la patiente. Hélas, le plus souvent c’est un cautère qu’on pose sur une jambe de bois.

       « Travail, Justice, Solidarité », trois mots nobles qui ornent les en-têtes des papiers officiels et qui constituent notre devise nationale. Trois mots devenus des coquilles vides dans la vacuité desquels raisonne notre hypocrisie collective. Notre fierté exaltée à grand renfort de démagogie et de mensonge a viré au chauvinisme chez certains. Un terrible virus est venu balayer tout ça et nous prouver notre fragilité.

      Le terrible rocher qui plane sur la tête des Tantales que nous sommes se résume en trois termes : la politique, la division et le repli identitaire. Le fil qui retient ce rocher s’effrite dangereusement, à l’approche de chaque échéance électorale.

      Je laisse le soin aux sociologues, politiques et autres spécialistes d’étudier la cause de notre déliquescence. Et peut-être à en proposer des solutions. Je me borne à constater que le minimum de services me manque : l’eau, l’électricité, le transport, l’éducation de qualité, l’hygiène et la santé.

      Je m’en fous du nom de famille de celui ou celle qui peut me les apporter. Je me contrefiche de savoir comment il ou elle va procéder pour me les apporter. Je les veux juste.  Puisque j’en ai le droit. Puisque je suis Guinéen et que la terre qui m’a vu naître me les a généreusement offerts.

      Bref, je veux porter mon basin, je veux me délivrer du supplice de Tantale !

      Lire la suite
      Article : A Télimélé, le virus Ebola s’est cassé la gueule : voici pourquoi
      Santé
      5
      20 juillet 2014

      A Télimélé, le virus Ebola s’est cassé la gueule : voici pourquoi

      sogoroyah
      Falaises de Sogoroyah

      Disons-le d’emblée : à Télimélé, chez moi, Ebola a trouvé garçons ! Le redoutable virus s’y est heurté contre une résistance inattendue, héroïque et même historique. Les professionnels de santé en sont encore tout baba !

      Les autorités sanitaires ne l’ont pas encore officiellement annoncé, mais l’épidémie d’Ebola a été très vraisemblablement vaincue à Télimélé. Avec brio. Depuis plus de 21 jours (période d’incubation de la maladie), les rapports de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) répètent la même phrase concernant la préfecture : « Aucun nouveau cas, zéro malade, zéro décès, il n’y plus de contact à suivre ». Du coup, le centre de traitement d’Ebola de Sogoroyah situé à 15 km du centre-ville a été fermé. Bien que la vigilance reste de mise, l’agitation du mois de juin nourrie par les rumeurs les plus folles s’est estompée. La tempête est passée.

      Fin mai, l’épidémie d’Ebola qui sévissait jusqu’ici à Conakry et surtout en région forestière, a été déclarée à Télimélé créant ainsi un nouveau foyer de la maladie et semant la psychose. Je suis l’une des premières victimes collatérales. Mon mariage civil prévu pour se tenir le 15 juin à Télimélé-ville est reporté, plusieurs invités saisis de panique, ayant décliné poliment mais fermement l’invitation.

      Si l’organisation de la riposte contre la maladie au plan local a été unanimement saluée, c’est surtout le taux de guérison des personnes infectées par le virus  qui intrigue. Celui-ci est sans précédent à en croire les spécialistes.

      Sur 23 malades admis au centre de traitement, 16 en sont sortis complètement guéris ; soit un taux de létalité de seulement 30 %, contre 65 % en moyenne à l’échelle nationale ! Sur la totalité des cas confirmés de la préfecture (26), la fièvre n’a tué que 10 personnes, les trois autres décès étant intervenus avant l’installation du Centre de traitement de Médecins sans frontières, donc pas pris en charge. Une centaine de contacts avaient été identifiés et suivis, seule une infime partie a développé la maladie.

      C’est du jamais vu !  À titre de comparaison, la préfecture de Guéckédou, épicentre de la maladie en Guinée, a enregistré au 12 juillet 2014 : 168 cas dont 135 décès, soit un taux de létalité de 80 %. Dans les autres localités affectées par l’épidémie, le taux de létalité dépasse les 50 % (sauf à Conakry où il était de 44 % à la même date).

      La question est simple. Pourquoi un taux de guérison si élevé à Télimélé ?

      La réponse ne tient pas en une ligne. Dans un article publié le 10 juillet sur le site de la Fondation Reuters, des chercheurs interrogés avancent plusieurs hypothèses :

      • Culturellement, certains spécialistes pensent que la gestion des dépouilles mortelles est différente entre Télimélé, en Basse Guinée, et  la  Guinée forestière. Le contact avec les défunts est rare en Basse Guinée, pays musulman. Ce qui, selon cette théorie, limiterait la quantité de virus inoculé dans le corps des contacts ;
      • Il se peut aussi que la prise en charge des patients soit plus efficace au centre de traitement de Télimélé qu’ailleurs. Il est démontré qu’une prise en charge assez tôt augmente jusqu’à 10 % les chances de guérison des patients atteints d’Ebola ;
      • D’autres chercheurs imaginent aussi qu’une mutation virale ait pu avoir lieu, c’est-à-dire une version Ebola moins tueuse serait allée chez nous ;
      • Génétiquement, les personnes infectées à Télimélé pourraient être résistantes au virus mortel. Comme pour certaines maladies incurables y compris le SIDA, il existe  effet des personnes naturellement prédisposées à lutter contre les germes ;
      • Enfin, les résultats étonnants enregistrés à Télimélé seraient dus à des erreurs d’analyses de laboratoire. Cette hypothèse voudrait que les résultats des analyses effectuées dans les unités de laboratoires internationaux délocalisés en Guinée, soient parfois erronés. Cela peut arriver, confirme un spécialiste, mais rarement nuance-t-il.

      De toutes ces hypothèses, la piste génétique retient mon attention. Pour deux raisons, sans doute discutables. Mais bon…

      1. A Télimélé, le foyer de la fièvre –importée de Conakry – a été le village de Sogoroyah dans la commune rurale de Sâarè Kaly, à 15 km du centre-ville. Sogoroyah est, en termes de superficie, l’un des plus grands villages de la Guinée, bâti sur une plaine au pied d’une falaise de calcaire et s’étendant sur plusieurs km. L’agriculture maraîchère y est très développée ainsi que celle de tubercules. Le niveau de vie de la population est relativement élevé.

      Sogoroyah est un village « Roundè » peuplé majoritairement de descendants d’esclaves. Physique de catcheurs aux muscles pétillants de féculent, les natifs de la  contrée sont réputés « robustes » et « endurants ». Aux antipodes de nos corps frêles de bergers Peuls arpentant les flancs de coteaux.

      J’ai grandi plus haut sur la montagne, à une vingtaine de km de Sogoroyah. Les jeudis, jour de marché, nous descendions la montagne, mes amis d’enfance  et moi, pour venir nous approvisionner en pain, bonbons sucrés (moura-bounga) et autres babioles pour bambins que nous revendions dans nos villages à prix d’or. Notre hantise était de croiser les jeunes incirconcis de Sogoroyah. Tels les éléments de Boko Haram au Nigeria, ces gamins nous flanquaient la trouille au point qu’on ne se hasardait jamais à se déplacer en solitaire. Nous étions toujours dans les jupes de nos mamans, prêts à grimper sur leur dos au moindre signal annonçant l’approche d’un Sôlidjö de Sogoroyah.

      Vous me direz que je grossis un peu le trait, mais je me laisse imaginer que le virus Ebola a eu la même trouille que nous pour oser s’attaquer aux habitants de ce coin. Leur génome est fait d’acier.

      1. La deuxième raison est purement culturelle et consolide la première. Il est apparu en effet qu’en matière de polygamie, les pères de famille de Sogoroyah ne font pas dans la dentelle. On y aurait découvert un patriarche qui a au moins 12 épouses ! Supposons que ce viril monsieur soit génétiquement résistant au virus Ebola et que chacune de ses femmes lui donne cinq gosses. A lui seul, il a aura créé un petit village de 60 personnes Ebola-résistantes ! La suite c’est comme les amitiés sur Facebook, les liens (de mariage) se créent et se développent.

      Si cette hypothèse venait à être confirmée, Ebola aura trouvé son tombeau en Guinée et la polygamie connaitrait ses lettres de noblesse. Et bien sûr, Sogoroyah sera notre nouveau Facebook où on ira créer de liens (de sang) pour blinder notre immunité.

      Pour les incrédules qui persistent à croire que tout ceci n’est que batifolage, rappelez-vous de l’étymologie du nom de notre préfecture. Télimélé vient de deux mots : Téli désinge une essence végétale particulièrement résistante. La légende raconte que le Téli vit trois siècles : un siècle avec le feuillage, un siècle effeuillé, et un siècle couché au sol avant de se décomposer. Méli ou Mélé signifie toxique.

      Il n’y a donc aucune raison que les habitants de Télimélé ne soient pas immunisés contre cette maléfique bestiole nommée Ebola. CQFD

      Lire la suite
      Article : Mes folles années d’étudiant : quand « Jet Lee » s’invite à la fac !
      Education
      12
      26 mai 2014

      Mes folles années d’étudiant : quand « Jet Lee » s’invite à la fac !

      Crédi phto: funcheap.com
      Crédi phto: funcheap.com

      La Guinée, terre de superstitions, a elle aussi ses « monstres du Loch Ness ». Tout phénomène extraordinaire, inattendu et surprenant trouve une explication proportionnellement irrationnelle.

      Ainsi, la conjonction de fléaux qui ravagent actuellement le pays (méningite, rougeole, charbon, choléra, sida, malaria et Ebola) n’a pas d’autre explication, aux yeux des superstitieux, qu’une punition divine infligée au peuple guinéen à cause de ses turpitudes. Ce sont les sept plaies … de la Guinée ! Patati et patata.

      L’analphabétisme aidant, les gens sont plus enclins à croire aux phénomènes paranormaux qu’à la plus élémentaire des démonstrations scientifiques. Mais il n’y a pas que les analphabètes qui soient superstitieux. Et comment !

      Année 2004. Le Bac 2 et le défunt concours d’accès aux institutions d’enseignement supérieur en poche, je suis orienté – l’expression est consacrée – au Centre universitaire de Labé (CUL). Le site est situé à Hafia, une bourgade à 400 km au centre-ouest de Conakry et à 20 km de la ville de Labé, sur la nationale Pita-Labé. Vous l’aurez remarqué, l’abréviation du nom du Centre, CUL, en disait long sur son côté obscur…

      No man’s land

      L’infrastructure ne paie de mine. Les cours sont dispensés dans deux bâtiments rustiques aux allures d’école primaire rurale construite près d’une colline au pied de laquelle s’étend une vaste plaine infestée de scorpions et de serpents à sonnette. S’écarter de la petite piste latéritique qui serpentait à travers la broussaille pour aller à l’école, équivalait à prendre de gros risques de morsure.

      Pas de dortoir, ni de réfectoire. Les quelque 400 étudiants que nous étions étaient logés à leurs propres frais chez les habitants du coin (très hospitaliers) dans des bâtiments en chantier où l’on s’entassait à plusieurs pour éviter de partager une case ronde avec une colonie de guêpes ou une intégrale (surnom que l’on donnait aux serpents).

      Pour la bouffe, on mangeait ce que la nature nous offrait : pommes de terre (très bon marché), laitue, avocat, papaye, banane, orange, târo, mangue (en veux-tu, en voilà), etc.  Pour la viande, ceux qui n’avaient pas la possibilité de s’offrir un kilo de filet de bœuf pouvaient partir à la chasse et rentrer avec une belle perdrix ou un joli agouti (Ebola n’était pas là). Les Tarzan avaient toujours la possibilité d’attraper un gibier encore plus gros.

      La brousse était pour nous un inestimable réservoir alimentaire. Mais aussi un formidable dépotoir d’ordures. Les toilettes, même turques, étant aussi rares que l’eau et l’électricité, chaque buisson était un W-C idéal ! Les abords des villages devaient être particulièrement riches en engrais naturel !!!

      Le courant électrique était donc pour nous un luxe inaccessible. Pour voir une ampoule allumée, fallait attendre le soir quand on mettait en route pour quelques heures le groupe électrogène de l’école. Quant à l’eau, l’unique forage du village, perpétuellement pris d’assaut, était souvent le théâtre de bagarres entre étudiants eux-mêmes, puis entre étudiants et villageois. Pire qu’un puits en Somalie.

      Jet Lee

      Bref, c’est dans ce Koh-Lanta local, avec ces conditions de vie spartiates, qu’un mystérieux phénomène apparut et bouleversa l’ordre établi.

      Ça a commencé par des murmures entre copains. Puis, peu à peu certains étudiants ont élevé la voix. Les témoins disaient avoir reçu sa visite. La nuit. Pour les uns, c’était un homme tout de blanc vêtu qui surgissait au beau milieu de la chambre et restait là immobile. Pour d’autres c’était une femme, une vieille femme édentée qui se penchait sur eux comme pour les embrasser. Pour d’autres encore, c’était un oiseau rapace aux griffes acérées et aux roucoulements glaçants.

      La nouvelle fit le tour du village. Un diable pour certains, un sorcier pour d’autres, voulait du mal aux étudiants. Panique générale. On ne dormait plus, de peur de recevoir sa visite nocturne.

      Rapidement, deux écoles naquirent pour interpréter le phénomène paranormal. Selon les adeptes de l’école du diable, on avait violé le domicile d’un esprit maléfique sur le chantier de construction des logements pour étudiants. Les  partisans de la version du sorcier, eux, étaient formels : un sorcier de Hafia (Hafia = Paix en langue locale Pular) voulait punir les étudiants qui avaient dérangé la tranquillité de la localité et qui couraient les filles du village dont plusieurs étaient tombées enceintes.

      Un étudiant (sans doute un cinéphile) lui trouva un sobriquet assez original : « Jet Lee ». A défaut de pouvoir l’identifier, l’esprit avait au moins un nom. Bible et Coran furent mis à contribution pour exorciser le mauvais sort, chasser Jet Lee. Sans succès. Au contraire, les témoignages de vision se multiplièrent, plus effrayants les uns que les autres. Mais uniquement parmi les étudiants.

      Un matin, très tôt, le village fut réveillé par un retentissant concert de casseroles. Une partie des étudiants n’ayant pas fermé l’œil de la nuit ont décidé de donner l’alerte et d’affronter Jet Lee frontalement. Mobilisation à l’école. Le mot d’ordre est simple : on veut quitter Hafia. Deux étudiants, pâles comme des anémiés, se présentèrent comme les toutes dernières victimes de Jet. L’un d’eux affirmait avoir été griffé la nuit passée. Il portait de légères égratignures dont il était difficile de juger l’origine en toute objectivité. Mais il n’était pas permis de douter. Conclusion : nos vies sont sérieusement menacées.

      Branle-bas de combat. Tension à couper au couteau. Les responsables du Centre sont mis sous forte pression. Les étudiants veulent être transférés à Labé-ville pour y continuer les cours tranquillement. C’était une vieille réclamation d’ailleurs. Pour montrer notre détermination, une marche pacifique est organisée. Armés de rameaux, entonnant des chants guerriers, nous couvrons à pied les 20 km qui séparent Hafia de Labé. Entrée triomphale en ville. L’action mobilise toutes les autorités qui nous reçoivent et nous écoutent. Une seule réclamation : nous voulons rentrer en ville.

      Finalement le transfert est acté. Le lendemain, nous votons à l’unanimité le départ de Hafia après 12 mois passés dans la localité.

      Personnellement, je n’ai jamais su l’existence de Jet Lee. Au fond, je ne l’ai jamais cru à cause de mon esprit cartésien qui s’accommode mal de certaines convenances. Je me suis solidarisé à cause des conditions de vie difficiles qui nous faisaient passer pour des Robinson.

      Ce dont je suis certain c’est qu’en ville, nous aurons trouvé un « Jet Lee » plus redoutable se manifestant à travers la vie chère, la faim, la poussière et la précarité. Un Jet Lee avec qui nous vivrons quatre ans durant. Quant au monstre de Hafia, personne n’en entendit plus parler. Alors bizarre ou pas ?

      Lire la suite
      Article : Ebola dans la cité : réalité, fantasmes et paranoïa
      Santé
      14
      31 mars 2014

      Ebola dans la cité : réalité, fantasmes et paranoïa

      Virus Ebola
      Virus Ebola

      De leur abri haut perché sur les crêtes ferrugineuses des monts Nimba, les singes du sud de la Guinée boivent du petit-lait ! Depuis quelques semaines, les primates assistent, sans doute effarés, à un spectacle des plus absurdes. Leur redoutable prédateur, l’homo Guinéenus, se bat contre un ennemi invisible dans un combat déloyal, puisque à armes inégales : Ebola !

      C’est à la radio, quelques rares fois, que j’entendais parler de cette saloperie incurable qui tue les gens atrocement loin là-bas dans l’ancien Zaïre, terre d’instabilité. Le virus Ebola sévissait en Afrique centrale, notamment en Centrafrique et en RDC où il a été découvert en 1976 près d’une rivière qui porte le nom d’Ebola. Comment cet inconnu a-t-il pu se taper un safari de milliers de kilomètres, traversant une dizaine de pays pour atterrir en Guinée pour faire coalition avec la malaria, le sida et le choléra contre une  population déjà éprouvée par un quotidien loin d’être tendre ?  En avait-il marre des fesses des rebelles maï-maï et autres fripouilles de la Seleka et anti-balaka ? Mystère.

      Toujours est-il qu’Ebola est là, avec son cortège de malheurs et de désolation. Plus de 100 cas et des dizaines de morts tués par une fièvre foudroyante accompagnée de vomissements, de diarrhées et de saignements. Une contagion à travers les fluides biologiques. Aucun vaccin ni remède. Un cocktail qui fait que devant Ebola, le sida fait figure de rhume des foins.

      Rumeurs. On dit. Puis panique générale qui n’a pas tardé à virer à la paranoïa depuis la découverte de quelques cas à Conakry la capitale. Les médias s’en sont mêlés, la rue et les réseaux sociaux ont récupéré la rumeur pour laquelle la Guinée est une véritable industrie.

      Bonjour les anecdotes, les situations tragi-comiques et les dérives à la con.

      Un petit importateur de produits cosmétiques doit une fière chandelle au filovirus Ebola. Il se demandait que faire d’une quantité importante de gel de mains qui arrivait à expiration quand l’annonce a été faite que le virus ne résiste pas au gel antibactériologique, au savon, au chlore et à l’eau de Javel. Sa marchandise est partie comme des petits pains.

      Désormais à  Conakry, tous les jours c’est journée internationale de lavage des mains. A l’entrée de grands restaurants, de certaines écoles, ONG, institutions, banques et assurances, des vigiles armés de seaux d’eau javellisée appliquent les consignes à la lettre. Lavez-vous les mains avant de rentrer. Les épiceries sont déjà en rupture de stock de chlore et d’eau de Javel.

      Ce dimanche j’ai été chatouillé par la vision d’un de ces paranos se promenant dans la rue sous 35°C, les mains rôtissant dans des gants de toubib. Il saluait à bonne distance, voyant Ebola en chaque individu croisé. Les Chinois, qui marchent en troupeau dans une Conakry chauffée à blanc, ont tous la bouche masquée par un cache-nez.  Donc votre Kung-fu peut être neutralisé par Ebola ?

      Des années successives d’épidémie de choléra n’avaient pas pu rendre les Guinéens si prévoyants et hygiéniques. Mais aussi hystériques.

      C’est dans les transports en commun que la situation devient ingérable. Faut voir les gars se faire encore plus petits pour ne pas se toucher dans un taxi où s’entassent jusqu’à sept gaillards. Chacun a la gueule tirée qui plonge dans le décor. On se veut moins tactiles, chaque cas de fébrilité étant suspicieux.

      Ce week-end, un drame a été évité de justesse dans un bus de transport en commun sur l’autoroute Fidel Castro. Dans l’autocar plein comme un œuf, la chaleur était suffocante. C’est à ce moment-là que quelqu’un pris de nausée a vomi à l’intérieur! C’est le sauve qui peut. Le conducteur a détalé le premier abandonnant le bus surplace d’où s’échappaient les passages dans un chaos indescriptible. Plusieurs cas de blessés légers. Tant pis, mieux vaut un bras fracturé qu’Ebola dans le ventre.

      Moins amusante est la bêtise de ce prof d’université qui relaie une connerie devant ses étudiants selon laquelle il serait déconseillé de s’assoir avec un Forestier au risque de contracter la maladie. Il a failli être lynché par ses propres étudiants, toutes ethnies confondues.

      Par ailleurs, de petits malins – mais gros cons – s’amusent à faire de la publicité intrusive en diffusant des SMS selon lesquels un médecin chercheur guinéen vivant au Sénégal a trouvé un remède miracle et bon marché contre la fièvre Ebola : de l’oignon cru ! Des âneries.

      Mais dans cette Ebolaphobie, la panique n’est pas uniquement au niveau individuel. Elle est aussi étatique. C’est toute l’Afrique de l’Ouest, en émoi, qui est tétanisée. Le Mali, l’autre poumon de la Guinée, annonce des mesures préventives, la Côte d’Ivoire a constitué une cellule de crise, le Liberia et la Sierra Leone sont déjà suspectés d’abriter la maladie, et le Sénégal vient de fermer sa frontière terrestre au nord-ouest de la Guinée bloquant des milliers de personnes dans les deux sens. Youssou N’Dour, qui devait se produire à Conakry le 29 mars, a été contraint d’annuler son concert in extremis.

      Pourtant, le risque de transmission de l’Ebola est très faible comparé à certaines grippes comme celle aviaire ou le coronavirus qui a ravagé le Moyen- Orient l’année dernière. Mais si vous voulez avoir la tête carrée, allez répéter ça à un analphabète chômeur qui a la rumeur chevillée à l’âme…

      Ebola est vraiment garçon hein. Il a déclenché un tsunami de paranoïa par-delà les frontières guinéennes, mais il a néanmoins le mérite d’avoir réussi à baisser la tension à Conakry sur le front social. On oublie les problèmes d’eau, d’électricité et d’insécurité pour faire face au redoutable ennemi commun qui ne fait pas de distinguo entre partisans et opposants. Il les mange tous à  la même sauce.

      Justement en parlant de sauce, les rats, les écureuils, les macaques et les agoutis du pays pavoisent. Ils ont bénéficié d’un sursis inespéré et sans doute pour une longue période. Les défenseurs de l’environnement, en particulier de la faune, peuvent prendre leur congé sabbatique. Les braconniers et autres singivores sont tombés sur os. Ebola kö dougoulaa!*

      *Ebola est néfaste

      Lire la suite
      Article : Lettre de chagrin à ma mère
      Portrait
      27
      21 mars 2014

      Lettre de chagrin à ma mère

      Ma mère -
      Adama Oury Sow 1944 – 2012

      Ma très chère petite maman,

      En ce 21 mars, comme chaque 21 mars, j’aurais aimé avoir le talent du poète Senghor pour me souvenir de toi dans une ode aux vers perlés d’amour et de tendresse. J’aurais voulu posséder la prose de Camara Laye pour te décrire, en des mots si simples, l’irremplaçable vide que tu as laissé. Hélas ! Je me contenterai de ma plume effilochée de blogueur pour te griffonner ces quelques lignes empreintes de chagrin qui consume mon âme depuis 24 mois.

      Maman, voilà deux ans que tu es partie. Tu reposes à jamais à Fârâto, en terre gambienne, où le 21 mars 2012, par une belle fin de journée ensoleillée, nous t’avons accompagnée à ta dernière demeure. Je n’oublierai jamais cet instant pathétique où, le tout dernier à quitter le cimetière, je jetai un dernier regard sur ta tombe recouverte de terre ocre sachant que je ne te reverrai plus.

      Les voies du Seigneur sont vraiment impénétrables : naître dans les confins de Télimélé, en Guinée, et aller se reposer pour toujours au cœur de la Gambie.

      J’ai séché mes larmes pour pleurer de l’intérieur. Mon cœur saigne. J’ai compris que rien, même pas la mort, ne peut entamer l’amour d’un fils pour sa mère et sans doute, vice-versa. La mort t’a ôté de mon regard pour te replacer dans le sarcophage de mon cœur où tu vivras tant qu’il palpite. Jamais nous n’avons été si proches Nênè!

      J’ai compris aussi qu’une mère c’est comme le bonheur : on l’apprécie quand on l’a perdue. Je te regrette beaucoup maman même si, comme le recommande notre religion, je rends grâce à Allah qui m’a gratifié le bonheur de grandir aux côtés de ma mère, contrairement à toi qui a perdu la tienne dès la naissance. C’est dur de perdre une maman.

      Dans cette épreuve du deuil, du chagrin et de la mélancolie, j’essaie d’avancer, de me rendre utile pour mériter ta confiance et ta fierté. A chaque fois que je lève les yeux dans le ciel, où tu te trouves dans la félicité de Dieu, j’ai peur de croiser ton regard réprobateur pour la moindre incartade.

      Maman, je suis devenu un homme. Ton « taureau », comme tu te plaisais à me valoriser exagérément – mon aspect fluet me rapprochait plutôt d’un taurillon non ? –, se bat dans des corridas à la dimension de tes espérances. Je me porte bien, je travaille, je bouge, je blogue, je blague. Grâce à Dieu, par tes bénédictions.

      Je suis devenu un homme, disais-je. Ton fils s’est marié maman ! Une petite princesse venue de Télimélé-ville. Elle s’appelle Ramatoulaye. C’est encore un petit poussin que je prendrai dans mon sein avec toute la délicatesse dont j’ai héritée de toi. T’inquiète.

      Dommage que tu ne sois pas là pour orchestrer les préparatifs de la célébration du mariage civil qui pointe à l’horizon. Dommage que tu n’aies pas été là pour régler les détails du mariage religieux célébré au tout début de cette année. Je sais tout l’aura que tu aurais tenu à imprimer à ces évènements. Je vois ton empressement à diffuser la nouvelle auprès de tes amies qui me fendillent souvent le cœur en me rappelant vos meilleurs moments ensemble. Le plus dur pour moi, c’est de retourner à Pountougouré sachant que je ne vivrai plus l’instant magique d’être accueilli par toi; sentir ton odeur de femme rurale parfumée au cambouis et à la bouse de vache.

      Maman, le jour où j’ai signé mon premier contrat à durée indéterminée, j’ai écrasé une larme. J’étais déchiré entre la joie du nouvel employé et le chagrin d’être orphelin de mère. Tu n’as pas pu profiter des fruits de l’arbre que tu as planté et arrosé de ton sang et de ta sueur. Tu t’imagines tout le bonheur que j’aurais éprouvé de te voir rentrer des lieux saints de la Mecque à mes frais ? Tu en rêvais, je voulais le réaliser mais le destin s’est interposé.

      Loin de moi la volonté de te payer (pourrais-je jamais ?), mais ça aurait été une manière de te prouver que tes efforts n’ont pas été vains.

      Je sais les conditions dans lesquelles tu nous as élevés. Comme toutes les mères de notre contrée, tu as trimé. Tu t’en es allée le dos voûté, non pas sous le poids de l’âge à 68 ans, mais sous l’effet du dur labeur des travaux champêtres et de la vie de femme au foyer. Les corvées d’eau aux aurores sous la rosée, les matins secs et frisquets de fin d’année, le potager à entretenir, la tapade à bichonner, la cuisine à faire, les gamins et les bêtes à nourrir et à surveiller… Bref, être femme au village c’est savoir être à la fois au four et au moulin. C’est consacrer tout son temps aux autres sans en avoir suffisamment pour soi-même. C’est de l’altruisme!

      Je garde encore l’image de ces femmes rentrant des champs, trempées jusqu’aux os, un fagot de bois en équilibre sur la tête. Souvent la faim dans le ventre. Ce n’était pas que la fumée dans les cases qui rougissait vos yeux, mais aussi l’épreuve de la vie. Comment garder la ligne, être belle et raffinée dans ces conditions ? Votre beauté est interne, celle externe vous a été volée.

      Je suis conscient que si ma peau est lisse aujourd’hui, c’est parce que la tienne a été rugueuse maman. Si la paume de mes mains est spongieuse, c’est parce que celle de tes mains était couverte de callosités au contact du pilon, de l’herbe et de la houe. Pour prouver aux autres ce que je sais faire, je leur fourbis un papier appelé CV. Toi, il te suffisait de tendre la main où étais écrit le livre d’une existence aguerrie sur le champ de bataille de la survie.

      Tu nous as élevés dans la pauvreté matérielle mais dans le respect et la dignité. Tu n’imagines pas le bonheur et la fierté que je tire de mon éducation et de la ligne de conduite que tu nous as tracée, mes frères et sœurs et moi.

      Nous te remercierons et te béniront jusqu’au jour où, Dieu dans sa mansuétude, nous réunira tous ensemble au Jardin d’Eden.

      Repose en paix Nênan Adama Oury.

      Je t’aime <3>

      Lire la suite
      « »
      • 1
      • 2
      • 3
      • 4
      • 5
      • 6
      • 7
      • 8
      • 9
      • …
      • 19
      Un clic sur les réalités socio-culturelles de ma Guinée dans sa diversité

      Auteur·e

      L'auteur: SOW
      Blogueur guinéen de Conakry, je suis passionné de réseaux sociaux et de nouvelles technologies. L'humour est mon compagnon, la sérendipité ma valise. #Blog #Blagues #Tweet

      Populaires

      Article : Top 10 des fautes de français qui collent les Guinéens à la peau

      Top 10 des fautes de français qui collent les Guinéens à la peau

      15 août 2013
      Article : Lettre de chagrin à ma mère

      Lettre de chagrin à ma mère

      21 mars 2014

      Labé : Les mariées du….téléphone !

      29 novembre 2010

      CampusFrance ou le calvaire de l’étudiant guinéen !

      31 janvier 2011
      Article : Parlez-vous le « guinéen » ? top 10 des mots et expressions français aux couleurs locales

      Parlez-vous le « guinéen » ? top 10 des mots et expressions français aux couleurs locales

      27 mai 2016
      Article : Non «Petit futé», Télimélé n’est pas un village !

      Non «Petit futé», Télimélé n’est pas un village !

      23 janvier 2014
      Article : Lettre à mon frigo !

      Lettre à mon frigo !

      1 juin 2013

      Lettre de Paris à un ami de Conakry

      3 mars 2012
      Ma guinée plurielle © 2021
      -
      BLOG DU RÉSEAU MONDOBLOG
      Mentions légales Centre de préférences